Guy Mannering/45

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Guy Mannering, ou l’astrologue
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 6p. 326-334).


CHAPITRE XLV.

L’AMI.


Si par malheur il te fallait monter à cette ignominieuse potence, tu auras encore un fidèle ami pour subir avec toi l’arrêt du cruel destin.
Shenstone.


Plongé dans les sombres réflexions qui lui étaient naturellement inspirées par cette dégoûtante lecture et sa triste situation, Bertram, pour la première fois de sa vie, crut qu’il allait s’abandonner au découragement.

« Je me suis trouvé dans des situations pires que celle-ci, dit-il, plus dangereuses surtout, car je ne cours ici aucun danger ; plus alarmantes pour l’avenir, car je serai bientôt hors de cette prison ; moins supportables même, car ici j’ai du feu, des aliments et un abri. Pourtant, quand je lis ces sanglantes annales de crimes et d’horreurs, dans un lieu si convenable pour les idées qu’elles excitent ; quand j’entends ces bruits lugubres, je me sens une disposition à la mélancolie, telle que je n’en ai jamais éprouvé de semblable ; mais je ne m’y abandonnerai pas… Au diable, recueil d’atrocités et d’infâmies ! dit-il en jetant le livre sur son grabat ; une prison d’Écosse n’abattra pas dès le premier jour un courage que la pénurie, la maladie et la captivité sur une terre étrangère n’ont pu faire fléchir. La fortune m’a éprouvé de bien des manières, et elle ne m’abattra pas aujourd’hui, si je puis l’empêcher. »

Faisant alors un violent effort pour ranimer son courage, il tâcha de considérer sa situation sous un point de vue plus favorable. Delaserre devait être bientôt en Écosse ; les certificats qu’il avait demandés à ses supérieurs allaient arriver sous peu : si même il lui fallait s’adresser à Mannering, qui pouvait dire que le résultat ne serait pas une réconciliation entre eux ? Il avait souvent observé, et il se le rappelait alors, que son ancien colonel, quand il voulait obliger, ne faisait pas les choses à demi, et qu’il semblait d’autant plus s’attacher aux gens, qu’il leur rendait plus de services. Dans le cas présent, une faveur qui pouvait être demandée sans déshonneur et accordée sans peine, amènerait peut-être un raccommodement. De là, ses pensées se tournèrent naturellement vers Julia ; et, sans mesurer l’espace qui séparait un officier de fortune de la riche héritière dont le père pouvait, par son témoignage et sa protection, faire ouvrir les portes de sa prison, il bâtissait les plus jolis châteaux en l’air qu’il embellissait des couleurs riantes d’une soirée d’été, lorsqu’un coup fortement appliqué à la porte de la rue vint interrompre ses rêves de bonheur. Les aboiements du gros dogue enchaîné dans la cour y répondirent avec une force égale. Après beaucoup de minutieuses précautions, la porte s’ouvrit et quelqu’un entra ; puis Bertram entendit le bruit ordinaire des serrures et des verroux, et un chien qui montait précipitamment l’escalier vint gratter et glapir à la porte de sa chambre. Bientôt le pied pesant et la grosse voix de Mac-Guffog, qui semblait montrer le chemin, retentirent dans le corridor. « Par-là, par-là, prenez garde au pas ! Voilà la chambre… » La porte s’ouvrit alors, et il vit avec autant de surprise que de joie la ronde personne de son ami de Charlies-Hope.

« Eh bien, en bien ! » s’écria le digne fermier en promenant ses regards sur les méchants meubles de ce misérable appartement… « qu’est-ce que cela ? qu’est-ce que cela ?… — Un tour de la fortune, mon cher ami, » dit Bertram en se levant et en lui serrant cordialement la main… « voilà tout. — Mais qu’y a-t-il à faire ? que peut-on faire pour vous ?… Est-ce pour dettes ? enfin, pourquoi ? — Oh ! ce n’est pas pour dettes ; mais si vous avez le temps de vous asseoir, je vous conterai tout ce que je sais moi-même de mon aventure. — Si j’ai le temps ! » répliqua Dandie en appuyant sur ces mots d’un ton presque mécontent… « Que le diable m’emporte, camarade, si ce n’est pas pour savoir tout ce qu’il en est que je viens ici !… Ah çà ! vous ne serez pas fâché de manger un morceau, je pense, car il commence à se faire tard… J’ai dit aux gens de l’auberge où j’ai laissé Duraple de m’envoyer mon souper ici, et ce brave Mac-Guffog y consent… J’ai arrangé tout cela… Et maintenant contez-moi votre histoire… À bas, Wasp, mon garçon ! Comme cette pauvre bête est contente de vous voir ! »

Bertram lui conta son aventure en peu de mots ; elle se bornait à la blessure du jeune Hazlewood, et à l’erreur par suite de laquelle on le prenait pour un des contrebandiers qui avaient pris part à l’attaque de Woodbourne.

« Eh bien ! dit Dinmont après avoir écouté attentivement, l’affaire n’est pas encore si mauvaise… Votre homme est bienheureux d’en être quitte à si bon marché ! Deux ou trois grains de plomb dans l’épaule, voilà-t-il pas une belle affaire ? Si vous lui aviez crevé un œil, à la bonne heure… Ah, diable ! combien je voudrais que notre vieux shérif Pleydell fût encore ici !… Ah, ah ! c’est un gaillard qui les ferait joliment aller, et leur parlerait ferme. Il n’y en a pas deux comme lui ! — Mais dites-moi donc, mon excellent ami, comment avez-vous pu savoir que j’étais ici ? — Ah, ah, mon garçon ! assez drôlement ; mais je vous dirai cela après souper, car il ne serait peut-être pas trop bon d’en parler avant que ce gros tonton de servante ait fini ses allées et venues. »

La curiosité de Bertram devint un peu moins vive à la vue du souper qu’avait commandé son ami. Quoiqu’il ne fût pas des plus succulents, il avait au moins cette propreté appétissante que n’avaient nullement les ragoûts de mistress Mac-Guffog. Dinmont, après avoir dit qu’il avait galopé tout le jour, depuis son déjeuner, sans prendre grand’chose (c’est-à-dire environ trois livres de mouton froid qu’il avait avalées pendant que son cheval dînait), Dinmont tomba à belles dents sur le festin, et, comme un des héros d’Homère, ne lâcha pas un mot avant d’avoir apaisé sa soif et sa faim dévorante. Enfin, après avoir avalé un bon coup de petite aie, il se remit à causer.

« Ma foi, dit-il en regardant les restes d’une superbe poularde, elle n’était pas trop mauvaise pour une poularde élevée en ville ; mais cela n’approche pas encore de nos gros poulets de Charlies-Hope ! Parbleu, capitaine, je suis content de voir que cette vilaine plaisanterie ne vous ait pas ôté l’appétit. — Oh ! c’est que mon dîner, monsieur Dinmont, n’était pas assez succulent pour faire tort à mon souper. — Je le crois, je le crois. Mais, la fille, maintenant que vous nous avez donné l’eau-de-vie, l’eau chaude et le sucre, tout est bien : vous pouvez nous laisser et tirer la porte, car nous avons à causer d’affaires. » La servante s’en alla donc, ferma la porte de la chambre, et mit même par précaution les verroux en dehors.

Dès qu’elle fut partie, Dandie alla reconnaître les lieux, écouta au trou de la serrure, comme s’il eût voulu entendre une loutre respirer, s’assura, en un mot, que le mur n’avait point d’oreilles, et revint se mettre à table. Alors, remplissant son verre pour se donner de la gaîté, comme il le disait, et remuant le feu, il commença son histoire d’un ton de gravité et d’importance qu’il ne prenait pas souvent.

« Vous saurez, capitaine, que dernièrement j’ai passé deux ou trois jours à Édimbourg, à cause du décès d’une parente, et j’espérais bien avoir ma part de la succession ; mais il y a toujours des désappointements, et qui peut y remédier ? J’avais aussi un petit procès ; mais il ne s’agit pas de cela en ce moment… Après avoir fini mes affaires, je revins à la maison. Le lendemain au point du jour, j’allai voir mes troupeaux, et, chemin faisant, il me prit envie de pousser jusqu’à Touthope-Rig, où passent les limites sur lesquelles Jack de Dawston et moi nous sommes en dispute. Eh bien ! comme j’y arrivais, je vis devant moi un homme que je ne reconnus pas pour un de nos bergers, car c’est un lieu où l’on rencontre souvent du monde : mais, en m’avançant davantage, je m’aperçus que c’était Tod Gabriel, le chasseur au renard. « Tiens, camarade ! lui dis-je un peu surpris, que faites-vous donc seul dans ces montagnes ! Est-ce que vous chassez le renard sans vos chiens ? — Non, mon brave homme, me dit-il, mais je vous cherchais. — Ah ! lui dis-je, auriez-vous besoin d’assistance, de quelque chose pour votre hiver ? — Non, non, répondit-il, ce n’est pas cela. Mais, dites-moi, ne vous intéressez-vous pas à ce capitaine Brown qui est resté huit jours chez vous ? — Oui vraiment, Gabriel, m’écriai-je ; que lui est-il arrivé, mon garçon ? — Ah ! continua-t-il, il y a quelqu’un qui s’en inquiète plus que vous, et ce quelqu’un il faut que je lui obéisse ; ce n’est donc pas tout-à-fait de mon gré que je viens vous annoncer des choses qui ne vous feront pas plaisir. — Ma foi ! lui dis-je, tout ce qui peut lui faire de la peine m’en fera aussi. — Eh bien, reprit-il, j’en suis fâché pour vous ; mais apprenez qu’on le mènera en prison à Portanferry s’il ne se tient pas sur ses gardes, car il y a des ordres pour l’arrêter dès qu’il débarquera en avant d’Allonby. Et maintenant, brave homme, si vous lui avez jamais voulu du bien, il faut galoper à Portanferry, et ne pas laisser les jambes de votre bidet s’engorger. S’il est déjà en prison, il faut rester près de lui pendant un jour ou deux, car il aura besoin d’amis qui aient bon cœur et bons bras. Si vous négligez cet avis, vous n’aurez qu’une fois à vous en repentir, mais ce sera pour toute votre vie. — Mais, pour Dieu ! mon garçon, lui dis-je, comment savez-vous tout cela ? Il y a bien loin d’ici à Portanferry. — N’y faites pas attention, reprit-il ; ceux qui m’ont apporté ces nouvelles courent aussi bien la nuit que le jour, et vous devriez être déjà parti si vous avez de la bonne volonté… Je n’ai plus rien à vous dire. » À ces mots, s’asseyant par terre, il se laissa glisser sur le gazon jusqu’en bas, et il m’était impossible de le suivre avec ma bête. Je revins donc à Charlies-Hope conter cela à la bonne femme, car je ne savais que faire. J’aurai l’air d’un benêt, pensais-je, si je m’en vais en pèlerinage à l’autre bout du monde sur l’avis d’un pareil vagabond. Mais, Seigneur ! dès que la bonne femme, qui s’y entend, m’eut montré quelle honte ce serait pour moi s’il vous arrivait un malheur que j’aurais pu empêcher, dès que nous eûmes reçu votre lettre, qui arriva comme pour nous confirmer ces mauvaises nouvelles, vite j’allai prendre dans le coffre-fort tous les billets de banque, en cas que vous en eussiez besoin, et les enfants coururent seller Dumple. Par un grand bonheur, j’avais pris l’autre bidet pour aller à Édimbourg, et Dumple était frais comme une rose. Je partis donc, et Wasp me suivit, car vous auriez dit qu’il devinait où j’allais, la pauvre bête ! Enfin, j’ai fait environ soixante milles tout d’une traite, et me voilà. Wasp, ce pauvre animal, est bien resté le tiers du chemin devant moi sur la selle, et il se balançait comme un petit enfant quand je trottais ou galopais. »

Dans cette étrange histoire Bertram vit évidemment qu’en supposant véridique l’avis donné à Dinmont, il avait à craindre un danger plus réel et plus imminent que celui qui pouvait résulter de quelques jours de prison. En même temps il n’était pas moins manifeste que quelque ami inconnu travaillait pour lui. « Ne m’avez-vous pas dit, demanda-t-il à Dinmont, que ce Gabriel était de race égyptienne ? — On l’a toujours cru, répondit le fermier, et je crois qu’on n’a pas tort, car ces gens-là savent toujours où trouver le monde, et quand ils le veulent, ils peuvent lancer une nouvelle d’un bout du pays à l’autre comme on lance une balle. Mais j’oubliais de vous dire, on fait de sévères perquisitions contre la vieille femme que nous avons vue à Bewcastle. Le shérif a posté ses hommes en haut de Limestane, en bas de l’ermitage et à Liddel ; de tous côtés enfin. On lui offre une récompense de cinquante livres, rien de moins, si elle veut se montrer. Le juge de paix Forster, dans le Cumberland, a lancé un mandat d’arrêt contre elle, à ce qu’on m’a dit ; ses espions la cherchent partout et peuvent même visiter les maisons. Mais malgré tout, ils ne l’auront que si elle veut se laisser prendre. — Et pourquoi ces perquisitions ? — Ma foi, je n’en sais rien ; j’ose dire que c’est une sottise ; mais on prétend qu’elle a ramassé de la graine de fougère, et qu’elle peut se transporter partout où elle veut, comme Jacques le tueur de géants dans la ballade, avec son habit qui le rend invisible et ses bottes de sept lieues[1] : au reste, elle est comme la reine de tous les Égyptiens ; elle a, dit-on, plus de cent ans, et on croit qu’elle est venue dans ce pays avec ces bandes qui l’inondèrent à l’époque de la chute des Stuarts. Si elle ne peut pas se cacher elle-même, elle connaît des gens qui la cacheront bien, vous pouvez en être sûr. Ah ! si j’avais su que c’était Meg Merrilies quand je l’ai trouvée chez Tibb Mumps, j’aurais eu soin de lui parler plus poliment. »

Bertram écouta avec beaucoup d’attention ce récit dont plusieurs circonstances cadraient si bien avec ce qu’il avait vu lui-même de cette sibylle égyptienne ; après un moment de réflexion, il pensa qu’il pouvait, sans violer sa parole, révéler ce qu’il avait vu à Derncleugh à une personne qui paraissait avoir de la vieille Meg une opinion toute particulière. Il conta donc toute cette histoire au bon fermier, qui l’interrompit souvent par ces exclamations : « Eh bien, trouvez donc sa pareille !… — Du diable s’il n’y a rien là-dessous ! » et qui, après l’avoir entendue d’un bout à l’autre, dit en secouant sa grosse tête noire : « Oui, je soutiendrai qu’il y a du bon et du mauvais dans ces Égyptiens. S’ils ont commerce avec le diable, c’est leur affaire et non la nôtre… Quant à sa manière d’arranger un cadavre, je connais bien cela. Ces diables de contrebandiers, quand l’un d’eux est tué dans une affaire, envoient chercher une femme comme Meg pour ensevelir le corps, c’est là toute la pompe funèbre. Puis ils le jettent dans un trou, sans plus de cérémonie qu’on n’y jetterait un chien. Mais ils tiennent beaucoup à cette coutume. Quand ils sont près de mourir, il faut encore qu’une vieille femme vienne leur chanter des prières, des ballades et des charmes, comme ils disent, préférablement à un ministre… C’est une ancienne coutume parmi eux. Je croirais assez que l’homme qui mourut devant vous avait été blessé quand ils brûlèrent Woodbourne. — Mais, mon ami, Woodbourne n’est pas brûlé. — Eh bien ! tant mieux pour les maîtres. Le bruit avait couru chez nous qu’il n’y restait pas deux pierres l’une sur l’autre. Quoi qu’il en soit on s’y est battu, et joliment encore. Vous pouvez donc m’en croire, votre homme, comme je disais, avait été blessé dans le combat, et ce sont les Égyptiens qui ont pris votre porte-manteau quand ils ont trouvé la chaise de poste arrêtée sur la neige… Ils ne pouvaient passer sans le prendre… cela allait à leur main comme un goulot de bouteille. — Mais si cette femme est une reine chez eux, pourquoi n’a-t-elle pas pu me protéger ouvertement et me faire rendre ce qu’on m’avait pris ? — Ah ! qui sait ? Si elle a le droit de leur commander, ils ont, eux, celui de faire ce qui leur plaît, quand la tentation est grande ; peut-être aussi que quand il y a des contrebandiers avec eux, elle a moins d’autorité ; et il y en a presque toujours… J’ai entendu dire que les Égyptiens savent quand les contrebandiers doivent arriver, où ils doivent débarquer, mieux que ceux à qui ils vendent leurs marchandises. D’ailleurs, après tout, elle est un peu folle, elle a quelque chose d’extraordinaire dans la cervelle. Que ses prophéties, ses prédictions soient vraies ou fausses, pour sûr elle y croit elle-même, et dans sa conduite elle obéit toujours à quelque singulière inspiration. Elle ne prendra jamais le chemin le plus court pour aller à un puits, croyez-le bien… Mais quelle diable d’histoire que la vôtre, avec des ruines, des morts, des mourants ! Je n’en ai jamais lu de pareille dans nos livres de contes !… Mais chut ! j’entends venir le geôlier. »

En effet leur conversation fut interrompue par le bruit peu harmonieux des serrures et des verroux, et Mac-Guffog montrant sa grosse figure à la porte : « Allons, monsieur Dinmont, dit-il, pour vous obliger nous fermons une heure plus tard ; mais il est temps de partir. — De partir, camarade ? j’entends coucher ici cette nuit, sur ce grabat, dans la chambre du capitaine. — C’est impossible. — Moi, je prétends que c’est possible, et je ne m’en irai pas…. Allons, buvez un coup. »

Mac-Guffog avala le verre d’eau-de-vie et recommença ses objections. « Mais c’est contre la règle, monsieur ; si vous aviez commis un crime… — Je te casserai la tête, dit le brusque fermier, si tu ajoutes un seul mot, et par un tel acte j’acquerrai le droit de passer une nuit dans ta maison. — Mais je vous dis, monsieur Dinmont, que c’est contre la règle, et que je m’expose à perdre ma place. — Voyons, Mac-Guffog, je n’ai plus que deux choses à vous dire. Vous savez qui je suis, et que je ne ferais pas évader un prisonnier. — Et comment puis-je le savoir ? — Eh bien, si vous ne savez pas cela, vous savez ceci ;… vous savez que vos affaires vous amènent souvent de notre côté : en bien, si vous me laissez tranquillement passer la nuit avec le capitaine, je vous paierai double loyer pour la chambre ; mais si vous dites non, soyez assuré que, la première fois que vous mettrez le pied dans Liddesdale, je vous appliquerai sur le dos la plus belle volée de coups de bâton que vous ayez jamais reçue de votre vie ! — C’est bien, l’ami, c’est bien ! dit Mac-Guffog ; il faut laisser un entêté faire ce qu’il lui plaît ; mais si les juges de paix me cherchent querelle, je saurai à qui m’en prendre. " Et appuyant cette observation par un ou deux jurements, il ferma la porte, sans oublier de mettre les verroux. À ce moment, l’horloge de la ville sonna neuf heures.

« Quoiqu’il soit encore de bonne heure, dit le fermier qui voyait son ami pâle et fatigué, je crois que nous ferions bien de nous coucher, capitaine, à moins que vous ne préfériez boire encore un coup ou deux ; mais vous n’êtes pas buveur, je le sais, et, parbleu, ni moi non plus, à moins que je ne sois en course ou à table avec des amis. »

Bertram consentit aisément à la proposition du bon fermier ; mais en jetant les yeux sur son grabat, il sentit quelque répugnance à se mettre nu entre les beaux draps de mistress Mac-Guffog.

« Il n’est pas engageant, capitaine ; on dirait que tous les charbonniers de Sanquhar y ont déjà couché. Moi, je ne sentirai rien avec mon gros manteau. » Et Dinmont se jeta d’une telle force sur le lit vermoulu, qu’il en fit craquer toutes les planches. Peu d’instants après, il fut aisé d’entendre qu’il dormait profondément. Bertram ôta son habit et ses bottes, et se plaça sur l’autre lit. La singularité de son aventure, les mystères qui enveloppaient sa destinée, les nouveaux malheurs qui semblaient le menacer, l’attachement que lui témoignaient des amis inconnus qui paraissaient appartenir à une classe avec laquelle il n’avait jamais eu de rapports, occupèrent quelque temps sa pensée ; mais enfin la fatigue l’assoupit peu à peu, et bientôt il ronfla aussi fort que son compagnon. Nous allons les laisser tous deux dans cet heureux état d’oubli, pour faire connaître au lecteur d’autres événements qui se passaient ailleurs pendant le même temps.

  1. En français dans le texte.