Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/III-CHAPITRE V

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CHAPITRE V


Prélatures de Claude d’Estavayé, fondateur de la chapelle de Belley ; du cardinal Farnèse, de Claude de La Guiche, du cardinal de Saint-Georges. — Tentatives de réforme de l’abbaye.

Aucun nom d’abbé d’Hautecombe ne nous est apparu depuis 1473. Après Étienne de Caluse, nous trouvons François Colombier, démissionnaire, en 1504, en faveur de Claude d’Estavayé ; et c’est là tout ce que nous savons de l’abbé Colombier.

La nomination de Claude d’Estavayé, fils du seigneur d’Estavayé, au pays de Vaud, présentait de graves difficultés. N’étant que simple prêtre séculier, il ne pouvait prendre possession du siège abbatial : car, pour l’occuper, il fallait être moine profés. Mais le pape Jules II avait l’âme trop énergique pour reculer devant ces obstacles. Il commence par lui conférer l’abbaye d’Hatitecombe à titre provisoire, jusqu’à ce que son protégé eût rempli les conditions requises par la régie cistercienne pour recevoir un bénéfice en titre.

Le 24 janvier 1504, rien n’étant encore régularisé, il passe outre en vertu de son pouvoir suprême et fulmine, ce même jour, sept bulles pour assurer cette nomination contre toutes exception et opposition.

Par la première, il déclare qu’il est dérogé aux privilèges de l’abbaye d’Hautecombe, portant que personne ne pourra être élu abbé sans être profès de l’ordre de Cîteaux, en faveur de Claude d’Estavayé, déjà pourvu des revenus de cette abbaye. Par la deuxième, il l’institue abbé de l’abbaye d’Hautecombe, vacante par la résignation qu’en a faite à Rome, entre ses mains, François Colombier, à condition que d’Estavayé prendra l’habit et fera profession de la règle cistercienne. Par la troisième, il l’absout de toute censure qui pourrait s’opposer à sa nomination. Par la quatrième, il charge les évêques de Maurienne, de Nice et de Lausanne de lui donner l’habit et de recevoir sa profession « dans l’ordre des moines d’Hautecombe. » Par la cinquième, il donne commission aux évêques de Maurienne et de Nice de recevoir son serment de fidélité suivant une formule libellée à la suite de cette bulle[1]. Par les sixième et septième, il ordonne aux moines d’Hautecombe de le recevoir pour leur abbé, aux vassaux et fermiers de l’abbaye de le reconnaître pour tel et de lui prêter serment de fidélité.

Enfin, ce même jour (24 janvier 1504), Jules II adressait au duc de Savoie, patron de l’abbaye, un bref pour lui recommander le nouvel abbé.

Il fallait encore prévoir une autre éventualité. Les évêques chargés de l’agréger à l’ordre de Cîteaux et de recevoir son serment de fidélité pourraient refuser cette mission ou se trouver dans l’impossibilité de la remplir. Aussi, le lendemain, 25 janvier, une nouvelle bulle autorise Claude d’Estavayé à faire profession, à prêter le serment accoutumé entre les mains du Souverain Pontife, et à recevoir également l’habit monastique de ses mains[2]. A l’aide de toutes ces précautions, la provision de l’abbaye d’Hautecombe eut lieu suivant les désirs de Jules II, et d’Estavayé en fut abbé pendant de longues années[3].

Un des premiers actes de sa prélature fut de faire renouveler les privilèges accordés en 1473 à Sébastien d’Orlyé. On se rappelle que cet abbé avait obtenu, pour tout le temps qu’il vivrait, le droit de juridiction sur les étrangers et celui d’élever des fourches patibulaires sur les terres de l’abbaye. Ces privilèges furent confirmés le 14 décembre 1504, moyennant la redevance de 4 sols forts de plaid à chaque changement d’abbé et de souverain[4]. Cette mesure n’était point inutile, car derrière le monastère s’étendaient des bois de haute futaie, couvrant une grande partie de la montagne et servant de repaire aux malfaiteurs[5].

Nommé évêque de Belley en 1508, après Jean de Varax, il prit part au quatrième coniile de Latran (1512-1317), réuni par Jules II pour faire opposition au concililiabule de Pise.

En 1516, il s’adressa au conseil ducal pour obtenir la confirmation des nombreuses concessions faites à son monastère par les princes de la Maison de Savoie. C’est pour déférer à cette demande que le conseil lit copier littéralement par le secrétaire du duc toutes les chartes que l’on put retrouver, et revêtit cette copie de la même autorité que les orignaux eux-mêmes. Grâce à cette prévoyance, plusieurs documents très importants pour l’histoire de notre abbaye sont parvenus jusqu’à nous[6].

Le souvenir de Claude d’Estavavé est resté attaché à notre monastère d’une manière spéciale par la construction du vestibule de l’église, appelé aujourd’hui chapelle de Belley ou chapelle du Roi. Quel fut le motif de cet étrange et regrettable appendice à la grande et régulière basilique abbatiale ? On l’ignore ; mais il est à présumer que ce fut la vanité de s’élever un tombeau. Auparavant, on entrait dans la basilique par cette porte grandiose, ornée de piliers en pierre dure, taillés en spirale, que l’on admire encore aujourd’hui en descendant dans la grande nef. Par suite de cette annexe, l’accès à l’église, qui avait lieu au couchant en face de la montagne, eut lieu au nord par ce portail actuellement muré, dont les arcatures d’un fort bon style gothique attirent l’attention des visiteurs. Cet annexe devint une chapelle dédiée à saint Bernard : son fondateur y fit élever son tombeau à gauche de l’autel et les vestiges en subsistent encore dans les soubassements du cénotaphe moderne. Lors de la restauration de l’église, l’entrée fut reportée au couchant et l’on dut faire une trouée dans le mur extérieur de la chapelle, du côté de la montagne, en face de la porte primitive ouvrant dans la grande nef.

Pendant qu’il présidait aux destinées du monastère, d’Estavayé reçut la visite de don Edme, abbé de Clairvaux. Ce personnage se rendit à Rome pendant les derniers mois de l’année 1520, avec sept compagnons. Leur but était de visiter tous les monastères de l’ordre de Cîteaux, situés sur leur passage et dans les environs. La relation de ce voyage, écrite par le chambrier et le secrétaire de don Edme, contient quelques particularités se rattachant à Hautecombe.

Ils s’y rendirent à leur retour d’Italie qu’ils quittèrent assez péniblement, car ce ne fut qu’après avoir « bien triboullé, gamboyé et faict soubresaulx par la neige » qu’ils purent traverser le Mont-Cenis. Arrivés à Chambéry le mercredi-saint (17 mars 1521), ils y restèrent quelques jours pour voir l’exposition du Saint-Suaire, qui devait avoir lieu le vendredi-saint. Mais le mauvais temps survenu ce jour-là fit renvoyer la cérémonie au lendemain.

« Le XXX, matin, le grand samedi, Monseigneur fit office aux Jacobins, puis vînmes au château. Après l’office, trois évêques revêtus prirent le Saint-Suaire enveloppé en suie ronge et le portèrent en procession en une chambre où l’on avait fait un échafaud dehors les fenêtres pour le montrer au peuple qui était en bas. Quand vint sur les dix heures, Monseigneur l’évêque de Belley, commendataire au monastère d’Hautecombe, et Monseigneur de Saint-Claude sortirent sur cet échafaud et illec déployèrent le précieux Saint-Suaire. Et y en eut plusieurs qui ne le virent point mêmement nous autres qui étions devant ledit château. Et en allant sur ledit échafaud, Monseigneur le duc tenait Monseigneur par la main ; en retournant, Monseigneur lui dit que ceux de dedans ne l’avaient point vu.

« Le bon seigneur duc dit à ceux qui portaient ledit Saint-Suaire, qu’ils le montrassent en l’église dessus l’autel. Ce qui fut fait, et est la chose la plus digne et la plus piteuse que je vis jamais, et n’est pas chrétien à mon avis qui en la voyant n’a crainte en soi et plus n’en dis.

« Ce dit jour partîmes et vînmes passer par le Bourget, puis commençâmes à monter le Mont-du-Chat, le pire chemin qui fut oncques, par monts et vallées jusques dessus l’abbaye d’Hautecombe, et au descendre y eut un terrible tintamarre, car il n’y avait gens ni bêtes qui en pussent venir à bout. Toutefois nous vînmes en bas et trouvâmes le couvent qui reçut Monseigneur comme leur père abbé.

« Ledit monastère est assis sur le bord d’un lac, et, d’autre côté, le roc y est bien fort. Somme, la situation est terrible, combien qu’il ne laisse pas à être bon de rentes au commendataire.

« Incontinent, nous fumes déshabillés et subitement Monseigneur tint chapitre et visita les sacrements et autres lieux.

« Le jour de Pâques, Monseigneur fit le service, fut diné en couvent et ne mangeait ne ses religieux aussi, sinon comme à Clairvaux, combien que les religieux dudit monastère mangeassent de chair, de quoi mondit seigneur fut fort marry. Il y avait audit monastère xxxiiii religieux, tous peu savants et assez ingrats à ce que j’en su connaître. Et cedit jour, après dîner, Monseigneur mena le couvent jouer et voir une fontaine nommée la Fontaine des Merveilles.

« Le second, il tint chapitre, et lit lire sa chartre, puis nous dînâmes et iterum fut à chapitre, pour quelque rébellion qui était survenue, puis partîmes dudit monastère et vînmes passer par Yenne, petite ville de là par auprès d’une maladrerie belle, qui est assise sur le bord de la rivière du Rhône, et entre deux rocs, un lieu fort dangereux[7]. »

Ce récit contemporain des faits qu’il relate nous donne une assez triste idée des religieux d’Hautecombe. Ils usent de toutes les autorisations contraires à l’abstinence[8], ils sont peu instruits et peu dociles ; une rébellion surgit probablement à l’occasion des remontrances de leur visiteur, l’abbé de Clairvaux, et un chapitre dut se tenir à cette occasion. Alta comba, nimis alta, coades !

En revanche, Claude d’Estavayé jouissait d’une brillante position. Il était évêque de Belley, abbé du monastère d’Hautecombe, de l’ordre de Cîteaux et de celui du lac de Joux, de l’ordre des Prémontrés, chancelier de l’ordre du Collier. Il assista, le 25 mars 1519, à la grande solennité que Charles III fit célébrer à la Sainte-Chapelle de Chambéry, à l’occasion de la première fête de l’ordre de l’Annonciade, substitué à l’ordre du Collier l’année précédente[9].

En 1521, il était à Genève, figurant parmi les témoins de l’érection en comté, en faveur de Laurent de Gorrevod, baron de Montagny, de la seigneurie de Pont-de-Vaux. Le 8 novembre 1526, il signait à Chambéry, comme témoin, les lettres patentes par lesquelles le duc Charles III rétablissait Philibert II de Compeys dans la possession du château et seigneurie de Thorens[10].

Au retour d’un voyage en Allemagne, il mourut à Romont, le 28 décembre 1534, d’après le Gallia Christiana, et fut inhumé dans la cathédrale de cette ville[11].

Le choix de son successeur amena un conflit entre la cour de Rome et celle de Savoie. Les anciennes règles de Cîteaux, entourant l’élection des abbés de nombreuses précautions et formalités en vue de procurer à chaque monastère le plus grand bien moral et matériel, n’avaient que faire à l’époque où nous sommes, puisque être nommé abbé c’était recevoir du prince et u Saint-Siège l’allocation des revenus d’un bénéfice ecclésiastique. Aussi, sur ce terrain, qui ne faisait que côtoyer le domaine spirituel, les puissances séculière et ecclésiastique venaient souvent se heurter. En vertu de l’indult de Nicolas V, du 4 des ides de janvier 1451, le Saint-Siège s’était engagé à ne point nommer aux bénéfices situé dans les États du Duc de Savoie, sans avoir obtenu son consentement et son agrément, relativement aux nouveaux titulaires. L’usage de la commende qui amenait la séparation du temporel et du spirituel, de la finance et de la prière, qui donnait à l’un les titres et les revenus, à l’autre les charges et l’administration de la communauté ; d’autre part, le droit de patronnage que revendiquaient les fondateurs du bénéfice ou leurs héritiers, combiné avec les nombreuses confirmations et amplifications de l’indult de Nicolas V, avaient produit une véritable confusion sur cette question[12]. Les ducs de Savoie prétendaient à la nomination des titulaires de certains bénéfices ecclésiastiques et le Souverain Pontife revendiquait ce droit comme administrateur suprême de tous les biens de l’Église[13]. Aussi Charles III, après la mort de Claude d’Estavayé, nomme son jeune fils, Emmanuel-Philibert, abbé commendataire d’Hautecombe, de même qu’il nomma Jérôme de Valpergue à l’abbaye vacante d’Abondance, en Chablais.

Mais Paul III avait disposé de ces deux bénéfices en faveur de son neveu, le cardinal Alexandre Farnèse, comme s’il se fût agi de bénéfices de libre collation. Charles III, bien que dépossédé de ses États, protesta, et l’affaire fut portée à Rome devant le tribunal de la Rote. Une transaction intervint, le 14 juin 1538, entre le neveu du pape et le fils du duc, et il fut convenu que le premier tiendrait pour non avenues les nominations émanant du Souverain Pontife, qu’il serait pourvu de l’abbaye d’Hautecombe par le duc de Savoie, qu’il payerait une pension annuelle de 400 ducats d’or à Jean-Baptiste Provana, seigneur de Leynesy, aumônier du duc, et qu’il renoncerait à l’abbaye d’Abondance en faveur de Jérôme Valpergue, reconnaissant que ces deux abbayes étaient du patronage de Son Altesse Royale[14]. Alexandre Farnèse vint-il à Hautecombe ? Nous ne le savons. La Savoir était alors envahie par les armées françaises, et l’occupation qui s’ensuivit pendant vingt-quatre années, dura bien plus que la prélature du cardinal. Tout ce que nous connaissons de son administration, c’est que, en 1562, un procès était engagé devant le Sénat de Savoie entre lui et Barthélémy Delbene, père de l’abbé Delbene[15].

Claude de La Guiche occupa quelque temps l’abbaye d’Hautecombe. Son père, Pierre de La Guiche et de Chaumont, chambellan des rois de France et bailli d’Autun, fut chargé, sous François Ier, de légations importantes auprès du pape, de l’empereur et d’autres souverains. Sa mère était Françoise de Chazeron. D’abord protonotaire apostolique, puis premier abbé commendataire de l’abbaye de Belbec, en Normandie, en 1533, administrateur galliacensis, à la faveur de son grand-oncle, le cardinal Georges d’Amboise, il fut encore prieur de Caudebec et de Saint-Pierre de Mâcon, abbé d’Hautecombe et enfin évêque d’Agde après la mort du cardinal François, en 1340. Le concile de Trente s’était ouvert en 1545, il s’y rendit avec les autres prélats. Mais ayant indisposé son souverain, il fut, peu après, rappelé par lui et il n’évita sa colère que par une fuite clandestine. De retour au concile, grâce aux lettres de rappel des légats, il s’y fit remarquer, en 1546, par les heureuses qualités de son esprit. Cette même année, il fut transféré au siège de Mirepoix. Plus

tard, Henri II l’ayant choisi pour son ambassadeur en Portugal et à Rome, il mourut dans cette ville le 9 avril 1553. Son corps repose dans l’église de Saint-Louis des Français[16].

Il paraît avoir eu pour successeur le cardinal de Saint-Georges.

Vivant à Rome, où il était protecteur du royaume de France près le Saint-Siège, il ne pouvait, pas mieux que ses prédécesseurs, exercer directement son autorité sur son abbaye. Aussi, la régie de Cîteaux n’y était plus observée, les biens étaient possédés et même vendus par les frères convers, au mépris des droits de l’abbé commendataire.

Le cardinal s’adressa au chef de l’Ordre pour faire cesser de semblables abus, et celui-ci s’efforça de régler minutieusement la vie intérieure du monastère par l’ordonnance suivante, que nous donnons en entier pour introduire une fois le lecteur jusque dans le cloître :

« Nous frère Jean, abbé de Cîteaux au diocèse de Châlons, ayant la pleine puissance de tout l’ordre dudit Cîteaux et chapitre général d’iceluy, de tous et chacun des moanstères tant de religieux que religieuses au nombre de trois mille deux cent cinquante-deux abbayes et de quatre Ordres de chevaliers, général, visiteur et réformateur au nom de Jésus tant ès-chefs qu’ès-membres, en spirituel et temporel, scavoir faisons à tous qu’il appartiendra que pour la sainte réformation et régulière observance introduire et maintenir à perpétuité en notre dévot et solennel monastère Notre-Dame d’Hautecombe au diocèse de Genève, avons, suivant nos statuts, sainte règle et définitions, ordonné et limité par les présentes, ordonnons et limitons pour le saint service de Dieu le nombre de religieux, novices, convers et rendus, ensemble leur vivre et vestiaire en la forme et teneur que s’ensuit :

« El premièrement pour éviter l’exécrable vice de propriétés, remettons dès à prèsent entre les mains et sous la puissance du seigneur père abbè Mgr  le révérendissime cardinal de Saint-Georges, protecteur des droits nôtres, du roi notre très souverain sire, en cour de Rome et de notre Ordre, toutes vignes, près, maisons, terres, bétail et autres appartenances qu’en particulier ont tenu et tiennent abusivement les religieux couverts et rendus jusqu’à ores, et à présent leur interdisons sur peine de sentence d’excommuniement plus cy-après en user, tenir et avoir et posséder en sorte que ce soit, ains, pleinement, purement et actuellement leurs commandons sur les dites peines eux en entièrement dévestir et en laisser paisiblement jouir leur dit père abbé et ses successeurs, ainsi qu’il se fait et doit faire à Cîteaux leur mère, et en tous monastères dûment réglés et réformés : et pour la continuation, décoration et augmentation du service de Dieu, sera tenu le dit père abbé et ses successeurs, nourrir, alimenter et entretenir de toutes nécessités vingt-deux religieux profès, quatre novices et vingt convers ou rendus à un chacun desquels par an terme de Saint-Martin d’hiver seront délivrés par le dit père abbé ou ses vicaires trois muids de bon deal et pur vin revenant pour chacun jour à pinte de vin pour personne, que seront en tout six vingt dix huit muids qui valent soixante neuf quenez de vin, et aux dépens du dit seigneur abbé et ses successeurs sera conduit le dit vin au cellier du couvent, et tout mis en commun et au par dessus, au dit jour et terme de Saint-Martin d’hiver. Pour la mixtion, messes, aumônes et hôtes survenant, seront mis au dit cellier du couvent douze muids de vin mesure que dessus. « Item en blé bon et léal pour chacune personne, trois bichets, le bichet pesant deux cent cinquante six livres, le tout mis ensemble aux dépens du dit seigneur abbé au grenier du couvent. Et pour les aumônes et hospitalités tant générales que particulières leur seront distribués en commun douze bichets de blé ; et pour leurs chevaux au nombre de deux et aussi survenant, douze bichets d’avoine et en foin deux cents quintaux, et paille à suffisance, terme que dessus au plus tard.

« Item en pitance pour chair, œufs, lard, poissons, beurre, huile, sel, oignons, pois, fèves, aura chacun d’iceux le tout mis en une bourse commune la somme de dix-huit livres tournois et un jardin pour herbage avec six pourceaux gras à larder de deux ans.

« Item six boisseaux de fèves et quatre de pois.

« Item pour le vestiaire de vingt-deux religieux profès par an auront pour chacun huit francs, terme de Saint-Rémi 1er octobre, et chacun rendu ou convers deux écus sol par an pour le dit vestiaire. Quant aux novices les parents les doivent vêtir jusqu’au jour de leur profession inclusivement.

« Pour leur chauffage, four, chauffoir, cuisine, enfermoir, chambre de pied, cellerier, procureur et boursier, en auront tint qu’il leur en faudra ; ci pour la conduite du dit bois en l’abbaye auront par an dix francs terme que dessus et pour l’état de l’enfermoir par an douze écus sol.

« Item pour le luminaire de l’église et entretement des habits et aussi de l’ustensile du couvent auront par an terme de Saint-Martin susdit vingt écus sol ; les réparations seront à la discrétion et prudence du père abbé et sera l’argent clair ci-dessus mentionné au plus tard distribué à deux termes, à savoir Saint-Martin d’hiver et nativité saint Jean-Baptiste. « Fait et donné en notre maison de Bogeri prés Cîteaux ce troisième jour de juin, sous la pension de notre grand scel et seins manuels de nos secrétaires, mil cinq cent quarante neuf ; ainsi signés frère Paris et Irrenet notarius apostolicus[17]. »

L’exécution de cette ordonnance, dans un monastère livré à la commende depuis un siècle, devait rencontrer de l’opposition. Il y en eut en effet, et elle vint surtout des moines gentilshommes, soutenus par l’influence de leur famille dans leur résistance à cette réforme. L’abbé d’Hautecombe s’adressa pour la vaincre au souverain temporel, le priant d’appuyer ses efforts. Henri II se rendit à ses désirs et, par lettres patentes datées de Fontainebleau, le 29 décembre 1549, il enjoignit au Parlement de Chambéry de veiller à l’exécution de cette réformation, de donner au besoin à l’abbé de Citeaux conseil, aide, confort, prison et main-forte[18].

  1. Voir Documents, n° 37.
  2. Archives de Cour, Abbazie, mazzo III.
    Cette promotion paraît avoir été réellement brusquée, puisque ce ne serait que le 14 novembre suivant que le nouveau duc Charles III donna son consentement à la résignation de l’abbé Colombier, (Ibid., mazzo I, n° 20.
  3. On voit par cet exemple que la commende s’exerçait à Hautecombe avec bien des ménagements, et que la principale différence qui existait à cete époque entre les abbés réguliers et les abbés commendataires consistait dans le mode de nomination et dans le cumul des bénéfices, qui dispensait les commendataires de l’obligation de la résidence.
  4. Mss Chapperon.
  5. On peut en voir la preuve dans une enquête faite en 1512 et dont les procès-verbaux existent aux archives de Turin. Nous en donnons, à titre d’étude des mœurs de l’époque, quelques extraits aux Notes additionnelles, sous le n° 5.
  6. Cette reconnaissance des privilèges de l’abbaye a été publiée pour la première fois par Cibrario dans la Storia e descrizione della reale Badia d’Altacomba, édition de luxe, dédiée à Marie-Christine qui avait d’abord confié ce travail au marquis Louis Biondi. Les matériaux étaient préparés, lorsque la mort de ce dernier survint. Cibrario fut alors chargé de mener à bonne fin l’œuvre de son ami
    Cet ouvrage n’était point dans le commerce, et ayant été tiré à un petit nombre d’exemplaires, ne nous dispense pas de donner cette pièce à la suite de notre travail, Documents, n° 14. Nous nous y croyons encore autorisé par cet autre motif que l’original de cette reconnaissance n’existe plus au n° 2 du mazzo I, Abbazie, des Archives de Cour, où Cibrario l’avait vu, et qu’il est aujourd’hui perdu.
  7. Revue savoisienne, 1871, p. 6 et 7 : article de M. Jules Vuy.
    Nous avons cru devoir adapter l’orthographe moderne dans la reproduction de cet extrait, pour en faciliter la lecture.
  8. On se rappelle qu’en 1483, le chapitre général de Cîteaux avait autorisé l’usage d’aliments gras trois fois par semaine. (Suprà, chap. i, IIIe partie.)
  9. Guichenon, Savoie, p. 629.
  10. Costa de Beauregard, Les Seigneurs de Compeys, p.118.
  11. Guichenon, Bresse, IIe partie, p. 31. — Guichenon rappelle qu’en 1527, il fit imprimer le missel de l’église de Belley. On commençait à remplacer les beaux missels manuscrits et ornés de vignettes par des livres imprimés.
    Le 31 mai 1529, il donnait en albergement la montagne de Chaumaz située au-dessus de celle de Chérel, en Beauges.
  12. Voir, à ce sujet, l’ouvrage intitulé : Relazione delle vertenze tra la Corte di Roma e quella del Re di Sardegna, Torino, 1731.
  13. Ce droit de nomination aux bénéfices appelés de patronage ducal était vivement discuté. Soixante ans plus tard, Delbène avouait que, malgré pluisieurs années d’études, il n’avait pu découvrir quand il avait commencé et que les jurisconsultes de son temps le faisaient dériver de la donation même du comte Amédée III.
  14. Archives de Cour, Abb., maz. I, n° 22.
    Il existe aux mêmes archives un bref de Paul III à Charles III, relatif à la nomination désirée d’Alexandre Farnèse à l’abbaye d’Hautecombe, du 20 février 1535.
  15. Des lettres patentes données à Fossan, le 23 novembre 1562, accordent à Barthélémy Delbene un délai de six mois, à raison de son service auprès du roi de France, ce qui l’empêche de produira ses titres et de s’occuper de son procès. (Archives du Sénat.)
  16. Gallia Christiana, t. VI et XIII. — Besson, Mém. ecclés..
  17. Archives du Sénat.
  18. Voir Documents, n° 38.