Histoire de dix ans,tome 4/Chapitre 6

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CHAPITRE VI.


Situation de l’ambassade française à Saint-Pétersbourg. — Dédain de l’empereur Nicolas pour Louis-Philippe. — Le maréchal Maison ; sa franchise militaire. — Comment il fait sa position en Russie et obtient les bonnes grâces de l’empereur. — L’ambassade française à Madrid. – Portrait de M. Martinez de la Rosa ; il succède à M. Zéa Bermudez, son système. — Pourquoi il se déclare contre don Miguel. — Origine et véritable caractère du traité de la quadruple alliance. — La négociation. s’entame et se poursuit en dehors de M. de Taileyrand, qui n’en est informé qu’au dernier moment et par hasard. — Articles supplémentaires. – Erreur singulière de l’opinion sur la signification du traité de la quadruple alliance, sur sa portée, sur son auteur ; nouvelle preuve de l’infériorité diplomatique de M. de Talleyrand.


Détournons les yeux de ce tableau lugubre, et voyons comment la France était représentée au dehors, tandis que, de ses propres mains, elle se déchirait ainsi les entrailles.

Le représentant du cabinet des Tuileries à Saint-Pétersbourg était alors le maréchal Maison, qui, dès le commencement de l’année 1833, avait été donné pour successeur au maréchal Mortier. L’ambassade du maréchal Mortier à St-Pétersbourg n’avait été qu’une suite de mystifications cruelles. Tout en comblant l’homme de guerre d’égards et de prévenances, l’empereur Nicolas s’était étudié à humilier le diplomate, affectant de l’entretenir en toute occasion de Napoléon, de ses projets, de ses batailles, et ne lui parlant pas plus de Louis-Philippe que s’il se fut agi d’un prince entièrement étranger à la vie politique de l’Europe et à la famille des souverains. Le maréchal Maison ne voulut pas de ce rôle. Avant d’accepter l’ambassade de Russie, il demanda si son titre serait respecté à l’égal de sa personne, et il ne partit pour St-Pétersbourg qu’après avoir obtenu à cet égard de M. Pozzodi-Borgo les assurances les plus formelles. Son passage à Berlin fut marqué par diverses circonstances significatives ; il en est une qui mérite d’être rapportée. Le maréchal Maison, lorsqu’il était question d’un événement accompli, se vantait assez volontiers de l’avoir prévu un jour qu’il avait cédé à l’empire de cette habitude devant les princes de Prusse : « Eh bien ! Monsieur le maréchal, lui dit en raillant le plus jeune d’entre eux, puisque vous savez si bien les choses de l’avenir, qu’arrivera-t-il dans cinq ans d’ici ? – Monseigneur, répondit le maréchal en se redressant et de l’air d’un vieux soldat qui s’adresse à un jeune homme, nous verrons dans cinq ans ce que nous avons déjà vu beaucoup de manifestations malveillantes, mais pas une action. » Ce trait peint le maréchal. A Vienne, il s’était montré ferme, presque hautain, et, par un mélange convenable d’urbanité et de fierté, il avait déconcerté plus d’une fois la princesse de Metternich qui, ne l’aimant pas, s’était plu à lui déclarer une guerre de paroles. Rude et violent comme un soldat, mais doué de la finesse du paysan, il ne fut pas plutôt à StPétersbourg qu’il prit le parti d’y faire sa position par des allures tout-à-fait indépendantes et un langage plein de rondeur. Sa première entrevue avec l’empereur se passa sous de favorables auspices. Nombre de seigneurs et d’officiers russes attendaient dans une pièce voisine avec les deux aides-de-camp du maréchal, MM. Delarue et Chasseloup-Laubat. Or, quoique le premier eût déjà fait un voyage en Russie, et qu’il s’y fut lié d’amitié avec plusieurs personnes de la Cour, aucune d’elles n’allait vers lui, aucune n’eût osé le reconnaître avant d’avoir interrogé les regards de l’empereur. Le maître parut, il fit bon visage aux deux aides-de-camp, s’avança vers M. Delarue, qu’il avait connu aide-de-camp du duc de Raguse, et, l’attirant dans l’embrasure d’une croisée, l’entretint en particulier avec une bienveillance démonstrative. Quelques instants après, M. Delarue était l’objet des témoignages de sympathie les plus empressés ; chacun l’entourait, l’accablait de questions ; on se souvenait de l’avoir vu, et qu’on l’avait pour ami. Ces scènes, dont la puérilité même est si féconde en réflexions, annonçaient que l’ambassade française allait avoir, à Saint-Pétersbourg, une meilleure attitude. Et en effet, à dater de ce jour, le rôle du maréchal Maison ne fit plus que s’agrandir. Certaines particularités y contribuèrent qui semblaient devoir produire un résultat opposé. Un jour, dans un grand dîner donné par l’ambassadeur français, la conversation étant tombée sur les premières guerres de notre révolution, le maréchal trouva moyen de rappeler incidemment et sans affectation qu’il était fils d’un paysan d’Épinay. On devine quel effet devait produire sur une aristocratie nourrie de vanités futiles, de tels aveux faits avec une aisance parfaite et la fierté d’un plébéien sûr de lui-même. L’empereur ne tarda pas à savoir ce qui s’était passé, et son estime pour le maréchal s’en accrut. Les défauts mêmes de notre ambassadeur le servirent. Il avait gardé de la vie des camps une liberté de mœurs qu’il n’avait nul souci de voiler, et l’âge n’avait pas éteint chez lui tous les feux de la jeunesse. A Saint-Pétersbourg, une passion de théâtre l’ayant vaincu, il dédaigna de s’en cacher. L’imprudence était grande ; car Nicolas, soigneux de sa dignité, affectait une austérité imposante. Cependant les façons du maréchal ne lui déplurent pas, et il lui sut gré de sa franchise toute militaire. Bientôt, entre l’empereur et le maréchal Maison, il s’établit une intimité de propos hardis dont la faveur n’avait jamais été accordée à aucun courtisan russe, quelqu’eût été son crédit. Il est un châtiment de l’orgueil qui fait partie de l’orgueil même : l’ennui et les plus fiers souverains sont à ce point esclaves de leur propre majesté que, pour se sentir un peu libres, ils sont quelquefois obligés de descendre. Soit tolérance exceptionnelle, soit fatigue du rang suprême, l’empereur en était venu à ouvrir aux témérités du maréchal Maison une oreille complaisante ; et celui-ci profita comme ambassadeur de tout ce qu’il avait su se faire permettre comme soldat.

Il y avait alors parmi les personnages les plus influents de la Cour de Russie, non pas précisément deux partis opposés, mais deux tendances diverses. Les uns, tels que le maréchal Paskewitch, le prince Wolkonski, le ministre de la guerre Tchernichef, apportaient dans leurs préoccupations nationales un esprit exclusif et violent : c’étaient de vrais Russes. Les autres, tels que MM. de Nesselrode, Orloff et Bekendorf, auraient désiré qu’en toute chose on tînt compte de l’état de l’Europe, et qu’on fît, autant que possible, cause commune avec elle. C’étaient les Russes adoucis et polis par le contact de la diplomatie des différentes Cours. Nicolas penchait du côté des premiers : les seconds trouvaient un auxiliaire dans l’ambassadeur français ; et, comme son importance secondait leurs vues, loin de s’étudier l’amoindrir, ils s efforçaient de la rendre plus grande encore par une déférence calculée aux opinions du maréchal.

La situation de l’ambassade française à Madrid était beaucoup moins difficile à maintenir.

M. Zéa-Bermudez ne dirigeait plus les affaires d’Espagne : il était tombé devant la réprobation dont avaient publiquement frappé son système deux capitaines généraux, Llander et Quesada.

Lorsque cet événement eut lieu, M. Martinez de la Rosa vivait à peu de distance de Madrid, caché dans l’ombre d’une retraite studieuse, et, du sein de ses loisirs littéraires, suivant d’un œil inquiet les destinées de son pays. Poète, il n’était pas sans avoir marqué dans la politique, où il apporta cette élégance d’esprit, cette haine des brutalités de la force, que donne le culte honnête des muses. Admirable de probité, mais timide ; amant de la liberté pourvu qu’on lui permît de la traiter avec défiance ; convaincu jusqu’au courage, mais non jusqu’à l’audace ; dépourvu enfin de ce degré de hardiesse qui, dans les temps d’orage, est de la clairvoyance aussi, le feu d’une imagination méridionale ne suppléait pas suffisamment chez lui à l’énergie absente des passions populaires, et la vivacité de ses sentiments ne servait qu’à colorer la trop grande modération de ses idées. C’était un de ces hommes qui ont tout juste la force nécessaire pour commencer les révolutions, qu’il est donné à d’autres, qui souvent valent moins qu’eux, de gouverner, de précipiter ou de clore.

M. Martinez de la Rosa fut désigné à Christine comme le successeur naturel de M. Zéa. Mais on ignorait sa demeure : il fallut le chercher dans tout Madrid ; et ce fut seulement au bout de deux jours qu’on put le tirer de son obscurité volontaire pour le faire monter sur une des scènes les plus agitées de l’Europe. Les Espagnols s’attendaient à l’inauguration du régime constitutionnel : le nouveau ministre ne trompa point leur attente. Sous le titre de statut royal, il publia une espèce de contrefaçon laborieuse et forcée de cette charte française qui n’était elle-même qu’une copie maladroite de la constitution britannique. Chose bizarre ! La France, dont le sol est couvert des ruines de l’aristocratie, avait emprunté les bases fondamentales de sa constitution politique à l’Angleterre, que l’aristocratie possède et pénètre ; et voilà que le même emprunt était fait à la France, où la bourgeoisie industrielle est tout, par l’Espagne, où la bourgeoisie industrielle n’est rien ! Pour condamner l’œuvre de M. Martinez de la Rosa, ce double rapprochement suffit. Aussi le statut royal ne fut-il adopté qu’après avoir subi les plus rudes attaques. Une opposition non moins vive se déclara contre le décret qui organisait les milices. On reprocha au ministère espagnol d’avoir restreint aux communes de 700 feux le droit de posséder une milice ; on lui reprocha d’avoir fermé aux citoyens les plus pauvres les rangs de cette armée nationale, exclusion offensante pour le peuple, et qui semblait livrer la révolution sans défense au carlisme redoublant de vigueur et multipliant ses coups. Le reproche était juste, quoiqu’empreint d’exagération. Le gouvernement des tempêtes n’appartient pas à ceux qu’elles font pâlir. Les révolutions ne se sauvent que par l’emploi de toutes leurs ressources ; trop de circonspection les compromet, la défiance les perd. Quant aux accusations que M. Martinez de la Rosa encourut pour avoir voulu mettre un frein à la licence des journaux, elles manquaient de bonne foi ou d’intelligence. La liberté de la presse est la force dans la paix ; c’est, s’il est permis de s’exprimer ainsi, le mouvement des sociétés au repos. En temps de guerre civile et au milieu du choc des factions armées, la liberté absolue de la presse est le commencement de l’impuissance, parce qu’elle est l’aliment de l’anarchie. Quoi qu’il en soit, les tendances que révélaient les mesures prises par le ministère espagnol étaient évidemment de nature à créer entre lui et le cabinet-des Tuileries une communauté d’intérêts de plus en plus étroite. Mais, quoique ami de la France, M. Martinez de la Rosa ne pouvait la savoir si près de lui sans prendre ombrage de sa force et sans redouter son ascendant. L’Angleterre, plus éloignée, l’attirait davantage, par cela seul qu’elle avait moins de prise sur l’indépendance espagnole. De là les relations qui devaient aboutir au traité de la quadruple alliance.

Que, dans la querelle qui troublait le Portugal, le droit fût du côté de dona Maria ou du côté de don Miguel, M. Martinez de la Rosa s’en inquiétait peu. Il ne haïssait, il n’avait juré de combattre énergiquement, dans le fils puîné de la moderne Agrippine, que le protecteur de don Carlos, sujet félon et prince rebelle. Mais c’en était assez pour qu’il prît, contre don Miguel, les mesures les plus vigoureuses. Ainsi, la politique de l’Espagne à l’égard du Portugal s’était subitement transformée. Favorisé par M. Zéa, don Miguel allait être poursuivi sans relâche par le nouveau ministre d’Espagne. Et il y eut cela d’étrange dans le soudain revirement qui venait de s’opérer, que les mêmes instruments servirent à l’accomplissement des desseins les plus contraires. M. Zéa-Bermudez avait rassemblé une armée espagnole qu’il se proposait de pousser contre don Pedro : M. Martinez de la Rosa résolut de la faire marcher contre don Miguel et comme l’ambassadeur anglais l’y engageait avec insistance, à son tour il invoqua la coopération d’une armée anglaise. L’ambassadeur répondit que le cabinet de Saint-James se trouvait dans l’impossibilité de prendre une détermination aussi grave ; que son influence sur le parlement était trop combattue, son existence trop incertaine, pour qu’il risquât une telle partie. « Eh bien, dit M. Martinez de la Rosa, que l’Angleterre au moins nous fournisse de l’argent ; car nos caisses sont vides. — Cela même, répondit l’ambassadeur anglais, mon gouvernement le voudrait en vain. » Blessé, M. Martinez de la Rosa déclare alors que l’Espagne interviendra seule, mais quand elle voudra et comme elle voudra. La situation était pressante l’ordre de franchir la frontière fut expédié à Rodil, et le marquis de Miraflores eut mission d’en instruire le cabinet de Saint-James.

Les Anglais étaient trop jaloux de leur séculaire et dévorant patronage sur le Portugal, pour souffrir que, sans eux, on mît la main dans les affaires de ce pays. De son côté, l’Espagne n’ignorait pas quelle force morale donnerait à son entreprise l’adhésion des Anglais, consacrée solennellement par un traité. Ce double intérêt fixa le point de départ d’une négociation diplomatique entre les deux Puissances, négociation dans laquelle fut naturellement admis l’envoyé extraordinaire de don Pédro, et qui aboutit à la rédaction d’un traité dit de la triple alliance. Il y était stipulé : 1° que don Pédro emploierait tous les moyens en son pouvoir pour forcer l’infant don Carlos à se retirer des états du Portugal ; 2° que Christine, ayant reçu de graves et justes motifs de plainte contre l’infant don Miguel, par l’appui qu’il avait accordé au prétendant à la couronne d’Espagne, ferait entrer sur le territoire portugais un corps de troupes espagnoles dont le nombre serait déterminé plus tard, lesquelles seraient entretenues entièrement aux frais de l’Espagne, et rentreraient dans leurs foyers aussitôt après l’expulsion de don Miguel et don Carlos ; 3° enfin, que l’Angleterre assurerait aux opérations le concours d’une force navale[1].

Le caractère de ce traité était manifeste : l’Angleterre y conservait à l’égard du Portugal une attitude de protection dérivant d’une sorte de suzeraineté qu’elle n’avait garde de laisser prescrire ; et l’Espagne y poursuivait dans Don Miguel, non pas l’usurpateur de la couronne du Portugal, mais l’allié de Don Carlos. On avait donc éludé les questions de légitimité et de constitution aussi soigneusement que possible. Les négociateurs avaient même poussé la prévoyance jusqu’à stipuler, en faveur des deux infants, aussitôt après leur retraite des états qu’ils troublaient, un « revenu convenable à leur naissance et à leur rang[2]. » Il n’y avait rien là, on le voit, qui ressemblât à une alliance expresse des monarchies constitutionnelles contre les monarchies absolues. L’idée fondamentale du traité de la triple alliance était, — on ne saurait trop le faire remarquer, — de régulariser l’entrée des Espagnols en Portugal ; et elle n’était que cela !

Il est vrai que, pour éviter des complications faciles à prévoir, on n’avait pas jugé à propos de prévenir du traité l’Autriche, la Russie, la Prusse ; mais il est à noter qu’on n’en avait pas non plus prévenu, la France. M. de Talleyrand n’avait été ni appelé, ni consulté, ni sondé, ni averti ! Ce fut par hasard qu’il fut instruit de la négociation presqu’au moment où elle allait être ébruitée. Il fit alors des démarchés pour y entrer, craignant, d’une part, que l’absence de sa signature dans un traité où figuraient trois Puissances constitutionnelles, ne trahît aux yeux de l’Europe le secret du rôle subalterne qu’il jouait à Londres, et ravi, d’autre part, de l’occasion qui s’offrait à lui de faire cause commune avec la Grande-Bretagne. Lord Palmerston, le marquis de Miraflores et M. de Moraes Sarmento avaient cru pouvoir se passer de M. de Talleyrand mais dès qu’il s’empressait auprès d’eux, ils n’avaient aucune raison sérieuse pour le repousser, d’autant que l’adhésion de la France fortifiait la cause d’Isabelle et celle de dona Maria. Ils accordèrent donc à M. de Talleyrand la faveur qu’il demandait. Sa signature, qu’il offrait, fut acceptée ; le traité de la triple alliance prit le nom de traité de la quadruple alliance (22 avril 1834) ; et l’on y inséra un quatrième article conçu en ces termes :

« Dans le cas où la coopération de la France serait jugée nécessaire par les hautes parties contractantes pour atteindre complétement le but du traité, sa majesté le roi des Français s’engage à faire, à cet égard, ce qui serait arrêté, de commun accord, entre elle et ses trois augustes alliés. »

Ainsi, la coopération de la France n’était envisagée que comme une éventualité lointaine, subordonnée à des circonstances variables et à des décisions ultérieures qu’il faudrait prendre en commun. Un engagement semblable avait le tort d’être très-vague, et, comme la suite le prouvera, très-compromettant ; mais, en revanche, le nom de M. de Talleyrand avait la gloire de figurer à côté de celui de lord Palmerston, au bas d’un traité décoré d’un titre pompeux !

Cependant, Rodil était entré en Portugal vers le milieu du mois d’avril (1834). Le ~6 mai, il remporta la victoire d’Asseicerra, que la capitulation d’Evora suivit de près et qui eut pour conséquence dernière l’embarquement de don Miguel et de don Carlos. Ce dernier serait tombé aux mains des Espagnols, sans la protection des Anglais, qui le sauvèrent. Réfugié à Londres où il trouva dans le parti aristocratique des encouragements et des secours, il ne tarda pas à en sortir furtivement, traversa incognito toute la France, passa les Pyrénées, et, se montrant tout-à-coup à ses partisans étonnés, leur rendit la confiance et l’espoir. Plus menacé que jamais, le gouvernement espagnol dut songer à étendre à l’Espagne le bénéfice du traité de la quadruple alliance. Mais, cette fois, l’Angleterre se montra extrêmement froide et réservée, car il ne s’agissait plus pour elle de protéger un royaume soumis à son influence immédiate. De son côté, le cabinet des Tuileries tremblait de s’engager dans une politique trop aventureuse. Ce ne fut donc pas sans difficulté que M. Martinez de la Rosa obtint de ces deux Puissances des articles additionnels portant : Que la première fournirait à l’Espagne des secours en armes et en munitions ; et que la seconde veillerait à ce que des secours semblables ne fussent pas envoyés, du territoire français, aux insurgés espagnols[3].

Telle est la véritable histoire du fameux traité de la quadruple alliance. Des hommes qui n’en connaissaient même pas les clauses se prirent à en exagérer l’importance jusqu’au ridicule. A les entendre, ce n’était pas moins qu’une vaste et durable confédération des monarchies constitutionnelles dans un but vraiment européen ; un contrepoids venait d’être trouvé à la sainte-alliance, à la vieille politique du Continent ; l’ère de la diplomatie moderne venait de s’ouvrir. Si bien que, grâce aux commentaires de quelques gazetiers mal informés, grâce aux hâbleries de quelques diplomates à la suite, des proportions imposantes furent données à un traité de circonstance, qui ne réglait que des intérêts passagers, et qui n’avait évidemment ni portée ni avenir. Mais ce qu’il y eut de plus extraordinaire, c’est que M. de Talleyrand atteignit, du coup, aux dernières limites de sa renommée. Dans une œuvre qui était si loin d’être la sienne, on ne manqua pas de voir le résultat de ses profondes méditations, le couronnement des travaux de sa vie diplomatique. Or, on lui avait fait dans la négociation une part si humble, si tardive, si conforme en un mot, à sa médiocrité, que Louis-Philippe eut un moment le dessein d’en témoigner son humeur à M. de Miraflores, quand il fut question de décerner aux signataires du traité les distinctions honorifiques d’usage !

Au reste, cette alliance anglaise dont on lui attribuait, avec une amphase aussi niaise que mensongère, le mérite d’avoir formé les nœuds, M. de Talleyrand ne la prenait pas tellement à cœur qu’il ne fût disposé à la sacrifier aux premiers mouvements de son orgueil offensé ; et nous le verrons, dans la suite, fouler lui-même aux pieds ses prétendus titres à l’immortalité, tout simplement pour tirer vengeance de lord Palmerston qui s’était plu à le faire attendre une heure dans son antichambre !




  1. Voir aux documents historiques, n° 8.
  2. Ibid
  3. Voir aux documents historiques, n°9.