Histoire du donjon de Loches/Chapitre V

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Edmond Gautier
Impr. de A. Nuret (p. 62-74).

V

la tour ronde. — constructions du xve siècle. (1261-1419.)


L’histoire militaire du château retombe dans l’obscurité pendant le XIIIe et le XIVe siècles. Le pays cependant était loin de jouir des douceurs de la paix.

Malgré de rares suspensions d’armes, la Touraine était toujours dévastée par la guerre. Les Grandes Compagnies battaient la campagne, brûlant et pillant ; mais il est probable que le château de Loches était désormais un trop gros morceau pour elles, et qu’elles n’osèrent point l’attaquer.

Notons en passant quelques visites royales : saint Louis, au mois d’octobre 1261 ; Philippe-le-Bel, en 1301 et 1307, lorsqu’il allait à Poitiers concerter avec le pape la ruine de l’ordre du Temple ; Jean II y vint aussi plusieurs fois avant son avènement, et notamment en 1345. Il y revint encore et fit ravitailler le château au mois de septembre 1356, dix jours seulement avant la trop célèbre bataille de Maupertuis.

Vaincu et fait prisonnier dans cette bataille, il fut emmené en Angleterre. Trois ans après, il consentit à signer avec Édouard III un traité honteux, par lequel il cédait à l’Anglais : le Maine, l’Anjou, la Bretagne, l’Aquitaine, le Poitou, la Saintonge, le Périgord, le Quercy, le Limousin, l’Agenois et Bigorre, plus la Touraine, la Normandie, Calais, Guines, Boulogne et tout le Ponthieu. Le roi de France devait en outre payer quatre millions d’écus d’or pour sa rançon.

À cette nouvelle, le régent, qui fut plus tard Charles V, assembla les États Généraux. Lorsque le traité fut soumis aux députés, ils le rejetèrent d’un commun accord en disant « qu’ils auroient plus cher à endurer et porter ce grand méchef et misère où ils estoient, que de voir le noble royaume de France amoindri et défraudé ». (Froissart)

Édouard III, furieux, repasse la mer à la tête de cent mille hommes et de onze cents vaisseaux, et débarque à Calais, le 28 octobre de cette même année ; il livre au pillage les provinces qu’il traverse, brûlant les châteaux, les monastères et les églises. Les Grandes Compagnies, sous la conduite de Basquin du Poncet, ravagent la Touraine, brûlent Beaulieu, s’emparent de Cormery, mais ne paraissent avoir fait aucune entreprise sur le château de Loches, qui avait été réparé l’année précédente, comme nous l’avons dit plus haut. André de Famont, lieutenant d’Enguerrand de Hesdin, capitaine du château, fut envoyé pour traiter de la paix avec le Basquin dont les troupes occupaient la Roche-Pozay et Veretz. Mais les trêves partielles et locales qui pouvaient être conclues n’empêchaient pas la guerre et le brigandage d’être en Touraine à l’état permanent. L’abbaye de Beaulieu, brûlée en 1395, n’était pas encore sortie de ses ruines, que les Anglais s’en emparèrent de nouveau en 1412, après un siège meurtrier, et envoyèrent l’abbé prisonnier en Angleterre. Thomas de Dorset, grand amiral d’Angleterre et d’Irlande, lieutenant du duc de Clarence, y tenait son quartier général au mois d’octobre. Le château de Loches, défendu par Enguerrand de Hesdin, puis par Guillaume Jolain et Jehan d’Azay, résista à toutes les attaques. En 1419, à la suite du meurtre de Jean Sans-Peur, Loches, qui comme le reste de la Touraine avait suivi le parti du duc de Bourgogne, devint la proie des flammes, probablement à la suite d’une tentative de ces bandes des Grandes Compagnies ; mais dans ces différentes circonstances, le château ne paraît point avoir été l’objet d’un siège régulier, ou tout au moins le souvenir ne nous en a pas été conservé.

Le ravitaillement qui précéda la bataille de Maupertuis fut probablement le dernier effort tenté pour maintenir le vieux donjon en état. Son système d’architecture était vieilli. L’artillerie venait de changer les conditions de la défense des places. Les hourds, les charpentes et les toitures en bardeau, faciles à incendier et à détruire, disparaissaient peu à peu pour faire place aux mâchicoulis et aux plates-formes destinées à recevoir du canon ; tout, en un mot, était à modifier, ou plutôt à refaire.

Cette transformation dut s’opérer lentement, jusqu’au jour où fut arrêté le plan d’un nouveau donjon.

Au point où, du côté du couchant, venaient se relier tous les murs d’enceinte, existait un ouvrage fortifié, une sorte de petit donjon, contemporain du grand, autant que l’on peut en juger par des meurtrières encore visibles à l’intérieur, et aujourd’hui obstruées par les nouvelles constructions. À côté, on avait élevé, vers la fin du XIVe siècle, un bâtiment qui sert aujourd’hui d’habitation au concierge de la prison. Composée d’une chambre unique avec un étage et un grenier au-dessus, cette annexe nous paraît n’avoir été qu’un corps-de-garde principal. Au commencement du XVe siècle, ce point fut choisi pour l’emplacement d’un nouveau donjon, bâti suivant les règles les plus récentes de l’art militaire et destiné à recevoir de l’artillerie.

D’après le nouveau plan, le château tout entier paraît avoir été l’objet d’un remaniement général. Laissant de côté — comme on laissa plus tard ces lourdes et puissantes armures, que le canon devait aussi rendre inutiles — le vieux donjon démantelé, mais trop solide pour être détruit, et dont la masse imposante constituait toujours une défense sérieuse, le constructeur du XVe siècle établit sur le bord extrême du rocher une forte tour qui commandait au loin la campagne en enfilant toute la ligne des remparts du côté de l’ouest. — En avant, un autre bâtiment appelé le Martelet, et dont nous parlerons bientôt, cachait sa base du côté de l’ennemi. Les tours à bec, — pour leur laisser ce nom inexact, — privées de leur toiture et dérasées à une certaine hauteur, pouvaient recevoir du canon ; enfin une porte avec pont-levis était ouverte entre deux de ces tours dans la courtine du midi, et tout le terrain compris entre la seconde et la troisième enceinte était surélevé de plusieurs mètres, faisant disparaître le relief de la motte féodale.

Du côté du nord, le nouveau donjon, absorbant dans sa masse les murs du XIe siècle, venait rejoindre le portail d’entrée dont les dimensions étaient doublées et les abords fortifiés.

Le principal de ces ouvrages, la Tour Ronde, est bâtie sur le bord du rocher, empruntant ainsi en hauteur toute la profondeur du fossé qu’elle domine.

Éloignée de la grande courtine de Vignemont, inabordable du côté de la ville, elle était à l’abri des tentatives du mineur et du choc des machines ; à l’époque où elle fut construite, elle avait peu de chose à redouter de l’artillerie, dont l’emploi, encore assez mal réglé dans les batailles, était à peu près inconnu dans les sièges. Est-ce à sa position assez bien abritée que le mur du midi devait son peu d’épaisseur ? En 1814, au mois de juillet, il céda, et une moitié de la tour s’écroula.

Son plan est d’une forme assez singulière : deux bâtiments en équerre, et l’angle protégé par une forte tour en saillie.

Elle comprenait trois étages desservis par un escalier tournant. Chaque étage comportait deux chambres, et peut-être trois.

La maison du gardien-chef sert encore, comme autrefois, de vestibule à cette tour. Près d’une porte située au premier étage on lit :

Entres. messievrs. ches. le. roy. notre. mestre.

C’est en effet une royale mais sombre demeure, et tous les hôtes, illustres ou inconnus, qui ont vécu dans ses murs ont pu dire ce que l’un d’eux a écrit : « Beati ei qui non habitant in domo ista ! »

La première salle qui se présente au rez-de-chaussée est celle dite de la Torture. On y voit encore une barre de fer, garnie d’énormes anneaux dans lesquels on passait les pieds du patient. La salle est vaste, éclairée par une large fenêtre garnie de barreaux de bois qu’on dirait avoir fait partie de la cage de La Balue, dont nous verrons plus loin la description. Mais la cheminée est supprimée et les murs sont blanchis à la chaux. Les traces du passé dorment sous le badigeon réglementaire des prisons de l’État étendu en couches annuelles. Là sans doute s’instruisaient les procès et se donnait la question ordinaire et extraordinaire dont le roi Louis XVI eut la gloire d’ordonner l’abolition. Là, peut-être, comparurent devant leurs juges les complices du connétable de Bourbon, et le principal d’entre eux, l’infortuné comte de Saint-Vallier, que nous retrouverons dans un des chapitres qui vont suivre.

Au dessous de cette chambre est une vaste salle ronde, voûtée en coupole, où fut, dit-on, renfermé le cardinal La Balue. Nous ne voulons y voir qu’un magasin, grenier ou cellier, et peut-être l’emplacement d’un moulin[1]. Des deux prisons appelées cages de far, que possédait le château, l’une se trouvait au-dessus du portail d’entrée, en face du vieux donjon, l’autre dans la principale chambre de la tour. Les trous, assez petits, régulièrement espacés et groupés quatre par quatre, que l’on remarque au pourtour des murs, seraient, dit-on, les traces des scellements qui supportaient la cage. Cette allégation ne supporte pas l’examen : les cages à prisonniers n’étaient point suspendues, à l’exception de celle de Chinon, qui tournait sur un pivot, et, l’eussent-elles été, que les dimensions de celle de Loches (environ deux mètres sur toutes faces) ne seraient aucunement en rapport avec la grandeur de la salle, ni avec l’exiguïté des prétendus scellements.

L’escalier de pierre qui conduit au sommet de la tour dessert deux étages de salles disposées à droite et à gauche. Celles de droite n’ont rien de remarquable : dans l’une on lit l’inscription suivante, profondément gravée dans la pierre dure :

LE. SINGE. VEVLT. LES. CHOSES. QUIL. VOIT. FAIRE. SE. POSSIBLE. EST.

Le mur de l’autre côté est orné d’un grand vaisseau peint en noir, avec tous ses agrès, pavillon tricolore, les sabords garnis de canons. Il porte son nom à l’arrière : « Les trois Amis ».

Sur les murs, des noms de prisonniers de toutes les nations internés au château pendant les guerres de Louis XIV et de Napoléon Ier.

À gauche de l’escalier sont les salles principales. Celle qui est au-dessus de la Torture a été défigurée par des aménagements modernes. Elle est placée à côté du petit pont-levis qui ouvrait sur le chemin de ronde des remparts. Sa position indique qu’elle devait servir de corps-de-garde.

Au-dessus de celle-ci, est une salle voûtée, avec sa grande cheminée. Le plancher, composé d’ais de trois à cinq centimètres d’épaisseur, retenu par d’énormes clous, est encore en place ; il repose sur les poutres dont les entrevoûts sont remplis par des briques faisant une série de petites voûtes, travail assez remarquable pour l’époque. — On a donné à cette chambre le nom de salle d’armes, à cause des sculptures assez curieuses dont elle est ornée dans tout son pourtour. Près de la porte, où sont encore quelques poutres qui faisaient partie du tambour destiné à empêcher l’introduction de l’air extérieur, un soldat, en costume du temps de Charles IX, porte une hallebarde et des clefs, et fait penser a cette inscription trouvée près d’une porte du château de Blois :

    Cy suit qui suis
    Bon homme suis
    Et suis commis
    A garder l’huis
Et le garderai si ie puis.

Plus loin, sur le mur de droite, deux autres se battent en duel. Entre eux, et derrière les épées croisées, un autre, de taille plus élevée, paraît présider le combat, les bras levés, et une courte épée dans chaque main ; d’autres encore sont armés d’arquebuses ou mousquets ; d’une main ils tiennent la mèche, de l’autre le crochet destiné à supporter l’arme. Un autre enfin porte un pistolet du même système avec la mèche. Les traits de ces sculptures peu ssaillantes, creusées au couteau, ont été accentués avec de la peinture noire. Près de la cheminée, un autre essai de sculpture, plus fouillé, paraît représenter une cérémonie religieuse du XVIe siècle. Elle a dû coûter assez de temps à son auteur, et lui faire paraître moins longues les heures de la prison.

Une autre salle située dans la partie écroulée faisait suite à celle-ci. C’est dans cette sorte d’appartement que Ludovic Sforce passa sans doute les dernières années de sa vie après avoir quitté le cachot du Martelet[2]. De nombreuses inscriptions témoignent de l’énergie d’esprit et aussi de la lassitude de l’illustre captif. Dans un coin, une grande procession est aussi sculptée profondément. Un homme, à genoux sur un coussin, dans l’attitude de la prière, paraît être l’auteur de ces sculptures, qui, d’après les costumes, seraient postérieures au séjour de Ludovic.

Des travaux de restauration, qui deviennent plus urgents chaque jour, vont être, dit-on, entrepris très prochainement dans cette partie du château.

L’escalier débouche sur une plate-forme dallée en pierre dure, qui a dû subir peu de changements. Les cheminées seules ont été dérasées et bouchées pour éviter les évasions. Des latrines placées dans l’angle de l’est ont également disparu.

De nombreuses inscriptions se lisent tout le long de cet escalier. Nous les renvoyons à la fin du volume.

Dufour, d’après Duchesne, attribue la construction de la Tour Ronde à Louis XI et à ses successeurs, Charles VIII et Louis XII. Nous ne savons sur quelle donnée s’appuie cette opinion. Chalmel fixe les dates de 1469 pour la Tour Ronde, et de 1500 pour le Martelet ; il faut remarquer que la première de ces dates est celle de l’arrestation de La Balue, et la seconde celle de la prise de Ludovic Sforce. Outre qu’il est assez peu probable que l’on ait pu bâtir des monuments de cette importance juste à point pour y loger ces prisonniers, la date de 1417 répétée plusieurs fois dans les soubassements du Martelet, et dans le cachot au-dessus du pont-levis, viennent infirmer complètement ces allégations ; pour nous, ces deux constructions sont contemporaines de la Tour Ronde, font partie du même ensemble, et appartiennent aux premières années du XVe siècle. Belleforêt était plus près de la vérité quand il disait, en 1575, que cette tour était bâtie depuis quelque 160 ans et plus, et terminée par Louis XII.

Les auteurs qui attribuent ces constructions à Charles VIII et Louis XII font évidemment une confusion entre la citadelle et le château royal. Ce dernier fut, en effet, sous les deux rois que nous venons de nommer, l’objet d’un remaniement et d’un agrandissement considérables.


Nous ne saurions terminer ce chapitre sans dire un mot d’une construction de la même époque et appartenant au même ensemble. Nous voulons parler du portail d’entrée du château.

En sortant de la Tour Ronde par un petit pont-levis, aujourd’hui hors de service, on pouvait suivre dans la direction du nord la ligne des remparts à l’abri d’un chemin de ronde crénelé, jusqu’au château royal situé à l’autre extrémité de l’enceinte. Cette courtine, au pied de laquelle se trouvait un fossé profond, comblé au siècle dernier et transformé en promenade, séparait le château d’avec la ville.

À peu près au milieu de cette ligne de murs, s’élève un solide portail flanqué de deux tours, et qui est comme l’agrafe de cette ceinture.

Son approche était défendue par les fossés et par quatre tourelles dont une a été retrouvée en creusant la fondation d’une maison qui fait l’angle de la rue de la Poterie.

Un pont-levis donnait accès, par une porte en plein cintre, sous une voûte à la clef de laquelle on peut encore distinguer un écusson aux armes de France.

Une poterne, également munie d’un petit pont-levis, servait de passage lorsque la grande porte était fermée ; du côté intérieur, ce passage était en outre fermé par une herse, et par une porte massive dont les énormes gonds sont encore en place ; et quelques pas plus loin, un autre mur, détruit aujourd’hui, multipliait les obstacles.

Lorsqu’on a franchi la voûte, on trouve à gauche la porte d’entrée au-dessus de laquelle, à la hauteur du premier étage, une sorte de mâchicoulis intérieur interdit en cas de besoin l’accès de l’escalier. Cet escalier en spirale dessert les différentes chambres et monte jusqu’à la plate-forme, où deux autres escaliers droits descendent de chaque côté sur les remparts, établissant ainsi une communication continue qui, d’un côté se rattache à la citadelle, et de l’autre au château royal.

À l’étage inférieur, c’est-à-dire dans les soubassements, une casemate communiquant au fossé par des passages souterrains, et complètement isolée des parties hautes du portail, défendait ce fossé sous le pont-levis ; et, en supposant que l’ennemi s’emparât de la porte, une mine placée en cet endroit pouvait faire sauter la tour et les assaillants.

Ces précautions étaient bien justifiées par l’importance de cette partie du rempart. Il n’y a en effet que deux entrées au château : l’une, aujourd’hui supprimée, dans la courtine du sud, en face du donjon, flanquée de deux tours à bec, protégée par le fossé et la contre-escarpe, se trouvant par conséquent au point le mieux défendu. Il était difficile d’y avoir accès, car tous les feux pouvaient se croiser sur ce point.

L’autre est celle dont nous nous occupons. C’est la seule qui existe aujourd’hui. Elle est située au point le plus attaquable, assez mal défendue par les angles rentrants des remparts, et en avant par les maisons de la ville ; aussi, loin de tirer sa force du rempart, c’est elle au contraire qui le protège. Elle fait une forte saillie sur la courtine, s’élevant au-dessus d’elle, et de l’intérieur de ses bastions et du haut de ses créneaux, le canon pouvait balayer à la fois le rempart et le fossé.

L’architecture indique une construction du XVe siècle ; mais il est bien évident que longtemps avant cette époque le château était muni de remparts. Le portail n’a été construit que plus tard et probablement à la place d’une brèche ou d’une autre porte détruite. Nous trouvons en effet dans l’une des chambres de la tour un reste d’arc en ogive encastré dans la construction, et qui est resté la parce qu’on n’a pas voulu se donner la peine de le détruire. C’est le reste d’un ouvrage plus ancien, peut-être d’une porte du XIIIe siècle.

L’intérieur n’offre rien de particulièrement intéressant. Il se compose au rez-de-chaussée de deux casemates, et, au-dessus du pont-levis, d’une vaste salle voûtée et de deux ou trois autres plus petites.

Ce portail servait de corps-de-garde, et aussi de prison, ainsi que le constate un certificat donné lors de la construction de l’Hôtel-de-Ville, en 1517, par Jacques de Renes, lieutenant ordinaire au siège de Loches de M. le bailly de Touraine :

« …… Aussi qu’il n’y a prisons convenables et seures en touttes les prisons qui sont de présent pour les prisonniers et cryminels, fors le portal du chastel de Loches, auquel il n’y a qu’une chambre et deux ou troys petitz cabinete esqueuls on entre par la rue, tellement que communément la nuyt les sarreuzes en sont levées et prisons rompeues et brisées, qui par chaicun an couste grosse somme de deniers au roy nostre seigneur pour les réparations d’icelles, et que puis an encza desdites prisons, pour les causes que dessus, et aussy qu’elles ne sont bonnes ne seures, en sont issuz grant nombre de prisonniers, tant faulx monnoyeurs, meurtriers, larrons, que aultres cryminels, et que led. chastel et lieu fort, auquel le roy notre dict seigneur par son ordonnance faict mectre prisonniers, est le chastel qui est en la charge du cappitaine que led. seigneur y commit, qui ne veult souffrir qu’il y soit mis aulcuns prisonniers, sinon par ordonnance et commandement dud. seigneur. » (Arch. municipales, cote A.)


À défaut de cette pièce les inscriptions dont les murs sont couverts nous indiqueraient assez la présence des prisonniers.

Le long des murs de l’escalier nous lisons d’abord ces vers pleins d’une mélancolique résignation :

Je endure en cet lieu. Ce endurer m’y fault.
Mal endurant ne peut durer.
A bon endureur rien ne lui faut.
Qui veult vivre fault endurer.

Dans une des chambres, on peut lire encore sur le mur ce verset du ps. 145, où la douleur s’exhale comme une malédiction rendue plus solennelle encore par la langue sacrée qui lui sert d’expression :

« Nolite confidem in principibus, neque in filiis hominum, in quibus non est salus. »

Plus loin nous retrouvons le nom d’un prisonnier étranger supportant ainsi le double chagrin de la captivité et de l’exil :

ie rafaelle salvette florentin
ie fu enclos ici pour mon destin.
non pas pour aucun mal fait a personne
espoir en dieu moy la envoe ma bonne
            ensi soit-il. amen.

C’est le même sans doute qui écrivait encore cette touchante prière du captif qui se souvient de la patrie :

i’espoire en dieu et en nostre-dame de lorette
qui me libreront de ceste prison obscvre
que ie les prie afin que trop ie ni demevre
                 amen.

Dans un des cachots, « Pasquier Morin, prisonnier pour la Ligue » a épanché sa bile en une abondante poésie qu’on ne peut lire qu’avec le secours d’une lumière, les fenêtres ayant été mûrées.

Nous en passons un grand nombre, qui sont maintenant illisibles, ou qui offrent peu d’intérêt ; et de celles que nous venons de citer, beaucoup ne peuvent plus se lire aujourd’hui. Le badigeon de 1865 a passé sur les unes ; pour les autres, le frottement des corps étrangers, dans ces escaliers étroits, aura bientôt fait disparaître les dernières traces de l’écriture.

  1. Voir l’Appendice
  2. Voir plus loin la description du cachot de ce prince et les détails de sa captivité.