Jules Janin et le gâteau des rois (L’Art romantique)

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Pour donner immédiatement au lecteur non initié dans les dessous de la littérature, non instruit dans les préliminaires des réputations, une idée première de l’importance littéraire réelle de ces petits livres gros d’esprit, de poésie et d’observation, qu’il sache que le premier d’entre eux, Chien-Caillou, « fantaisie d’hiver », fut publié en même temps qu’un petit livre d’un homme très célèbre qui avait eu, en même temps que Champfleury, l’idée de ces publications trimestrielles.

Or, pour ces gens dont l’intelligence, appliquée journellement à l’élaboration des livres, est la plus difficile à satisfaire, le travail de Champfleury éclipsait celui de l’homme célèbre. Tous ceux dont je parle ont connu Le Gâteau des Rois. Leur métier est de tout connaître. Le Gâteau des Rois, une sorte de Christmas Book, ou Livre de Noël, montrait surtout une prétention nettement affirmée de tirer de notre langue, par le jeu des infinies variations du dictionnaire, tous les effets qu’un virtuose hors ligne tire de son violon. Confusion des genres, erreur d’un esprit mal équilibré ! Les idées, dans ce livre étrange, courent l’une après l’autre hâtivement, s’élancent avec la rapidité du son, s’appuyant par-ci par-là sur des rapports infiniment ténus ; leur association dépend d’un fil, selon une méthode de penser analogue à celle d’une maison de fous.

Vaste courant d’idées révolutionnaires, poursuite de chimères, l’abdication de la volonté ! Ce singulier tour d’adresse fut accompli par l’homme que vous savez, celui dont la seule faculté spéciale consiste à ne pas être maître de lui, l’homme des duels et des bonnes fortunes.

Assurément, il y avait du talent. Mais quel abus ! quelle débauche ! Et, en outre, quelle fatigue et quelle souffrance ?

Sans doute, on doit quelque respect, ou tout au moins une compassion reconnaissante, aux infatigables tortillements d’une vieille danseuse ; mais, hélas ! les poses surannées ! les faibles moyens ! les fastidieuses séductions !

Les idées de notre homme ne sont que de vieilles danseuses détraquées pour avoir trop sauté, trop levé la jambe : sustulerunt saepius pedes.

Où est le cœur ? Où est l’âme ? Où est la raison ?…

charles baudelaire