Inauguration de La Walhalla

La bibliothèque libre.



INAUGURATION
DE
LA WALHALLA.

À MONSIEUR CH. MAGNIN.

Munich, 23 octobre 1842.

S’il est un monument qui, par sa nature et sa destination, mérite d’exciter l’intérêt de l’Allemagne et la curiosité de l’Europe, c’est à coup sûr la Walhalla, dont l’inauguration avait été annoncée pour le 18 de ce mois. J’étais parti, comme vous savez, dans l’intention d’y assister ; mais je dus bientôt changer de projet, en songeant à l’anniversaire qui avait été choisi pour cette solennité. En fixant au 18 octobre, date de la bataille de Leipzig, la consécration d’un monument qui doit servir de panthéon national à toutes les illustrations germaniques, le prince qui en a conçu l’idée a voulu en rattacher l’existence à un événement militaire qui, par la chute de l’empire de Napoléon, ouvrit l’ère des nouvelles destinées politiques de l’Allemagne. Rien de plus légitime, assurément, que de célébrer par des monumens une époque d’affranchissement, que d’exalter de toute manière dans l’esprit des peuples le sentiment de leur nationalité et la passion de leur indépendance. Cependant l’Allemagne, assise aujourd’hui dans sa force et dans sa sécurité, tendant à l’unité par le progrès des idées et par le lien des intérêts, bien que livrée encore à la division sous le rapport des croyances religieuses et des doctrines philosophiques ; l’Allemagne, aussi peu inquiète de ses propres destinées que jalouse de troubler celles des autres états, semble ne pas éprouver au même degré que ses princes ce besoin d’émotions politiques rattachées à des temps déjà bien loin de nous, et à des évènemens sur lesquels l’histoire n’a pas encore prononcé son irrécusable jugement. D’après ce que j’ai pu observer de l’Allemagne en la traversant jusqu’ici, le besoin qui se fait le plus profondément sentir à cette nation si éclairée, si intelligente et si honnête, c’est celui du progrès intellectuel, qui marche d’accord avec le progrès politique ; mais ce besoin, pour être satisfait, a besoin de la paix, de celle des esprits et des cœurs, comme de celle des affaires, et les anniversaires qui semblent moins un sujet de triomphe pour un peuple qu’une menace pour un autre, ne sont pas ceux auxquels se porte l’Allemagne entière avec tous ses souvenirs du passé et toutes ses convictions du présent. J’avais vu le 18 octobre célébré à Francfort, ville libre, par une revue de la garnison et de la garde civique, sans autre intérêt que celui qui s’attache, parmi nous aussi, à une parade officielle. Si je me fusse trouvé le même jour à Ratisbone, j’aurais vu le même anniversaire fêté à l’ouverture de la Walhalla par une manifestation d’un autre genre, où le vrai patriotisme allemand aurait pris tout aussi peu de part ; mais, Français en Allemagne, je ne pouvais oublier que le 18 octobre est inscrit comme un jour de deuil dans les fastes de mon pays, et j’aurais cru, en assistant à une fête célébrée ce jour-là, m’associer à des sentimens hostiles qu’il ne mérite pas, et qu’en tout cas il a cessé de provoquer.

J’arrivai donc à Ratisbone le 20, précisément le surlendemain du jour où l’inauguration de la Walhalla avait été faite par le roi de Bavière, avec bien moins d’éclat qu’on n’avait dû s’y attendre. Pour qui connaît la destination de cet édifice et le luxe à la fois royal et patriotique employé à sa décoration, il était naturel de penser que la consécration d’un pareil monument serait célébrée avec une pompe extraordinaire, et que son fondateur voudrait y mettre en présence des renommées antiques toutes les illustrations contemporaines. On devait donc croire, et j’avoue que j’étais parti moi-même avec cette idée, que l’Allemagne actuelle se trouverait représentée, dans ce grand panthéon germanique, par tout ce qui honore aujourd’hui sa puissance, son savoir et son génie. Je m’attendais à y voir ses plus célèbres professeurs pêle-mêle avec ses premiers hommes d’état, ses écrivains et ses artistes avec ses souverains et ses ministres ; en un mot, tout ce qui tient le sceptre de la pensée, dans les universités comme dans les cours, réuni et confondu sous les voûtes de la Walhalla, au sein d’un même sentiment, la gloire de la patrie commune. Cependant rien de tout cela n’avait eu lieu. L’inauguration de la Walhalla s’était faite entre un petit nombre de témoins, et pour ainsi dire en famille, avec le roi et ses parens pour uniques acteurs, avec quelques diplomates pour tous assistans ; et le récit de cette fête, qui méritait d’être célébrée en présence de l’Allemagne entière, se réduit à ce peu de détails que j’ai recueillis moi-même sur les lieux.

Plusieurs jours avant celui qui avait été fixé pour la solennité, tout ce que les forêts voisines de Ratisbone pouvaient fournir de feuillage encore vert avait été employé à décorer de guirlandes la façade des maisons de l’antique cité, à ériger des arcs de triomphe et des salles de verdure sur toute la route que devait parcourir le cortége royal. Le jour venu, et il semblait que ce jour-là le soleil eût voulu s’associer à cette fête de la gloire et du génie, car jamais il n’avait brillé de plus d’éclat ni versé plus de lumière sur une scène plus magnifique ; le jour venu, le roi de Bavière, suivi des princes de sa famille, de ses ministres et des personnes de sa maison, s’était mis en route pour la Walhalla, construite sur une colline escarpée, à près de trois milles de Ratisbone. Parvenu au pied de l’éminence, le monarque fut salué par une troupe de jeunes filles, aux figures fraîches et vermeilles, aux yeux bleus et aux blonds cheveux, portant des fleurs et des couronnes, et représentant les villes bavaroises dans leur costume national. Ce fut là sans doute le moment le plus intéressant de la fête, si j’en juge d’après l’impression qu’il avait produite sur ceux des assistans que l’étiquette n’avait pu écarter, ou que l’air des cours n’avait pu gagner. C’est au milieu de ce cortége, si propre à rendre sensibles des images de vie, de grace et de bonheur, qui s’allient si bien aux souvenirs de la gloire, que le monarque, s’élevant d’étage en étage jusqu’à la dernière terrasse, et découvrant à chaque pas un nouveau point de vue dans un horizon immense, arriva devant la porte du temple, où il lui fallut subir une de ces harangues officielles dont le seul mérite, ou, si vous l’aimez mieux, le seul défaut, est de n’avoir d’autre pensée que celle du prince. Les portes de la Walhalla, restées fermées jusqu’à ce moment, s’ouvrirent alors, et ce fut pour le petit nombre de ceux qui y entrèrent à la suite du roi un spectacle nouveau et imprévu que celui de ce temple, si éblouissant de marbres et de dorures, si rempli de monumens d’art et d’images de gloire, se découvrant tout d’un coup dans toute sa magnificence, relevée de l’éclat d’un si beau jour. On m’a assuré, et je le crois sans peine, que le saisissement de ces courtisans, surpris de se trouver en présence de tant de grands hommes dont les bustes peuplent cette enceinte auguste, fut d’abord extrême ; des larmes involontaires humectèrent tous les yeux ; le roi lui-même parut attendri et étonné de son ouvrage, et un long murmure d’admiration fut le premier hommage qui répondit à sa pensée, encore mieux qu’il ne s’adressait à sa présence.

J’ai pu regretter d’avoir été privé du spectacle de ces émotions royales ; mais ce qu’il m’a été donné de voir avait bien aussi son mérite. Quand j’arrivai deux jours après à la Walhalla, la scène avait complètement changé. Les nobles acteurs s’étaient retirés, la foule dorée avait disparu ; le soleil lui-même, caché derrière un voile épais de vapeurs humides, n’éclairait plus le paysage que d’un jour sombre et mélancolique. Cependant le peuple couvrait en longues files d’hommes et de femmes, d’enfans et de vieillards, les chemins qui mènent à la Walhalla, et tous ces honnêtes Allemands, parés comme pour un jour de fête, les uns entassés sous le portique du temple, d’autres debout et muets sur le seuil, tous contemplant avec un sentiment d’admiration naïve tant de richesse employée pour loger quelques bustes d’hommes nés comme eux du peuple et ayant vécu de la vie du peuple, formaient un spectacle qui n’était pas non plus sans instruction ni sans intérêt. J’ose dire même que, si cette première impression se soutient et se prolonge, ce sera là le plus digne résultat de ce monument et la plus noble satisfaction qu’en puisse retirer son auteur. Les monumens qui parlent au cœur des peuples, qui portent à leur intelligence des images de gloire et de patriotisme par les formes de l’art jointes aux ressources de la puissance, ne sont pas en effet aussi dépourvus d’utilité qu’on le pense. Il y a dans l’homme, tout matériel qu’on le suppose ou qu’on s’efforce de le rendre, quelque chose de moral qu’on ne saurait satisfaire uniquement avec du fer, du charbon et de la vapeur ; et dans ce siècle tout industriel, la Walhalla, qui n’est en réalité qu’une œuvre d’art, peut devenir aussi productive en son genre, que si c’était une ligne ou un réseau de chemins de fer.

Vous serez donc curieux de connaître ce monument, qui peut exercer, sur la destinée de toute une nation, cette sorte d’influence morale qui résulte des monumens de l’art, et qui devient d’autant plus nécessaire à la société, qu’elle tend à se réduire au seul enseignement de ses institutions si mobiles, à la seule action de ses industries si variables. À cet égard, je me crois en mesure de satisfaire votre curiosité, car j’ai passé toute une journée à étudier la Walhalla dans son ensemble et dans ses détails, et, en l’observant, comme je l’ai fait, presque seul à l’intérieur du monument, dont une foule d’habitans des campagnes assiégeaient le seuil sans qu’on leur en permît l’entrée, j’ai pu me livrer à mes impressions bien plus librement que si je m’étais trouvé dans un cortége royal.

Tout le monde s’accorde à dire que la pensée d’ériger aux grands hommes de la Germanie un temple sous le nom de Walhalla, emprunté, comme vous le savez, à la mythologie du Nord, que cette pensée, certainement très digne d’un grand prince, appartient au roi Louis de Bavière et qu’elle lui fut inspirée à un âge où il est bien rare que les princes aient des idées aussi sérieuses. Ce fut en 1806, à une époque où l’Allemagne, épuisée par de nombreux revers et affaiblie dans tous ses membres, semblait avoir perdu jusqu’au sentiment de son indépendance, que le jeune Louis de Bavière, alors âgé de vingt ans, conçut le projet de consacrer à tous les grands souvenirs de sa nation un monument qui pût devenir, en des temps plus heureux, un sanctuaire de patriotisme et d’honneur. C’est en lisant l’histoire de Jean de Müller que le futur monarque de la Bavière avait eu cette inspiration mâle et forte comme le génie de ce grand écrivain ; et le buste de Jean de Müller, demandé dès cette époque à un habile sculpteur, fut le premier ornement projeté pour ce temple, qui n’existait encore que dans l’imagination d’un prince de vingt ans. Le monument une fois conçu demeura l’idée fixe du jeune héritier de la maison de Wittelsbach, à travers toutes les vicissitudes politiques que subit l’Allemagne et la Bavière elle-même, dans l’intervalle de 1807 à 1814. Des bustes de grands hommes de l’Allemagne continuèrent d’être exécutés par des sculpteurs allemands pour l’ornement de ce temple en perspective, qui ne pouvait s’élever qu’au sein de l’Allemagne rendue tout entière à son propre génie et rétablie dans toute son indépendance. Ce moment était arrivé en 1814, et dès cette année un programme, arrêté par Louis de Bavière lui-même invita tous les architectes allemands à concourir pour l’érection d’un monument auquel s’attachaient dès-lors tant de souvenirs et tant d’espérances.

Ce programme, que j’ai sous les yeux, et qui semblait devoir exciter une noble émulation entre tant d’artistes, jaloux de s’associer à une pensée généreuse, ne produisit cependant aucun résultat ; ce ne fut qu’en 1821 qu’un architecte, déjà célèbre en Allemagne et formé en France à l’école de Ch. Percier, M. Léon de Klenze, soumit au prince Louis un projet qui obtint son approbation, et dont l’exécution fut dès-lors arrêtée.

Il fallait d’abord choisir la place où devrait s’élever la Walhalla. L’idée du prince s’était depuis long-temps fixée sur les environs de Ratisbone, cette antique cité de la Bavière, qui, par son illustration impériale, par la douceur de son climat, par sa situation sur le principal fleuve de la Germanie, le Danube, dans une plaine bornée d’un côté par une chaîne de collines, ouverte de l’autre jusqu’aux Alpes du Tyrol, semblait le mieux répondre en effet à toutes les conditions d’un pareil monument. C’est dans cette idée et muni des instructions du prince que l’architecte, accompagné d’officiers du génie, parcourut, au printemps de 1826, tout le pays voisin de Ratisbone, sur la rive gauche du Danube, pour y découvrir l’emplacement souhaité. Le choix se fixa enfin sur une éminence escarpée, que sa forme presque conique rendait propre à servir de base au monument projeté, et du sommet de laquelle se découvre un horizon immense, borné à l’ouest par les monts pittoresques d’Abach et de Kelheim, à l’est par les fertiles plaines où coule le Danube, au nord par un enchaînement de collines boisées qui s’étendent jusqu’aux vastes forêts de la Bohême, et au midi par la chaîne lointaine des Alpes bavaroises, tandis que, sur une hauteur voisine, les ruines romantiques du vieux château de Donaustauf, détruit durant la guerre de trente ans, évoquent dans ce mâle paysage un souvenir historique digne d’être associé à ceux de la Walhalla. La colline choisie pour recevoir sur son sommet ce panthéon germanique fut dès lors taillée sur ses pentes et aplanie à son faîte, de manière à répondre à cette destination, et les carrières de Salzbourg, d’Adnet, de Schlanders, d’Eichstœdt et d’autres localités bavaroises, la plupart éloignées de plus de trente lieues du siége de ces travaux, fournirent les blocs de marbre colorés qui devaient servir exclusivement, à l’intérieur, à la décoration de la Walhalla. Telles furent les dispositions, longuement et sagement méditées, par lesquelles on préluda à la construction de l’édifice. Cependant, tout ce que l’Allemagne renferme d’habiles statuaires était occupé à sculpter les bustes et les statues en marbre blanc, et un seul de ces statuaires, Martin de Wagner, qui avait reçu pour sa part un immense bas-relief de deux cent vingt-quatre pieds de développement, faisait exécuter à Rome, sous ses yeux et par ses élèves, ce bas-relief où devait se résumer toute l’histoire politique, morale et religieuse de la Germanie, et qui était destiné à orner la frise à l’intérieur de la Walhalla.

Tout se trouvant ainsi préparé, et les travaux se poursuivant partout avec une égale activité sous une direction unique, celle de l’architecte, par l’impulsion d’une volonté suprême, celle du prince, le roi Louis de Bavière posa la première pierre du monument le 18 octobre 1830. Il y eut alors une fête patriotique célébrée au milieu d’un grand concours de peuple, sur cette place encore nue, où il n’existait que le siége d’une grande pensée avec la perspective d’un grand monument. Un ministre, qui était en même temps un poète, et qui, à ce double titre, était digne d’être l’interprète des intentions de son roi, M. de Shenck, fit entendre de nobles paroles du haut de cette éminence de la Walhalla, convertie en parnasse germanique. Douze ans plus tard, à pareil jour, le monument était achevé ; les statues, les bustes, se trouvaient à leur place, et le roi venait lui-même ouvrir solennellement les portes de ce temple, consacré à tous les grands souvenirs de son pays, dont la pensée avait rempli trente-cinq années de sa vie, et dont l’exécution fera la gloire de son règne. Connaissez-vous un seul monument en Europe qui ait une pareille histoire et qui offre un pareil caractère ?

La Walhalla est un temple dorique dans toutes les conditions, dans toute la pureté du style grec. C’est le roi lui-même qui avait arrêté, dans son programme, cette disposition principale, et il avait eu raison ; car l’architecture des Grecs est la seule qui présente ces élémens d’ordre, de régularité, de symétrie et de beauté qui conviennent si bien pour un temple de la Gloire. Toutefois l’architecte était resté libre de déterminer tous les détails d’un temple grec d’après ses propres inspirations ; il pouvait en fixer à son gré les proportions et les rapports, sauf le module des colonnes du péristyle dorique, qui ne devait pas excéder de beaucoup cinq pieds bavarois, et surtout en adapter le style et le goût de décoration à la nature du monument et à sa destination, qui n’avaient rien de commun avec celles des temples grecs. L’artiste conservait donc en réalité la même liberté qu’avaient eue tant d’excellens architectes de l’antiquité grecque, à qui nous devons ces beaux temples doriques d’Agrigente, de Sélinonte, de Ségeste et de Pæstum, ceux d’Égine, de Phigalie et d’Athènes, qui, tous produits d’après un même principe et empreints d’un même caractère, diffèrent néanmoins dans leurs proportions et leurs détails, et constituent chacun une œuvre originale dans le même système d’architecture. Mais la Walhalla, élevée par M. de Klenze, diffère encore plus de tous les temples doriques grecs que nous connaissons que ces édifices ne diffèrent entre eux, et cela sous deux rapports essentiels qui tiennent, l’un à la place qu’occupe le monument, l’autre à sa destination, et qui le rendent véritablement unique au monde par sa forme comme par son objet. La Walhalla, érigée au faîte d’une éminence qui se détache d’une chaîne de collines et qui domine toute la plaine, est de plus construite au-dessus d’un triple rang de terrasses auxquelles on parvient par des escaliers alternativement simples et doubles, et dont le développement, à mesure qu’on le parcourt, devient, pour le monument qui le couronne, le motif d’un effet de plus en plus grandiose et pittoresque.

Arrivé par une première rampe, construite dans le sens de l’axe de la montagne et dans celui du temple, à un premier palier d’où se détache, à droite et à gauche, un double escalier, l’on s’élève ainsi jusqu’à une terrasse dont le parement, en forme d’avant-corps, est percé d’une porte de bronze qui introduit dans les galeries souterraines où doivent se déposer les bustes des grands hommes vivans, jusqu’au jour de leur consécration dans la Walhalla. De cette terrasse, l’on monte par deux escaliers dirigés en sens contraire à un second palier, d’où part une rampe qui aboutit directement à la plate-forme du temple, en traversant toute la hauteur de trois assises en retraite, qui forment comme le socle de ce temple, ainsi exhaussé d’étage en étage sur tant de substructions du caractère le plus imposant. Le parement de toutes ces terrasses est construit en blocs de pierres, polygones irréguliers, suivant le système cyclopéen, et appareillé avec beaucoup d’art, ce qui ajoute encore à l’effet magique que l’édifice reçoit de sa situation même et de son style d’architecture. Je ne connais pas d’exemple de cette succession de terrasses et d’escaliers, qui m’a paru singulièrement heureuse et qui s’accorde si bien avec l’objet du monument. Qu’on se représente, en effet, la pompe solennelle qui doit procéder à l’inauguration de chaque buste de la Walhalla s’élevant lentement sur les nombreux gradins de cet immense piédestal, s’arrêtant sur chaque palier pour entendre les concerts d’éloquence et de poésie célébrés en son honneur, arrivant enfin, de degrés en degrés, jusqu’au portique du temple, qui s’est offert à chaque pas sous des aspects nouveaux, tandis qu’à chaque pas aussi la vaste plaine qu’arrose le Danube et le riche amphithéâtre des montagnes qui l’enferment se développent sous mille formes variées, et l’on n’aura qu’une faible idée de tout ce que l’art et la nature, employés ici pour se faire valoir l’un l’autre, peuvent produire d’impressions de fête et de bonheur, d’images de gloire et de patriotisme. Telle est donc la magie des lieux et des monumens, quand ils sont appropriés les uns aux autres par un art ingénieux, que tout s’anime en leur présence, que les pierres même ont un langage et la matière une poésie. Et pourtant, j’avais vu ces superbes escaliers de la Walhalla déserts, et cette scène magnifique qu’elle couronne, je l’avais trouvée voilée par la pluie ! Que serait-ce donc si j’avais monté les degrés qui y conduisent au milieu de ces pompes de la royauté et de la patrie que je rêvais en idée, aux accens d’une musique forte et sévère accompagnant les hymnes de gloire, et dans tout l’éclat d’un beau jour ? Je ne crains pas de le dire : ces gigantesques substructions de la Walhalla sont une des plus belles créations de l’art moderne ; elles étaient sans exemple dans l’antiquité, comme le monument même auquel elles servent de piédestal ; elles s’accordent merveilleusement avec sa destination ; elles l’agrandissent de tout ce qu’elles ajoutent à son effet moral, encore plus qu’à sa hauteur réelle, et c’est bien là, en effet, l’escalier d’un temple de la Gloire.

L’effet de l’intérieur du temple n’est pas moins neuf, moins imposant, et ne fait pas moins d’honneur au prince qui en a conçu l’idée et à l’artiste qui l’a réalisée. La forme du temple dorique grec, qui est celle d’un carré long, entouré à l’extérieur d’un péristyle de colonnes, devait se retrouver à l’intérieur dans une longue cella, renfermant des bustes de grands hommes rangés à diverses hauteurs le long des quatre parois de l’édifice. Cette disposition nécessaire pouvait produire de la monotonie, et par l’uniformité de ces bustes, tous de même forme, celle de l’Hermès antique, et de même couleur, celle du marbre blanc, ajouter encore un élément de froideur qui aurait détruit tout l’effet moral. L’architecte a su parer avec beaucoup de bonheur à ce double inconvénient, sans sortir des principes de l’architecture grecque qu’il avait à suivre. L’une des conditions de son programme était que l’intérieur de l’édifice admît le plus de lumière possible pour éclairer du jour le plus avantageux tant de portraits d’hommes célèbres réunis dans ce panthéon. Le temple dut donc recevoir par le toit, d’après le système des anciens hypœthres, toute la clarté nécessaire, mais non pas de la même manière que cela avait lieu dans les temples antiques, par une ouverture unique pratiquée vers le milieu du toit et laissée libre à l’air ; ce que ne comporte pas le climat de nos pays septentrionaux. La toiture de la Walhalla, construite dans le système de la charpente, à l’imitation du comble qu’elle projette au dehors par ses deux frontons, dut avoir, pour appuis des poutres principales qui la composent, des masses de construction formant saillie sur les deux côtés longs du temple, de manière à interrompre la monotonie de ces immenses faces lisses. Ces espèces d’avant-corps, détachés du mur de la cella et formés de deux colonnes supportant un architrave avec son entablement, et, en second ordre, deux statues de caryatides sur lesquelles repose le plafond, produisent ainsi un motif de décoration de l’effet le plus heureux. Un espace réservé dans le fond de la cella, et répondant à l’opisthodome des temples grecs, forme, dans le bas, une enceinte décorée de six colonnes ioniques, et, dans le haut, un grand balcon ouvert sur le temple et soutenu par les mêmes statues de caryatides. De ce balcon, qui est destiné à recevoir des chœurs de musique dans les fêtes de consécration célébrées à la Walhalla, part un passage étroit qui circule dans toute l’étendue des deux côtés longs du temple, et qui est laissé de même ouvert du côté de l’intérieur, de manière à ce qu’un certain nombre d’assistans puisse s’y placer pour jouir du spectacle de la cérémonie. Ces dispositions répandent dans l’intérieur de la Walhalla le mouvement et la variété, sans nuire à l’effet de la grandeur et sans troubler le sentiment de l’unité, et la richesse de la décoration ajoute encore à l’impression de cette imposante architecture. Les murs, sur le fond desquels se détachent les têtes de marbre blanc, sont entièrement revêtus de marbres colorés, assortis avec un goût exquis ; les colonnes sont taillées pareillement dans un marbre précieux ; le plafond a toutes ses parties peintes et dorées dans le style antique, avec des étoiles d’or sur le fond bleu des caissons. Les statues de caryatides sont décorées dans le même goût, au moyen de l’or et de la couleur distribués sur les diverses parties de leur vêtement ; le pavé du temple est construit en mosaïque de marbre à compartimens variés. Ainsi, à l’exception des bustes de grands hommes et de la frise continue qui règne dans le haut du mur de la cella, tout resplendit de l’éclat de l’or et des couleurs à l’intérieur de ce temple, qui s’annonce au dehors par le style grave et noble de son architecture dorique, et par son double fronton, orné, à l’exemple des temples antiques, de groupes de statues de ronde-bosse.

Les bustes de grands hommes, tous en forme d’Hermès, tous aussi de dimension pareille, ou à peu près, sont distribués sur deux rangs, le long des quatre parois : les uns sur une espèce de socle continu détaché du mur, les autres au-dessus, sur autant de consoles isolées. En plusieurs endroits, il se trouve encore un troisième rang de ces bustes, au nombre de trois, disposition qui pourra se compléter dans toute l’étendue du monument, à mesure que des illustrations nouvelles viendront prendre, dans ce panthéon de la Germanie, la place qui leur sera décernée. Dégagée de la monotonie qu’aurait pu produire cette longue suite de bustes si elle eût apparu dans sa continuité, sans ces divisions architectoniques qui forment autant de repos pour l’œil, cette masse de portraits d’hommes et de femmes, illustres à tant de titres divers, produit ici un effet vraiment extraordinaire, et l’impression qui en résulte s’accroît encore de la présence de six statues, placées de distance en distance sur les deux côtés longs du temple, dans les espaces libres formés par les avant-corps à deux colonnes. Ces statues, dont on a cherché le type dans celui des Walkyries de la Walhalla mythologique, et qui représentent des femmes ailées, vêtues comme devaient l’être ces héroïnes de l’élysée scandinave, tiennent aussi, par le style, des Victoires de l’olympe grec. Elles sont, les unes debout, les autres assises, et elles portent toutes des couronnes qu’elles semblent, en des attitudes diverses, offrir au patriotisme et au génie. Ces six statues, dues au ciseau de Rauch, sont charmantes d’invention, de style et d’ajustement ; deux surtout, celle qui semble se lever pour distribuer des couronnes, et une autre qui lui fait face, sont certainement au nombre des meilleures productions de la statuaire moderne.

Dans l’intention qu’avait eue le royal auteur de ce monument héroïque d’y réunir les images de tout ce qui a contribué à la gloire des diverses tribus germaniques, à toutes les époques de leur histoire, il devait s’y trouver un certain nombre de personnages dont on ne possède pas, dont il n’a peut-être jamais existé de portraits authentiques ; et le prince, qui prend au sérieux les idées de gloire et les sentimens de sympathie qui s’y attachent, ne voulait pas offrir à l’admiration publique de ces portraits d’invention, de ces têtes de caprice, qui font du culte des grands hommes une spéculation et un mensonge : le roi de Bavière ne conçoit la gloire qu’appuyée sur la vérité, dans sa Walhalla et ailleurs. Il y avait donc nécessité de suppléer aux bustes pour lesquels on manquait de modèles certains par des inscriptions qui en tinssent lieu. C’est dans la partie supérieure du temple qu’ont été distribués les cartels qui contiennent ces grands noms de l’histoire allemande, en lettres de bronze doré sur fond de marbre blanc, de manière à faire servir encore ce motif de gloire nationale comme élément de la décoration architectonique du temple.

Maintenant que j’ai indiqué les principales dispositions de cet édifice, de manière à les rendre aussi intelligibles qu’on peut le faire par la parole, qu’on se transporte en idée dans ce temple si richement décoré sur toutes ses murailles, sur son pavé comme sur son plafond, rempli de tant d’images augustes et de tant de noms illustres, et qu’on me dise si un prince qui a employé tous les trésors d’un empire et toutes les ressources de l’art pour créer ainsi dans l’ame de ses peuples des sentimens d’honneur et de vertu, pour y cultiver des germes de patriotisme et de génie, en honorant tous les talens et en consacrant toutes les gloires, si ce prince n’a pas bien mérité l’estime de son siècle et la reconnaissance de son pays ?

Je n’ai parlé jusqu’ici que des principales dispositions de la Walhalla ; mais les objets d’art qui servent à la décoration de cet édifice méritent aussi à plus d’un titre de fixer l’attention. Dans la pensée du roi de Bavière, la Walhalla, d’un style grave et sévère à l’extérieur, devait offrir à l’intérieur tout le luxe de décoration que comportait la double idée d’un élysée et d’un panthéon, et cette décoration devait être puisée dans des motifs empruntés à la mythologie germanique, pour avoir un caractère national en même temps qu’un aspect antique. C’est d’après ce principe qu’ont été conçus par l’architecte tous les ornemens de la Walhalla, les statues de caryatides, les trois frontons que forment les divisions du plafond, et la frise qui règne dans tout le pourtour de la cella.

Les statues de caryatides, dont j’ai déjà fait connaître la destination et la place, représentent des Walkyries de l’élysée scandinave ; ce sont des femmes vêtues d’une espèce de nébride ou de peau de bête attachée par-dessus une tunique longue, avec de longs cheveux qui pendent sur leurs épaules et que couronnent des branches de chêne, et avec un caractère de tête qui rappelle l’ancien type germanique. Ces statues ont la nébride dorée et les draperies peintes d’une manière où se reconnaît l’instinct d’une civilisation primitive, toujours portée vers le luxe des couleurs, encore plus que l’imitation de la sculpture polychrôme des Grecs. Ces statues, au nombre de quatorze, sont toutes l’œuvre du célèbre sculpteur de Munich L. Schwanthaler.

Mais c’est surtout dans la riche décoration des trois frontons du plafond que l’architecte a déployé les ressources de son imagination, abreuvée aux sources du parnasse scandinave. Tous les motifs en sont puisés dans cette mythologie, qu’on peut croire commune aux diverses tribus germaniques, bien qu’à cet égard, comme sous le rapport de la langue, il faille admettre une supposition qui ne laisse pas d’offrir plus d’une difficulté à la critique. Quoi qu’il en soit, et sans entrer ici dans une discussion qui ne serait pas à sa place, voyons ce que l’artiste a tiré des anciennes croyances mythologiques du Nord, pour en faire l’ornement de sa Walhalla. Le fronton le plus élevé offre, pour figure principale, celle du géant Imer, qui naquit, suivant la fable scandinave, des gouttes des glaçons fondus au souffle du vent chaud de Musspelheim, tempéré par la nuée froide de Nifelheim. Des épaules de ce géant s’élancent le premier couple humain, Askur et Embla, et ses extrémités se déroulent en feuillages. À droite et à gauche de cette figure principale sont représentés le dominateur de Musspelheim, Surtur, le dieu du soleil, du feu, de la lumière et de la chaleur, et la terrible souveraine de Nifelheim, Hela, la déesse de la nuit et de l’autre monde : c’est l’image de la création, telle que l’avait conçue l’ancienne cosmogonie des peuples du Nord. Des branches de frêne et d’aune, en rapport avec les noms du premier homme et de la première femme, complètent, dans les angles du fronton, cette décoration exécutée dans le style grec, mais d’après des motifs purement germaniques.

Le second fronton présente sous un édicule, image abrégée d’Asgard, l’olympe scandinave, les deux puissans dieux de cet olympe, Odin, armé de sa lance Gungner, et Frigga, portant sa quenouille d’or, l’un et l’autre debout près du trône Lidskjalf, qui réunit ce couple divin. À droite de Frigga s’élance le dieu de la guerre, Thor, avec sa redoutable hache de bataille, dont il vient de briser une enseigne romaine ; plus loin se montre assis, dans une attitude méditative, le jeune et beau Baldar, le dieu de l’éloquence, ce puissant organe de la paix chez les peuples d’une civilisation primitive. En face de ces deux figures, et à la droite d’Odin, apparaissent Braga, le dieu de la sagesse et de la poésie, et sa belle compagne Iduna, la déesse qui remplissait dans l’olympe scandinave les fonctions de l’Hébé de l’olympe grec, en offrant aux héros admis dans la Walhalla les pommes de l’immortalité. Les angles de ce fronton sont ornés des deux corbeaux d’Odin, Hugin et Munin, d’une manière qui offre toujours l’application du même principe, l’emploi de types germaniques dans un goût grec.

Le troisième fronton offre une image empruntée à cette grande lutte du mal contre le bien, du mauvais génie contre le bon principe, qui se trouve au fond de toutes les cosmogonies, parce qu’elle est dans la conscience de l’humanité tout entière. Ici, c’est l’arbre du monde, le frêne Ygdrasil, qui se déploie dans toute sa majesté, avec l’aigle d’Odin perché à son sommet, les ailes déployées. Les puissantes racines de cet arbre se divisent en un triple enroulement ; sous celui du milieu s’épanche l’urne de la sagesse Mimers, dont les trois Nornes, Vrn, Waronde et Skuld, debout et se tenant par la main comme les Nymphes, les Heures et les Graces de la mythologie grecque, auxquelles elles ressemblent, puisent les eaux salutaires pour arroser les racines de l’arbre du monde, et le maintenir ainsi dans une jeunesse éternelle, contre les atteintes du serpent, Vornunngand, et le grand loup, Fenris. L’écureuil Rotatoskr, qui est l’animal symbolique de cet arbre, forme l’ornement des angles de ce fronton, en sorte que tout se rapporte, dans l’ensemble comme dans les détails de la décoration, à une même idée principale, et que tout y offre un caractère essentiellement germanique, rendu dans un style grec. Cette partie de la décoration de la Walhalla, m’a paru d’un effet neuf et original, en même temps que d’un goût pur et antique, qui fait beaucoup d’honneur à l’invention de l’architecte et à son talent. On sent, par exemple, à l’aspect de la figure du géant Imer, que cette tête est imitée de celle du Jupiter Pluvius ; mais en même temps on y reconnaît un caractère germanique, tel qu’il convient au géant du Nord : la même observation s’applique à toutes les autres figures. M. de Klenze a eu pour collaborateurs, dans cette partie de son travail, un habile peintre, M. Lindenschmitt, très versé dans la connaissance de l’ancien costume germanique, et M. Stiglmayer, qui a modelé et coulé lui-même en bronze toute cette riche décoration du plafond. Que dirai-je maintenant de la frise, qui représente, dans un bas-relief continu de deux cent vingt-quatre pieds de long sur trois et demi de haut, toute l’histoire ancienne de la Germanie, résumée en huit motifs principaux, qui forment autant de grands compartimens, distribués sur les quatre côtés de la cella ? Il faudrait des journées entières pour examiner, figures par figures, cet immense bas-relief, et il me serait impossible d’en donner une idée par la parole ; mais on jugera du mérite de la composition entière, de l’intérêt qu’elle peut offrir dans ses détails, par l’indication succincte que je puis donner des sujets représentés dans chacune des huit grandes divisions de cette frise et de la manière dont ils sont conçus.

Le motif de la première a rapport à l’émigration des tribus venues de l’Orient et des régions du Caucase et à leur établissement sur le sol encore vierge de la Germanie. C’est une des compositions les plus heureuses que je connaisse, une des plus favorables à la sculpture qu’un artiste, homme d’invention et de talent, pût avoir à exécuter. Une longue file de figures, remarquables par les formes d’une nature fière et sauvage en même temps que noble et primitive, compose cette marche des nations germaniques, où les guerriers en tête, puis les femmes et les enfans, et, en dernier lieu, les pasteurs avec leurs troupeaux, forment plusieurs groupes, divers de caractère et de costume, tous pleins de mouvement et de vie. Cette suite de figures se dirige vers un fleuve, sans doute l’antique Ister, le Danube moderne, dont le passage s’effectue d’une manière qui ajoute un nouvel élément pittoresque à cette vaste composition. Des combats livrés aux sauvages hôtes des forêts germaniques, à l’ure, à l’ours et au sanglier, et qui ont pour résultat l’empire de l’homme sur cette terre jusqu’alors inhabitée, le premier triomphe de la civilisation sur la nature brute, complètent ce tableau, l’une des plus grandes et des plus belles pages de la sculpture monumentale.

La vie religieuse, morale et industrielle des anciens Germains forme le sujet de la seconde division de la frise, et ce sujet est représenté aussi par un certain nombre d’épisodes, liés à une intention commune et toujours variés de caractère. Le centre de la composition est rempli par une scène de sacrifice, qui s’accomplit à l’ombre d’un vieux chêne, avec des chevaux pour victimes, des prêtres pour principaux acteurs, et des citoyens de diverses conditions pour assistans. À gauche de cette scène, un barde, accompagnant son chant inspiré du son de la harpe, explique à de nombreux auditeurs les mystères de la religion, tandis qu’un druide leur révèle les secrets d’une astronomie qui se liait, dans l’opinion de ces peuples, à la prévision des destinées humaines. Près de là, une troupe de jeunes guerriers frémit d’impatience dans l’attente de ses armes, que des artisans sont occupés à fabriquer, et cette noble impatience se manifeste surtout en face d’un peintre qui trace paisiblement des ornemens en couleur sur un bouclier qu’on semble lui disputer. Une danse armée entre plusieurs jeunes gens termine, du côté droit, cette composition, si bien conçue dans son ensemble et si variée dans ses détails.

La troisième division est consacrée au tableau de la vie politique des anciens Germains et de celui des relations des peuples du Nord avec l’Orient civilisé : c’est la Germanie de Tacite, mise, pour ainsi dire, en action ; ce sont les lignes concises de l’histoire traduites en figures sculptées. Le choix d’un général pour une expédition guerrière, le chef de l’état délibérant avec les principaux personnages de la nation et rendant la justice à son peuple, occupent la partie centrale et le côté gauche de ce bas-relief, dont le côté droit est rempli par un groupe de Phéniciens qui viennent échanger les productions de l’industrie asiatique contre l’ambre de la Baltique.

L’histoire des luttes des peuples germaniques contre la puissance romaine a fourni le sujet des quatre divisions qui suivent. Ainsi, la première expédition des Cimbres et des Teutons, attirés en Italie par la vue des riches produits de ce sol favorisé du ciel, que leur avait apportés leur compatriote Héliko ; leur Passage des Alpes, en l’an 113 avant notre ère, et leur première rencontre avec les Romains, signalée par la défaite du consul C. Papirius Carbon près de Noreia, tels sont les principaux motifs du quatrième bas-relief. Le cinquième a pour objet l’attaque des camps romains dans les plaines bataves, sous la conduite de C. Civilis, en l’an 69 de notre ère, et le principal personnage de cette composition est la prophétesse Velléda, qui avait été l’ame de cette entreprise par ses patriotiques inspirations, et aux pieds de laquelle sont déposés, en signe de reconnaissance nationale, les trophées des armes romaines. Le sixième bas-relief représente une grande scène de bataille, l’épisode le plus décisif de cette longue guerre des peuples du Nord conjurés contre l’empire romain, la Bataille d’Andrinople, où l’armée de l’empereur Valens fut détruite, en l’an 378, par les diverses tribus germaniques liguées avec les Huns et les Alains. La Prise de Rome par Alarte, le 24 août de l’an 409, fut la suite de cette grande victoire des peuples germains : c’est le sujet du septième bas-relief. À ces scènes de combat, où l’artiste a profité, avec toute l’intelligence qu’il possède des monumens de l’art antique, des ressources que lui offrait le génie militaire des Romains opposé à la fierté sauvage des peuples germaniques, succède, dans le huitième et dernier compartiment, la Prédication de l’Évangile, apporté aux peuples du Nord par saint Boniface, l’apôtre de la Germanie. Il eût été difficile de clore ce vaste cycle de représentations héroïques par un motif plus heureux, plus propre à fournir ces oppositions de formes, de costumes, de caractères et d’expressions qui répandent l’intérêt et la vie sur les œuvres de l’art. C’est le roi de Bavière qui avait déterminé lui-même le sujet général de cette immense composition, et c’est un seul artiste, Martin de Wagner, qui avait été chargé de son exécution. Aussi retrouve-t-on dans ce bas-relief de deux cent vingt-quatre pieds de long, auquel tant de mains différentes ont dû travailler, une unité de caractère et un accord de style qui satisfont à la fois l’œil et l’intelligence. Ce travail, si important par le nombre, le relief et la proportion des figures, fait le plus grand honneur à son auteur ; et par la manière dont il est exécuté, il mérite de servir d’exemple partout où l’on a le sentiment vrai des besoins de l’art joint à un libre emploi des ressources de la puissance publique. Un autre grand ouvrage, qui mériterait aussi une description particulière, mais que je dois me borner à signaler à l’estime publique, ce sont les groupes de statues qui remplissent les deux frontons. Ces figures, au nombre de quinze dans chaque fronton, et entièrement détachées du tympan, sont toutes de la main de L. Schwanthaler. Le groupe de la façade principale, qui est celle du midi, montre l’Allemagne personnifiée, assise au milieu du fronton et recevant, de guerriers en costume héroïque, les diverses provinces rattachées à l’empire par suite des évènemens de 1813 et 1814. Le groupe de la façade postérieure représente Arminius vainqueur des Romains, et dominant de sa haute stature les chefs chérusques qui l’entourent et les guerriers romains qui succombent. Ces deux grandes compositions, la dernière surtout, pleine de verve et de caractère, honorent au plus haut degré le talent de l’artiste, bien qu’on pût y désirer plus d’étude de la nature dans le nu et dans la draperie, à l’exemple de ces statues des frontons d’Égine qu’on a sous les yeux à Munich, et qu’il est moins permis à Munich qu’ailleurs de ne pas fidèlement imiter.

Je n’ai plus à rendre compte que des noms et des portraits des grands hommes qui forment le principal élément moral de la décoration de la Walhalla et l’objet même de la consécration de cet édifice. Ici encore, nous rencontrons une pensée royale qui s’est montrée absolue dans ses décisions autant que souveraine dans l’expression qu’elle leur a donnée, et qui mérite à ce titre notre premier hommage ; car nous sommes de ceux qui pensent qu’une intelligence supérieure et une volonté suprême doivent présider à toute œuvre d’art qui répond à un besoin public et à un sentiment national, et nous plaignons les peuples qui, par la faute de leurs chefs ou par le vice de leurs institutions, font des travaux d’art, destinés à l’ornement d’un pays et à l’expression d’une époque, un moyen banal de rémunération pour la foule des médiocrités nécessiteuses et des talens subalternes. Il serait facile, d’ailleurs, d’exercer la critique, au sujet des noms et des portraits placés dans la Walhalla par le choix du monarque. Les tablettes d’immortalité de ce panthéon germanique offrent plus d’un nom que l’on est surpris d’y trouver, sans compter quelques autres que l’on peut regretter de n’y pas voir. Vous en ferez vous-même l’observation, à mesure que je déroulerai sous vos yeux ces listes glorieuses, et je n’aurai pas besoin d’ajouter à vos réflexions et encore moins de les prévenir.

Voici les noms inscrits, sur deux rangs, dans l’étage supérieur de l’édifice, à commencer par la face principale, celle qui répond au frontispice du temple :

Egbert Ier, roi d’Angleterre.

Charlemagne.

Éginhard.

Hermann, le vainqueur des Romains.

Marbod, le chef des Marcomans.

Velleda, la prophétesse, morte après l’an 65 de notre ère.

Le maître Guillaume de Cologne.

Hadrien de Busenberg, général allemand (1479).

P. Henlein, inventeur des montres, en 1142.

Raban Maur.

Arnolph, empereur des Romains, en 900.

Alfred-le-Grand, roi d’Angleterre, même siècle.

Par cette première liste, où les temps, les conditions, les rangs, sont confondus, vous voyez qu’aucune classification méthodique, aucun ordre chronologique n’a présidé à la rédaction de ces inscriptions. Le prince et l’artiste, le général et l’ouvrier, l’homme puissant et l’homme utile, s’y montrent à côté l’un de l’autre, sans aucun signe qui les distingue, et cette absence de système est pour ainsi dire tout le système de la décoration de la Walhalla. Il est bien évident qu’en offrant ainsi tous ces noms pêle-mêle à l’admiration et à la reconnaissance publiques, sans tenir compte des distinctions sociales, on a voulu montrer, unis et rapprochés dans la mémoire des hommes, ceux qui vécurent séparés dans le monde et dans l’histoire ; c’est bien là l’égalité, telle qu’elle doit exister en effet dans le temple de la Gloire, et l’on ne peut nier qu’il n’y ait de la grandeur dans cette manière de considérer l’humanité, surtout quand c’est au point de vue d’un prince appelé à régner sur elle.

Les personnages inscrits sur le mur du fond sont les suivans :

Théodoric-le-Grand.

Saint Engelbert, évêque de Cologne.

Totila et le Chanoine inconnu des Niebelungen.

Le désordre des rangs, encore plus sensible ici, n’en laisse que mieux saisir l’intention du suprême ordonnateur, qui semble n’avoir choisi ces noms dans des conditions si diverses que pour les confondre dans une même admiration. C’est ce qu’achève de montrer la suite de ces noms héroïques, telle qu’elle se lit sur les deux côtés longs du temple, à commencer par le mur oriental :

Alboin.

Walter v. Vogelweide, le minnesænger.

Teutelinde ;

Sainte Élisabeth de Thuringe.

Saint Emmeran, évêque.

Léopold-le-Glorieux, duc d’Autriche.

Pépin d’Héristal.

Le Grand-Maître de l’ordre teutonique.

Beda, abbé et historien.

Wolframm d’Eschenbach, le minne­sænger.

Willibrod, évêque d’Utrecht.

L’Architecte du dôme de Cologne.

Charles-Martel, duc et prince des Francs.

A. v. Thurn, fondateur de la ligue des villes rhénanes (1264).

Saint-Boniface, archevêque de Mayence ;

Albert-le-Grand, évêque et savant.

Frédéric, chef des Visigoths (après 380).

Roswitha, poétesse (morte avant l’an 1000).

Ulphila, évêque des Goths.

Sainte Mechthilde, reine d’Allemagne (1468).

Ermannrich, roi des Ostrogoths (368).

Arnolph Ier, duc de Bavière (937).

C. Civilis, chef des Bataves (avant l’an 1000 de J.-C.).

Othon-l’Éclairé, duc de Saxe, avant l’an 1419.

Puis, sur le mur occidental :

Clovis.

Ohton-le-Grand de Wittelsbach, duc de Bavière.

Odoacre.

Sainte Hildegarde, abbesse.

Hengist, conquérant de l’Angleterre (480).

Othon, évêque de Frisingue.

Genséric.

Othon, évêque de Bamberg.

Horsa, conquérant de l’Angleterre (451).

Lambrecht d’Aschaffenburg, historien.

Théodoric, roi des Visigoths.

Henri III, empereur.

Ataulf, roi des Visigoths.

Saint Héribert, évêque de Cologne.

Saint Bernard, évêque et sculpteur (1028).

Arnold de Winckelried, chevalier et Landmann (1380).

Alcuin.

Bruno de Warendorf, fondateur de la ligue hanséatique (1369).

Paul Warnfrid, historien.

Frédéric-le-Beau, compétiteur à l’empire (1330).

Wittekind, chef des Saxons.

Les trois Hommes du Grüttly.

Pépin-le-Bref, roi de France.

Les observations auxquelles pourraient donner lieu ces listes de noms, célèbres à tant de titres divers, se presseraient en foule, pour peu que l’on fût disposé à les soumettre à une analyse sévère. On pourrait demander, en premier lieu, si tous ces noms appartiennent bien proprement à la nation germanique, si, par exemple, et même en admettant la prétention qui fait de Clovis un Allemand, en qualité de roi des Francs, la même prétention peut être soutenue avec quelque apparence de raison pour les deux Pépin, pour Charles Martel et pour Charlemagne, et peut-être serait-il permis de dire qu’enlever ces quatre noms à la France, c’est lui arracher quatre de ses plus belles provinces ; c’est faire plus d’un trait de plume qu’on ne fit même après la bataille de Leipzig. Peut-être aussi pourrait-on s’étonner de la place accordée dans ce panthéon germanique à des noms tels que ceux de Genséric et d’Alboin, d’Hengist et d’Horsa, d’Alaric et d’Odoacre, qui ne rappellent que des images de violence et de destruction, de meurtre et de pillage, sans aucune des idées d’humanité et de civilisation qui doivent être ici les véritables titres de gloire. Ce n’est sans doute pas d’avoir ravagé l’Angleterre et dévasté l’Italie au Ve siècle qui fait l’honneur de l’Allemagne au XIXe, et en admettant que ces conquérans barbares fussent en effet ses enfans, ce ne sont pas ceux dont on doit recommander la mémoire et proposer l’exemple à ses peuples. Il est vrai que tant de noms chers à l’humanité, à la science et à la religion, sont ici associés à ces noms funestes, que l’impression pénible qu’ils produisent s’en trouve considérablement adoucie. Genséric, placé comme il l’est entre deux évêques orthodoxes, ne paraît plus l’atroce persécuteur de l’église catholique d’Afrique ; l’on dirait que partout une main ingénieuse s’est appliquée à tempérer l’éclat de ces renommées fondées sur le malheur des hommes, en les entourant de célébrités plus douces et plus légitimes. Il semble même que, dans cet amalgame de noms disparates et d’illustrations contradictoires, il y ait une pensée de conciliation qui se révèle à une observation attentive. Wittekind et Charlemagne, unis et rapprochés dans le temple de la Gloire après s’être combattus sur tant de champs de bataille, résument pour ainsi dire, par cette image salutaire, la pensée qui a présidé à la décoration de la Walhalla ; devant ces deux grands noms qui ont cessé ici d’être ennemis, comment la critique ne se sentirait-elle pas désarmée ?

Il n’y aurait pas moins de réflexions à faire au sujet des bustes qui sont placés à la Walhalla ou de ceux qui y manquent, s’il était permis d’interroger la pensée royale qui se révèle ici d’une double manière par les noms qu’elle a choisis et par ceux qu’elle a exclus. L’impression générale qu’on éprouve à l’aspect de tous ces bustes rangés comme je vous l’ai dit plus haut, est certainement satisfaisante au plus haut degré. L’intérêt qu’inspire la réunion de tant de grands hommes est un sentiment doux et sympathique, qui laisse à peine à la critique la faculté de se produire. Toutefois j’ai cherché, en faisant quelque effort sur moi-même, à me rendre compte du motif qui avait pu porter l’architecte à ranger, comme il l’a fait, les bustes des héros de sa Walhalla sur un socle continu et sur des consoles isolées, disposition qui ressemble trop à celle d’un musée. Il semble que, puisqu’on avait adopté la forme d’Hermès pour celle de ces bustes, on aurait dû suivre complètement le modèle antique, en ajoutant à chaque buste la gaine qui en aurait fourni tout naturellement le support. On aurait obtenu ainsi, par la réunion de ces Hermès adossés contre la muraille, un effet plus heureux, plus d’accord avec le caractère du monument, l’effet que les anciens eux-mêmes obtenaient dans leurs bibliothèques et dans leurs villas, où ils se plaisaient à réunir des portraits d’hommes illustres sous cette même forme d’Hermès, comme nous en avons un exemple par les Hermès de la villa de Cassius, qui se trouvent au Vatican. Mais l’architecte a certainement eu ses raisons pour suivre le parti qu’il a adopté, et le premier de ces motifs a sans doute été la nécessité de réserver le plus de place possible pour l’insertion de ces portraits, dont les rangs doivent se presser à chaque génération, puisque la destination de la Walhalla est de réunir aux illustrations du passé et du présent toutes celles que renferme un long avenir. Je n’accuse donc pas l’architecte pour la disposition qu’il a donnée à ses bustes ; je regrette seulement qu’il ne les ait pas fait exécuter dans la forme complète de l’Hermès antique, si simple, si grave, si heureuse, et qui se prêtait si bien à toutes les exigences de l’avenir comme à toutes les convenances du local.

Voici du reste la liste de ces bustes, à l’exécution desquels ont été employés les talens de tout ce que l’Allemagne a possédé, dans cet espace de près d’un demi-siècle, de statuaires habiles. Citer Danecker, Horchler, Wolf, Schoepf, Schadow le père, Rauch, Tieck, les deux Schwanthaler, Imhof, Lossow, J. Herrmann, Widemann, Schaller, Bissen, Wredow, c’est dresser la liste à peu près complète de ces artistes qui, au déclin de l’âge, dans tout l’éclat de la renommée, ou au début de la carrière, honorent encore l’Allemagne.

De tous ces sculpteurs, Tieck est celui qui a produit le plus d’ouvrages dans la Walhalla, et dont le talent, malgré quelques inégalités, s’y est montré avec le plus d’avantage, Rauch excepté, qui garde ici son incontestable supériorité :

Albrecht de Haller, naturaliste et poète.

Raphael Mengs, peintre.

Marie-Thérèse, impératrice et reine.

Henri l’Oiseleur, roi des Allemands.

Othon Ier, empereur.

Conrad Ier, le Salique, empereur.

Henri-le-Lion.

Les quatre derniers bustes de Schadow, de Berlin, m’ont paru d’une grande faiblesse, ainsi que celui qui les suit, l’empereur Frédéric II, qui est de la même main, trop manifestement affaiblie par l’âge. On rencontre ensuite :

Lessing, poète, critique et antiquaire.

Frédéric Ier, empereur, très beau buste de X. Schwanthaler.

Rodolphe de Habsbourg.

Erwin de Steinbach.

J. Gutenberg, très beau buste, dont l’auteur m'est resté inconnu.

Jean Van-Eyck, bel ouvrage de Tieck.

Frédéric-le-Victorieux, duc-palatin.

Ebergard-le-Barbu, duc de Würtemberg.

J. Hemmling, peintre.

J. de Dalberg, évêque de Worms.

J. de Hallwyl.

B. de Henneberg.

Maximilien, empereur.

J. Reuchlin, savant jurisconsulte, très bon buste d’Imhof.

J. Muller (Regionmantanus).

Nikola de Fluhe, le bienheureux.

Franz Sickingen, chevalier.

Uleric (sic) de Hutten, chevalier, orateur et poète.

Alb. Durer, magnifique buste de Rauch.

G. de Freundsberg, très bon buste de Widemann.

Peter Fischer, sculpteur en bronze de Nuremberg.

J. Thurmair (nommé Aventin), historien, très bon buste de Horchler.

H. de Plottenberg.

Érasme de Rotterdam, très beau buste de Tieck.

Théophrase de Hohenheim, ouvrage de Wolf, qui a droit au même éloge.

N. Copernic.

Hans Holbein.

L’empereur Charles-Quint.

Christophe de Wurtemberg.

Aegidius Tschudi, très beau buste de Tieck.

Guillaume d’Orange, bel ouvrage du même.

Auguste Ier, duc de Saxe, très bon buste de Rietschell.

E. de Mespelbrunn.

Maurice d’Orange.

J. Keppler, très beau buste de Schoepf.

A. de Wallenstein, duc de Friedland, excellent ouvrage de Tieck.

Bernard de Saxe-Weimar}, bon ouvrage du même.

P.-P. Rubens, buste de Manheim, d'une faiblesse désolante, quand on le rapproche du beau portrait si connu de ce grand peintre. C'est un buste à remplacer dans la Walhalla, où il n'est pas digne de figurer.

A. Van-Dyck, très beau buste de Rauch.

Hug. Grotius, ouvrage de Tieck, presque aussi digne d’éloges que le précédent.

Comte de Traumansdorff, ouvrage médiocre de Schaller.

Maximilien Ier, beau buste d’Imhof.

Charles X de Suède, par Tieck.

T.-Ph. de Schoenborn.

Ernest-le-Pieux, de Saxe.

Amalia de Hesse, quatre bustes d’un travail estimable, dus au ciseau de Tieck.

Martin Tromp, superbe buste, un des plus beaux monumens de la Walhalla, comme le nom même du héros, éternel honneur de la Hollande ; ce buste est de la main de Kessels.

Paris Lodron, archevêque de Salzbourg.

Fransz Snyders, peintre ; magnifique buste de Rauch.

Mich.-Adr. Ruyter, très beau buste de Tieck.

Otto de Guerice, physicien célèbre, mauvais buste de Rathgeber.

Fr.-Guillaume de Brandebourg, le grand-électeur, très beau buste de Widemann.

Charles V duc de Lorraine.

Guillaume III d’Orange, œuvre médiocre qu’on aurait pu se dispenser de placer dans la Walhalla.

Louis de Bade.

Leibnitz, ouvrage de Schadow, trop peu digne du modèle.

H. Boerhawe.

Maurice de Saxe, buste estimable de Tieck.

Georg.-Gott. Haendel, le compositeur, mauvais ouvrage de Schadow.

Nik.-Lud., comte de Sinkendorf, buste où l’on ne reconnaît pas tout le talent de Tieck.

Le comte de Munich, feld-maréchal.

Winckelmann, détestable ouvrage de Schadow, qui doit être écarté de la Walhalla, pour l’honneur du grand antiquaire et pour celui de l’artiste.

Guillaume, comte de la Lippe-Schaumbourg.

Gluck, faible ouvrage de Danecker, où l’on ne reconnaît ni le grand compositeur, ni l’habile statuaire, et pourtant on possédait le beau buste de Glick par Houdon.

Baron de Loudon, feld-maréchal.

Mozart, très beau buste de L. Schwanthaler.

Guill.-Ferdin. de Brunswick, libérateur du Hanovre, bon ouvrage de Schadow, qui dédommage et console de ceux du même artiste qu’on ne peut voir ici sans regret.

Justus Moeser, (Advocatus patriæ), par Schmidt, œuvre dont il n’y a rien à dire.

Gott.-Aug. Burger, bon ouvrage de Tieck.

Catherine II, impératrice de Russie, superbe buste de Wredow.

G. Klopstock, ouvrage médiocre de Schadow.

G. Heinse, poète et savant, qui méritait un meilleur buste.

G. Herder, bon ouvrage de Tieck.

Emmanuel Kant, par Schadow, ouvrage d’une faiblesse déplorable.

Fr. Schiller, buste de Danecker, où l’on ne peut louer que le travail du statuaire, sans y trouver le génie de l’écrivain.

J. Heyden (sic), détestable ouvrage de Robotz.

J. de Muller, triste caricature dont je ne nomme pas l’auteur, par égard pour sa vieillesse, mais que je demande au roi de Bavière de faire remplacer à la Walhalla par respet pour le grand historien de la Suisse.

Wieland, qui ne figure ici que comme poète (dichter), et qui n’est pas moins digne, comme prosateur, de siéger à la Walhalla.

Gerhard de Scharnhorst, magnifique buste de Rauch. Barclay de Tolly, feld-maréchal, belle tête de Widemann.

Schwarzenberg, très beau buste de Schaller.

Herschell, l’astronome.

Diebitsch-Sabalskanski, feld-maréchal, superbe buste de Rauch.

H.-F. baron de Stein, qualifié der Deutschen BefreyungGrund-Stein. C’est peut-être un éloge immodéré, et c’est, en tout cas, un assez mauvais jeu de mots. Je ne sais, du reste, si l’histoire confirmera le rang que ce personnage occupe à la Walhalla ; mais son buste n’est pas indigne d’y figurer.

Gneisenau, général prussien, le plus beau buste de Tieck.

Goethe, le dernier de ces grands hommes, dont le portrait, quoique estimable, mériati d’inspirer mieux l’auteur qui est aussi M. Tieck.

Vous avez remarqué sans peine que ce choix de grands hommes, bien que généralement irréprochable et conforme au sentiment public, ne renferme pas toutes les illustrations dont l’Allemagne s’honore. Plusieurs de ces omissions ne sont sans doute que temporaires, puisque tous les bustes destinés à la Walhalla n’y sont pas encore placés ; mais il en est une, bien volontaire de la part de l’ordonnateur royal, qui a donné lieu à des plaintes amères : c’est celle de Luther, dont on cherche vainement le buste à la Walhalla, de même que ceux de Camérarius, de Mélanchthon, d’Œcolampade, bien qu’on y trouve ceux de Fr. Sickingen et d’Ulrich de Hutten. En ce qui concerne Luther, j’avoue que je suis tout-à-fait de l’avis du roi de Bavière. Le portrait de ce fougueux sectaire, à la mémoire duquel se rattachent tant de passions contemporaines, troublerait par sa présence le calme grave et solennel qui règne entre tous les illustres hôtes de la Walhalla. Je dirai plus : le sentiment de l’unité allemande, que l’auteur de ce monument a voulu produire en y réunissant tout ce qui honore à des titres divers le génie allemand, s’affaiblirait à l’aspect de cet homme, dont le nom ne rappelle que des idées de désordre, et qui porta la division dans la grande famille germanique, en portant le schisme dans l’église. L’Allemagne, qui marche dans les voies de la conciliation politique pour affermir sa nationalité, s’éloigne ainsi de celles où l’avait jetée, au xvie siècle, le génie turbulent de Luther ; et, pour que ce grand et salutaire mouvement s’accomplisse dans la société, comme il est déjà réalisé à la Walhalla, il faut que la funeste influence de cet homme cesse de s’exercer sur son pays, comme son image a été écartée du panthéon germanique[1].

Je me suis demandé si l’absence de quelques autres bustes tenait à une détermination réfléchie ou bien à un oubli involontaire. Est-ce que, par exemple, l’intention du royal auteur de ce monument, qui a donné une si large part de représentation à la poésie, à la littérature et à la musique, est d’exclure de ce panthéon la philologie et l’érudition, qui, depuis un demi-siècle surtout, soutiennent presque uniquement l’honneur littéraire de la nation allemande ? Tandis qu’à côté de Weimar, veuve des hôtes illustres qui en firent dans le siècle passé l’Athènes de l’Allemagne, vingt universités fleurissent par le génie de la science, est-ce que ce grand mouvement de la pensée publique, où le savoir remplace l’imagination, ne doit point trouver sa représentation à la Walhalla ? Eckhel, l’oracle de la numismatique ; Heyne, le grand critique, le fondateur de l’école de Goettingue ; Niebuhr, l’exact et patient voyageur, en qui le génie de l’observation se montra si bien guidé par l’étude ; Valckenaer et Hemsterhuis, ces deux puissans chefs de l’école de Leyde, ces deux grandes lumières de la philologie allemande, ne rappelleraient-ils pas à la Walhalla des titres de gloire aussi solides et aussi brillans que tous ceux qu’on y admire ? Et tout ce qui honore aujourd’hui l’Allemagne ne doit-il pas trouver, dans ce temple de la Gloire, un modèle dans le passé et une place en perspective ?

Je m’arrête ici : il y aurait trop de choses à dire sur ce sujet, trop de grands noms à citer et de réparations à demander, et l’on doit attendre que le monument se complète par l’effet de la même volonté qui l’a créé. Maintenant, ce qui résulte pour moi de l’impression générale que j’ai emportée de la Walhalla, c’est qu’il y a là une grande pensée, une de ces pensées qui font travailler les esprits et avancer les peuples, une de ces pensées qui viennent du cœur et qu’on aime à voir descendre du trône. C’est un monument où une haute intelligence se révèle d’abord par la destination même de l’édifice, qui est d’honorer l’humanité, où tout est d’accord dans le plan comme dans la décoration, où l’unité se montre par la volonté de l’ordonnateur comme par le travail de l’artiste ; un de ces monumens, enfin, qui répondent à un sentiment public en appliquant à l’expression d’une idée morale tous les moyens de l’art employés avec tout le luxe de la monarchie. Et quand je pense que, chez nous, avec cette foule d’hommes de talent, avec les ressources d’une si grande nation, on ne construit guère d’édifices que pour remuer des pierres, dépenser des millions et occuper des ouvriers, et qu’on entasse tant de matériaux, qu’on enfouit tant de richesses, sans pouvoir produire un monument, je regrette presque ce que je suis venu voir, en songeant à ce que je vais retrouver.


Raoul-Rochette.
  1. Tout en respectant l’expression que l’auteur donne à sa pensée sur la réforme, nous croyons devoir faire ici nos réserves, et rappeler que le point de vue extrême auquel il se place n’est pas celui de la Revue.(N. du D.)