Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/II-CHAPITRE XVIII

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CHAPITRE XVIII


Carrière importante de Louis II, sire de Vaud. — Il est enseveli à Hautecombe.

Pendant les années où s’opérèrent, dans les propriétés féodales que l’abbaye avait à Chambéry, les changements exposés au chapitre précédent, Louis II, seigneur du pays de Vaud, vint à mourir ; et, suivant les traditions de sa famille, il voulut être déposé à Hautecombe.

Fils aîné des nombreux enfants de Louis Ier et de Jeanne de Montfort-Amaury, il était né vers 1269 et avait succédé à son péro dans la baronnie apanagée de Vaud, Bugey et Valromey, à l’âge de 33 ans. Quelques années après, il épousa Isabelle de Châlons-Arlay[1] ; et, n’ayant pas de vastes Élats à gouverner, il mit ses talents militaires et les précieuses qualités d’esprit dont la nature l’avait doué, au service des princes de sa famille et des souverains voisins. Aussi le voyons-nous, pendant de longues années, jouer un rôle important à la cour d’Allemagne et à celle de France.

Henri VII venait d’être élu empereur (1308). Ayant appris le sutcès de Robert, roi de Sicile, en Lombardie et en Piémont, il envoya au-delà des Alpes, afin de mettre obstacle au traité que les Astésans voulaient conclure avec Robert, Louis II, qui se dirigea successivement sur Coni, Savone, Gênes et Pise, pour maintenir ces villes dans l’obéissance, et qui se rendit ensuite auprès des Florentins pour les obliger à lever le siège d’Arezzo, à rendre à l’empereur, lors de la cérémonie de son futur couronnement, les honneurs auxquels il avait droit et à lui députer des ambassadeurs à Lausanne.

Lorsque Henri VII entreprit cette promenade militaire en Italie, qui était dans les usages des Césars allemands, Louis de Savoie lui fit cortège, l’assista à la cérémonie de la prise de possession de la couronne de fer[2], à Milan ; comme, en 1309, il avait pris part au couronnement d’Édouard II, dans le palais de Westminster.

Retenu en Lombardie par les dissensions qui y régnaient, Henri envoya à Rome le sire de Vaud. Il y fut comblé d’honneurs et nommé par le peuple sénateur romain. Néanmoins, le parti impérial n’était pas très puissant dans cette ville ; Louis s’en éloigna en y laissant un lieutenant, alla rejoindre l’empereur, qui assiégeait Brescia, puis retourna à Rome avec cinq cents cavaliers allemands. Malgré ce secours, les gibelins ne furent rassurés que par l’arrivée de leur véritable chef.

La mort prématurée d’Henri VII, survenue en 1313, fit tourner les vues de Louis II vers la France. Nous le trouvons, entre autres, à la bataille de Mont-Cassel, combattant les Flamands avec le comte de Savoie, sous la bannière de Philippe de Valois (1328) ; à la néfaste journée de Crécy, luttant vainement contre les Anglais, et encore au siège de Calais.

Non moins estimé comme conseiller et administrateur que comme guerrier, il fut médiateur dans un grand nombre d’arrangements entre les membres de sa famille et dans divers traités de paix entre souverains étrangers. Aymon, comte de Savoie, avait souvent recours à ses lumières : il l’avait nommé tuteur de son jeune successeur, et nous avons vu que la minorité d’Amédée VI ne fut point sans honneur pour la dynastie.

Hautecombe lui doit un pieux souvenir, non-seulement pour la confirmation qu’il fit en sa faveur, en 1320, des droits que son père avait cédés à cette abbaye sur Lavours et Lignin[3], mais aussi à raison des nombreuses clauses de son testament qui s’y rapportent.

Et d’abord, il charge l’abbé et le couvent d’Hautecombe de le faire ensevelir dans leur monastère, quel que soit le lieu où il mourra, et de lui rendre les derniers honneurs dus à son rang ; le tout, aux frais de son héritière Catherine, sa fille.

Il donne à l’abbé et au couvent, 10 livres gros tournois ou bien un revenu annuel de 10 livres viennoises, au choix de son héritière, à l’effet de célébrer, chaque année, dans le monastère d’Hautecombe, deux services pour le repos de son âme ou de celle de ses parents ; l’un, le jour de sa mort, l’autre, le jour que l’abbé et le couvent fixeront à leur gré.

De plus, il ordonne que tous les jours, et à perpétuité, il soit dit une messe par un religieux de l’abbaye, dans les mêmes intentions que ci-devant, à l’autel le plus rapproché de son tombeau ; et, à cet effet, il lègue au monastère une somme de 13 livres gros tournois ou une rente annuelle de 15 livres viennoises.

Il confie l’exécution de ses volontés testamentaires à différents personnages, entre autres, à l’abbé d’Hautecombe, dont il ne donne point le nom.

Le testament est fait à son château d’Iverdun, le 29 mars 1340[4].

L’héritier institué est l’unique enfant qui lui restait, Catherine de Savoie. Son fils, Jean, était mort sans enfants avant cette époque. Il lui substitua, dans le cas où elle mourrait elle-même sans postérité, le comte de Savoie.

Louis II mourut en 1350 et fut, suivant son désir, inhumé à Hautecombe. Un bas-relief de son cénotaphe le représente commandant l’arrière-garde de l’armée française à Crécy et culbutant les troupes du prince de Galles qui prennent la fuite.

Sa fille Catherine, mariée trois fois et n’espérant plus avoir d’héritier, hâta le moment du retour naturel de son fief au comté de Savoie, en vendant à Amédée VI, le 9 juillet 1339, pour le prix de 160.000 florins d’or, les terres de Vaud et ce qu’elle possédait dans le Bugey et le Valromey. Ces provinces furent ainsi réunies de nouveau à la Savoie après soixante-dix ans de séparation[5]. Cet événement nous ramène au glorieux règne du Comte-Vert.

  1. Rég. gen., Tableaux généalogiques.
  2. Il ne put ceindre qu’une couronne d’acier, attendu que Guy della Torre avait mis la couronne de fer en gage chez les Juifs. (Albert du Boys, Congrès scientifique de France, à Chambéry, 1863.)
  3. C’est par erreur que les historiens d’Hautecombe, qui ont parlé de cette donation, l’attribuent à Louis II. Ce prince ne fit que la confirmer — Voir suprà, p. 189.
  4. Guichenon, Preuves, 641.
  5. Id., Savoie, p. 1092. — L’acte est passé au palais épiscopal de Belley. Parmi les cautions données par Amédée VI pour le payement d’une partie du prix, se trouvaient Galois de La Baume et son fils Guillaume, seigneur de l’Albergement ; Jean, seigneur de la Chambre ; François, seigneur de la Serraz ; Aymar de Seyssel, seigneur d’Aix ; Louis de Rivoire, seigneur de Domessin, etc.