Hémorragie d’or ou bras cassé

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Mondeannée 8, numéro 338 (extrait) (p. 2-3).


HÉMORRAGIE D’OR OU BRAS CASSÉ


  L’on n’a pas oublié quel parti le second flic de France, M. Guichard, sut tirer de son appendice, à la veille du 6 février.

Pour demeurer dans la tradition, le premier de nos ministres, ce tænia en chapeau melon bien digne de parler au nom d’une classe qui joue le rôle de ver solitaire à même le corps social, ce termite d’un régime miné jusqu’à l’effondrement, cette larve atteinte d’un gigantisme apte à lui mériter la place d’honneur parmi les monstres d’un Luna-Park pour chenilles, cette rose trémière de la réaction, ce pissenlit du louvoiement, ce sureau sans moëlle, M. le grand bourgeois, président du Conseil, ne demandait qu’à jouer de son bras cassé.

Et comme il devait sa fracture à un député aviateur, le héros de l’aéro-postale comptait sur plus d’une sympathie.

Ces Messieurs de la Faculté l’ont compris. Ils ont donc ordonné au subtil échalas de garder encore un peu la chambre, c’est-à-dire son cher hôtel Maquignon, d’où pourrait peut-être risquer de le chasser sa grande coquette manière de provoquer l’opinion : « Les pleins pouvoirs ou je fais un malheur. »

Ainsi, du fond de ses appartements officiels, l’habile politicien qui avait poussé la modestie jusqu’à confondre la durée du régime parlementaire avec son ministère, cet esprit clair, ce noble cœur a-t-il invité le Parlement à renoncer à lui-même. Comme il connaît la vie, il n’ignore point que tout se paie. C’était donc du « donnant donnant ». Réduit à l’état de soliveau, le Corps législatif eût vu son mandat prolongé de deux ans.

Ça se traite soi-même de minorité agissante.

Traduction : La petite clique ne reculera devant aucun risque pour s’opposer à la volonté des masses.

Une semaine après la victoire des communistes, des socialistes et de tous les antifascistes qui chassèrent des mairies nombre de réactionnaires, 200,000 personnes manifestaient au mur des Fédérés.

Et voilà pourquoi les fils et successeurs des Versaillais si peu sûrs de leurs forces ont recours à la ruse. Ils ont parlé de l’imminence d’une catastrophe financière. La Banque de France a servi de thermomètre et la fièvre a monté en même temps que le taux de son escompte. Et tous nos charognards de hurler au franc menacé. Un grand quotidien a diagnostiqué une hémorragie d’or. Le comité de salut économique a glapi à la superfiscalité (sic), la fédération nationale des contribuables a écrit au président du Conseil :

Il faut supprimer l’initiative des parlementaires en matière de dépense…

Il faut décider.

Il faut commander.

Trop grand pour avoir peur d’une perche, M. Flandin ne demandait qu’à saisir celle qui lui était tendue.

Pour son malheur, les événements d’Allemagne, qui précédèrent l’arrivée d’Hitler au pouvoir, sont encore présents à bien des mémoires. Les ordonnances de détresse à la Brüning annoncent le pire fascisme, la plus affreuse peste brune.

Quel assuré social, quel ancien combattant, quel petit fonctionnaire allait se laisser éblouir par le mirage du moindre mal, tout le contraire d’ailleurs d’un petit mal.

Ne s’agissait-il pas en effet de frustrer les assurances sociales de 600 à 700 millions, d’élever l’âge de la retraite de 55 à 60 ans ? D’ici cinq ans, il eût sans doute été élevé de 60 à 65 ans. Et ainsi de suite.

55,000 emplois de fonctionnaires devaient être supprimés. Il y aurait eu encore la conversion des rentes et la révision des traitements, retraites et pensions.

Mais quoi ! la droite n’a pas été unanime à reconnaître à la calvitie de M. Flandin l’effet miraculeux accordé tour à tour à la barbiche de Poincaré ou au sourire épinglé par Gastounet sur son minois de vieille entremetteuse. Alors, malgré Daladier, vite une petite risette aux radicaux. Un petit fil ministériel relie Herriot à Flandin comme la boule d’un bilboquet au bâton dudit bilboquet.

— Oui mais, objecte à nouveau la droite, le maire de Lyon est un gros vilain qui a fait des méchancetés à M. Caillaux en 1926 et à M. Doumergue en novembre 1934, quand il s’agissait justement de pleins pouvoirs.

Arrivera-t-on à se mettre d’accord dans le camp de MM. les brûleurs d’autobus ?

Contre les brouillards sanglants du fascisme en voie de s’appesantir sur la grande marmelade d’une soi-disant démocratie réellement bourgeoise, plus haut qu’un phare, un poing serré doit se tendre et affirmer la force du prolétariat et la claire conscience des travailleurs manuels et intellectuels unis aujourd’hui pour la lutte et demain pour l’édification du socialisme mondial.

René CREVEL.