Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/II-CHAPITRE IX

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CHAPITRE IX


Prospérité d’Hautecombe pendant le xiiie siècle (suite). — Donations des familles de Clermont, de Grésy, d’Allinges, etc.

A l’exemple de la famille souveraine, les principales familles seigneuriales de la contrée venaient solliciter les prières des religieux et leur apporter de riches aumônes. La perte du Cartulaire de l’abbaye ne permet plus d’en connaître tous les noms ; nous devons nous borner à l’énumération de quelques donations dont le souvenir a été conservé et qui suffisent à démontrer que le xiiie siècle fut des plus prospères pour cette maison religieuse.

La famille de Clermont, d’où était sorti saint Amédée, fut une de ses plus anciennes bienfaitrices. Des recherches faites au siècle dernier dans les archives de l’abbaye il résulte qu’en 1130, Sibaud ou Sibod II de Clermont et son fils lui donnèrent le domaine (mansus) de Sreculata[1], et que cette première libéralité fut suivie de plusieurs autres.

En 1137, Geoffroy de Clermont donne des terres au monastère et fait construire, soit sur ces terres, soit peut-être à Hautecombe, une maison appelée Clara Montini, Entre 1182 et 1187, Guillaume cède les mas de Berat et Verdet, et, dans l’année 1191, les terres de Gevron et de Saint-Vallier ; puis il confirme les libéralités de Sibaud II.

Quelques extraits de documents sauvés de la destruction établissent encore qu’en 1183, Amédée de Clermont abandonna aux moines d’Hautecombe tout ce qu’ils possédaient dans ses domaines. Il leur en garantit la possession à l’avenir et reçut, à cette occasion, 70 sols. Par ce même acte, Guillaume, fils de Sibaud II de Clermont, qui avait déjà approuvé ces donations, pendant son enfance (en 1130), les confirma de nouveau[2].

Cette générosité des de Clermont continua pendant le siècle suivant. En juillet 1233, un Guillaume, seigneur de cette famille, donne à l’abbaye 60 livres viennoises ; en 1234, le fils du donateur des terres de Berat et de Verdet, nommé, comme lui, Guillaume, et, en 1240, Sibaud IV, font de nouvelles libéralités.

Vers la fin du même siècle (novembre 1296), l’abbaye reçoit une autre aumône de Guillaume et de Sibaud de Clermont, frères muets, sur l’interprétation de leurs signes, faite par leur domestique devant Jean Degat, notaire.

Enfin, en 1304, Ainard, Guillaume et leurs frères, complètent la série des donations dont la mémoire nous a été conservée.

Lorsqu’en 1776 le notaire Vignet relevait ces notes à Hautecombe, il constata l’existence du tombeau de Marguerite de Clermont-Montbel « sous les cloches de l’église, » avec une inscription presque oblitérée[3]. La famille de Grésy, dont l’autorité s’étendait sur la montagne de la Chambotte et sur la vallée de l’Albanais, qui sépare cette montagne du massif des Beauges, réclama également de bonne heure les suffrages de la communauté.

Antérieurement à 1190, Guillaume de Grésy père et fils et Aymon s’étaient rendus au monastère, et, devant le chapitre réuni, ils avaient confirmé toutes les investitures par eux octroyées précédemment, à l’exception du fief d’Amblard, et, en outre, tous les droits de l’abbaye sur les hommes et les terres de Quinsieu. Une nouvelle confirmation de tous ces privilèges eut lieu plus tard, dans le cimetière du prieuré de Saint-Nicolas de Grésy, en 1190, par Guillaume de Grésy, Agnès, sa femme, et leurs enfants Pierre et Clémence[4].

Cette même année, Rodolphe Alaman (l’ancien), de la même famille, confirme les investitures accordées à Hautecombe par ses parents et par son frère Guillaume ; puis, par un acte passé devant l’église de Saint-Jean, près du château de Grésy, il abandonne à l’abbaye tous ses droits sur le fief qu’il avait au lion appelé Baïa. Ce qu’il confirma, l’an 12l3, par un acte passé devant le notaire Vullielme[5]. Le même personnage, ou un autre du même nom, qualifié de chevalier, possédait de nombreuses terres à Cessens et en céda une partie à l’abbaye, en 1252. Quinze ans plus tard (1267), Rodolphe et son frère Nicod ou Nicolet font des donations identiques[6] ; et, en 1345, Amé, chanoine de Genève, fils de Rodolphe, remit plusieurs dîmes à l’abbaye. En 1273, ce fut au tour de Jacques et de Pierre de Grésy à montrer leur générosité[7].

Alyse ou Alix, veuve de Rodolphe III, céda, en 1293, plusieurs servis jusqu’à plein payement de 100 livres qu’elle avait promises au monastère. Comme nouvelle preuve des bons rapports existant entre cette famille et le couvent d’Hautecombe, nous rappellerons que, l’année suivante, Alyse et ses enfants, ayant à régler leurs droits respectifs sur les terres et châteaux de Grésy et de Cessens, ils choisirent différents arbitres, parmi lesquels se trouvait Jean, abbé d’Hautecombe (1296)[8].

D’après Leyat, un des fils de Rodolphe III, nommé Richard, fut inhumé dans le monastère ; un autre fils, nommé Pierre, fit divers traités avec l’abbaye relatifs à des legs provenant tant de sa mère que de Guillaume, son frère, et le nom d’un quatrième fils de Rodolphe, Mermet, est mentionné dans divers titres de l’abbaye, des années 1300, 1313 et 1315. Pierre de Grésy, fils de Guillaume, fut moine à Hautecombe. En 1203, il figure comme témoin d’un accord intervenu entre l’abbé de ce monastère et Soffrey, prieur de Nyon, par l’entremise de Nantelme, évêque de Genève[9].

Un Pierre de Grésy, fils d’un autre Guillaume, avait donné, en 1263, à l’abbé d’Hautecombe, quelques hommes du château-fort de Cessens et, en 1316, il lui consigna une rente de 10 livres, à percevoir pendant vingt-et-un ans.

Les arrérages en furent mal servis. A la suite de l’accumulation des annuités, il fut convenu, le 21 février 1355, entre le seigneur de Grésy et l’abbé, qu’un anniversaire perpétuel serait célébré pour les défunts de la famille du donateur, moyennant diverses conditions, entre autres, l’assignation de 60 sols de revenus, équivalant aux tâches de la Combe de Vernier, dont jouirait le monastère.

Cette convention fut passée sur les fossés du village d’Albens, prés de la porte appelée de Montfalcon, en présence du seigneur Philippe de Mouxy, chevalier ; de Pierre de Montfalcon, Guigue de Grésy et Péronet, moines[10].

Rappelons encore ici qu’en 1404, le seigneur de Grésy assigna à l’abbaye d’Hautecombe 4 veissels de froment, 3 d’avoine et 6 sols genevois, à prendre sur le moulin de Salouz, soit de la cascade de Grésy, devenue tristement célèbre sous le premier Empire, et que l’abbaye possédait encore des droits sur ce moulin dans le siècle dernier[11].

L’abbaye posséda, dès avant 1251, sur la paroisse d’Albens, la « grangerie de Berchoud. » Comment l’avait-elle acquise ? Nous ne le savons positivement ; mais différentes inductions nous font supposer que ce domaine provenait de la famille de Grésy ou de celle de Montfalcon. Il s’accrut successivement et, en 1293, il se composait, en biens féodaux, de dix seytorées[12] de pré et de vingt-trois journaux de terres arables, en outre d’un bois et d’une terre appelée du Croix. L’abbaye payait pour ces biens-fonds, en 1732, 6 veissels de froment et autant d’avoine au marquis de Coudrée, à titre de servis.

Quant aux biens libres, nous n’avons pu en connaître l’importance. En 1283, Hugues de Montfalcon affranchit l’abbaye du servis d’un veissel de blé qu’elle lui devait pour une pièce de terre à Berchoud[13].

L’antique famille d’Allinges s’était associée aux destinées d’Hautecombe, dès 1201, par des liens tout spéciaux. Boson d’Allinges, avec l’approbation de sa femme Gilles et de son fils Gérold, lui abandonna tout ce qu’il possédait, à Bloye, en champs, près, vignes, habitants, terres cultivées ou incultes, ne se retenant que les fiefs, et il autorisa toutes les aumônes que feront au monastère les possesseurs de ces fiefs. En outre, il donna à Dieu, à la Bienheureuse Marie et à la maison d’Hautecombe son jeune fils Gérold, afin que la communauté le reçoive parmi ses membres, si Dieu veut qu’il prenne l’habit religieux à l’âge de discrétion. Cette oblation fut faite dans le chapitre d’Hautecombe. Elle fut ensuite approuvée par Humbert, comte de Genève, à Rumilly, dans la maison de Pierre Villan, en présence de nombreux témoins, parmi lesquels se trouvaient Pierre de Grésieu (Grésy ?), Ponce de Frace, Oddon, moine, et Pierre de Monleis, frère convers. Elle le fut encore par Villhem, frère d’Humbert, puis par Anne et Élisabeth, sœurs de Boson, le 4 des ides de septembre 1214.

L’année même de la donation (120l), le jeune seigneur abandonna au monastère, en y entrant, tout ce qu’il avait ou pouvait avoir dans le village de Fulli, du consentement de son père et de sa mère Nagilles et, en outre, de Gauterin de Rumilly et de Guillaume, fils de ce dernier, qui s’engagèrent par serment à faire respecter cette donation[14].

Terminons cette série des bienfaiteurs d’Hautecombe, pendant le xiiie siècle, en rappelant quelques faveurs particulières :

Le seigneur de Chindrieux accorde à l’abbaye le droit de pâturage dans toutes ses prairies, et, en 1219, le comte Thomas approuve cette concession.

En 1234, Guillaume Gauthier, chevalier de Saint-Georges, lui fait l’aumône de tout ce qu’il possède « du ciel à la terre » sur la terre de Famulier, située dans la seigneurie de Sibaud de Clermont, moyennant 13 livres 8 sols viennois que lui ont remis les religieux[15]. Berlion de Chambéry, le même qui, cinq années auparavant, avait vendu le bourg de Chambéry au comte de Savoie, donne à l’abbaye, en 1237, 60 sols de rente annuelle, du consentement de sa femme Béatrix et de son fils Guillaume. Il avait eu un autre fils nommé Guy, mort avant la fin de 1234 ; car, cette même année, Aymon de Faucigny, son beau-frère, fit une fondation d’un muid de froment pour le repos de l’âme de son neveu[16]

  1. Peut-être les terres de la Serra ou de la Bruyère en Dauphiné, que l’abbaye vendit, en 1733, au seigneur de Barral.
  2. Archives de Cour, Abbaye d’Hautec, III.
  3. Voici les mots qu’a pu lire encore le notaire Vignet, en 1776 :
    Hic sunt Domina Margarita de Claromont… T… Montibelli filii secundi… Requiescat in Domino. — A. — (Arch. de Cour, Hautecombe, III.) — Cette inscription gothico-lombarde, retrouvée, en 1815, au même endroit, parait indiquer en outre le nom de Oda de Gragli.
  4. Voir Documents, n° 8.
  5. Voir Documents, n° 12.
    Sic, Ledat, Tableau généalog. de la Maison de Faucijny. Ms.
    Cet auteur ajoute : « Quoique l’on n’ait pas le nom de sa femme, il eut cependant un fils, qui porte le même nom que lui, comme il en résulte d’un titre de l’abbaye d’Hautecombe, qui est une fondation de 4 livres genevoises annuelles et encore de 40 sols pour deux anniversaires chaque années à perpétuité, comme aussi de 10 sols en aumône pour l’âme de sa sœur la dame de Lairieux. Les actes sont de 1263 et 1264.
  6. Ces deux bienfaiteurs d’Hautecombe étaient fils de Guillaume de Grésy, seigneur de Cessens. (Comte de Loche, Hist. de Grésy.)
  7. Tableau généal. de la Maison de Faucigny.
  8. Suivant un usage fréquemment suivi à cette époque, l’acte constatant cet accord, et la ratification qu’en fit Amédée, l’un des fils d’Alyse et de Rodolphe III, furent passés en plein air. Le premier acte fut rédigé à Grésy. dans le pré qui sépare la chapelle de Saint-Pierre de la grande tour du château ; et le second, au bord du lac, au-dessous du village de Grésine, en présence de Guy de Montluel, seigneur de Châtillon ; de Jean, abbé d’Hautecombe ; de Jacques Eschaquet, jurisconsulte ; de Pierre de Montfalcon, d’Aymon d’Hauteville et d’Aymon de Cessens. (Archives de Cour. — Hist. de Grésy, Doc., n° 6.)
  9. Letat, op. cit.
  10. Voir Documents, n° 26
    Malgré les incorrections de cette pièce, nous l’avons publiée, à raison de ses particularités intéressantes. Elle a été copiée sur l’original existant aux archives de Cour, par les soins de M. l’archiviste Combetti, dont l’obligeance nous a constamment aidé dans nos recherches faites à Turin.
  11. Ctede Loche, Hist. de Grésy.
  12. Seytorée, mesure de pré : ce qu’un homme peut faucher en un jour.
  13. Préfecture de Chambéry, Déclaraloires de 1732.
  14. Bibliothèque Costa. Mss de la Motte — Voir, aux Documents, n° 10, la charte contenant cette oblation qui avait été extraite des archives d’Hautecombe.
  15. Cette donation fut approuvée par l’épouse du donateur, par Amblard, son frère, et par Aymon et Falcon, ses neveux. Ces deux derniers furent, en outre, donnés comme cautions, avec Hugues de Peladru. — Voir Documents, n° 16.
  16. Letat, op. cit.