Introduction à l’histoire du bouddhisme indien/Premier Mémoire

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PREMIER MÉMOIRE

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

Les recherches auxquelles sont consacrés ces Mémoires ont été entreprises à l’aide d’une collection nombreuse de livres sanscrits que la Société Asiatique de Paris a reçue, vers la fin de l’année 1837, de M. Brian Houghton Hodgson, résident anglais à la cour du Népâl. Fixé par les devoirs de sa place au centre d’un pays où fleurit encore le Buddhisme, M. Hodgson eut, dès l’année 1821, la pensée de profiter de son séjour à Kathmandu pour étudier cette doctrine religieuse et philosophique alors si peu connue ; et quoique ses loisirs fussent presque entièrement employés par des travaux d’histoire naturelle qui ont rendu son nom célèbre, il sut encore trouver assez de temps pour rassembler plus de documents originaux sur le Buddhisme qu’on n’en avait recueilli jusqu’alors, soit en Asie, soit en Europe. M. Hodgson se mit en rapport avec un Buddhiste instruit de Patan, et il en obtint des renseignements très-curieux sur les dogmes fondamentaux de la religion du Népâl, ainsi que des indications précises sur l’existence de livres buddhiques écrits en sanscrit, auxquels étaient puisés les détails qu’il tenait du Religieux de Patan[1]. Il ne négligea rien pour voir ces livres ; il en acquit, non sans peine, un certain nombre, en fit copier d’autres ; et après plusieurs années d’efforts et de recherches, il se vit en possession d’une collection considérable de traités buddhiques sanscrits, dont l’existence n’était pas même soupçonnée avant lui, à l’exception peut-être du seul Lalita vistara, espèce de vie de Çâkyamuni Buddha, dont W. Jones et Colebrooke avaient ou vu ou possédé un exemplaire.

M. Hodgson ne tarda pas à communiquer à l’Europe savante les résultats de ses découvertes. Les Recherches asiatiques de Calcutta, les Transactions de la Société Asiatique de Londres, le journal que publie cette Société, et celui que dirigeait James Prinsep, secrétaire de la Société du Bengale, reçurent successivement de M. Hodgson des communications du plus haut intérêt. Dès 1828 les Recherches asiatiques de Calcutta publiaient une dissertation de ce savant, remplie de notions tout à fait neuves sur les langues, la littérature et la religion des Buddhistes du Népâl et du Bhot ou Tibet ; et ce premier essai renfermait déjà un exposé des diverses écoles philosophiques du Buddhisme de ce pays, qui n’a été ni surpassé, ni même égalé depuis[2]. En même temps M. Hodgson mettait à la disposition de la Société de Calcutta trois traités buddhiques rédigés en sanscrit, que M. Wilson publiait dans ce même volume des Recherches, traduits et accompagnés d’un commentaire[3]. Ce premier Mémoire révélait, entre autres découvertes importantes, ce fait capital et inconnu jusqu’alors, qu’il existait dans les monastères du Népâl de grandes collections de livres composés en sanscrit, c’est-à-dire dans la langue du pays où le Buddhisme était né plusieurs siècles avant notre ère, et d’où les Brâhmanes l’avaient depuis longtemps expulsé. M. Hodgson publiait une première liste de ces livres, avec la classification qu’en donnent les Népâlais, et il y joignait une analyse et des extraits de ceux de ces ouvrages qui traitent des opinions philosophiques des Buddhistes, et font connaître les diverses écoles qui les divisent.

En 1829 M. Hodgson présenta au comité de la Société Asiatique de Londres un Essai sur le Buddhisme, rédigé d’après les ouvrages qu’il avait trouvés au Népâl[4]. En transmettant à la Société ce Mémoire par l’intermédiaire du docteur Nathaniel Wallich, l’auteur fit, pour la première fois, connaître en détail et le plan qu’il avait suivi dès son arrivée au Népâl, pour se procurer des renseignements exacts sur la religion dite de Buddha, et le succès qui avait couronné ses efforts. Il faut lire la lettre à M. N. Wallich, qui précède l’essai dont je parle, pour apprécier le zèle désintéressé qui animait M. Hodgson, et la persévérance qu’il avait mise à poursuivre l’objet de ses recherches. Je la rappelle ici, moins à cause de l’honneur qu’elle fait à son auteur que parce qu’elle marque le point de départ de ses travaux, et qu’elle constate les soins qu’il prit pour se mettre à même de vérifier sur les textes sacrés les renseignements qu’il tenait du Buddhiste de Patan. En effet, pendant qu’il résumait sous une forme précise les réponses que le Buddhiste donnait à ses questions, il faisait exécuter une liste des livres buddhiques, rédigés en sanscrit, que l’on connaissait au Népâl, et il se procurait des copies de ceux de ces livres auxquels il lui était possible d’avoir accès, dans le dessein de les envoyer à Calcutta et à Londres. Il voulait par là donner aux corps savants qui s’occupent de l’histoire de l’Asie les moyens de contrôler, d’étendre et de compléter, par l’étude des textes originaux, les résultats qu’il avait recueillis dans ses conversations avec le Buddhiste de Patan.

Une circonstance heureuse le servit dans la composition de la liste des écritures buddhiques du Népâl, qu’il cherchait à dresser. Il apprit que les copistes ou les possesseurs de livres religieux avaient autrefois l’usage d’ajouter à la fin de leurs exemplaires des espèces de listes des ouvrages sacrés qui leur étaient connus. La découverte de ces listes le mit en état de compiler le catalogue d’une véritable bibliothèque buddhique, lequel ne renferme pas moins de deux cent dix-huit articles, dont plusieurs sont d’une étendue considérable, ainsi qu’on l’a pu vérifier depuis. Ce catalogue, beaucoup plus important et plus complet que celui qu’il avait adressé à la Société du Bengale, fut imprimé, dans les Transactions de celles de Londres, en caractères dêvanâgaris[5]. Je ne parle pas d’autres communications dont s’enrichirent les Transactions de la Société Asiatique de la Grande-Bretagne, ainsi que les autres recueils scientifiques cités plus haut, et je me hâte d’arriver au résultat qui, pour M. Hodgson, avait toujours été un des objets les plus importants de ses recherches, je veux dire le don qu’il avait l’intention de faire à la Société Asiatique de Londres, comme il l’avait fait depuis quelque temps à celle de Calcutta[6], de la collection des manuscrits buddhiques découverts par ses soins.

Au commencement de l’année 1830 il fit parvenir à Londres sept volumes de manuscrits bhoteas (tibétains), comme les désigne, sans autre description, la liste des dons faits à la Société Asiatique, qui est insérée à la fin du troisième volume de ses Mémoires[7]. Peu de temps après, en 1835, publiant dans le Journal de cette Société une série de textes extraits des livres sanscrits du Népâl, afin de justifier par des preuves authentiques son Essai sur le Buddhisme, M. Hodgson annonçait que la collection des livres sanscrits qu’il avait rassemblés au Népâl comprenait environ soixante gros volumes, et il ajoutait à cette indication ces généreuses paroles : « Je serai heureux de procurer des copies des ouvrages dont se compose cette collection aux corps savants qui désireront les posséder[8]. » Vers la fin de cette même année, M. Hodgson fit parvenir à Londres vingt-six volumes contenant la grande compilation intitulée Pradjñâ pâramitâ, en cent mille articles, qui faisait partie de la collection précédemment annoncée[9], et il promit d’adresser successivement à la Société Asiatique de la Grande-Bretagne, non seulement les neuf ouvrages qui passent pour canoniques au Népâl, mais encore tout ce qu’il avait pu rassembler de livres sanscrits relatifs au Buddhisme[10]. En effet, une année s’était à peine écoulée depuis cette promesse, que la Société recevait une seconde série de soixante-six volumes sanscrits, tous relatifs à la religion et à la philosophie des Buddhistes du Népâl[11].

Mais ce n’était pas assez pour M. Hodgson d’avoir donné à une société anglaise dont il était membre ces preuves nombreuses de sa libéralité ; il voulut encore appeler la Société Asiatique de Paris à partager les fruits de ses découvertes, et il lui fit don en 1837 de vingt-quatre ouvrages sanscrits parmi lesquels plusieurs sont d’une étendue considérable[12]. Ce présent fut suivi d’un envoi beaucoup plus précieux encore : il se composait de soixante-quatre manuscrits renfermant à peu près tout ce que possédait depuis peu de temps la Société Asiatique de Londres[13]. M. Hodgson avait fait copier ces manuscrits pour le compte de la Société Asiatique de Paris, qui dès 1836 s’était hâtée d’accepter l’offre que faisait ce savant, de transmettre aux corps littéraires qui désireraient les posséder des copies des manuscrits qu’il avait découverts. Ainsi, grâce à ce double acte de libéralité et de zèle, la Société Asiatique de Paris, à laquelle celle du Bengale venait d’envoyer, une année auparavant, la grande collection des ouvrages buddhiques traduits en tibétain, connue sous le nom de Kah-gyur (Bkah-hgyur), possédait la plus grande partie des textes sanscrits, qui de l’aveu des Buddhistes du Bhot, comme de ceux du Népâl, passent pour être les originaux sur lesquels ont été exécutées les traductions tibétaines.

La Société Asiatique ne négligea rien pour témoigner à M. Hodgson toute sa gratitude ; mais il était évident qu’un des plus sûrs moyens de la lui exprimer, c’était de répondre d’une manière scientifique à l’appel qu’il avait cru pouvoir lui faire. M. Hodgson n’avait certainement pas envoyé à Paris deux collections de cette étendue pour qu’elles dormissent paisiblement sur les rayons d’une bibliothèque. Il voulait voir se poursuivre en Europe les recherches qu’il avait commencées lui-même avec tant de succès en Asie ; et c’eût été mal reconnaître les efforts qu’il avait faits pour se procurer ces manuscrits, et la générosité avec laquelle il en disposait en faveur de la France, que de ne pas essayer de porter la lumière sur quelques-uns des ouvrages qu’ils renfermaient. Je sentis, pour ma part, comme membre de la Société Asiatique de Paris, tout ce qu’il y avait d’honorable et de pressant dans l’appel de M. Hodgson, et je résolus dès lors d’y répondre autant qu’il était en moi. Telles sont les circonstances qui ont donné lieu aux recherches qui font l’objet des Mémoires contenus dans ce volume. On verra, je l’espère du moins, que ces recherches ont leur place marquée dans le cadre des études relatives à l’Inde ancienne que j’ai tracé, il y a quelque temps, à la fin de mon introduction au Bhâgavata Purâna.


Lorsque, pour la première fois, M. Hodgson fit connaître ses découvertes, il présenta au monde savant les ouvrages qui en étaient le fruit, comme les textes originaux d’après lesquels avaient été exécutées les traductions des livres qui font autorité chez la plupart des nations de l’Asie converties au Buddhisme[14]. Aucune voix ne s’éleva contre cette assertion que tant de témoignages devaient bientôt confirmer. En effet, peu de temps après que M. Hodgson eut publié sa liste des livres sanscrits du Népâl, Csoma de Cörös, que des études poursuivies avec un dévoûment héroïque avaient rendu maître de la langue tibétaine, inséra dans le journal de la Société Asiatique du Bengale, et particulièrement dans les Recherches de cette savante compagnie, des analyses exactes et détaillées de la grande bibliothèque tibétaine de Kah-gyur, qui, comme l’indique son titre de Traduction des Préceptes, se compose de versions faites sur des ouvrages sanscrits qu’on retrouve presque tous dans la collection de M. Hodgson[15]. C’est ainsi que la partie du Kah-gyur intitulée Cher-tchin (Cher-phyin), qui traite, en vingt et un volumes, de la métaphysique du Buddhisme, est renfermée tout entière, moins les derniers volumes peut-être, dans les diverses éditions de la Pradjñâ pâramitâ en sanscrit, découvertes par M. Hodgson[16]. Il en faut dire autant d’un bon nombre de volumes appartenant à la section du Kah-gyur nommée Mdo-sde, et répondant à la grande division des écritures buddhiques du Népâl dite Sûtrânta, ou simplement Sûtra. Par exemple, le second volume de la section tibétaine est la traduction du Lalita vistara, c’est-à-dire d’une exposition religieuse de la vie de Çâkyamuni[17]. Une partie du cinquième volume renferme la version du traité philosophique sanscrit intitulé Langkâvatâra[18], ouvrage qui, pour le dire en passant, existe également à la Chine[19]. Le septième volume donne la traduction du Saddharma puṇḍarîka, ou du Lotus blanc de la bonne loi, dont je publierai prochainement une traduction française[20]. Ce même volume contient, entre autres traités, une traduction du Karaṇḍa vyûha, dont le texte sanscrit existe également dans la collection de M. Hodgson[21]. Le vingt-neuvième volume donne une version tibétaine très-littérale, ainsi que je l’ai vérifié moi-même, d’un recueil de légendes intitulé Avadâna çtaka, dont je m’occuperai ailleurs plus en détail, et dont j’ai déjà traduit deux livres[22]. Je ne parle pas d’un nombre considérable de morceaux qui se trouvent dispersés, soit dans la section dite Mdo, et dont le Divya avadâna de M. Hodgson donne les originaux sanscrits, soit dans la section Dul-va (Hdul-va-gji). Les rapprochements que je viens d’indiquer suffisent pour prouver combien est digne de confiance le témoignage des Népâlais, quand ils affirment que leurs textes sanscrits sont les originaux des versions tibétaines. Ces citations donnent en même temps une grande vraisemblance à cette opinion de M. Hodgson, qu’il n’est, dans la collection du Tibet, presque aucun traité dont on ne doive garder l’espérance de retrouver un jour l’original sanscrit[23]. Si M. Hodgson s’exprimait ainsi avant que Csoma de Cörös eût publié son excellente analyse du Kah-gyur, cette assertion ne peut plus faire l’objet d’un doute depuis que cette analyse nous a donné, avec le titre des traités tibétains contenus dans ce vaste recueil, celui des originaux sanscrits dont ces traités ne sont que la traduction.

Ce que je viens de dire des livres tibétains s’applique également aux livres mongols, autant du moins qu’il m’est permis de le reconnaître, pour ceux des traités religieux dont je puis vérifier les titres. La belle collection d’imprimés et de manuscrits tibétains et mongols dont M. Schilling de Canstadt fit présent, en 1837, à l’Institut de France, renferme la traduction mongole de quelques traités sanscrits du Népâl. Je citerai, entre autres, la Pradjñâ pâramitâ, en vingt-cinq mille stances, dont la version mongole forme deux forts volumes[24] ; le Suvarṇa prabhâsa, dont la version mongole est citée par M. Schmidt sous le titre d’Altan gerel[25] ; le Vadjra tchhêdika, dont on doit à M. Schmidt une traduction faite sur le tibétain[26], et deux recueils de petits traités ou formules d’une moindre importance[27]. Si je ne cite pas d’autres livres, c’est que je n’en ai pas un plus grand nombre à ma disposition ; mais je ne prétends en aucune manière limiter à ces indications nécessairement incomplètes la liste des ouvrages que les Mongols ont dû traduire du sanscrit, ou au moins du tibétain. C’est à M. Schmidt, qui a extrait des livres mongols de si précieux renseignements sur le Buddhisme de l’Asie centrale, qu’il appartient de déterminer l’étendue des emprunts que les Mongols ont faits à la littérature buddhique du Nord de l’Inde. Cette tâche serait d’autant moins difficile pour cet habile orientaliste, que dès l’année 1830 il affirmait que parmi les deux cent dix-huit ouvrages buddhiques dont M. Hodgson donnait la liste, la plupart avaient été traduits en mongol, et que presque tous se trouvaient entre ses mains ou lui étaient bien connus sous leur titre sanscrit[28].

Je possède moins de renseignements encore sur la relation de la littérature buddhique de la Chine avec celle du Népâl, parce que les livres des Buddhistes chinois n’ont pas été jusqu’ici analysés en détail comme ceux des Tibétains, et que les titres de ceux qu’on connaît ne peuvent être aisément rendus à leur forme originale sans la double connaissance du chinois et du sanscrit. Mais ce qu’on en peut découvrir, sans avoir directement accès aux sources, montre qu’en Chine, comme en Tartarie, beaucoup des livres réputés sacrés par les Buddhistes ne sont que des traductions des traités sanscrits du Népâl. Ainsi il y a déjà longtemps que M. Abel Rémusat constatait l’existence d’une traduction chinoise du Langkâvatâra, l’un des ouvrages de la liste de M. Hodgson qui appartient à la Bibliothèque royale[29]. Mon savant confrère M. Stan. Julien a bien voulu me faire connaître une traduction chinoise du Saddharma puṇḍarîka, que possède la même bibliothèque[30]. M. Landresse cite, dans ses notes sur le Foe koue ki, un autre traité religieux connu sous le titre de La splendeur de l’éclat de l’or, qui n’est sans doute que le Suvarṇa prabhâsa du Népâl ou des Mongols[31]. Il faut encore rappeler ici un livre que les Chinois désignent par le titre de Grand Âgama, et qui n’est certainement autre chose que le Dîrghâgama, dont il sera parlé plus bas, de même que l’ouvrage qu’ils nomment « Âgama augmenté d’un » est le livre sanscrit, ou plutôt la collection nommée Êkôttara âgama[32]. Je n’hésite pas à croire, que s’il m’eût été possible de comparer avec les titres des listes de M. Hodgson les noms des livres chinois buddhiques fréquemment cités par divers auteurs, j’aurais retrouvé un bon nombre de titres sanscrits cachés sous les traductions ou sous les transcriptions plus ou moins altérées des Chinois.

L’étude suivie des ouvrages buddhiques qui font autorité chez les Mongols et chez les Chinois ajoutera certainement plus tard un très-grand nombre de faits à ceux que je ne cite ici qu’en passant, et il est très-probable qu’on retrouvera dans les monastères de la Tartarie et de la Chine, sinon la totalité, du moins la plus grande partie de ce que les Tibétains possèdent. Mais quelque limitées que soient, quant à présent, les indications précédentes, elles suffisent pour placer la collection des livres sanscrits du Népâl au point de vue sous lequel M. Hodgson voulait qu’elle fût envisagée par l’Europe savante. Oui, c’est un fait démontré jusqu’à l’évidence, que la plupart des livres réputés sacrés par les Buddhistes du Tibet, de la Tartarie et de la Chine, ne sont que les traductions des textes sanscrits récemment découverts au Népâl, et ce fait seul marque positivement la place de ces textes dans l’ensemble des documents que les nations de l’Asie citées tout à l’heure fournissent à l’histoire générale du Buddhisme. Il nous les présente comme les originaux dont ces documents ne sont que les copies, et il restitue à l’Inde et à sa langue l’étude d’une religion et d’une philosophie qui a eu l’Inde pour berceau.

Si j’insiste sur ce fait, parce qu’il donne aux études buddhiques leur véritable et plus solide base, je ne veux en aucune façon contester l’importance qu’ont dans cette étude les livres tibétains, mongols et chinois. Outre que la connaissance de ces trois dernières classes de livres est absolument indispensable pour l’histoire générale d’un système qui, accueilli depuis des époques déjà anciennes chez des peuples d’origine et de civilisation diverses, a dû y subir des modifications qu’il importe à l’historien philosophe de reconnaître et de constater, j’ai acquis la conviction personnelle que, pour celui même qui veut s’en tenir à l’étude du Buddhisme indien, les traductions des livres sanscrits du Népâl faites au Tibet, comme celles des livres pâlis de Ceylan faites dans le Barma, ont une incontestable utilité. Je ne rappellerai pas, pour rehausser la valeur de ces traductions, qu’elles ont été exécutées lorsque le Buddhisme était encore florissant, et par des hommes qui avaient étudié le sanscrit et le pâli avec le soin qu’exigeait la mission dont ils s’étaient chargés. Je n’indiquerai pas les diverses circonstances qui assurent la supériorité des versions faites jadis en Asie sur celles qu’on peut donner aujourd’hui en Europe des textes sanscrits du Nord, quoiqu’il ne doive pas coûter aux philologues, familiarisés par leurs études avec la langue sanscrite, de reconnaître cette supériorité, éloignés, comme ils sont tous, des secours des natifs, parmi lesquels des hommes instruits ont conservé fidèlement le dépôt de l’interprétation traditionnelle. Je ne parlerai pas davantage des difficultés que présente l’explication de quelques termes philosophiques, jointe à l’inconcevable incorrection des manuscrits, qui pour presque tous les textes sanscrits du Népâl sont uniques. Mais je dirai qu’en elles-mêmes, et par cela seul que ce sont des traductions, les versions tibétaines, mongoles chinoises et barmanes doivent, dans bien des cas, servir heureusement à l’intelligence des originaux sanscrits ou pâlis qu’elles reproduisent.

La différence seule des idiomes dans lesquels ces versions sont rédigées fournit au lecteur européen des moyens inattendus d’interprétation, qu’il lui serait d’ordinaire bien difficile de découvrir par l’étude isolée du texte original. Et pour n’en citer qu’un exemple, le génie plus ou moins métaphorique de la langue dans laquelle s’est exprimé le traducteur, qu’il soit Chinois, Tibétain ou Mongol, a dû le forcer de prendre un parti décisif sur certaines expressions purement indiennes quant au fond et quant à la forme, pour lesquelles sa langue maternelle ne lui offrait que des équivalents incomplets ou ne lui en offrait pas du tout. Or, comme il fallait traduire, on doit croire que les interprètes ont sacrifié la forme au sens, et qu’ils ont fait tous leurs efforts afin de rendre l’un, même aux dépens de l’autre. Maintenant, si une de ces expressions purement indiennes se présente dans un texte sanscrit du Népâl ; si aucun dictionnaire, si aucune analogie philologique n’aide à en faire soupçonner le sens, ne devra-t-on pas s’attendre à trouver dans la version chinoise, tibétaine ou mongole de ce texte, le moyen de l’interpréter ? Ces cas d’une obscurité profonde sont du reste assez rares, et je puis assurer qu’il n’y a rien, dans toute la littérature sanscrite, d’aussi facile à entendre que les textes du Népâl, sauf quelques termes dont les Buddhistes ont fait une application toute spéciale ; je n’en donnerai d’autre preuve que le nombre considérable de ces textes qu’il m’a été possible de lire dans un temps assez limité. Toutefois, il faut aussi en convenir, en supposant ces livres aussi difficiles qu’ils le sont peu, il est possible que les interprètes étrangers aient été assez bien servis par leur amour de l’exactitude pour découvrir et pour employer une expression aussi obscure dans leur propre langue que l’est celle du texte sanscrit. La version alors nous sera d’autant moins utile, qu’elle sera plus fidèle, tout de même que son importance, aux yeux d’un lecteur européen, croîtra généralement en raison de la liberté avec laquelle le traducteur aura traité l’original. Mais on n’a pas besoin d’exagérer la difficulté des textes pour rehausser la valeur des versions qu’en ont faites les Tibétains, les Chinois et les Mongols ; ces versions auront toujours en elles-mêmes une valeur incontestable comme moyen d’interpréter les textes même les moins difficiles.

Après ces observations, qu’il me suffit d’indiquer sommairement, je serai plus libre d’avancer que, dans mon opinion, les véritables sources auxquelles on doit puiser la connaissance du Buddhisme indien, les sources originales et les plus pures sont les textes sanscrits du Népâl, et comme je le dirai plus tard, les livres pâlis de Ceylan. Si j’ai dû convenir que les versions chinoises, tibétaines et mongoles pouvaient, dans un plus ou moins grand nombre de cas, éclairer de quelque lumière l’étude des originaux, on devra m’accorder également que, dans un nombre de cas beaucoup plus considérable, ces versions doivent rester aussi obscures aux philologues européens qui s’occupent de chinois, de tibétain et de mongol, que les textes écrits en sanscrit le sont pour ceux qui ont fait de cette langue une étude spéciale. J’ose même dire que s’il existe quelque différence entre ces deux classes d’érudits, toutes les conditions de savoir et de talent étant reconnues égales, cette différence doit être à l’avantage de ceux qui ont la faculté de lire dans l’original même ce que les autres ne peuvent apercevoir qu’à travers le milieu de langues dont les procédés et le caractère ont souvent si peu de rapports avec ceux de l’idiome dans lequel les textes ont été primitivement rédigés.

Le génie de l’Inde a marqué toutes ses productions d’un caractère tellement spécial, que quelque supériorité d’esprit, et quelque liberté dans l’emploi de leurs moyens qu’on suppose aux traducteurs orientaux, on ne peut s’empêcher de reconnaître qu’ils ont dû nécessairement transporter dans leurs versions certains traits de l’original qui resteront souvent inintelligibles au lecteur qui n’a pas le moyen de recourir au texte indien lui-même. Il y a plus, le but même de ces traducteurs a dû être de reproduire le plus fidèlement qu’il leur était possible la couleur indienne, si fortement empreinte dans les ouvrages qu’ils voulaient populariser. De là ces versions dans lesquelles les noms propres, et souvent aussi les termes spéciaux de la langue religieuse et philosophique du buddhisme, ont été conservés avec une attention désespérante pour celui qui ne peut en chercher la signification dans l’idiome auquel ils appartiennent. De là ces traductions, qui sont des imitations matériellement exactes de l’original, mais qui, tout en en retraçant les traits extérieurs, n’en expriment pas plus l’âme que le calque d’un tableau qui s’arrêterait au contour des figures, sans en reproduire la partie colorée et vivante, ne représenterait ce tableau. Sous ce rapport, les textes originaux ont, sur les traductions qui les répètent, un avantage incontestable ; et, toutes choses étant égales d’ailleurs, le traducteur d’un livre buddhique écrit en sanscrit se trouve placé dans des conditions moins défavorables pour le bien comprendre que le traducteur du même texte reproduit dans la langue de l’un des peuples de l’Orient chez lesquels s’est établi le Buddhisme.

Mais ce n’est pas seulement par les traits qu’elle conserve de l’original sanscrit qu’une traduction chinoise, tibétaine ou mongole sera quelquefois plus obscure que le texte, et conséquemment doit lui être inférieure aux yeux de la critique ; c’est encore, et en particulier, de tout ce qu’elle en efface que résulte l’infériorité de la version comparée à l’original. Quand, par exemple, les Chinois désignent un ouvrage buddhique comme traduit de la langue fan, c’est-à-dire, ainsi que l’a reconnu M. A. Rémusat, de la langue de Brahmâ[33], ils nous apprennent sans doute que le texte original a été écrit dans une langue indienne quelconque ; mais ils ne nous disent pas quelle est cette langue. Et comme ils ont pu traduire bien des livres sur des originaux pâlis, et que le pâli est aussi bien une langue indienne que le sanscrit, il arrive que la dénomination de langue fan, tout en exprimant un fait vrai, supprime la distinction qui permettrait de saisir, sous ce fait, un autre fait secondaire, qui n’a pas moins d’importance que le premier, mais qui reste dans une obscurité profonde, savoir si le texte était sanscrit ou pâli. Cet inconvénient, qui a déjà été signalé[34], et dont il est facile de pressentir l’effet, puisqu’il est historiquement nécessaire de savoir à quelle source a été puisé un ouvrage donné, doit avoir des conséquences assez graves quand il s’agit de certains textes qui sont composés du mélange de divers styles, et souvent même de plusieurs dialectes ; car en revêtant d’une couleur uniforme un ouvrage dont les diverses parties portent la trace d’origines diverses, la traduction fait disparaître le seul indice auquel la critique puisse reconnaître l’authenticité, ou même l’âge et la patrie de l’ouvrage. Il me suffit d’indiquer cette observation, dont je n’ai pas les moyens de déterminer toute la portée en ce qui touche les traductions chinoises et mongoles. Il est cependant un livre au moins, dans la collection du Népâl, qui justifie ces remarques et permet de conjecturer que les traducteurs tibétains n’ont pas toujours rendu fidèlement certains traits de l’original, qui constituent un des caractères les plus curieux et les plus neufs du texte primitif.

Cet ouvrage est intitulé Saddharma puṇḍarîka, ou « le Lotus blanc de la bonne loi ; » il fait partie des neuf Dharmas, ou livres réputés canoniques par les Buddhistes du Népâl. Il se compose de deux parties distinctes, ou à vrai dire de deux rédactions, l’une en prose, et l’autre en vers. La seconde ne fait en général que reproduire le fond de la première, avec les différences qu’entraîne nécessairement l’exposition poétique. Ces deux rédactions sont entremêlées l’une à l’autre, de telle sorte que quand un récit ou un discours a été exposé en prose, il est de nouveau repris en vers, tantôt d’une manière abrégée, tantôt avec des développements qui ajoutent peu de choses à la première rédaction. Ce genre de composition, qui ne rappelle que par le mélange de la prose et des vers les ouvrages sanscrits nommés Tchampû[35], n’est pas la seule particularité curieuse de ce livre ; ce qui le rend plus remarquable encore, c’est que les portions poétiques sont largement entremêlées de formes populaires, quelquefois analogues à celles des dialectes prâcrits, dérivés du sanscrit, à peu près comme dans la stance, mi-partie sanscrite et prâcrite, que Colebrooke a citée dans son traité sur la poésie indienne[36]. Ces formes ne paraissent pas seulement là où les appelle le besoin du mètre, dont les lois ne sont pas d’ailleurs très-sévères ; elles sont au contraire très-fréquentes et assez nombreuses pour caractériser d’une manière distincte le style des parties poétiques de cet ouvrage.

Ce que je viens de dire du Saddharma puṇḍarika s’applique également à un grand nombre d’ouvrages de la collection népâlaise. Les livres nommés Mahâyâna sûtras, dont je parlerai bientôt, et en général tous les traités dont le fond se trouve ainsi doublé par l’addition d’une rédaction poétique, offrent ce style mélangé de formes populaires prâcrites ou pâlies ; on le remarque encore, et même à un plus haut degré, dans un ouvrage composé en prose, le Mahâvastu, ou la Grande histoire, volumineux recueil de légendes relatives au fondateur du Buddhisme et à plusieurs de ses contemporains, duquel il sera question plus bas. Cet ouvrage est généralement écrit en prose, et la présence des formes altérées n’y est certainement pas justifiée par les nécessités de la métrique.

Je n’ai pas besoin d’insister beaucoup pour faire comprendre l’intérêt qu’a la critique à vérifier l’existence ou l’absence d’un caractère de ce genre. C’est encore une question obscure que celle de savoir dans quelle langue ont été, pour la première fois, rédigés par écrit les livres attribués au fondateur du Buddhisme. Dans le nord, les Tibétains, ainsi que nous le dirons plus tard, affirment que plusieurs dialectes indiens ont été employés à la fois par les premiers disciples de Çâkya[37] ; mais sans discuter ici en détail cette opinion, dont l’examen trouvera sa place dans l’Esquisse historique du Buddhisme, je puis déjà dire, avec Lassen[38], que la classification des dialectes dont les Tibétains attribuent l’usage aux premiers rédacteurs des écritures sacrées a quelque chose de trop systématique et de trop factice pour être admise comme l’expression complète de la vérité. Son unique mérite, à mes yeux, est de constater l’emploi simultané de la langue savante et des dialectes populaires. Or, ce fait, dont M. Hodgson a déjà, par de bons arguments, démontré la possibilité[39], est en lui-même trop vraisemblable pour ne pas être reconnu, au moins d’une manière générale ; seulement la suite de nos recherches devra l’exposer avec plus de détails, et en marquer les limites et la portée. Ainsi il faudra tenir compte de l’existence des anciennes inscriptions buddhiques rédigées en pâli, et y voir la preuve qu’à une époque voisine de l’établissement du Buddhisme, le sanscrit n’était déjà plus la langue populaire de l’Inde centrale et septentrionale, et que la religion nouvelle, pour être comprise de tous, était forcée de se servir d’un dialecte vulgaire. Il faudra également peser des faits comme celui qu’a déjà signalé la sagacité de Lassen, quand il a soupçonné qu’une formule qui fait partie de la profession de foi des Buddhistes avait dû être conçue primitivement en pâli, et de là transportée en sanscrit[40]. Si, comme je le montrerai dans une dissertation spéciale, des passages très-nombreux et très-importants des textes sanscrits du Nord autorisent des inductions du même genre, il faudra reconnaître que le dialecte vulgaire de l’Inde centrale a exercé sur la rédaction des textes composés en sanscrit une influence qui ne peut s’être produite que dans des temps anciens, avant que les Buddhistes se fussent séparés en deux grandes écoles, celle du Nord, où les livres sont rédigés en sanscrit, et celle du Sud, où ils le sont en pâli.

La question n’est donc pas aussi simple qu’elle paraît l’être au premier coup d’œil. Elle se complique encore de celle des conciles, dont l’histoire touche de si près à celle de la rédaction des livres. Que serait-ce si, étendant l’horizon de nos recherches, nous comparions à la tradition du Nord ce que nous apprend la tradition singhalaise ? Là, c’est-à-dire chez les peuples où domine exclusivement le pâli à titre de langue sacrée, nous reconnaîtrions qu’une partie notable des livres buddhiques, avant d’être rédigée en pâli, s’est conservée longtemps dans des versions singhalaises. En un mot nous trouverions, au terme de nos recherches, d’un côté l’action facilement reconnaissable du dialecte vulgaire sur la langue savante employée à la rédaction des livres du Nord ; de l’autre, la preuve que la collection des livres du Sud n’a pas été, à l’origine, rédigée intégralement dans le dialecte qu’on nomme pâli. On le voit, dans cette question difficile, les monuments, les textes et les souvenirs de la tradition se mêlent, se contredisent quelquefois et s’expliquent rarement ; mais toujours chacun d’eux se présente sous le costume qui lui est propre ; les uns parlent en sanscrit, les autres en pâli, d’autres en un dialecte où il entre du sanscrit et du pâli ; et c’est à ces caractères qu’il faut s’attacher, si l’on veut essayer de déterminer leur âge et leur origine.

Maintenant, je le demande, que peut-il rester de ces caractères et des questions qu’ils font naître, dans une traduction chinoise, tibétaine ou mongole ? Le traducteur, sans doute, en a eu connaissance, puisqu’il a été capable de traduire ; mais il est difficile qu’on en retrouve quelque trace dans sa version, qui, en effaçant cette différence de style, a supprimé tous les moyens que l’original livrait à la critique pour la solution des diverses questions que je rappelais tout à l’heure. Peut-être en passant à l’interprétation des parties poétiques du Saddharma puṇḍarika, par exemple, l’interprète aura-t-il averti que ces morceaux sont écrits dans un style différent et dans un autre dialecte. Ce fait, que je ne puis affirmer, est possible sans doute ; mais il faut convenir qu’une telle indication ne serait pas encore suffisante, et qu’à moins que le traducteur ne donnât un spécimen du style avec le nom du dialecte, on ne pourrait rien décider d’après cette simple indication que le style change. Sans me livrer d’ailleurs à d’inutiles conjectures sur ce que les interprètes chinois et mongols ont pu prendre de soins pour indiquer cette circonstance capitale, je suis en mesure d’affirmer que les Lotsavas ou interprètes tibétains, auxquels on doit la version du Saddharma puṇḍarika contenue dans le Kah-gyur, n’ont eu recours à aucune des précautions faites pour éveiller l’attention du lecteur sur les variétés de dialecte signalées plus haut. Ils ont traduit en prose tibétaine la prose sanscrite, en vers tibétains les vers sanscrits, sans avertir qu’en passant de la première partie de l’original à la seconde on entrait en quelque façon dans un style et dans un ouvrage tout nouveau[41].

Puisque j’ai parlé des interprètes tibétains, qu’il me soit permis, pour justifier le jugement général porté tout à l’heure sur les traductions asiatiques des ouvrages sanscrits du Népâl, de montrer, par un petit nombre d’exemples précis, de quelle manière ils sont infidèles à l’original, soit en traduisant trop, si je puis m’exprimer ainsi, soit en ne traduisant pas assez. Il est clair qu’il ne s’agit pas ici d’une critique du système suivi par ces traducteurs ; ce système est irréprochable : c’est celui d’une littéralité parfaite ; et quand il est appliqué avec rigueur, une version tibétaine représente jusqu’aux derniers traits du texte sanscrit. J’accorde même pour un instant un point qui me paraît encore fort contestable, savoir, qu’on connaît assez en Europe toutes les ressources de la langue tibétaine pour traduire un livre écrit dans cette langue avec autant de sûreté qu’on le peut faire du texte sanscrit primitif, et sans avoir besoin de recourir à ce texte même. Il me suffira, quant à présent, d’emprunter à ces versions, en général si fidèles, un petit nombre de passages où l’original sanscrit a, du moins à mes yeux, une supériorité manifeste sur l’interprétation tibétaine. J’ai si peu l’intention de décliner les difficultés de cette comparaison, que j’ai choisi le terme qui revient le plus souvent dans les textes, le terme le plus important de tous, celui que les Lotsavas ont dû comprendre le mieux, celui que nous devons avoir le plus de peine à expliquer, le terme de Nirvâṇa.

Le Nirvâṇa, c’est-à-dire, d’une manière très-générale, la délivrance ou le salut, est le but suprême que le fondateur du Buddhisme a proposé aux efforts de l’homme. Mais qu’est-ce que cette délivrance, et quelle est la nature de ce salut ? Si nous consultons l’étymologie, elle nous répondra que c’est l’anéantissement, l’extinction. Maintenant, comment entendre cet anéantissement, et sur quoi porte-t-il ? Est-ce sur les conditions relatives de l’existence, ou sur l’existence elle-même, sur la vie ? Le Nirvâṇa est-il pour l’homme cet état de repos dans lequel il se trouve lorsqu’il a par la méditation rompu les liens qui l’attachaient au monde extérieur, et qu’il rentre en possession de sa force propre considérée en elle-même, et indépendamment de tout ce qui l’entoure ? Ou bien est-ce l’état plus élevé où, faisant abstraction et du monde extérieur et du monde intérieur, il se détache des phénomènes de sa vie propre, comme il s’est détaché des phénomènes de sa vie relative, et ne sent plus en lui que l’existence universelle au sein de laquelle coexistent toutes les parties de l’univers ? En d’autres termes, l’homme, dans le Nirvâṇa, est-il à l’état de vie individuelle, gardant avec le sentiment de sa personnalité celui de son activité ? ou est-il à l’état d’être universel, de sorte qu’ayant perdu, avec le sentiment de sa personnalité, celui de son activité, il ne puisse plus être distingué de l’existence absolue, que cette existence soit Dieu ou la Nature ? Enfin, dans l’hypothèse où l’anéantissement porterait sur l’existence elle-même, le Nirvâṇa est-il l’extinction, la disparition non seulement de la vie individuelle, mais encore de la vie universelle : en deux mots, le Nirvâṇa est-il le néant ?

On voit que l’étymologie du mot de Nirvâṇa ne répond à aucune de ces questions, lesquelles ne sont autre chose que l’expression de systèmes théologiques très-divers. C’est à l’emploi qu’ont fait les Buddhistes de ce terme, c’est aux définitions qu’ils en ont données qu’il faut demander l’explication de ces grands problèmes. Or, comme les Buddhistes sont, depuis bien des siècles, divisés en sectes ou en écoles, l’explication du terme de Nirvâṇa varie suivant les divers points de vue des sectaires. Et sans entrer ici dans une discussion délicate qui trouvera sa place ailleurs, je puis déjà dire que le Nirvâṇa est pour les théistes l’absorption de la vie individuelle en Dieu, et pour les athées l’absorption de cette vie individuelle dans le néant. Mais pour les uns et pour les autres, le Nirvâṇa est la délivrance, c’est l’affranchissement suprême.

Cela est si vrai que l’idée d’affranchissement est la seule que les interprètes tibétains aient vue dans le mot de Nirvâṇa, car c’est la seule qu’ils ont traduite. Dans les versions qu’ils donnent des textes sanscrits du Népâl, le terme de Nirvâṇa est rendu par les mots mya-ngan-las-hdah-ba, qui signifient littéralement « l’état de celui qui est affranchi de la douleur, » ou « l’état dans lequel on se trouve quand on est ainsi affranchi. » Ouvrez tous les dictionnaires tibétains que nous possédons, celui de Schröter, celui de Csoma de Côrôs et celui de Schmidt, vous les trouverez tous unanimes sur ce point. Le premier traduit cette expression par « mourir, mettre un terme au trouble et aux afflictions[42], » et il rend une des locutions composées où elle figure par « obtenir le salut éternel. » Csoma la rend ainsi : « l’état d’être délivré de la peine, » et dans un autre endroit, « un être délivré de la peine, la mort, l’émancipation[43]. » M. Schmidt, enfin, l’interprète par « être affranchi du chagrin, » et dans un autre endroit par « l’état d’être affranchi de la loi de la transmigration[44]. » Les interprètes tibétains entendent donc par Nirvâṇa l’affranchissement, et en particulier, comme le dit M. Schmidt, l’affranchissement de la loi de la transmigration ; mais ils ne nous indiquent pas de quelle espèce est cet affranchissement, et leur interprétation ne répond pas plus que ne fait le terme de Nirvâṇa aux nombreuses questions que suscite ce terme difficile.

Je dis plus encore : cette version nous instruit moins que le mot sanscrit original, car ce n’est pas une traduction à proprement parler ; c’est un commentaire. Si le mot Nirvâṇa ne nous montre pas ce qui est détruit dans l’état de Nirvâṇa, il nous laisse voir du moins qu’il y a une destruction. Le tibétain, en disant que le Nirvâṇa est l’affranchissement de la douleur, nous apprend l’effet dont le Nirvâṇa est la cause, et laisse dans l’ombre et cette cause et son mode d’action. Ici donc, on peut l’avancer hardiment, les interprètes tibétains ont traduit trop et trop peu : trop, car ils ont vu dans le Nirvâṇa plus que ce terme ne dit, savoir l’effet du Nirvâṇa ; trop peu, car ils ont passé sous silence le mode d’action du Nirvâṇa, et le véritable état que ce terme exprime, l’anéantissement. Tout cela, au fond, revient à peu près au même ; mais quand il s’agit de l’appréciation des systèmes religieux de l’antiquité, cette grande et belle page de l’histoire de l’esprit humain, on ne peut apporter trop de rigueur dans l’interprétation des termes fondamentaux, et il est de la dernière importance de connaître le sens primitif de ces termes, et de les voir avec leur couleur et sous leur costume véritables. Cela est d’autant plus nécessaire que les systèmes sont plus antiques et plus originaux, car il y a une époque où l’on peut dire de la théologie : nomina numina.

Une traduction en ce genre est donc d’autant plus satisfaisante qu’il est plus facile d’y retrouver l’original, et de remonter du terme traduisant au terme traduit. Or, on le voit, cet avantage manque tout à fait à la traduction tibétaine du mot qui nous occupe. Si nous ne possédions en effet aucun texte, aucun mot des livres sanscrits des Buddhistes népâlais, si le mot de Nirvâṇa nous était entièrement inconnu, il serait impossible à un lecteur versé dans la langue tibétaine de reconstruire le terme perdu de Nirvâṇa avec les éléments actuels du mya-ngan-las hdah-ba tibétain. La seule expression sanscrite qui les rendît exactement serait çôkamuhti ou çôkamuktatva (la délivrance du chagrin), et le mot çôka (chagrin) serait si bien l’équivalent de mya-ngan, que ce terme même de çôka, figurant dans le nom propre royal d’Açôka (le roi sans chagrin), est représenté chez les Tibétains par le mya-ngan dont il s’agit ici. Et réciproquement, si c’était le nom d’Açôka qui fût perdu, et que celui de Nirvâṇa se fût conservé, quand on rencontrerait le nom royal dans lequel figurent les monosyllabes mya-ngan, traduction de la partie la plus considérable du mot de Nirvâṇa, on serait naturellement porté à croire que le terme de Nirvâṇa forme la base de ce nom. Voilà donc deux termes, celui de Nirvâṇa et le nom du roi Açôka, dont la plus importante moitié est, d’après les Tibétains, figurée par une seule et même expression, circonstance qui, je n’hésite pas à le dire, crée, pour celui qui n’étudierait le Buddhiste que dans les formules tibétaines indépendamment du sanscrit, une confusion de laquelle il lui serait bien difficile, sinon tout à fait impossible de sortir.

Le terme que je viens d’examiner appartient autant à la langue des Brâhmanes qu’à celle des Buddhistes ; mais ces derniers se le sont approprié en quelque sorte par l’usage qu’ils en ont fait. Ils ont donc pu en modifier le sens d’après l’ensemble de leurs idées, et il est aisé de comprendre qu’ils en aient donné une traduction qui s’éloigne autant de la véritable étymologie. Je me figure même que c’est à dessein qu’on a laissé à cette traduction le caractère de vague que je signalais tout à l’heure ; les interprètes, de peur d’être forcés de prendre parti entre les diverses sectes, s’en seront tenus à une généralité admise de tous, ce qui concourt, avec d’autres données historiques, pour établir que les versions tibétaines sont postérieures au développement complet des grandes sectes buddhiques. Je vais citer maintenant un mot qui appartient en propre à la langue brâhmanique, et que les interprètes du Tibet ont traité avec une liberté faite pour embarrasser un lecteur européen. Dans un texte fort remarquable où le fondateur du Buddhisme veut établir la supériorité de la morale sur l’accomplissement des devoirs religieux, il apprend à ses disciples que les maisons où les enfants honorent leur père et leur mère sont aussi saintes que si Brahmâ, un précepteur spirituel, le Dieu de la famille et le feu domestique se trouvaient au milieu d’elles. Or, dans cette énumération, qu’on lira plus bas sous la forme même que lui a donnée le texte, paraît le mot Âhavanîya, qui est un terme spécial chez les Brâhmanes, et dont le sens ne peut être douteux : c’est, on le sait, d’après Manu, le feu consacré qui est allumé au foyer domestique et préparé pour les oblations ; c’est, en mot, le feu du sacrifice[45]. L’étymologie et l’emploi du terme sont ici entièrement d’accord, et le doute n’est pas plus possible sur l’une que sur l’autre. Mais comment les interprètes tibétains ont-ils traduit ce terme ? Par une expression composée de trois mots : kun-tu sbyin-pahi os-su-gyur-ba, qui d’après les dictionnaires existants ne signifie autre chose que « devenu digne de l’aumône complète[46]. » Peut-être un Tibétain sait-il retrouver ici, grâce au sentiment qu’il a de sa langue et à l’usage fréquent qu’il fait de ce terme, la signification figurée de feu du sacrifice ; car en substituant le mot d’offrande à celui d’aumône, on arrive, quoique d’une manière détournée, à cette idée même, et la locution tibétaine revient alors à celle-ci : « ce qui est devenu digne de l’offrande complète, » c’est-à-dire « le feu préparé pour l’offrande. » Je le demande cependant à tout lecteur impartial, ce terme n’est-il pas en lui-même moins parfait et plus obscur que le mot sanscrit original Âhavanîya, dont la signification, outre qu’elle est déterminée avec précision par de bons lexiques, est justifiée par la valeur parfaitement reconnaissable des éléments qui le composent ? Ici encore je doute qu’il soit bien facile à un lecteur européen de remonter de l’expression tibétaine au terme sanscrit, et cependant c’est à ce terme même qu’il faut revenir, si l’on veut connaître le sens véritable du passage où il se trouve.

Ce que je viens de dire s’applique également aux noms propres, qu’il est d’ordinaire difficile de reconnaître dans les versions tibétaines, parce que leurs auteurs traduisent tous les éléments dont ces noms sont composés. Je me contente d’en citer ici un exemple, celui de tous qui reparaît le plus souvent, et où il est le plus aisé de trouver l’original sanscrit. Il y avait au temps de Çâkyamuni, dans la ville de Çrâvastî[47], non loin de la moderne Fizabad, un marchand ou, comme l’appellent les livres sanscrits du Népâl, un chef de maison célèbre par ses richesses et sa liberté. Il se nommait Anâtha piṇḍada ou Anâtha piṇḍika, « celui qui distribue de la nourriture aux indigents, » et il possédait auprès de la ville un jardin qu’il avait donné à Çâkyamuni ; aussi ce dernier s’y retirait-il très-fréquemment avec ses disciples pour leur enseigner la loi. Voilà pourquoi, sur dix légendes, il y en a près de huit qui commencent par cette formule : « Un jour le bienheureux se trouvait à Çrâvastî, à Djêtavana[48], dans le jardin d’Anâtha piṇḍika. » Certainement ici ce dernier mot, quoique significatif dans chacun de ses éléments, quoique donné sans doute après coup à ce puissant chef de famille et en considération de sa libéralité, doit être pris comme un nom propre, et j’ai l’intime conviction que les Tibétains ne s’y sont jamais trompés. En effet, dans les légendes où ce personnage joue un rôle, les Lotsavas, qui traduisent toujours son nom de la même manière, ne peuvent ignorer que ce nom est celui d’un chef de famille contemporain de Çâkyamuni. Mais s’ils n’ont à cet égard commis aucune erreur, ils n’ont rien fait pour empêcher les lecteurs européens de s’égarer, ou tout au moins d’hésiter, en voulant traduire la version tibétaine. Ainsi un des savants que ses études ont le plus familiarisé avec les idées buddhiques, M. Schmidt, a, dans sa Grammaire tibétaine, rendu l’expression qui répond aux termes sanscrits Anâtha piṇḍikasya ârâmê de cette manière : « Dans l’enclos d’universelle joie où la nourriture est présentée aux indigents[49]. » Il n’y a certainement rien à dire contre cette traduction ; elle reproduit jusqu’aux plus petits détails de la version tibétaine ; mais quoiqu’elle soit littéralement exacte, ou plutôt par cela qu’elle est matériellement fidèle, elle trompe le lecteur en ce qu’elle met en relief le sens de joie universelle qui est caché sous le terme ârâma (tibétain kun-dgah-ra-ba), et qui doit disparaître par suite de l’acception spéciale que prend ce mot, celle de jardin de plaisance ou ermitage. J’en dis autant du nom propre du marchand, et je signale de plus ici une imperfection de la langue tibétaine qui, ne distinguant pas assez nettement le substantif au génitif, de l’adjectif précédant un substantif, ne permet pas de décider si le jardin en question est celui d’un personnage qui distribue des aumônes, ou bien celui où les aumônes se distribuent. J’hésite d’autant moins à faire cette observation, que M. Schmidt, dans un ouvrage tout récemment publié, me fournit lui-même l’occasion d’en constater la justesse[50]. Là, en effet, tout en rendant avec son exactitude habituelle les monosyllabes tibétains qui représentent le nom du généreux marchand, il a très-judicieusement reconnu que ces mots formaient un nom propre qui ne devait pas se traduire. Aussi n’ai-je pas besoin de répéter que ces remarques ne s’adressent pas à M. Schmidt, puisqu’il a lui-même reconnu plus tard une erreur qui n’est pas la sienne ; elles portent sur les interprètes tibétains, qui par cela même qu’ils ont rendu tous les éléments dont se composent ces deux mots, ont trop traduit, si je puis m’exprimer ainsi, pour le lecteur qui n’a pas à sa disposition l’original indien.

J’ai lieu de croire que les interprètes chinois doivent aussi quelquefois dépasser le but de la même manière, car je trouve dans le drame intitulé Pi pa ki, un passage qui reproduit à n’en pas douter le préambule ordinaire du plus grand nombre des livres buddhiques réputés canoniques au Népâl. Voici ce passage : « N’est-il pas dit, au commencement du livre de Fo, que dans le jardin d’un certain prince qui fait l’aumône aux vieillards et aux orphelins, demeure le grand religieux mendiant Pi khieou, avec douze cent cinquante personnes[51] ? » Les mots « le jardin d’un certain prince » représentent le mot Djêtavana (le bois du vainqueur), et la phrase suivante, « qui fait l’aumône, etc. » n’est que le développement du nom même d’Anâtha piṇḍika représenté dans ses éléments étymologiques. Enfin, « le grand religieux mendiant » est le Mahâ bhikchu, ou plutôt le Mahâ çramaṇa[52], c’est-à-dire Çâkyamuni lui-même. Ici encore le traducteur européen est à l’abri de tout reproche, et l’on doit au contraire approuver l’exactitude qu’il a mise dans sa version, puisqu’on peut remonter de cette version sans beaucoup de peine jusqu’à l’original sanscrit. Mais il faut connaître d’avance cet original, et je doute qu’il fût possible, si on ne l’avait pas sous les yeux, de recomposer avec la traduction française, image fidèle de la traduction chinoise, les noms propres de lieux et d’hommes qu’il est indispensable de conserver, sous peine de méconnaître le sens véritable du texte primitif.

C’est à dessein que je n’ai pas parlé ici des traductions radicalement fautives de quelques mots sanscrits importants, qu’on remarque dans les versions tibétaines, parce que ces traductions se retrouvent également chez tous les peuples Buddhistes. Elles partent donc d’un système unique d’interprétation qui appartient aux diverses écoles entre lesquelles le Buddhisme se partage, et conséquemment elles ne relèvent pas de la critique interprétative, mais de la critique philosophique et historique. Il y a telle mauvaise étymologie qui a pu être adoptée pour répondre à un ordre d’idées qu’elle favorisait, sans que le traducteur qui lui donnait cours fût coupable d’infidélité envers le texte. Ces erreurs, jusqu’à un certain point volontaires, sont rares, et elles n’infirment ni l’autorité ni la véracité des Lotsavas tibétains, les seuls, avec les interprètes barmans, dont j’ai pu par moi-même vérifier l’exactitude. Je le répète, leurs traductions sont d’une extrême littéralité ; elles rendent, autant que cela est possible avec un instrument aussi sèchement analytique que le tibétain et le barman, tous les traits de ces synthèses heureuses renfermées dans l’unité expressive d’un terme sanscrit. Mais les remarques précédentes ne m’autorisent pas moins à conclure que, malgré le mérite de ces versions, il est toujours indispensable de recourir aux originaux sur lesquels ces versions ont été faites, et que c’est seulement de l’étude du texte même que doit résulter et l’appréciation de son véritable caractère, et la solution des questions très-nombreuses et très-délicates que ces textes ne peuvent manquer de faire naître. Cette conclusion, qui n’a jamais été contestée pour aucun genre d’écrits, ni pour aucune littérature, avait besoin d’être rappelée, au moment où il est question d’indiquer la place que doivent occuper, dans l’ensemble des matériaux destinés à l’étude du Buddhisme, les livres écrits en sanscrit que nous devons au zèle et à la libéralité de M. Hodgson.

Les faits que je viens d’établir donnent lieu à deux observations d’une grande importance pour la suite des recherches dont la collection népâlaise doit être l’objet. La première, c’est que les traductions des livres sanscrits exécutées au Tibet, dans la Tartarie et en Chine, en fixant les diverses époques où ces livres ont commencé à se répandre hors de l’Inde, fournissent une limite précise au-dessous de laquelle il n’est pas possible de faire descendre la rédaction du texte original sanscrit. Le goût que les Chinois et les Tibétains, par exemple, ont toujours eu pour la précision historique, promet, sous ce rapport, de précieux secours à la critique européenne. Il est permis d’espérer qu’au moins dans le plus grand nombre de cas, la date à laquelle ont été exécutées les traductions des livres sanscrits, qui, en leur qualité d’ouvrages réputés inspirés, sont tous également attribués à Çâkya, aura été marquée avec exactitude par les interprètes. Je n’ai pas besoin d’observer qu’aucune indication de ce genre n’est à négliger, puisque l’œuvre de l’interprétation ne s’est pas accomplie en même temps chez les diverses nations qui ont adopté le Buddhisme. Ce que je me contente d’indiquer ici peut déjà se vérifier par l’examen de la bibliothèque buddhique tibétaine, à laquelle les analyses si exactes et si substantielles de Csoma de Cörös nous ont donné accès. On sait maintenant avec certitude que c’est entre le VIIe et le XIIIe siècle de notre ère que les livres buddhiques ont été traduits dans la langue du Bot[53]. Ce fait, que je rappelle sous la garantie du savoir de Csoma, aura sans doute besoin d’être étudié dans tous ses détails. Il faudra rechercher si le travail de l’interprétation ne s’est pas continué dans des temps plus modernes, et s’il a eu pour objet soit des textes sanscrits anciens, soit des ouvrages composés postérieurement aux époques indiquées tout à l’heure, soit même des livres étrangers à l’Inde. Mais cette recherche elle-même portera des fruits que j’en crois pouvoir attendre ; elle fixera des limites et des indications utiles pour l’histoire encore obscure de la littérature buddhique. J’ajoute que si je ne parle pas ici des lumières que l’examen des versions déjà citées doit répandre sur une autre histoire non moins curieuse, celle de l’émigration et de la propagation du Buddhisme hors de l’Inde, c’est qu’il n’est question en ce moment que de déterminer d’une manière générale quel genre d’autorité s’attache aux livres sanscrits conservés par les Népâlais. Je signalerai plus tard les avantages que l’histoire du Buddhisme indien retirera de l’étude de monuments qui semblent, au premier coup d’œil, appartenir exclusivement à l’histoire extérieure de cette croyance.

L’appréciation du degré d’autorité que possède la collection népâlaise est encore l’objet de la seconde des observations que j’annonçais plus haut. Cette observation, c’est que si les livres buddhiques sont écrits en sanscrit, il résulte de là qu’ils ont été rédigés dans l’Inde. C’est ce qu’affirme en plus d’un endroit M. Hodgson, qui n’hésite pas à conclure de la langue des livres à la contrée où ils doivent avoir été écrits ; et il faut convenir que, présentée ainsi en termes généraux, cette conclusion a par elle-même une grande vraisemblance ; mais quand on examine les choses de plus près, on trouve la question moins simple qu’elle ne paraît l’être au premier abord. La difficulté qu’elle présente vient de ce qu’elle se rattache à une autre question beaucoup plus vaste, celle de l’histoire du Buddhisme indien. Si le Buddhisme avait parcouru toutes les phases de son existence sur un étroit théâtre et dans un court espace de temps, la présomption qu’il a dû être fixé par l’écriture là où s’est parlée la langue qui lui sert d’organe serait à mon sens presque inattaquable. Mais comme le Buddhisme a longtemps vécu dans l’Inde ; comme il a fleuri longtemps aussi dans des contrées voisines, et notamment à l’ouest de l’Indus et dans le Kachemir, la rédaction des livres qu’on est tenté d’abord de regarder comme un fait qui s’est accompli en une fois et dans un seul pays peut s’être opérée en plusieurs fois et dans plusieurs contrées. Ce n’est là qu’une conjecture, et peut-être cette supposition présente-t-elle moins de probabilités en sa faveur que la supposition contraire. Les faits nous apprendront jusqu’à quel point elle doit se vérifier. Pour ma part, s’il m’est permis dès à présent d’avancer une opinion personnelle, je crois que la vérité se trouvera dans la conciliation des deux hypothèses. Non, le corps des écritures buddhiques du Népâl ne peut avoir été écrit en entier hors de l’Inde. Il n’est pas permis de supposer que les disciples de Çâkyamuni n’aient songé à rédiger les enseignements de leur maître que quand ils se virent expulsés pour toujours de leur patrie. Il y aurait quelque chose de trop bizarre à croire que des proscrits eussent composé en sanscrit une masse aussi considérable de livres, pour les traduire presque aussitôt dans les langues des peuples qui leur offraient un asile. Toutes ces considérations, jointes à la circonstance du langage, militent en faveur de la première hypothèse. Mais, d’un autre côté, il n’est pas croyable que le Buddhisme soit resté stationnaire, du moment qu’il fut transporté hors de sa terre natale. On ne peut admettre que les Religieux qui s’en faisaient les apôtres aient immédiatement oublié la langue dans laquelle se conservait le dépôt des enseignements de leur maître. Il faut croire que l’usage de cette langue avait continué de leur être familier, puisqu’ils prenaient part, comme l’attestent les catalogues de la bibliothèque tibétaine, aux versions qui s’exécutaient autour d’eux[54]. Tout ne doit pas être inspiré dans la collection sanscrite du Népâl ; l’étude attentive de cette collection y fera sans doute découvrir des ouvrages que pourraient réclamer des auteurs vulgaires ; rien n’empêche enfin que les Religieux Buddhistes n’aient écrit hors de l’Inde, dans des contrées voisines, quand le prosélytisme, réveillé par la persécution, les animait d’une nouvelle ardeur. De ces deux séries d’hypothèses, aucune n’exclut absolument l’autre, car elles sont très-conciliables entre elles. Celle-ci suppose possible pour une partie des livres ce que celle-là déclare impossible pour la totalité de la collection ; mais adoptées l’une et l’autre dans de justes limites, elles nous éloignent également des affirmations absolues, comme elles nous ramènent à l’examen des faits qui seuls doivent les vérifier, et marquer à chacune sa part légitime dans la solution du problème compliqué que chacune, prise isolément, est insuffisante à résoudre.

Or, où se trouveront les faits dont nous invoquons le témoignage, si ce n’est dans les livres mêmes dont il s’agit de déterminer l’origine ? Et comment sortir de ces affirmations générales qui laissent à l’esprit de système la liberté de la contradiction, si l’on n’entre dans ces vérifications de détail qui se limitent mutuellement, et dont les résultats ne servent pas moins, par leur opposition que par leur accord, à resserrer le champ de l’hypothèse et de l’erreur ? On ne peut espérer d’arriver à quelque conclusion positive sur la contrée où a dû être rédigée la collection népâlaise, avant d’avoir examiné en détail les divers ouvrages dont elle se compose. Il faut rechercher dans chacun d’eux les indices faits pour nous éclairer sur leur caractère, et par suite sur leur origine ; constater si tous se présentent également comme inspirés ; distinguer ceux qui portent des noms d’auteurs de ceux qui passent pour canoniques ; puis, entre ces derniers, établir, s’il se peut, une succession chronologique, fondée sur la succession des écoles auxquelles ils se rattachent et sur l’âge des événements et des personnages dont ils ont gardé le souvenir. Telle est l’expression la plus générale des conditions du problème ; c’est seulement quand on aura pleinement satisfait à ces conditions qu’il sera résolu d’une manière positive ; jusque-là, et tant qu’on n’aura pas déterminé la patrie d’un ouvrage donné, soit par le témoignage direct de cet ouvrage même, soit par des moyens avoués de la critique, la présomption sera en faveur de l’opinion qui regarde comme ayant été rédigés dans l’Inde des ouvrages écrits dans la langue savante de ce pays.

Maintenant que j’ai indiqué la place qu’occupe la collection de M. Hodgson dans l’ensemble des matériaux que nous fournit l’Orient pour l’étude du Buddhisme, il ne me reste plus qu’à tracer rapidement l’ordre dans lequel j’ai cru devoir présenter les résultats de mes recherches. Pour me familiariser avec les idées et avec le style qui distinguent les livres buddhiques des autres productions de la littérature sanscrite, j’ai choisi un ouvrage qui fît autorité au Népâl, et je l’ai traduit dans le dessein de le présenter plus tard au public comme un spécimen de cette littérature encore inconnue. Mais avant de m’y arrêter, il m’a fallu parcourir presque toute la collection, et ce n’est qu’après trois années de lectures préliminaires que je me suis décidé pour le livre que je publierai prochainement sous le titre de Lotus de la bonne loi. Indépendamment de l’intérêt qu’il peut avoir comme livre canonique, cet ouvrage m’a mis en état de comprendre bien des détails qui m’avaient échappé lors de l’examen sommaire que je fis de la collection de M. Hodgson. Il est devenu pour moi un terme de comparaison auquel j’ai rapporté les notions que m’avaient fournies mes premières lectures ; et ces notions à leur tour, comparées entre elles, puis avec celles qu’on peut puiser dans les livres d’un autre peuple buddhiste, les Singhalais, m’ont mis à même, sinon de résoudre définitivement les plus importantes des questions auxquelles donne lieu la collection népâlaise, du moins de poser ces questions avec une précision plus grande que cela n’eût été possible d’après la connaissance d’un seul ouvrage.

Voici donc, en peu de mots, l’ordre que je me propose de suivre. Je décrirai d’une manière générale, d’après la tradition népâlaise, la collection buddhique découverte par M. Hodgson. J’entrerai dans les détails nécessaires touchant les trois grandes divisions des écritures sacrées admises par les Buddhistes du Nord, et je traiterai à part des livres où les pratiques des ascètes çivaïtes se mêlent au Buddhisme. Je passerai ensuite en revue quelques-uns des traités qui portent des noms d’auteurs. En examinant ceux des ouvrages du Népâl qui prétendent au titre de livres inspirés, je m’attacherai à rechercher si tous peuvent passer pour avoir été rédigés à la même époque. Je ferai usage pour cet examen des renseignements que me fourniront les livres eux-mêmes, et je rassemblerai ensuite ce qu’il nous est actuellement possible de connaître de l’histoire de la collection népâlaise. Ce sera là l’objet d’un Mémoire divisé en sept parties, consacrées la première à la description générale des livres du Népâl ; la seconde, la troisième et la quatrième aux trois divisions des livres inspirés ; la cinquième aux livres où le culte de Çiva se mêle à celui de Buddha ; la sixième aux ouvrages portant des noms d’auteurs ; et la septième à l’histoire de la collection du Népâl. Ce Mémoire, qui se composera de textes empruntés aux plus importants des ouvrages envoyés par M. Hodgson, jettera quelque jour sur les premiers temps du Buddhisme ; et en offrant les traits les plus caractéristiques du tableau de l’état social et religieux de l’Inde au moment de la prédication de Çakyamuni Buddha, il résoudra, je l’espère du moins, d’une manière définitive, la question longtemps controversée, mais qui n’en est plus une pour aucun indianiste, de l’antiquité relative du Brâhmanisme et du Buddhisme.

Dans un autre Mémoire qui suivra celui que je viens de résumer, je ferai de la collection pâlie de Ceylan un examen semblable à celui auquel j’aurai soumis la collection sanscrite du Népâl. J’exposerai ce que la tradition nous apprend sur l’existence de cette collection, et notamment sur celle des anciens conciles où se fixa d’une manière régulière la doctrine de Çakya. Ce Mémoire se composera de cinq sections. Je consacrerai ensuite un autre Mémoire à la comparaison des collections du Népâl et de Ceylan, et des traditions qui se conservent dans le Nord et dans le Sud, touchant l’une et l’autre de ces collections. Cette comparaison nous donnera les moyens de reconnaître que l’on possède dans la bibliothèque sanscrite du Népâl et dans la bibliothèque pâlie de Ceylan deux rédactions des écritures buddhiques dont la différence consiste, en général, moins dans le fond que dans la forme et la classification des livres. Il résultera de cet examen que les éléments fondamentaux et véritablement antiques du Buddhisme devront être cherchés dans ce qu’auront conservé de commun les deux rédactions indiennes des livres religieux, celle du Nord qui se sert du sanscrit, et celle du Sud qui se sert du pâli.

La détermination des diverses époques auxquelles se sont tenus les conciles où ont été rassemblés les livres buddhiques me conduira naturellement à la recherche de l’époque dont elles dépendent, celle de Çâkyamuni Buddha. Ce sera l’objet d’un Mémoire divisé en six paragraphes, où je comparerai les opinions des principaux peuples de l’Asie sur ce point important de l’histoire orientale. Profitant des synchronismes qu’indiquent et l’histoire du Buddhisme singhalais, et quelques textes tibétains du Kah-gyur, je me servirai de ceux qui sont déjà reconnus par les critiques les plus habiles, pour faire un choix parmi les diverses dates assignées à la mort du dernier Buddha. Une fois ce point établi, je résumerai ce qu’on sait de plus positif sur les destinées du Buddhisme indien ; et pour ne rien omettre de ce qui peut les éclairer de quelque lumière, je rapporterai les diverses époques des émigrations qui l’ont successivement transporté hors de l’Inde où il ne devait plus rentrer.


  1. Hodgson, Quotations from orig. Sanscr. author., dans Journ. Asiat. Soc. of Beng., t. V, p. 29.
  2. Hodgson, Notices of the languages, literature and religion of the Bauddhas of Nepal and Bhot, dans Asiat. Res., t. XVI, p. 409 sqq.
  3. Wilson, Notice of three tracts received from Nepal, dans Asiatic Researches, t. XVI, p. 450.
  4. Sketch of Buddhism derived from the Bauddha scriptures of Nipal, dans Transact. of the Roy. Asiat. Society, t. II, p. 222 sqq.
  5. Transact. of the Roy. Asiat. Soc., t. II, p. 224 sqq.
  6. De 1824 à 1839, M. Hodgson avait envoyé à la Société Asiatique de Calcutta près de cinquante volumes en sanscrit, et quatre fois autant en tibétain. (European Specul. on Buddhism, dans Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, t. III, p. 885, note.)
  7. Transact., etc., t. III, Append., p. xlij.
  8. Journ. of the Roy. Asiat. Soc., t. II, p. 288, note 2.
  9. Ibid., t. III, p. iij.
  10. Ibid., t. III, p. vij et viij.
  11. Ibid., p. lxxiij.
  12. Journ. de la Société Asiat. de Paris, iiie série, t. III, p. 316.
  13. Journ. Asiatique, iiie série, t. III, p. 557, et t. IV, p. 91.
  14. Hodgson, Quotations in proof of his Sketch of Buddhism, dans Journ. of the Roy. Asiat. Soc., t. II, p. 288 ; et dans Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 29.
  15. Abstract of the contents of the Dul-va, etc., dans Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, t. I, p. 1 sqq., Analysis of the Kah-gyur, ibid., p. 375. Analysis of the Dul-va, dans Asiat. Res., t. XX, p. 41 sqq. Analysis of the Sher-chin, etc., ibid., t. XX, p. 392.
  16. Csoma de Cörös, Anal. of the Sher-chin, dans Asiat. Res., t. XX, p. 393 seqq., comparé avec Hodgson, Sketch of Buddh.", dans Transact. of the Roy. Asiat. Soc., t. II, p. 224 sqq.
  17. Csoma, ibid., p. 416 sqq., comparé avec Hodgson, Sketch, etc., p. 224.
  18. Csoma, ibid., p. 432, comparé avec Hodgson, Sketch, etc., p. 224. Nous verrons plus bas que le véritable titre de cet ouvrage est Saddharma Langkâvatâra.
  19. A. Rémusat, Recherches sur les langues tartares, t. I, p. 206. Mél. Asiat., t. 1, p. 181. Observ. sur trois Mém. de M. de Guignes, dans le Nouv. Journ. Asiat., t. VII, p. 295.
  20. Csoma, Analys., etc., ibid., p. 436 seqq., comparé avec Hodgson, Sketch, etc., p. 224.
  21. Csoma, ibid., p. 437, comparé avec Hodgson, Sketch, etc., p. 225.
  22. Csoma, ibid., p. 481, comparé avec Hodgson, Sketch, etc., p. 224.
  23. Letter to the secret. Asiat. Soc., dans Journ. of the Roy. Asiat. Soc. of London, t. III, p. viij. Quotations from orig. Sanscr. author. in proof, etc., dans Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 29, note †.
  24. Catal. man. de la collection Schilling, nos 80 et 81.
  25. J.-J. Schmidt, Mongol. Gramm., p. 142. Geschichte der Ost-Mongol., p. 307. Catal. man. de la coll. Schilling, no 83.
  26. Catal. man. de la coll. Schilling, no 86. Schmidt, Mém. de l’Acad. des sciences de Saint-Pétersbourg, t. IV, p. 126 sqq.
  27. Catal. man. de la coll. Schilling, nos 84, 85.
  28. Ueber einige Grundlehren des Buddhism, dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, t. I, p. 92, 93.
  29. Recherches sur les langues tart., t. I, p. 206, et les citations faites ci-dessus, p. 6, note 4, comparées avec Hodgson, dans Transact. of the Roy. Asiat. Soc., t. II, p. 224, et Csoma, dans Asiat. Res., t. XX, p. 432.
  30. M. Stan. Julien a eu l’obligeance de me communiquer, à ce sujet, une note qu’on aura sans doute autant de plaisir à lire que j’en ai à la citer : « Les renseignements que cette note renferme sont empruntés à la préface du Miao fa lien hoa king (le Livre sacré de la loi excellente), préface écrite sous la dynastie des Thang (entre 618 et 904), par le Samanéen Tao siouen. Le livre sacré du Lotus de la loi excellente a été composé dans le pays de Ta hia (Bactriane ?) il y a mille ans. Il y a environ trois cents ans qu’il a été apporté en Orient, dans le Tchintan (la Chine). Sous le règne de Hoeï ti, dans la première année de la période Thaï kang des Tsin occidentaux (en 280 de J.-C), un sage portant le titre de Tun hoang pou ssa tchou hou fa tche (c’est-à-dire le Bôdhisattva de Tun hoang, le défenseur de la loi de l’Inde), lequel résidait (en Chine) à Tchang’an, traduisit pour la première fois cet ouvrage, sous le titre de Tching fa hoa (la Fleur de la droite loi). Sous les Tsid orientaux, dans la période Long’an du règne de l’empereur ’An ti (entre 397 et 402), Kieou ma lo chi (Kumâra...), Samanéen du royaume de Kieou tse, traduisit cet ouvrage pour la seconde fois, et l’intitula : Miao fa lien hoa (le Lotus de la loi excellente). Sous la dynastie des Souï, dans la période Jin cheou de l’empereur Wen ti (entre 601 et 605), Tau na ki to, Samanéen de l’Inde septentrionale, attaché au couvent de Ta hing chen sse (le couvent où l’on fait fleurir la vertu), traduisit cet ouvrage pour la troisième fois, et l’appela Miao fa (la Loi excellente). C’est la seconde traduction chinoise exécutée, entre 397 et 402, en vertu d’un ordre impérial, qui se trouve à la Bibliothèque royale de Paris ; elle forme sept cahiers oblongs. » Je reviendrai, dans la préface du Lotus de la bonne loi, sur cette note intéressante.
  31. Landresse, Foe koue ki, p. 322.
  32. A. Rémusat, Essai sur la cosmogr. et la cosmogon. buddh., dans le Journal des Savants, année 1831, p. 604, 605 et 726, et plusieurs fois dans les notes du Foe koue ki.
  33. Mélanges Asiat., t. II, p. 242. Nouv. Journ. Asiat., t. VII, p. 298 et 299. Foe koue ki, p. 15.
  34. Abel Rémusat, Foe koue ki, p. 14, note 9.
  35. Colebrooke, Miscell. Essays, t. II, p. 135 et 136.
  36. Ibid., t. II, p. 102 et 103.
  37. Csoma, Note on the diff. syst. of Buddh., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. VII, p. 143 sqq.
  38. Zeitschrift für die Kunde des Morgenland, t. III, p. 159 et 160.
  39. Note on the primary language of Buddhism, dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. VI, p. 682 sqq.
  40. Zeitschrift u. s. w., t. I, p. 228 et 229, note.
  41. C’est ce que paraissent avoir fait aussi les traducteurs mongols. Ils ont toutefois porté assez d’exactitude dans leur travail pour reproduire les portions versifiées des livres sanscrits, sans s’éloigner, en ce qui touche la position des mots, du génie de l’original ; et en y sacrifiant l’esprit de leur propre langue. Ce fait curieux n’a pas échappé à l’attention de M. Schmidt, qui n’a pas manqué de le signaler. (Mongol. Gramm., p. 161 et 162.)
  42. Bhotanta Diction., p. 290, col. 1.
  43. Diction. Tibet. and English, p. 134, col. 2, et p. 194, col. 2.
  44. Tibet. Deutsch. Wörterbuch, p. 270, col. 1, et p. 423, col. 1. M. Schmidt a bien vu que l’expression tibétaine répondait au mot Nirvâṇa.
  45. Mânava dharma çâstra, I. ii, st. 231.
  46. Bkah-hgyur, sect. Mdo, vol. ha ou xxix, f. 413 a.
  47. Nous avons ici le nom d’une des villes le plus fréquemment citées dans les prédications et dans les légendes sanscrites du Nord. Fa hian, au commencement du Ve siècle de notre ère, en parle comme d’une cité bien déchue de son ancienne splendeur (Foe koue ki, p. 171) ; aussi serait-il probablement très-difficile d’en retrouver aujourd’hui quelques restes. C’était la capitale du Kôçala et le séjour de Prasênadjit, roi de ce pays, ou, pour parler avec plus de précision, roi du Kôçala septentrional (Lassen, Indische Alterthumsk., t. I, p. 128 et 129), province qui est distinguée du Kâçîkôçala, ou du Kôçala renfermant Bénarès, tant dans les légendes buddhiques que dans les livres des Brâhmanes. (Vichṇu purâṇa, p. 186.) Wilson établit par de bonnes raisons qu’il faut chercher l’emplacement de Çrâvastî non loin de Fizabad. (Journ. of the Roy. Asiat. Soc.), t. V, p. 123.) Je ne dois pas oublier de dire que cette ville est citée dans le Vichṇu purâṇa (p. 361, note 16), et dans le Kathâ sarit sâgara (texte sanscrit, p. 200, st. 63, éd. Brockhaus). Il en est souvent question dans le Daçakumâra, histoire de Pramati. (Quart. Orient. Magazine, t. IX, juin 1827, p. 281.) Dans ce récit, où figure plusieurs fois le nom de cette ville célèbre, il est parlé d’un grand combat de coqs, plaisir tout brâhmanique, et que Çâkyamuni interdisait à ses disciples, comme nous l’apprennent les livres pâlis de Ceylan, notamment un traité intitulé Brahmadjâla sutta. Le nom de cette ville est écrit Sâvatthi dans les textes pâlis de Ceylan. (Clough, Pâli Gramm. and Vocab., p. 24, st. 2.)
  48. Ce nom désigne le monastère et le temple le plus célèbre de la province de Kôçala ; il était situé près de Çrâvasti. Il est cité à tout instant dans les légendes du Divya avadâna et de l’Avadâna cataka, et les voyageurs chinois Fa hian et Hiuan thsang en parlent avec admiration. (A. Rémusat, Foe koue ki, p. 179.) On trouve toujours ce nom écrit Djêtavana ; et les Chinois, au rapport de M. A. Rémusat, le traduisent par « le jardin (ou le temple) de la victoire, ou du victorieux. » Je ne puis m’empêcher de voir, dans l’orthographe de ce nom, une trace de l’influence des dialectes vulgaires. Si, en effet, Djêtavana signifie « le bois du vainqueur, » il faudrait l’écrire en sanscrit, Djêtrĭvana ; et c’est seulement dans un dialecte populaire, comme le pâli, que le son peut disparaître et faire place à un a bref. Le Mahâvam̃sa de Turnour le reproduit en effet toujours sous cette forme. Les rédacteurs des légendes écrites en sanscrit ont reçu le nom tel que le leur a donné le peuple, et ne l’ont pas rétabli sous la forme qu’il aurait dans la langue classique. J’en conclus que cette dénomination n’est pas antérieure à l’établissement du Buddhisme, conclusion qui, d’ailleurs, est d’accord avec la tradition. Ce n’est pas ainsi, en effet, que les Buddhistes écrivant en sanscrit ont traité les noms de lieux qui avaient cours dans l’Inde avant la venue de Çâkyamuni : ils en ont scrupuleusement respecté l’orthographe brâhmanique, quelque contraire qu’elle fût aux habitudes du dialecte populaire. Cela se reconnaît clairement dans des mots comme Çrâvastî, Srughnâ, Tâmralipti, Sûrpâraka, Kanyâkubdja et autres.
  49. Gramm. der Tibet. Sprache, p. 224.
  50. Der Weise und der Thor, texte tib., p. 18, trad. all., p. 21, et au commencement du plus grand nombre de légendes dont se compose ce curieux volume. Il y a, au reste, peu de personnages plus célèbres chez les Buddhistes de toutes les écoles que ce maître de maison, qu’on appelle aussi Anâtha piṇḍika. Son nom n’est, à proprement parler, qu’un titre qui exprime sa libéralité ; car, selon les Singhalais, on le nommait Sudatta, nom sous lequel les Chinois le connaissent également. (Foe koue ki, p. 178.) Ces deux noms, celui de Sudatta et d’Anâtha piṇḍika, sont passés dans le dictionnaire pâli, où ils désignent, suivant Clough, le mari d’une femme qui doit sa célébrité à son dévouement au Buddha. (Pali Gramm. and Vocab. p. 57.) On voit que cette désignation n’est pas suffisante ; car il est certain qu’Anâtha piṇḍika est beaucoup plus connu que sa femme, qui se nommait Viçâkhâ, et qu’on trouve citée dans une liste de Religieuses. (Turnour, Journ. As. Soc. of Beng., t. VII, p. 933.) Ce n’était pas non plus, comme le croit M. Rémusat, l’un des ministres de Prasênadjit, roi de Kôçala, mais un simple maître de maison, possesseur d’immenses richesses. Son jardin, dont il avait cédé l’usage au Buddha Çâkyamuni, est le théâtre de la plupart des prédications du sage. Hiuan thsang vit, au VIIe siècle, les ruines du monastère qu’il y avait bâti, et qui portait le nom de Djêtavana. (Foe koue ki, p. 178 et 179.)
  51. Bazin, Le Pi pa hi, p. 118.
  52. Ces termes seront expliqués plus tard.
  53. Analysis of the Dul-va, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 42.
  54. Csoma, Analys. of the Dul-va, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 78, 85, 92, etc.