Guide du bon sens/Éloge de Monsieur de la Palisse

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Les Éditions des Portiques (p. 235-252).

IX

ÉLOGE DE MONSIEUR DE LA PALISSE


Il n’y a pas de vérités si évidentes que l’on doive se dispenser de les énoncer ; que l’on prenne garde, au contraire, que sous prétexte de leur évidence, et par crainte de sembler ridicule en les énonçant, on ne finisse par les oublier et par oublier qu’elles sont des vérités.

C’est affaire au bon sens de remettre les vérités premières à leur place qui doit, précisément, être la première.

Aussi bien, qu’est-ce qu’une vérité évidente ? Tu peux très bien considérer comme évident ce qui me semble à moi, matière à réflexion et à controverse, de même que tous les spécialistes, traitant de leur spécialité, ont tendance à poser comme acquises des notions dont tu n’avais jamais entendu parler et auxquelles tu ne comprends goutte.

Parce que personne ne saurait établir et décider pour tout le monde où commence l’évidence, le mieux est de commencer par le commencement, c’est-à-dire de ne jamais hésiter à tout expliquer, comme si personne ne savait rien, et comme si rien n’était évident.

Sur ce point, nous répéterons que l’exemple de Monsieur de la Palisse nous a toujours semblé le plus significatif, et j’ai toujours déploré que des personnes raisonnables, sensées et pondérées, se laissassent aller à se gausser d’une chanson qui, au moins dans ses principaux couplets, est un modèle de bon sens ; tant que, si l’on élevait jamais un monument au Bon Sens, je demande si l’on n’y devrait pas faire figurer d’abord l’effigie du héros de la chanson, dresser en pied la statue de Monsieur de la Palisse ?

Un « Guide du Bon Sens » serait incomplet où l’on aurait négligé d’insérer un bref commentaire des principaux couplets de la chanson de Monsieur de la Palisse, chacun de ces couplets ne se contentant point, comme on le prétend bien à la légère, d’enregistrer ce qui va sans dire, mais précisément ce qui a toujours besoin d’être dit, qui est par excellence le langage du Bon Sens.

Et ce sera d’abord, touchant « l’air du fameux La Palisse », cette invitation pleine de modestie et de gentillesse :

Il pourra vous réjouir
Pour peu qu’il vous divertisse.

N’y a-t-il pas là tout un programme d’esthétique ?

Le premier soin, pour un poète comique, et par conséquent, pour un chansonnier, c’est de nous divertir, en effet, c’est-à-dire de nous arracher à nos soucis, occupations et préoccupations, et c’est pour y tâcher qu’il nous met un refrain aux lèvres.

Des lèvres, le refrain gagnera-t-il notre esprit, notre cœur, y fera-t-il couler cette joie tonifiante et saine, par quoi l’esprit et le cœur sont, non plus seulement divertis, mais réjouis ?

Se divertir est une chose, se réjouir en est une autre, et la joie est le but qu’il s’agit d’atteindre par le chemin du divertissement.

Quel est donc ce La Palisse sur lequel on compte pour nous apporter divertissement et joie ? De quels traits de son caractère va-t-on nous divertir, et, du moins l’espère-t-on, nous réjouir ?

Et l’on nous apprend que, n’ayant reçu que peu de bien en partage :

DèsIl ne manqua de rien
Dès qu’il fut dans l’abondance.

Sans préjuger s’il vous paraîtra très drôle, divertissant ni réjouissant, que voilà donc un contentement exemplaire ! Tant de gens que l’abondance même ne saurait satisfaire et qui, de quelques biens qu’ils soient pourvus, témoignent d’un tel désordre ou d’une telle mauvaise volonté qu’ils semblent, à les voir ou à les en croire, être toujours dépourvus de tout !

Et croyez-vous aussi qu’il soit si commun d’en user avec certaines modes comme Monsieur de la Palisse :

Il ne mettait son chapeau
Qu’il ne se couvrît la tête

À la bonne heure ! Voilà du bon sens, quand la majorité des porteurs de chapeau, du moins parmi les contemporains de Monsieur de la Palisse, mettaient leur chapeau sous leur bras, qui n’était guère façon, on en conviendra, de se couvrir la tête ! Et n’est-ce pas à quoi, cependant, sont essentiellement destinés les chapeaux, vérité oubliée, non seulement par les contemporains de notre héros, mais par nos propres contemporains qui, pour la plupart, négligent d’avoir des chapeaux, et, singulièrement par nos contemporaines qui, en mettant leurs chapeaux, ne songent guère, comme Monsieur de la Palisse, à se couvrir la tête, mais à peine la moitié de leur jolie tête, là, sur le côté, à peine le quart…

Un autre exemple excellent, qui nous est donné par Monsieur de la Palisse, et qui intéresse, mieux que la façon de porter son chapeau, celle de se comporter dans la vie, c’est comment, à l’occasion, il prenait sur soi, il arrivait à se maîtriser :

Il n’entrait guère en courroux
Si ce n’est dans la colère.

Écoute celui-là dont rien n’autorise à dire ni ne justifie qu’il soit « dans la colère » et qui jure et qui invective constamment sans savoir pourquoi ; que fera-t-il davantage quand il sera en colère pour tout de bon et pour une raison qui en vaudra la peine ?

Monsieur de la Palisse nous enseigne la vanité et le danger des éclats disproportionnés, des colères inutiles ; personne eut-il jamais mieux que lui le sens de la mesure et le sens de l’opportunité ?

C’est ce sens de l’opportunité qui le gardera du ridicule, où l’on voit tomber tant de gens qui, par leurs accoutrements et leurs agissements aussi extravagants les uns que les autres, par la folie indécente de leur mise et de leur conduite, semblent avoir choisi de vivre dans un perpétuel carnaval :

Il faisait son Mardi Gras
Toujours la veille des Cendres.

L’extravagance, la fausse originalité, Monsieur de la Palisse la poursuit partout, et toutes les manières ; et comme il entend mener une existence saine, il entend aussi ne manger qu’une cuisine saine, et recommande à ses valets de

Ne pas oublier les œufs
Surtout dans les omelettes.

Je ne pense pas que vous soyez disposé à sourire de cette recommandation, ni à la trouver superflue, par ces temps de cuisine chimique, où l’on se pique de faire des omelettes sans œufs, où l’on mettra de tout, de tout, sauf des œufs, dans les omelettes.

Et de même qu’il lui faut une cuisine saine et des omelettes faites avec des œufs, Monsieur de la Palisse ne supporte pas les vins frelatés, et n’hésite pas à se proclamer fervent amateur du bon et pur jus de la treille :

De l’inventeur du raisin
Il révérait la mémoire,
Et pour bien goûter le vin
Jugeait qu’il en fallait boire.


— ceci à l’adresse de ces petits messieurs à l’estomac détraqué et qui discutent des mérites du Pommard et du Chambertin en buvant de l’eau minérale.

Non, Monsieur de la Palisse, qui s’en flatte, et qui en est fier, et qui a bien raison d’en être fier, Monsieur de la Palisse n’a pas l’estomac détraqué, le cerveau non plus et le cœur encore moins, et n’est-ce pas merveille de voir avec quel souci de l’équilibre toute sa vie est sagement organisée, y compris sa vie sentimentale ?

Vous ne doutez pas qu’un homme de bon sens, comme Monsieur de la Palisse, ne fuie en tout les drames et les complications, et notamment dans l’amour, qui lui paraît une chose parfaitement normale et simple comme tout le reste, à condition de ne le chercher que là où il est, où il doit être, dans le mariage :

Il n’S’il avait vécu garçon,
Il n’aurait pas eu de femme.

Cela ne l’empêchera pas d’avoir, comme tout le monde, ses heures de tristesse, mais ce sera encore, dirons-nous, une tristesse raisonnable, qui aura ses bonnes raisons, et non pas de ces tristesses qui éclatent à tout propos et hors de propos, inconsidérées, incompréhensibles, celles que l’on ne sache jamais, avec ces tristesses-là, sur quel pied danser (mais dansent-elles jamais ?) ni par quel bout les prendre.

Mais je n’ai pas besoin d’insister sur ce mal du siècle, particulièrement redouté et traqué par tous les hommes de bon sens, et qui s’appelle la neurasthénie… Monsieur de la Palisse, homme de bon sens par excellence, était par excellence le contraire d’un neurasthénique ; et qui donc aurait su, sinon lui,

Ne jamais être chagrin
Qu’au moment qu’il était triste !…

Comment un tel homme n’eût-il pas été jalousé ? On a beau ne pas faire de bruit, vivre dans son petit coin sans rien demander à personne que de vous laisser paisiblement édifier un bonheur tranquille, ces mêmes gens qui ne se contenteraient pas de la vie que vous menez ne peuvent vous la laisser mener sans intervenir pour y mettre leur grain de sel, sans se mêler de ce qui ne les regarde pas, sans regarder par-dessus votre mur, par-dessus votre épaule, bref sans s’occuper de vous dans le même temps que vous évitez le plus de vous occuper d’eux.

Ah ! être seul au monde ou du moins pouvoir agir, rêver, parler, se taire, aller, venir, comme si l’on était seul au monde !

Il n’eût pas eu son pareil
S’il eût été seul au monde !

Faut-il croire que Monsieur de la Palisse se consolait de n’être pas seul au monde en composant des vers ?

Que Monsieur de la Palisse ait été un poète, ceci n’étonnera que ceux qui se représentent l’inspiration comme surgissant nécessairement au milieu des flammes d’un volcan et sur le trépied de la pythonisse, ceux qui méconnaissent l’intime douceur d’une poésie familière et mesurée, telle que pouvait être, sans rien qui interdit qu’elle le fût, la poésie de Monsieur de la Palisse.

Et nous avons même cette précision sur la technique poétique de Monsieur de la Palisse, et la façon dont il s’appliquait à écrire des vers :

Quand il écrivait des vers
Il n’écrivait pas en prose.

Règle trop oubliée ! Qui osera soutenir que ce soit là une vérité évidente et qu’il ne soit pas opportun, voire indispensable, de la placer ainsi sous les yeux de tant de poètes — ou prétendus poètes — qui ne distinguent plus, ou dont on ne distingue plus, s’ils écrivent des vers ou de la prose, et qui ne se piquent que de nous offrir, de l’une et des autres, un horrible, un inextricable, et incompréhensible mélange ?

Monsieur de la Palisse échappe aux influences des faux maîtres et des snobs, il vit et compose, à l’écart de toutes les coteries et chapelles littéraires et autres sociétés d’admiration mutuelle, il écrit, s’il lui plaît d’écrire, comme ça lui chante, quand ça lui chante et ce qui lui chante, libre et tranquille dans sa maison des champs :


Lorsqu’en sa maison des champs
Il vivait libre et tranquille,
On aurait perdu son temps
À le chercher en ville.

À la ville, c’est-à-dire dans les cafés et les salons de la ville…

Quelle plaisante demeure apparaît cette maison des champs de Monsieur de la Palisse où l’accueil devait être si cordial, et si confortable l’hospitalité ! Car Monsieur de la Palisse est un hôte généreux et charmant, qui ne cherche pas à jeter de la poudre aux yeux de ceux qu’il reçoit, mais chez qui l’on est toujours assuré de toutes les prévenances et des attentions les plus délicates, où rien ne manque de l’utile et de l’agréable, où Monsieur de la Palisse s’évertue et n’épargne rien pour que tu te sentes à l’aise et que tu aies toutes tes aises, que tu sois chez lui comme chez toi et mieux que chez toi.

« Il faut ce qu’il faut ! » telle, en pareil cas, sera sa devise :

Quand il se mettait en frais,
Il se mettait en dépense.

Voilà bien le type même de l’honnête homme, lettré, courtois, sachant recevoir, aimant voyager ; car son portrait serait incomplet si l’on ne soulignait, parmi l’emploi judicieux qu’il faisait de sa fortune, que Monsieur de la Palisse « voyageait volontiers ».

Mais ici encore on ne manquera pas d’admirer cet esprit sensé et pondéré dont il témoignera, en voyage, comme dans toutes les autres circonstances de son existence si harmonieuse et si bien réglée ; Monsieur de la Palisse n’est pas de ces fous qui ne voyagent que pour voyager, atteints d’une sorte de frénésie des départs, partir encore, partir toujours, partir à peine arrivés, ou mieux qui n’arrivent, semble-t-il, que pour avoir l’occasion de repartir ; incapables de jouir d’un paysage, de s’arrêter aux beautés d’une ville, tantôt ici, tantôt là, partout à la fois ; certes non, Monsieur de la Palisse n’est pas de cette école de voyageurs et n’a pas semblable bougeotte ; il voyage posément, à petites journées, sans songer à brûler les étapes, et profitant de chacune d’elles :

Quand il était à Poitiers
Il n’était pas à Vendôme.

Un honnête homme, Monsieur de la Palisse, dans toutes les acceptions du mot, et aussi dans la plus stricte et la plus modeste, qui est de l’honnêteté courante, de l’honnêteté scrupuleuse, de l’honnêteté de l’honnête joueur de piquet, par exemple, qui ne cherche jamais à tricher sur les points :

Et comptait quatre-vingt-dix
Lorsqu’il comptait un nonante…


quatre-vingt-dix et jamais cent, ni seulement quatre-vingt-onze, cela aussi, qui n’a l’air de rien, sans doute n’était-il pas mauvais qu’on le remarquât, et tant pis pour qui aura souri de la remarque !

— Mais où personne, suppose-t-on, n’aura l’idée de sourire, c’est quand il est fait allusion à certaines difficultés matérielles de Monsieur de la Palisse et à l’obligation où il se trouva de vendre sa maison ; on a cru devoir ajouter à ce propos :

Il fallait qu’il en eût une.

L’observation est judicieuse et se trouvera exactement vérifiée parce qu’il s’agit de l’honnête Monsieur de la Palisse ; mais sans doute n’était-il pas mauvais non plus que l’on remarquât — lorsque tant d’audacieux aigrefins, tant d’agents d’affaires aventureux et véreux s’ingénient et s’enrichissent à vendre ce qui ne leur appartient pas, — que Monsieur de la Palisse mit en vente une maison dont il était réellement le propriétaire.

Et c’est ainsi qu’au fur et à mesure que l’on rassemble les traits du caractère de Monsieur de la Palisse se précise davantage et s’épanouit sa figure loyale, l’honnête visage d’un homme qui hait plus que tout au monde toute duperie et tout faux semblant.

Il y a un mot qui n’existait pas du temps de M. de la Palisse, mais si le mot n’existait pas, la chose existait et a toujours existé, c’est le « bluff » ; Monsieur de la Palisse est par-dessus tout, l’ennemi du bluff et des bluffeurs, et c’est ce qu’établit si joliment, par une image heureuse et frappante, ce couplet de sa chanson, l’un des mieux venus et des plus explicites :


On raconte que jamais
Il ne pouvait se résoudre
À charger son pistolet
Quand il n’avait pas de poudre.

Le nombre des forts-à-bras et des maîtres chanteurs qui n’ont pas de poudre et qui n’attendent pas d’en avoir pour charger leurs pistolets, ou, ce qui revient au même, vous en menacer !…

Et nous voici arrivés à la blessure qui emporta Monsieur de la Palisse :

On croit, puisqu’il en est mort,
Que la plaie était mortelle.

— On le croit, sans en être autrement sûr, car la plaie pouvait très bien n’être pas mortelle et Monsieur de la Palisse en mourir tout de même faute de soins, ou soigné à contresens par un chirurgien malhabile.

N’importe, Monsieur de la Palisse est mort, et il faut bien dire que cette mort est demeurée liée dans la mémoire des hommes au souvenir même de Monsieur de la Palisse, moins pour l’héroïsme avec lequel il la supporta que pour la façon dont elle nous fut rapportée :


Regretté de ses soldats
Il mourut digne d’envie
Et le jour de son trépas
Fut le dernier de sa vie.

Ce dernier trait est apparu comme la plus évidente de ces vérités évidentes auxquelles, à cause de Monsieur de la Palisse, on se plaît à donner le nom de « lapalissades », et l’on ne s’est pas rendu compte que c’est précisément parce que nous considérons que le jour du trépas est le dernier de la vie, que nous nous entêtons à user de raisonnements qui ne sont valables que pour la vie, toutes les fois qu’il s’agirait, comme ici, de raisonner de la mort.

Le jour du trépas est bien le dernier de la vie, mais c’est autre chose de bien plus angoissant, c’est le début du mystère de la mort qui commence.

La première des idées fausses que nous nous faisons sur la mort et qui suffirait à fausser toutes les autres, c’est que nous n’arrivons pas à l’envisager en soi, toute seule, indépendante de la vie avec laquelle elle n’a aucun rapport ; à toute force nous voulons la rattacher à la vie, voir en elle un événement de notre vie, « le dernier jour de la vie », penser à la vie à travers la mort, que nous ne voyons, que nous ne concevons qu’en fonction d’elle, la vie, toujours elle. Une autre version de la chanson de Monsieur de la Palisse qui, affirment les exégètes, serait à l’origine de tous les couplets dont elle s’enrichit par la suite, est encore, sur ce point essentiel, plus nette et directe, et précise excellemment le sort de son héros :

Hélas ! s’il n’était pas mort
Il serait encore en vie.

On ne saurait mieux dire, et voilà qui coupe court à toutes les confusions détestables où nous pataugeons : c’est tout l’un ou tout l’autre, et la vie et la mort n’ont pas à se chevaucher l’une l’autre, la mort ne prendra pas la vie en croupe.

Chose étrange ! une constatation si raisonnable a-t-elle paru trop raisonnable ? Les exégètes dont nous parlions n’ont pas consenti à admettre qu’elle eût été faite de bonne foi ; et l’on s’est avisé d’une interprétation non moins ingénieuse que celle qui, dans les stances célèbres de Malherbe, soutient que la fille de du Périer s’appelait Rosette et qu’au lieu de « Rose, elle a vécu… » c’est « Rosette a vécu ce que vivent les roses » qu’avait écrit le poète, trahi de la façon la plus favorable, mais trahi tout de même par son imprimeur.

Et, pareillement, la chanson disait primitivement que, si la Palisse n’était pas mort,

Il ferait encore envie…

C’est possible, mais ne s’aperçoit-on pas que, comme pour la « Rosette » de Malherbe, le meilleur du vers, sa saveur particulière et son suc profond, viennent de l’erreur commise, si erreur il y eut ?

Or on a imaginé, bien au contraire, que, dans le cas de Monsieur de la Palisse, il lui serait plus agréable de n’être point représenté comme un homme qui passait son temps à mettre les points sur les i, comme si l’on pouvait avoir jamais à regretter d’avoir mis les points sur les i avec trop d’insistance ; ce que, trop souvent, il faudra que l’on regrette, n’est-ce pas, c’est bien plutôt de ne pas les avoir assez mis ?

Le véritable Monsieur de la Palisse, un Jacques II de Chabannes, seigneur de La Palice, qui se fit tuer si bravement à la bataille de Pavie, les seules paroles de lui, authentiques, qui nous aient été transmises, c’est le discours qu’il tint au pied de la forteresse de Rubos, dont il venait, sept heures durant, de défendre la première brèche, alors que Gonzalve de Cordoue le menaçait de mort s’il n’engageait son lieutenant Cormon à livrer le donjon :

« Cormon, dit le seigneur de la Palice, Gonzalve que vous voyez, menace de m’ôter la vie si vous ne vous rendez promptement. Mon ami, regardez-moi comme un homme mort, et si vous pouvez tenir jusqu’à l’arrivée du duc de Nemours, faites votre devoir ! »

De telles paroles ont sans doute un autre accent que celles qui ont été enregistrées par les couplets de la chanson célèbre ; mais nous ne les croyons nullement incompatibles avec elles.

Où voyez-vous que Jacques II de Chabannes, seigneur de la Palice, n’ait pas gardé, jusque dans la fièvre du combat, la même assurance tranquille et réfléchie que Monsieur de la Palisse en personne ?

Et certes il a fait tout de suite, et sans barguigner, le sacrifice de sa vie ; mais encore demande-t-il que ce sacrifice ne soit pas inutile.

Que dit-il à Cormon, en effet ? — « Ne vous occupez pas de moi, faites votre devoir ! »… Mais cela bien entendu « si vous pouvez tenir jusqu’à l’arrivée du duc de Nemours ».

Cela sous-entend que si Cormon se trouve dans l’impossibilité de tenir jusqu’à ce que Nemours le secoure et le délivre, il fera aussi bien de se rendre aussitôt pour éviter le massacre de ses soldats et la mise à mort immédiate et sans profit du seigneur de la Palice, — qui est le bon sens même.

Et pourquoi l’héroïsme ne tiendrait-il pas le langage du bon sens ?

Les hommes ont plus souvent affaire de bon sens que d’héroïsme, et c’est pourquoi nous aurons plus souvent à nous inspirer des couplets de la chanson de Monsieur de la Palisse que des propos héroïques de son modèle apocryphe ou réel au pied de la forteresse de Rubos.

Mais que l’on se dise bien qu’ils sont de même famille et que le véritable héroïsme est celui qui va de pair avec le bon sens.

Soyons des héros à l’occasion, et des hommes de bon sens le reste du temps ; et même si nous n’avons jamais l’occasion d’être des héros, croyez-vous que le simple exercice du bon sens n’exigera pas de nous, plus souvent qu’on ne l’imagine, sinon de l’héroïsme du moins un certain courage ?

J’ai écrit ce petit « Guide du Bon Sens » pour vous y encourager tout précisément, et moi avec vous ; plaçons-le, et nous avec lui, sous les auspices de Monsieur de la Palisse ; qu’il soit ou non Jacques II de Chabannes, seigneur de la Palice, Monsieur de la Palisse, homme de bon sens et honnête homme, vaut bien qu’on lui tire son chapeau, et ce serait une grande ambition que de pouvoir prendre sa suite.