Justice boiteuse

La bibliothèque libre.
Œuvres poétiques de Joséphin SoularyAlphonse Lemerre, éditeurIIIe partie (p. 223).




JUSTICE BOITEUSE



Par ces temps de rancune, un jour ne passe guère
Que le couteau ne fasse à l’écart quelque mort.
Quand on aime le sang, par l’enfer ! on a tort
De naître dans la peau d’un meurtrier vulgaire.

Celui qui tue un peuple au grand jour, et s’endort
Calme, aux râles humains que son genou fait taire,
Celui-là porte haut la gloire du sicaire :
C’est bien plus qu’un héros, c’est le bras droit du Sort.

Il me manque le sens de l’abstrait, je l’avoue !
Entre le gueux qu’on blâme et le brigand qu’on loue
La nuance m’échappe. — Ah ! si j’avais pouvoir !

J’aurais tôt condamné, confondant mes colères,
A la peine d’amour le bandit du trottoir,
Et l’assassin royal à celle des galères !


Janvier 1871.