Poésies lyriques/Harmonie

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Poésies lyriquesAuguste Decq (p. 33-36).


HARMONIE


1840


 
Le travail est divin.



Gloire à la puissante Industrie,
Reine de la terre et des eaux !
L’homme enfin comprend son génie,
Il ose admirer ses travaux ;
Le cri du sol sous la charrue,
Du marbre enlevé par la grue,
Du bronze frappé du marteau,
Pour son oreille a plus de charmes
Que le canon d’un peuple en armes,
Tonnant sous un sanglant drapeau !


Que j’aime à voir sur nos rivages
Le temple vivant du Travail
Resplendir sous de verts ombrages,
Frais ornement de son portail,
Régner sur nos plaines fumantes,
Du haut de ses tours flamboyantes,
Du haut de ses noirs minarets,
Fiers de se mirer dans un fleuve
Qui porte aux cités qu’il abreuve
Tous les trésors d’un saint progrès !

Jadis le Ciel dans sa tendresse
Couronnait d’un azur plus doux,
Ces monts d’où l’antique sagesse
Descendit au milieu de nous ;
Il aimait à parer leurs cimes,
Leurs flancs, leurs rochers, leurs abîmes
D’un éternel manteau de fleurs,
Et faisait jaillir de leur base
Des sources qui versaient l’extase
Aux poëtes comme aux pasteurs.

Non moins propice à ma patrie
Qu’il enrichit de ses bienfaits,
Partout où la noble Industrie
Élève un autel à la Paix,
Il prodigue encor sans mesure
Et les splendeurs de la nature,
Et les trésors de sa bonté,
Tributs réservés au courage
Qui sait agrandir l’héritage
Promis à la postérité.


Partout, quand le fils de la Terre
Suspend les saints travaux du jour,
L’astre bienveillant qui l’éclairé
Lui sourit avec plus d’amour ;
Le fleuve l’appelle au rivage,
La brise l’accueille au passage
Par un murmure plus flatteur,
Et chaque arbre de la vallée
Répand sur sa route voilée
Plus de parfums et de fraîcheur.

Héros de la terrestre fête,
Il entonne un chant fraternel,
Et quand la forêt le répète
Au mont qui le redit au ciel,
Ravi d’une extase inconnue,
Il croit entendre dans la nue
Dont les flancs s’ouvrent sans effroi,
La voix sublime de Dieu même
Qui dit à la terre : Je t’aime ;
A l’homme : Aime-la comme moi !

Ranimé par la voix céleste,
Il la bénit avec ferveur,
Rompt le dernier pain qui lui reste
Humide encor de sa sueur,
Tend sa coupe à l’urne d’argile
Qui verse à son âme virile
L’oubli des dangers et des maux,
Et, se levant plus intrépide,
Poursuit sur la foi de son guide
Le cours de ses puissants travaux.


Triomphe ! Ainsi par la nature,
Payé d’un retour généreux,
L’homme reçoit avec usure
Le prix d’un sort laborieux ;
Il s’unit au vœu de la terre,
Il s’unit au Dieu qu’il révère,
Par des liens toujours plus doux,
Et chaque progrès qui l’honore,
Embellit et resserre encore
Ce lien, le plus saint de tous.