Histoire du prince Soly/I/3

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CHAPITRE III.


Les Amazones présentent le prince Soly à leur reine ; à quelle occasion le nom de Prenany lui fut donné.


Pendant le trouble que causoit à Solinie la perte du jeune prince, les Amazones étoient déjà loin du rivage. Elles firent tant de caresses au jeune Soly, qu’il ne jeta pas une larme. Ces visages charmans, où la coquetterie brilloit avec tout son éclat, lui parurent plus agréables que le front sévère de ses premiers précepteurs. Le goût pour le plaisir est de tous les âges, & la nature juge dès l’enfance entre les objets aimables, & ceux qui ne le sont pas.

Un vent favorable conduisit en peu de temps dans le port d’Amazonie le vaisseau qui portoit un si précieux trésor. Les Amazones, dès qu’elles eurent débarqué, portèrent à leur reine le jeune prince. Elles trouvèrent cette princesse dans son appartement, occupée avec ses plus chères confidentes à faire un cabinet de découpures. Les unes tailloient délicatement les figures les plus rares ; les autres mêloient dans du vernis des couleurs différentes, pour faire le fond de ce bel ouvrage ; la reine, au milieu d’elles, conduisoit tout le travail, & décidoit sur l’assortiment des figures & des ornemens.

On expliqua à la reine quel étoit cet enfant, & la manière dont on avoit fait ce précieux butin. La reine quitta tout pour admirer le jeune Soly. Chacune des dames l’embrassa à son tour ; elles étoient charmées d’avoir en leur puissance le fils de leur plus grand ennemi, & sur-tout un enfant aussi aimable qu’il étoit. Elles se représentoient avec plaisir le regret des Soliniens, & en jugeoint par la joie que leur donnoit une si belle prise.

En effet, le petit prince, comme s’il eût été capable de sentir le prix d’une première vue, sourioit avec grace à toutes les caresses qui lui étoient faites. Il ne pouvoit parler, mais il marquoit du doigt les figures découpées qu’on lui montroit & sembloit les admirer. Il se mit pourtant à pleurer, quand on l’approcha du vernis ; il n’avoit pas naturellement de goût pour l’odeur de la térébenthine mélée à celle de l’esprit de vin ; on fut obligé de l’en éloigner, après quoi il s’appaisa.

La reine forma le dessein d’élever ce prince, mais elle résolut de cacher à tout le monde son rang & son pays. S’il savoit, dit-elle à ses Amazones, quelle est sa naissance, il nous échapperoit bientôt ; & si d’autres en avoient connaissance, on ne tarderoit pas à nous enlever un trésor si précieux. Jurez-moi donc que vous ne révélerez jamais à personne, pas même au roi mon époux, la qualité de cet enfant.

Toutes les Amazones furent pénétrées des raisons de la reine, & firent les sermens les plus solennels qu’elles ne révéleroient jamais un secret si important. Dans ce moment, le roi entra, accompagné de la sœur de la reine, nommée Acariasta ; ils s’approchèrent avec précipitation, pour admirer cet enfant que la reine tenoit entre ses bras. La sœur de la reine demanda vivement qui il étoit.

Aussi-tôt une des Amazones (qui n’avoit pas apparemment beaucoup de présence d’esprit, ou qui manquoit de mémoire), répondit : C’est le jeune Pr… Nenni, dit-elle en se reprenant, c’est un enfant… on l’a trouvé… je ne sais ce que c’est. Et pourquoi vous mêlez-vous donc de parler ? dit Acariasta en haussant les épaules. Qu’est-ce que le jeune Prenany ? un enfant ? & tout le galimathias que vous nous faites ? La reine voulut réparer l’imprudence de sa confidente, & dit tranquillement à sa sœur : Cela est bien simple ; c’est un enfant que mes guerrières ont trouvé exposé sur les rivages du lac, & son nom est Prenany ; nous n’en savons pas davantage. Me voilà satisfaite, dit Acariasta ; Prenany me paroît bien joli. Je ne suis pas tout à fait content, dit le roi, qui vouloit toujours tout approfondir : si cet enfant a été trouvé exposé, comme vous le dites, comment a-t-on pu savoir son nom ? Cela est bien difficile, dit la reine choquée de la question ; il avoit un billet attaché à sa robe, dans lequel son nom étoit marqué. Le roi, qui craignoit que la reine ne se fachât, ne demanda point ce que le billet étoit devenu. On ordonna que l’on eût soin de Prenany, & il fut élevé parmi les menins de la reine, sous ce nom que le hasard lui avoit donné.