Histoire de la vie et de l’administration de Colbert

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AVERTISSEMENT

J’avais entrepris une série d’études historiques sur l’administration des surintendants, contrôleurs généraux et ministres des finances célèbres. Arrivé à l’administration de Colbert, je me suis aperçu que ce sujet, infiniment plus vaste que je n’avais cru à un premier examen, m’entraînerait bien au delà des limites que je m’étais d’abord imposées, et, au lieu de quelques articles, j’ai fait un livre. C’est celui que j’offre au public [1]. Il existe de nombreux et excellents travaux sur Colbert. Forbonnais, de Montyon, Lemontey, et plus récemment, MM. Villenave, Bailly, Blanqui, de Villeneuve-Bargemont, d’Audiffret, de Serviez, semblaient avoir épuisé ce sujet [2]. Cependant, en remontant aux documents originaux et contemporains, soit manuscrits, soit imprimés, j’ai reconnu qu’il y avait là une mine des plus riches à peine entamée, et j’ai essayé, grâce à eux, de sortir du vague et des généralités à l’égard d’un certain nombre de questions importantes que la connaissance de ces documents pouvait seule permettre d’approfondir. Aucun ministre n’a laissé plus de matériaux à l’histoire que Colbert. Non seulement il enrichit la Bibliothèque royale des magnifiques collections manuscrites de Béthune, de Brienne, de Gaston duc d’Orléans, de Mazarin, mais il fit copier dans toute la France, sous la direction des hommes les plus érudits, les titres et autres monuments historiques conservés dans les archives des provinces. En même temps, son bibliothécaire, Etienne Baluze, dont les bibliophiles ne prononcent le nom qu’avec respect, recueillait par ses ordres une quantité prodigieuse de documents politiques concernant tous les points de l’administration. « Marine, commerce, bâtiments, finances, police, affaires étrangères, correspondances diplomatiques, en un mot, dit M. Paulin Paris dans son Catalogue raisonné des manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, tous les rouages du gouvernement françois sous le règne de Louis XIV semblent réunis dans cette collection de plus de six cents volumes presque tous in-folio. » Après avoir appartenu d’abord à la famille de Colbert, cette riche collection fut, en 1732, proposée à Louis XV qui en dota la France, moyennant cent mille écus [3], Dans le nombre des manuscrits originaux de Colbert que possède la Bibliothèque royale, il en est quelques-uns qui ont surtout une grande valeur. Je citerai d’abord un volume de lettres de Colbert à Mazarin avec les réponses de ce dernier en marge [4]. Ces lettres sont inédites et j’y ai fait de nombreux emprunts. Une autre collection de pièces originales désignée sous ce titre : Colbert et Seignelay, renferme les documents historiques les plus précieux [5] Ces pièces au nombre de 403 sont presque toutes émanées de Colbert même ; aussi ce n’est pas une médiocre difficulté d’en pénétrer le sens, car le grand ministre avait l’écriture la plus difficile à lire qui se puisse voir. La collection dont il s’agit, spéciale à la marine, paraît avoir été détachée de la grande collection de Colbert, en 1752, époque où celle-ci fut cédée au roi, et elle n’a été acquise par la Bibliothèque royale que depuis sept à huit ans. Restée en cartons et par pièces détachées jusqu’à ces derniers temps, elle a été récemment disposée en volumes avec tout le soin qu’elle réclamait, et ce n’est que depuis peu de mois qu’il a été possible de la consulter dans son ensemble. Cette collection est précédée d’un catalogue où l’on trouve l’analyse sommaire de chaque pièce, travail important, ingrat, en raison de la difficulté dont je parlais tout à l’heure, et qui a été exécuté avec beaucoup de discernement. Enfin, la Bibliothèque royale possède les originaux d’un nombre considérable de lettres adressées à Colbert pendant toute la durée de son administration, depuis 1660, moins les six dernières années (de 1678 à 1683) qui manquent. On ne saurait se figurer, à moins de l’avoir parcourue, l’importance de cette collection qui renferme près de vingt mille lettres écrites par les personnages les plus considérables de l’époque, princes, amiraux, archevêques, gouverneurs, intendants, etc., etc., et qui remplit de deux à quatre volumes par année. La collection de ces lettres où j’ai puisé un grand nombre de matériaux inédits, est désignée habituellement sous le titre de Collection verte, à cause de sa reliure en parchemin vert. Ces lettres sont celles que Baluze fut chargé de recueillir et de classer. Seulement, il paraît constant qu’en faisant ce travail, Baluze mettait à part les lettres traitant les affaires secrètes, réservées, et celles-là n’ont pas été retrouvées. il en est de même de la correspondance adressée à Colbert pendant les six dernières années qui précédèrent sa mort, correspondance dont la perte fait dans cette précieuse collection un vide très regrettable et très fâcheux. Je ne parle pas d’un grand nombre d’autres manuscrits originaux que M. Champollion-Figeac, conservateur du département des Manuscrits à la Bibliothèque royale, a bien voulu me désigner et mettre à ma disposition avec une bienveillance dont je suis heureux de lui exprimer ici ma vive gratitude. On les trouvera mentionnés, soit dans les divers chapitres de ce livre, soit à la fin même du volume où j’ai indiqué, dans une sorte d’appendice bibliographique, tous les manuscrits et ouvrages imprimés que j’ai consultés tant pour l’histoire de Colbert que pour, l’étude sur Fouquet [6].

On me permettra de mentionner encore le riche dépôt national des Archives du royaume où j’ai trouvé, dans les sections de Législation et d’Histoire, de précieux documents sur l’administration de Colbert, notamment sur quelques-unes de ses réformes financières et sur une réduction des rentes qui eut lieu en 1661. Il est encore d’autres documents manuscrits qui m’ont été d’un grand secours, et au sujet desquels il est nécessaire de donner quelques explications : ce sont les Registres des despesches concernant le commerce pendant plusieurs années du ministère de Colbert, registres que l’on verra cités très souvent, et qui jettent beaucoup de jour sur cette partie si importante de son administration. Ces registres qui ne sont autre chose que la copie des lettres de Colbert sur le commerce remplissent huit volumes in-folio, et la collection, on va le voir, est bien loin d’être complète.

Le premier volume, comprenant l’année 1669, appartient à la Bibliothèque royale et porte le n° 204 du fonds d’environ six cents volumes dit Petit fonds Colbert, Il est relié en maroquin rouge, marqué aux armes de Colbert, et a pour titre : Registre des despesches concernant le commerce tant dedans que dehors le royaume ; année 1669.

Les sept autres volumes appartiennent aux Archives de la marine dont il m’a été permis de consulter les trésors, grâce aux bienveillantes dispositions de M. le baron de Mackau, ministre de la marine, et à l’extrême obligeance de M. d’Avezac, à qui la garde de ces riches Archives est confiée. Les premier et deuxième volumes de la collection de la marine sont intitulés : Expéditions concernant le commerce de 1669 à 1683. Ces deux volumes ne sont ni de la même copie, ni de la même reliure, ni marqués aux mêmes armes que le volume de la Bi

  1. Une partie de ce travail a été publiée dans un de nos recueils périodiques, le Correspondant. J’y ai fait depuis des additions et des changements importants.
  2. Voici l’indication des ouvrages dont je veux parler :
    1. Recherches et considérations sur les finances de France, par Forbonnais. — L’examen seul de l’administration de Colbert remplit la moitié d’un fort volume.
    2. Vies des Surintendants des finances et des Contrôleurs généraux, 3 vol. in-12
    3. Particularités sur les ministres des finances célèbres, par M. de Montyon, 1 vol.
    4. Œuvres complètes de Lemontey, t. V. Notice sur Colbert.
    5. Biographie universelle de Michaud, article Colbert, par M. Villenave.
    6. Histoire financière de la France, par M. Bailly ; t, I, Administration de Colbert.
    7. Histoire de l’économie politique en Europe, depuis les anciens jusqu’à nos jours ; par M. Blanqui ; t. I et II ; chap. XXVI et XXVII ; Administration de Colbert.
    8. Histoire de l’économie politique, ou études historiques, philosophiques et religieuses sur l’économie politique des peuples anciens et modernes, par M. le Vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont ; t. 1, chap. XV. Administration de Colbert.
    9. Système financier de la France, par M. d’Audifret, t. II. Notice historique sur la vie de Colbert. # Histoire de Colbert. par M. A. de Serviez ; 1 vol. in-18. Il y a encore plusieurs éloges de ce ministre, entre autres celui de Necker, couronné, en 1775, par i’Académie Française ; le tableau du ministère de Colbert, 1774, par M. Brunet ; l’Eloge politique de Colbert, par M. de Pelissery, 1775, etc.
  3. Catalogue raisonné des manuscrits françois de la Bibliothèque du Roi, par M. Paulin Paris ; 1. 1, p. 7 et suiv.
  4. Bibliothèque royale, Mss. Lettres de Mazarin, Baluze, Arm. VI
  5. Colbert el Seignelay, Mss. — 1669 à 1677. — Collection de pièces originales sur la marine émanées de Colbert et du marquis de Seignelay, de 1669 à 1677.6 vol. in-folio. Cette collection composée de 403 pièces est divisée en vingt deux cotes où chaque pièce est classée selon la matière principale qu’elle traite ou l’année à laquelle elle appartient.
  6. Pièces justificatives ; pièce no XV ; p. 503. — Cet ouvrage était en grande partie imprimé, lorsque M. ChampoIlion-Figeac a eu la bonté de me communiquer un manuscrit original de Colbert, manuscrit très considérable, d’une grande importance historique, et resté entièrement inconnu jusqu’à ce jour. Il est intitulé : Mémoires sur les affaires des finances de France pour servir à l’histoire. Ces mémoires renferment de curieux détails sur l’administration des finances depuis Henri IV, mais principalement à partir de 1648, époque où Colbert a été attaché à Mazarin, jusqu’en 1663. L’administration de Fouquet y est surtout jugée avec une sévérité extrême où l’on croit voir même percer de la passion. Sous ce rapport, les mémoires dont il s’agit présentent donc le plus vif intérêt. J’ai reproduit à la fin du volume, (pièce justificative no, II P— 427) les parties les plus importantes de ce travail, où l’on trouvera l’appréciation faite par Colbert lui-même de l’administration de Fouquet, pendant que celui-ci était en prison et que la Chambre de justice instruisait son procès.