Histoire financière de la France/Chapitre IX

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CHAPITRE IX.


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Règne de François Ier.


1515 - 1547.


SOMMAIRE


Rivalité de François Ier et de Charles-Quint. - Vénalité des charges et des offices royaux. - Augmentation des emplois, et immunités d’impôts accordées aux titulaires. - Trésoriers de France. - Receveurs généraux. - Confusion, par centralisation, des revenus ordinaires de la couronne avec les impositions extraordinaires destinées aux besoins de l’état, et conséquences de cette mesure. - Trésorier de l'épargne. - Intendant des finances chargé du contrôle. - Trésorier des parties casuelles. - Ordre établi dans la comptabilité des recettes et des dépenses. - Création de nouveaux élus royaux, et de trésoriers et receveurs spéciaux. — Incurie, abus, malversations et fraudes des officiers de finances, nonobstant la peine de mort portée contre le péculat, et l’institution de contrôleurs des aides et des tailles. - Acquits de comptant. - Traité de Madrid. - Assemblée de notables tenue à Cognac, autre à Paris. - Rançon du roi. — Nouvelle guerre pour le Milanais. - Emprunts en rentes perpétuelles et grande crue de la taille pour la formation des légions. - Aides : inventaire des vins; visite dans les caves. - Opérations sur les domaines royaux. - Formalité de l’insinuation, et droit de contrôle des actes établi nonobstant le maintien des droits à la mutation perçus en vertu des coutumes féodales.- Revendication par la couronne du droit sur les mines.- Douanes.— Gabelle; sel d’impôt; monopole.— Soulèvement dans plusieurs provinces privilégiées, à l’occasion des droits sur le sel.- Recherche et fabrication du salpêtre. - Dette publique.- Excès des tailles. - Opinion de Sully sur l’établissement arbitraire des impôts. - Premières remontrances du parlement et lettres de jussion.- Réquisitions pour l’approvisionnement des armées et le transport de l’artillerie.- Logement des troupes et taillon.


Louis XII, malgré sa constante sollicitude pour le bonheur des Français, n’avait pas su résister à l’attrait de la vaine gloire qui avait porté son prédécesseur à faire de l’Italie le théâtre d’une guerre qui dévorait les armées et les trésors du royaume : forcé d’abandonner ses conquêtes après des revers auxquels avait contribué la cupidité des financiers, il tenait sur la frontière une armée prête à envahir des nouveau le Milanais, lorsque la mort l’enleva à l’amour de son peuple.


1515.- François Ier signala son avènement par des largesses auxquelles fournit le droit de confirmation ou de joyeux avènement, dont son prédécesseur avait exempté la France. Apportant sur le trône le goût des lettres et des beaux-arts, dont il fut le protecteur, avec des dispositions au faste et à la magnificence, le jeune roi devait céder facilement à l’esprit du siècle, qu’exaltait en lui une valeur chevaleresque et l'ambition de tous les genres de gloire. La conquête du Milanais fut entreprise la première année de son règne et aussitôt terminée par la sanglante bataille de Marignan, Bientôt après, le roi, en se déclarant le compétiteur de Charles-Quint par des prétentions au trône impérial, allume cette funeste rivalité qui désola l’Europe, causa la dévastation de plusieurs contrées de la France et légua aux générations futures des tributs et des engagements inconnus jusque alors.

L'une des plus abondantes ressources du règne de François Ier après les impôts, et celle dont ce prince usa le plus fréquemment, fut, l’aliénation des emplois publics, non seulement pour les trésoriers, les élus, les receveurs, grenetiers, contrôleurs et autres administrateurs et comptables des finances et des domaines ; mais encore dans tous les degrés de la magistrature, depuis les charges du parlement et-des autres cours souveraines jusqu'aux greffes des bailliages. Lorsque le prix assigné aux charges et aux emplois déjà existants eut été absorbé, on en augmenta de beaucoup le nombre ; les nouveaux offices se vendirent à bureau ouvert ; et aux gages que l'on assurait aux titulaires par addition à l’impôt on réunit l’exemption flatteuse des tailles et des autres droits. Dès lors, l'érection en offices, et moyennant finances, des emplois comptables dont les titulaires avaient été simplement commissionnés et cautionnés, fit de ces places une propriété viagère qui multiplia, au détriment des autres classes de contribuables, le privilège d’immunité, précédemment réservé pour la noblesse, les cours souveraines, l’université et les commensaux du roi[1].

Il n’existait pas jusqu’à ce règne de centre unique des revenus de l’état. Le domaine était administré dans les provinces par des officiers royaux qui avaient le titre de trésoriers de France. Les baillis royaux, les sénéchaux, prévôts et vicomtes, faisaient la recette des revenus et droits domaniaux, qui formaient originairement les deniers ordinaires de la couronne, dont le produit était recueilli, par un changeur du trésor. Les tailles, les aides, et chaque branche des autres impositions composant les deniers extraordinaires, avait ses collecteurs, receveurs ou fermiers, qui tous versaient dans les mains des receveurs généraux, au nombre de six. Chaque. pays d’état avait en outre son trésorier particulier. Le changeur du trésor, ou celui des receveurs généraux qu’il plaisait au roi de choisir, accompagnait ordinairement la cour. Il était chargé d’acquitter les dépenses du gouvernement et les pensions, au moyen des sommes qu’il tirait des généralités, et il disposait par assignations des fonds qui restaient sans emploi dans les recettes générales. En adoptant la vénalité des offices comme une ressource habituelle, François Ier porta à seize le nombre des receveurs généraux. Il charga ces comptables de recueillir indistinctement les produits « tant du domaine que des aides, tailles, équivalents, gabelles, décimes de gens d’église, octrois, contributions des villes, et tous autres deniers d’impositions[2]. » De cette manière disparut la distinction entre les revenus ordinaires appartenant à la couronne, et les revenus extraordinaires qui devaient n’être employés que pour les besoins de l’état. Cette distinction, maintenue jusque alors, n'était plus à la vérité observée que de nom depuis plusieurs règnes. La confusion matérielle qui résulta de son abandon dut avoir pour but secret et eut pour conséquence de faire considérer comme dépendants du domaine royal des impôts qui, dans l’origine ne faisaient pas partie des revenus propres de la couronne. Dès lors la cour du parlement, fidèle en apparence à la mission de conserver les intérêts du domaine, crut pouvoir autoriser par son enregistrement la création et l’extension de ces mêmes impôts sans sortir de ses attributions, dont la sphère se trouvait seulement agrandie par l’effet d’une mesure qui n’était que purement administrative et d'ordre au premier aperçu.


1522.- Avant cette première augmentation du nombre des recettes générales, et afin d’assurer la centralisation des revenus, le roi avait créé une place de trésorier de l’épargne. Les attributions du trésorier consistaient à se faire rendre compte par les receveurs généraux de l'état du recouvrement des impôts, à acquitter les dépenses de la maison du roi, et à faire payer pour son compte la solde des troupes et certaines dépenses exigibles dans les provinces, par des assignations sur les parties libres du revenu qui était affecté à chaque nature de dépenses. L’office du trésorier de l’épargne fut excepté de la vénalité, « afin qu’il pût être en main d’homme expérimenté, loyal, diligent et féable. » Un trésorier ou receveur général des parties casuelles, emploi précédemment inconnu, avait été institué pour recevoir le prix des offices, le produit des emprunts et autres ressources de semblable origine, qui dès lors formèrent les recettes extraordinaires de la couronne. Mais il fut décidé que les fonds des parties casuelles seraient, comme les revenus ordinaires, envoyés en numéraire ou par assignation au trésorier de l’épargne, « afin que sa recette pût être facilement et certainement contrôlée et vérifiée par la dépense portée dans les comptes des receveurs généraux. » Par une disposition que l'on rendit commune à tous les receveurs généraux, on prescrivit au trésorier de l’épargne de tenir deux registres, l’un pour la recette, l’autre pour la dépense ; de plus il devait « à toute heure estre en mesure de montrer le fonds des finances, » de présentera la situation des restes à recouvrer et à payer, et de fournir tous les autres renseignements que le roi pourrait désirer[3].

La partie des revenus ordinaires qui devait rentrer dans l’épargne était connue à l’avance du trésorier, au moyen d’états que lui adressaient les trésoriers de France placés dans les généralités. Ces états indiquaient la somme nette ou revenant bon au trésor, déduction faite des taxations, attributions de gages, rentes et autres dépenses que devaient payer les receveurs généraux. Celles qui s’acquittaient à l’épargne étaient réglées par des cahiers ou rôles arrêtés dans le conseil privé du roi au commencement de l’année. Auprès du trésorier de l’épargne on plaça, comme surveillant de sa gestion, un intendant de finances, qui fut chargé de tenir registre des recettes, et contre-rôle des dépenses. De cette institution utile sortirent, sous le règne suivant, les intendants des finances, qui furent établis dans les provinces ; et, peu après, les sur-intendants d’abord, puis les contrôleurs généraux, qui, sous ce titre, eurent le gouvernement des finances du royaume.

Cette organisation simple, et convenable à la marche et à la régularité des, services de la recette et de la dépense, pouvait, si elle eût été maintenue, conduire à des améliorations, et procurer des économies dans les frais de gestion. Elle ne fut pas long-temps conservée. Uniquement dans la vue de remplacer par de nouvelles finances les fonds que le luxe et la guerre absorbaient la recette des tailles, celle des aides, des gabelles, furent remises à autant de receveurs généraux ou particuliers ; et plusieurs branches de dépenses eurent de nouveaux trésoriers spéciaux.

Le gouvernement et les contribuables ne tardèrent pas à ressentir les funestes effets d’un système qui livrait la répartition, le recouvrement et l’emploi des revenus publics, à l’inexpérience et à l’incurie. Avec les agents se multiplièrent les frais et les infidélités. Bientôt on acquit la preuve que des comptables de tous les degrés détournaient, sous différents prétextes, de fortes parties de fonds qu’ils faisaient valoir à leur profit, et qu’ils couvraient, pendant plusieurs années, ces malversations, en différant la production de leurs comptes. D’autres, plus inhabiles que coupables, laissaient arrièrer le recouvrement de l’impôt, et le trésor, obéré, achetait à gros intérêt des traitants des secours qui souvent provenaient de ses caisses. Au mépris des instructions données par Louis XII, les trésoriers de France et les généraux des finances, moins exacts à remplir les devoirs de leurs charges qu’à toucher leurs taxations, ne se montraient plus dans Les arrondissements qui leur étaient assignés. A leur exemple, les élus royaux se faisaient suppléer par des commis qu’ils envoyaient dans les villages, et négligeaient de recueillir sur les facultés des taillables, sur les ressources des paroisses, les renseignements d’après lesquels devaient être réglées l’assiette et la répartition de l’impôt. De cet oubli des devoirs il résultait que les plus riches taillables étaient le moins imposés, soit parce qu’ils obtenaient l’exemption pour cause d’une noblesse ou d’un privilège qu’ils ne possédaient pas, soit sous d’autres prétextes. Les élus se permettaient encore de nommer des collecteurs des tailles, au lieu de laisser ces agents au choix des habitants responsables, ainsi que l’avaient réglé les ordonnances de Charles V. Enfin, il arrivait que la taille imposée dans une élection excédait la somme demandée[4].

S’autorisant de la nécessité de réprimer ces abus, mais dirigé par l’appât de la finance que procuraient de nouveaux offices, le gouvernement établit dans chaque élection un contrôleur des aides et des tailles ; presque aussitôt aux élus existants il en adjoignit d’autres, en tel nombre qu’il s’en trouva dans tous les bourgs et villages à peine éloignés de six lieues. Des règlements rappelèrent aux trésoriers de France et aux généraux des finances l’obligation où ils étaient de constater leur présence dans les arrondissements par des procès-verbaux qu’ils devaient adresser au conseil. Enfin, une loi soumit à des peines les comptables qui retarderaient la présentation de leurs comptes au-delà des délais fixés, et prononça la peine de mort contre tous magistrats, administrateurs ou receveurs qui se rendraient coupables de péculat. Ces dispositions rigoureuses, les règlements, les nouveaux contrôleurs, moyens plus que suffisants pour une administration ferme et vigilante, élevaient être impuissants sous un gouvernement dont les chefs donnaient l’exemple de l’imprévoyance et de la prodigalité. Mais la création de surveillants aussi inhabiles et non moins infidèles que les autres agents ne contribua pas peu à étendre et à perpétuer des abus que les édits de François Ierannonçaient l’intention de détruire.

On peut placer sous le règne de ce prince libéral l’origine des acquit de comptant, dénomination sous laquelle on désignait dès le XVIe siècle les sommes que le trésorier de l’épargne délivrait sur un simple bon revêtu de la signature du roi. La chambre des comptes, qui était appelée à recevoir la justification et à discuter la validité de tous les autres paiements effectués pour le monarque ou pour l’état, ne dut pas connaître de l’emploi des des sommes données aux rois, qui dans l’origine étaient destinées à leurs dépenses personnelles, et dont eux-mêmes alors déterminaient le montant ainsi qu’on l’a vu au temps de Charles VII. À la faveur de cette exception, la signature des rois, arrachée par la faveur ou l’importunité, servit trop fréquemment dans la suite à couvrir des dons qui furent d’autant plus recherchés que ceux qui les a obtenaient demeuraient inconnus. Ainsi s’établit l’un des usages les plus funestes aux finances, par l’abus qui en fut fait sous les règnes suivants[5].

1526.- Après que François Ier fut sorti de la prison où le retenait Charles-Quint depuis la malheureuse journée de Pavie, il dut s’occuper du moyens de procurer la liberté de ses fils, qu’il remettait à l’empereur comme gages de l’accomplissement du traité qui avait été le prix de sa liberté. Par ce traité, le roi avait promis, entre autres choses, d’abandonner le duché de Bourgogne, le comté de Charolais, et des seigneuries et terres adjacentes; il renonçait à toutes prétentions sur le Milanais, le comté d’Ast et le royaume de Naples; il quittait Charles-Quint de l’hommage dû à la couronne de France pour la Flandre et l’Artois ; il se démettait de tous droits sur les châtelleries de Péronne, Roye, Montdidier, les comtés de Boulogne et de Guignes, le Ponthieu, les places fortes situées sur les deux rives de la Somme, qui par là retournaient à la maison d’Autriche. Enfin, François Ier promettait de payer à l’empereur deux millions d’écus d’or pour sa rançon; d’acquitter au roi d’Angleterre les arrérages, montant à cinq cent mille écus, d’une pension que lui devait Charles-Quint; et, lorsque ce dernier irait prendre la Couronne impériale en Italie, le roi s’engageait à lui fournir des vaisseaux et deux cent mille écus. L'empereur avait fait stipuler de plus que le traité serait ratifié par les états-généraux du royaume, enregistré au parlement, et que, dans le cas où le roi de France ne pourrait en faire exécuter les conditions, il devait dégager sa parole en se constituant de nouveau prisonnier de guerre[6].

1526.— Dans une assemblée de notables que le roi convoqua à Cognac, les députés de la Bourgogne déclarèrent que le roi, quelque puissant qu’il fût d’ailleurs, n’avait pas le droit de les aliéner sans leur aveu, et que, s’il persistait à les abandonner, ils n’obéiraient jamais à un maître qu'ils n’auraient pas choisi. Les autres députés partagèrent les sentiments des Bourguignons et le traité de Madrid fut déclaré nul, comme forcé et fait au préjudice du royaume[7].


1527.- Le roi, s’appuyant.sur cette déclaration de l’assemblée, fortifié d’ailleurs par une alliance avec l’Angleterre et par une ligue qui se formait en Italie contre l’empereur, fit proposer à Charles deux millions d'écus d’or pour la rançon de ses fils. Après avoir entretenu de ces dispositions une nouvelle assemblée de personnages notables des trois états, qui fut réunie à Paris, il conclut en disant : « Ou l’empereur acceptera un dernier offre, et dans ce cas il faut trouver deux millions d’écus d’or, ou il la rejettera, et alors il faut des fonds extraordinaires pour la guerre. Si vous jugez que l’état ne puisse subvenir à cette dépense, il faut ou rendre la Bourgogne, ou que je retourne me constituer prisonnier.... Ecartez de vos délibérations tout ce qui me touche personnellement, et ne consultez que l’intérêt de notre commune patrie, à qui nous devons tous le sacrifice de notre vie et de notre liberté. » L’assemblée s’éleva contre le retour du roi en Espagne. « Sire, dirent les députés, vous n’appartenez pas à vous, mais à vos sujets. Il ne vous est pas libre de disposer de notre bien. Si vous ne pouvez autrement ravoir vos enfants, il faut faire vigoureusement la guerre, et nous sommes prêts à tous les sacrifices qui seront jugés nécessaires. » Le clergé offrit, à titre de don gratuit, une somme de treize cent mille livres; la noblesse, ses biens et sa vie. En faisant les mêmes offres que la noblesse, les députés des parlements demandèrent d’être taxés sans distinction comme le reste des citoyens; et les magistrats de Paris annoncèrent que les bourgeois de la capitale voulaient contribuer à la rançon des fils de France dans une proportion plus forte que les autres villes du royaume[8].


1529.- Les propositions faites à l’empereur ne furent acceptées qu’après de nouvelles hostilités, qui amenèrent la destruction d’une armée française dans le royaume de Naples. Mais, avec les deux millions d’écus d’or, Charles-Quint exigea alors trente mille écus par mois pour faire la guerre aux Vénitiens, qui avaient pris part à la ligue formée contre lui. On eut beaucoup de peine à réunir douze cent quarante mille écus qu’il fallut payer comptant sur le prix de la rançon des jeunes princes, et que trente-deux mulets portèrent jusqu’à Fontarabie. Le complément des deux millions fut converti en une rente au taux de cinq pour cent, hypothéquée sur les domaines du duc de Vendôme dans les Pays-Bas. La contribution de la noblesse, dans la répartition, avait été réglée au dixième du revenu de ses biens[9].


1533.- La paix, dont le royaume épuisé éprouvait un pressant besoin, après tant de sacrifices, ne pouvait être de longue durée entre des princes rivaux, à qui des prétentions réciproques sur le Milanais offraient de nouveaux motifs de discorde. Au renouvellement de la guerre, François Ier, voulant déployer, une force imposante, ordonna la formation d’un corps de cinquante mille hommes organisés en légions. A cet effet, il créa à différentes fois pour soixante mille livres de rentes au denier douze sur l’hôtel-de-ville de Paris, genre de constitution inconnue jusque alors. Par le même motif il augmenta la taille d’un impôt additionnel de même nature, auquel on donna le nom de grande crue.


1534.- On ne voit pas qu’il ait été fait d’augmentation, sous ce règne, à la quotité des droits d’aides; mais, afin d’atteindre les produits que la fraude enlevait au trésor, un règlement autorisa les visites des commis dans les caves; il ordonna qu’il serait fait inventaire des vins, et qu’ils ne pourraient être transportés sans un congé. La création du droit de jauge et de courtage des vins remonte à la même époque.

Peu de rois ont rendu autant d’ordonnances concernant le domaine. S’appuyant, sur le principe de l’inviolabilité de cette ancienne dotation du trône, et sur le serment que lui et ses prédécesseurs avaient fait à leur sacre, François Ier révoqua tous les dons et aliénations antérieurs même à cent ans, et en ordonna la réunion, à la réserve seulement des terres vendues pour le besoin de la guerre. Il fit rechercher les entreprises et les usurpations, accordant aux révélateurs la jouissance d’une partie des biens usurpés et une part dans les amendes prononcées contre les coupables. Mais le but de tant de soins est marqué par les nombreux édits, déclarations et lettres patentes qui, chaque année, portaient concession de rentes ou aliénation de biens du domaine, dans presque toutes les provinces du royaume. Les règnes suivants présentent les mêmes inconséquences dans l’administration des biens de la couronne. Ce qu’un roi avait cédé, aliéné ou donné, même à titre de récompense pour des services rendus à l’état, son successeur en ordonnait à la vérité la recherche et la réunion, mais le domaine y perdait toujours, parce que la protection ou la faveur dispensaient de la restitution. Telle est, à de rares exceptions près, l’histoire du domaine royal sous l'ancienne monarchie; et telle fut l’une des causes de son anéantissement presque total, malgré les ressources qu’il trouva à différentes époques dans les confiscations.


1559. - La formalité de l’insinuation, qui fut confondue dans la suite avec celle du contrôle des actes, et que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’enregístrement, dut son établissement à François Ier. On n’y assujettit alors que les donations de toutes natures, excepté celles à cause de mort; mais, sous le règne de Henri II, elle fut étendue généralement à toutes les dispositions faites par actes entre vifs ou de dernière volonté; et peu après, Henri III y soumit les actes des notaires et ceux des greffiers. L'insinuation, bien qu’elle ait été productive dès son origine pour le domaine royale, ne doit cependant pas être confondue avec les autres innovations fiscales des règnes de François Ier et de son fils. Sous Constantin, les Romains avaient adopté cette formalité comme un moyen de publicité et d’authenticité nécessaires à certains actes en usage dans la société, pour prévenir les fraudes que des débiteurs pratiquaient en disposant de leurs biens au préjudice de leurs créanciers légitimes, ou d’autres personnes intéressées. Son adoption en France eut lieu évidemment dans les mêmes vues, puisque l'enregistrement des actes soumis à l’insinuation fut substitué aux publications qui s’en faisaient précédemment en justice, mais qui, ne laissant pas de traces durables, exposaient les créanciers ou acquéreurs à la mauvaise foi des débiteurs ou vendeurs. Il faut donc considérer l’introduction de l’enregistrement des actes comme un service rendu à la société, et voir dans l’établissement des droits attachés à cette formalité utile le fâcheux effet de la pénurie habituelle du trésor, dont le vide ne fut jamais rempli qu’aux dépens des peuples.

L'adoption d'une taxe légale et uniforme, établie au profit de l’état, à la mutation des propriétés, semblait devoir conduire à l’abolition ou du moins à une modification des droits que la couronne et les seigneurs percevaient en vertu des coutumes féodales, et sous diverses dénominations, sur les biens qui passaient à de nouveaux propriétaires. De ces droits, les plus onéreux étaient ceux de quint et de requint, qui portaient sur les fiefs, et ceux de lods et ventes, que devaient les biens en roture : les premiers étaient du cinquième et du cinquième du cinquième du prix de la vente; les seconds, plus variés dans leur fixation, s’élevaient du treizième au huitième et même au quart. Une réforme à cet égard se liait au plan que la royauté suivait depuis plusieurs siècles de rassembler dans sa main les tributs résultant de la souveraineté, que la féodalité avait usurpés. A la faveur de ce système, le pouvoir unique et légitime avait augmenté ses ressources et ses forces de plusieurs droits généraux que jusque là les peuples supportaient sans utilité pour l’état. C’est ainsi que Charles VII avait interdit aux seigneurs l’imposition de la taille au moment où il la rendait perpétuelle; et que, plus récemment, Louis XI avait prétendu en défendre la levée au duc de Bretagne, dont la province relevait, à la vérité, de la couronne, mais n'y était point encore réunie. François Ier et son fils; moins occupés de l’avenir que de pourvoir aux besoins du moment, n’élevèrent pas la prérogative royale jusqu’à supprimer, pour les recueillir en les modérant, les droits onéreux de mutation perçus par les possesseurs de fiefs, et qui, de même que la taille, ne reposaient que sur des usages introduits par l’autorité arbitraire des feudataires. Ces deux princes, au contraire, firent des règlements sévères pour assurer le recouvrement des droits de quint et de lods et ventes, que les vendeurs s’efforçaient de soustraire en cachant les mutations de propriété. Cependant, à l’égard d’un droit moins productif sur les mines, que les seigneurs ecclésiastiques et séculiers continuaient de s’attribuer dans l’étendue de leur juridiction, François Ier se montra jaloux de réprimer des entreprises contraires aux prééminences de la couronne; par deux édits successifs il confirma une déclaration de Charles VI, renouvelée par Charles VIII, et portant qu’au roi seul appartenait la dixième partie des métaux tirés des mines.


1542.- L'attention du gouvernement de François Ier se porta également sur les douanes. Les mesures dont elles furent l’objet, bien que prises évidemment dans l’intérêt du fisc, portent, à certains égards, l’empreinte du progrès des lumières, qui, en se propageant dans le seizième siècle, répandaient leur influence jusque sur la régie et la perception des impôts.

Les droits à la sortie connus sous les noms d'imposition foraine, de rêve et de haut passage, qui existaient sur les objets de commerce destinés tant à ’étranger qu’aux provinces de France exemptes d’aides, s’établissaient d’après l’évaluation donnée aux marchandises ou denrées, et le paiement devait s’en effectuer dans les lieux de départ. Ce mode, qui assujettissait à des formalités gênantes et à des avances, livrait en outre les marchands à l’arbitraire de fermiers cupides, et donnait lieu à des difficultés et à des vexations que le commerce évitait souvent, ainsi que le paiement des droits, en prenant des routes éloignées des bureaux de péages.

On décida que les marchandises et tous les autres objets sujets aux droits seraient estimés contradictoirement par une commission composée de marchands et d’officiers royaux; en suite de cette appréciation, les droits à payer pour chaque objet furent fixés dans un tarif général, et la perception, confiée jusque alors à des fermiers, dut se faite par des officiers royaux. Il fut prescrit en même temps à ces comptables de tenir journal de leurs recettes, de délivrer quittances des sommes payées, et de remettre les congés et les autres expéditions nécessaires, moyennant une rétribution, qui fut fixée à douze deniers tournois[10].

Les droits à l’importation n’étaient encore connus en France que sur les draps de soie venant d’Italie : pour la première fois, on en fit l’application à d’autres marchandises tirées de l’étranger. Les épiceries, les drogueries furent taxées par un tarif à quatre pour cent ; et l’entrée, quitta avait été permise par tous les ports et havres du royaume, fut restreinte à quelques uns qu’on désigna, afin d’assurer la perception.

Les draps, les autres étoffes et tissus d’or, d’argent et de soie, venant d’Italie ou d’Espagne, durent être conduits à la douane de Lyon, pour y payer les droits, après vérification. On taxa les ouvrages des manufactures de Gênes, indépendamment du droit ordinaire, à deux écus par pièce de velours, et pour les autres étoffes en proportion. En adoptant cette dernière disposition, dans laquelle il est permis de voir aussi bien l’expression du mécontentement qu’inspirait la conduite des Génois révoltés que l’intention de favoriser la fabrication française, ou taxait la matière première des tissus, telle que les soies teintes et cuites venant de l’étranger. Cette taxe pouvait être un encouragement offert à la préparation de la soie, dans un temps où la plantation du mûrier, introduite en France par Louis XI, languissait dans les environs de Tours ; mais plus probablement le droit sur les soies importées fut adopté dans la vue de compenser pour le trésor la perte résultant de l’aliénation des droits de foraine de Lyon, que François Ier avait précédemment engagés à cette ville, et dont elle jouissait encore à la fin du siècle dernier. Une autre interprétation serait trop favorable à une administration qui, dans ses tarifs, comprit de nouveau les vins de France, que Charles-le-Sage avait exceptés des droits à la sortie[11].

On ignore si ces divers changements dans la quotité, la régie et la perception des droits de douane, furent avantageux au commerce ; mais ils eurent les résultats les plus profitables pour le fisc, puisque les produits, qui n’étaient affermés précédemment que six à sept mille livres, s’élevèrent à cent mille écus : le but principal était atteint.

La diversité des mesures dont le sel fut l’objet sous ce règne prouve que toute autre considération cédait au besoin toujours croissant de lever des tributs en proportion des dépenses, qu’augmentaient sans cesse les frais d’une guerre opiniâtre et les prodigalités de la cour.

Une première ordonnance, applicable aux provinces où la consommation du sel était réglée par impôt, avait prescrit les mesures propres à atteindre tous les redevables du droit. Elle enjoignait aux grenetiers et contrôleurs de tenir registre, séparément par paroisse, des habitants qui viendraient prendre du sel ; d’envoyer au commencement de l’année, aussi dans chaque paroisse, le mandement de la quantité de sel à prendre ; de faire établir les rôles par des collecteurs au choix des habitants, et rétribués comme ceux des tailles, et de rapprocher ces rôles de ceux des taillables. Si, par ce rapprochement, les préposés à la gabelle découvraient qu’un habitant, de quelque état, qualité ou condition qu’il fût, n’eût pas pris de sel, ou qu’il n'en eût pas levé la quantité affectée à sa consommation, en raison de ses facultés et du nombre de personnes composant son ménage, ils devaient le condamner, « à la restitution du droit de gabelle et à telle amende et autre peine qu’ils aviseroient bon être. »

On assujettit ensuite les marchands à fournir caution pour les sels qu’ils enlevaient des salines, et à justifier de la remise des quantités dans les greniers royaux, sous peine d’acquitter les taxes sur ce qui manquait. Au moment de la vente, le droit était perçu par les officiers du grenier sur l’acquéreur, et celui-ci payait le prix de la denrée au vendeur. Cette législation, assujettissante et rigoureuse pour le consommateur, qu’elle mettait en relation avec les officiers du fisc, laissait du moins le commerce du sel libre pour les marchands, sous la formalité de ce que nous nommons acquit-à-caution. Elle devait offrir des garanties suffisantes contre les entreprises frauduleuses. Mais, dans l’intention évidente de substituer le monopole général à cet ordre de choses, on allégua l’insuffisance des nouveaux règlements « pour arrêter la fraude et les malversations commises au détriment de la gabelle, et à la grande charge et foule du peuple ; » puis le roi fit mettre sous la main de commissaires envoyés à cet effet tout le sel existant sur les marais salants du Languedoc, de la Guyenne et de la Bretagne; et, flattant le peuple de l'espoir trompeur d’une diminution dans les tailles, il ordonna que l’acquittement du droit de gabelle s’effectuerait par l’acheteur à l’enlèvement du sel des marais salants, entre les mains des receveurs établis sur les lieux. L’acheteur, muni des preuves du paiement, pouvait transporter et vendre le sel partout où bon lui semblait. Les droits furent portés à quarante-cinq livres tournois par muid pour les sels destinés à l’approvisionnement des pays sujets à la gabelle. Dans cette fixation était comprise une crue de quinze livres établie précédemment pour le paiement des gages des cours souveraines[12].


1542.- La nouvelle forme de régie et de perception entraînait à la vérité la suppression des greniers à sel et des différents officiers qui y avaient été placés, mais elle exigeait sur les marais une multitude d’agents dont les gages enlevaient une forte partie des produits. D’un autre côté, par suite des privilèges et des immunités que certains provinces possédaient en vertu de rachats ou de traités que le gouvernement n’avait pas osé d’abord enfreindre, dans la Guyenne, la Bretagne, le Poitou, la Saintonge et le Roussillon, les sels restaient soumis à des droits variés, mais beaucoup plus modérés que ceux des pays de gabelle. Cette diversité de condition fut considérée, non sans raison, comme la source des fraudes et des abus qui se commettaient. Afin donc d’établir l'uniformité du droit, et autant dans la vue d’obtenir une compensation avantageuse au fisc, un nouveau règlement établit sur tout le sel qui serait livré à titre de vente, troque ou échange, dans tous les marais du royaume, à quelque personne que ce fût, sujets ou autres, sans exception, un droit uniforme de vingt-quatre livres tournois par muid, payable à l’enlèvement par le vendeur. Cette mesure, qui détruisait des privilèges achetés ou garantis par des traités, portait de plus une atteinte funeste à la pêche nationale et à l’exportation des sels, en confondant ces deux branches de commerce avec les consommations du royaume. Le règlement excita des plaintes d’abord, puis des troubles. Les habitants de l’Aunis, du Poitou, de la Saintonge, refusèrent de se soumettre au droit et se révoltèrent contre les percepteurs; La Rochelle, Bordeaux, et la plupart des villes qui bordent la Garonne et la Dordogne, suivirent cet exemple. La présence du roi, arrivant du Roussillon à la tête de son armée (1543), étouffa la révolte, qui se propageait d’une manière alarmante ; mais il fut obligé de modifier les mesures qu’il avait adoptées. Il affranchit du droit les sels destinés à l’exportation et aux salaisons de la pêche; la taxe pour ces deux destinations se réduisit là vingt sous par muid, payables l’enlèvement du marais par le propriétaire. Le droit de gabelle fut porté de nouveau à quarante-cinq livres; les greniers se rétablirent; et l’on en plaça même en Guyenne et dans les autres provinces où il n’en existait pas précédemment[13].

Les provinces de Languedoc, de Provence et de Dauphiné, se sont pas comprises dans l'ordonnance qui règle ces dispositions : elles conserveront, à l’égard des gabelles, un régime modéré. Il est à présumer que cette distinction fut le résultat de quelque arrangement, dont l’argent comptant fut l’intermédiaire, comme on le verra, sous le règne suivant, pour d’autres parties du royaume.

La Bretagne continua de jouir, pour les sels destinés à la consommation de ses habitants, du privilège d’exemption que lui garantissaient les traités qui avaient précédé ou suivi sa réunion définitive à la couronne.

Le droit en faveur du fisc n’était pas le seul qui existât sur le sel. Au nombre des coutumes imaginées par la fiscalité féodale était celle que les possesseurs de domaines situés sur les bords de fleuves ou de rivières avaient établie, de prélever un droit en nature sur les sels qui se transportaient dans l’intérieur du royaume. Ces péages onéreux occasion aient encore d’autres dommages par les séjours et les difficultés auxquels donnait lieu la perception : il eût été juste de supprimer ces taxes particulières, non moins nuisibles au commerce que préjudiciables à l'amélioration des droits perçus au profit de la couronne, et dont l’établissement aurait dû faire disparaître les autres. Le roi ni entreprit point cette amélioration; toutefois, dans la vue de satisfaire aux plaintes des marchands, il essaya de modifier les inconvénients de la perception, en substituant un péage en argent à la perception du sel en nature; mais les évaluations ne furent que partielles et fixées d’une manière provisoire : en sorte que la mesure, quoique confirmée et généralisée sous les règnes suivants, même par Louis XIV, ne fut cependant pas exécutée complétement; et, sur quelques points du royaume, le droit en essence de sel se percevait encore à la fin du XVIIIe siècle.


1543.- Le salpêtre était devenu un objet d’approvisionnement indispensable aux gouvernements de l’Europe depuis que l’usage de la poudre à canon avait été adopté généralement. Déjà, du temps de François Ier, des particuliers se livraient à la formation de cette matière première, dont la consommation augmenta considérablement à cette époque, en raison des guerres continuelles et de l’emploi récent de la mine comme moyen d’attaque des places fortes. L’idée de développer ce genre d’industrie, en le favorisant, ne se présenta pas, et le monopole de la fabrication fut adopté comme le seul moyen de se procurer les quantités de salpêtre nécessaires. Un règlement défendit, « sous peine de la hart, » à tout marchand d’acheter le salpêtre au-dessus du prix fixé par le gouvernement. Une espèce de régie, composée de trois trésoriers en charge, et de trois cents ouvriers commissionnés, tous exempts d’impôts, eut le privilège de rechercher les matières salpêtrées, dans les maisons, caves, celliers, cavernes et rochers des particuliers. Ceux-ci étaient en outre tenus de se procurer et de fournir les cuves, cuviers, chaudières et autres ustensiles nécessaires à la fabrication, ainsi que les chevaux et harnais propres aux transports. Les salpêtriers devaient payer le tout « raisonnablement, hormis les terres, fumiers et autres matières salpêtrées, qu’il leur étoit permis de prendre et enlever franchement et quittement. » On retrouvera à la fin du dix-huitième siècle ce même régime, avec tous les abus et les vexations qu’il devait engendrer[14].

Malgré les divers expédients qu’il a fallu décrire, les opérations militaires languirent plusieurs fois par le manque de fonds. Car le luxe du monarque, de sa maîtresse, de ses favoris, dissipait en fêtes non moins coûteuses que l’entretien des armées une partie des ressources que la fiscalité enlevait à la population. François Ier avait puisé sans ménagement à toutes les sources financières que ses devanciers avaient connues, et il en avait ouvert de nouvelles dans les emprunts en rentes perpétuelles à gros intérêts, dans la vénalité et la multiplicité des offices, dans la création de gages et d’attributions pécuniaires qui accumulèrent les impôts sans utilité pour l’état, et dont la perception, abandonnée par la suite aux intéressés, livra le peuple à des concussions incalculables. A la création de nouveaux impôts, à l’élévation démesurée de ceux qui existaient avant ce règne, s'étaient réunies les décimes sur le clergé obtenues par suite d’un concordat avec Léon X, et des levées abondantes de décimes pour une croisade que le pape avait publiée contre le sultan Sélim, et qui n’eut pas lieu. A la suite de tant de sacrifices, la France épuisée vit ses provinces dévastées, sa capitale menacée par deux armées étrangères, que commandaient l’empereur et le roi d’Angleterre; et, après vingt-huit années de guerres, François Ier, pour obtenir l’éloignement de Charles-Quint (1544), déclara une seconde fois qu’il abandonnait toute prétention au royaume de Naples et au Milanais. Deux années plus tard (1546), il acheta la paix de Henri VIII au prix de huit cent mille écus d’or payables en huit années, en laissant aux Anglais la ville de Boulogne, qui devait être rendue après le dernier terme de paiement. Le monarque anglais devait recevoir de plus une pension viagère de cent mille écus; mais sa mort délivra la France de cette dette[15].


1547.- François Ier lui-même ne survécut que quelques mois à ce dernier traité. Il est donc peu vraisemblable qu’il ait laissé quatre cent mille écus d’or dans ses coffres; ou bien cette somme n’était, suivant toutes les apparences, que le reste d’un emprunt de six millions huit cent mille livres qui, dans la même année, avait été négocié en foire de Lyon[16].

On évalue la dette perpétuelle que François Ier légua aux règnes futurs à soixante-quinze mille livres, montant des constitutions que le premier de nos rois établit sur l’hôtel-de-ville de Paris. Ces rentes étaient indépendantes de celles qui résultaient d’emprunts et de gages affectés sur des branches de revenus, et que les receveurs ou fermiers acquittaient en déduction des versements à faire à l’épargne. Bien de précis n’a pu être recueilli en ce qui concerne et ce genre de dette, et le montant brut des divers impôts existants sous ce règne. On sait seulement que les tailles furent portées à près de seize millions, somme de huit fois supérieure à la fixation qu’elles avaient reçue, moins d’un siècle auparavant, par Charles VII : progression alarmante, puisqu’elle était hors de toute proportion avec l’augmentation de territoire et l'affaiblissement de valeur que les monnaies avaient éprouvés dans leur échange, par l'effet de la découverte de l’Amérique, qui datait à peine d’un demi-siècle. Cette masse d’impôts, qui pesait uniquement sur l’agriculture, fut une des calamités de ce règne. « Mais qui pis fut encore, François Ier laissa en instruction et en pratique à ses successeurs de ne requérir plus le consentement des peuples pour obtenir des secours et des assistances d’eux; ains de les ordonner de pleine puissance et autorité royale, sans allëguer autre cause ni raison que celle de tel est notre bon plaisir.[17] » Cet usage toutefois ne s’introduisit pas sans quelque opposition de la part du parlement. Il la manifesta d’abord dans des remontrances respectueuses, auxquelles le monarque répondait par des lettres de jussion. Le parlement cédait, en usant de cette formule : Lu, publié et enregistré du très exprès commandement du roi. »

Les impôts qui étaient perçus pour le compte de l’état, les droits en argent ou en nature, et les servitudes manuelles que l’Église et les possesseurs de fiefs exigeaient, ne composaient pas encore tous les tributs demandés à l’agriculture : d’autres prestations lui furent imposées à cette époque par l'effet du développement que prit le service militaire.

Au milieu du XVIe siècle, il n’existait pas encore d'administration chargée de se procurer, au moyen d’approvisionnements faits à l’avance, les vivres et autres fournitures nécessaires à la nourriture des troupes. On ne connut que plus tard les munitionnaires, nouvelle espèce de traitants qui, peu confiants dans le gouvernement, ne firent de livraison qu’après avoir touché de forts acomptes, et sous la garantie de villes ou de provinces. Du temps de François Ier, lorsqu’un corps d’armée devait se mettre en marche, le conseil du roi expédiait aux magistrats dans les provinces l’ordre de lever des grains et du vin sur les villes et paroisses circonvoisines du lieu de passage, et de faire manutentionner et transporter ces approvisionnements. L’emploi de cette formule : « Lesdites munitions seront remboursées quand l’occasion se présentera, » signifiait que les propriétaires couraient le risque de ne recevoir le prix de leurs denrées que lorsque le trésor se trouverait dans la surabondance, ce qui arrivait rarement. Lorsque, par exception, les fournitures devaient être payées, après que la chambre des comptes en avait opéré la liquidation, au vu des reçus qui lui étaient adressés par les commis aux vivres de l'armée, des députés élus par les villes et paroisses intéressées venaient solliciter du conseil du roi un mandement d’imposition pour la somme principale, augmentée des dépenses accessoires et des frais de voyage. La répartition et le recouvrement s’opéraient comme pour les tailles.

Les mêmes formes s’observaient pour le paiement des chevaux d’artillerie et de l’équipement des compagnies de pionniers et de charpentiers. Sous ce règne encore, dans les mouvements de troupes, les soldats, logés chez les particuliers, y vivaient à discrétion, et enlevaient ou détruisaient leur départ le linge et les ustensiles de ménage qui leur avaient été fournis. L’intention de réprimer ce désordre servit, sous le règne suivant, de motif pour élever la taille de douze cent mille livres. Cet impôt additionnel reçut le nom de taillon, Les troupes eurent en effet une augmentation de solde; et il leur fut défendu, sous les peines les plus sévères, de rien exiger pour leur nourriture ou pour celle de leurs chevaux, à moins que ce ne fût en payant; du consentement de leurs hôtes. Mais les troubles qui survinrent ne permirent pas d’assurer l’exécution de ce règlement; les campagnes ne furent plus à l'abri des rapines et de la brutalité des soldats. Pourtant elles supportèrent le taillon et d’autres augmentations des tailles : « car, dit l’historien Mézerai, les impôts ne cessent d’en produire d’autres, et ne meurent jamais[18]. »


  1. Mercure françois, année 1614.- Mémoires sur les impositions, par Moreau de Beaumont, t. 4, p. 371, et t. 3, p. 250, 259, etc.- Œuvres de Pasquier, t. 1, p. 405, A, et t. 2, p. 423, B.
  2. Le Guydon général des finances.— Moreau de Beaumont t. 2, p. 15.
  3. Ordon. du 26 janvier 1520, du .... 1522, du 17 janvier 1543, et d’avril 1545.
  4. Préambules et articles de deux ordonnances du 1er mars 1545.- Ordon. de mars 1543, de janvier 1543. — Le Guydon général des finances.
  5. Le Guydon général des finances, p. 334, 235, 417.
  6. Corps universel diplomatique, par Dumont, t. 4, p. 399 et suiv.
  7. Mézerai, Anquetil, etc.
  8. Corps universel diplomatique, t. 4, p. 496 et suiv. - Mézerai.- Anquetil.
  9. Le Secret des finances, première partie, p. 379.- Mézerai. Anquetil.
  10. Ordon. de Fontanon, t. 2, p. 452 à 468.
  11. Le Guydon général des finances, t. 3, p. 370. — Moreau de Beaumont, t. 3, p. 357, 370 et 400.
  12. Moreau de Beaumont, t. 3, p. 70. Comptes de Mallet, p. 12 et 172. - Le Guydon général des finances, p. 508.
  13. Recueil de Fontanon, it. 2, p. 1039. -Mézerai. - Boulainvilliers.- Anquetil.
  14. Ordon. du 13 février 1543.
  15. Œuvres de Pasquier, t. 2, p. 607 et 608, A. — Corps universel diplomatique de Dumont. - Mézerai. - Anquetil.
  16. Recherches et considérations sur les finances, par Forbonnais, t. 1, p. 25.
  17. Économies royales de Sully, édit. de 1725, t. 8, p. 455.
  18. Le Guydon, général des finances, p. 226. - Moreau de Beaumont, t.2, p.8, et t.3, p.260. — Le Secret des finances par Fromanteau.