K.Z.W.R.13/Épilogue

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Imprimerie Financière et Commerciale (p. 222-224).

Épilogue



Mon cher Vaucaire,

Je te confirme la dépêche chiffrée qui t’annonçait l’intervention des États-Unis au Mexique.

Comme tu le sais, à l’heure qu’il est, j’ai câblé — (je parle comme un Américain pur sang) — ce télégramme dans la nuit qui a précédé les premiers ordres donnés par l’autorité militaire ; ces ordres ont été exécutés le lendemain ; vous avez donc été prévenus vingt-quatre heures avant tout autre gouvernement.

Comment je suis arrivé à accomplir ce tour de force ?

Ah ! mon cher Vaucaire, ce serait un véritable roman-feuilleton à t’écrire, un roman où j’ai joué, je puis le dire, un rôle des plus brillant !

Ton ami, le banquier Georges Weld (c’est plutôt celui de ton oncle, le ministre, mais c’est aussi le tien, je crois) a été compromis dans une histoire épouvantable.

Il n’était rien moins qu’impliqué dans une affaire mystérieuse d’assassinat. Tout l’accablait ! Les preuves les plus évidentes en apparence le désignaient à la justice ; les policiers les plus éminents le croyaient coupable. Je parle, bien entendu, des policiers américains, car pour moi, je n’ai pas erré une minute.

J’avais le flair, tu vas voir.

L’associé de Weld, un certain Jarvis, est tué à trois heures. Tout accuse Weld de ce meurtre. On téléphone à la police. J’étais là par hasard. On m’offre d’accompagner sur les lieux les plus célèbres détectives. Je vais. J’arrive. Je trouve. Oui, par une intuition géniale — on a de ces moments — en m’appuyant sur des déductions remarquables que je fis, je retrouvai tout, l’assassin, l’arme du crime, les complices, jusqu’au mot du coffre-fort.

Ce qu’ils tiraient un nez les célèbres détectives américains ! Enfoncés, les détectives ! Je leur ai montré ce que nous savons faire, nous autres, du Midi ! Entre nous, ils ne sont pas forts. Leur réputation est surfaite.

Bref, je passe ici pour un homme extraordinaire et j’ai conscience que je la mérite cette admiration unanime.

Pour en revenir à l’intervention américaine au Mexique, il s’est trouvé que tous les papiers relatifs à la mobilisation des États du Sud de l’Union étaient renfermés dans ce coffre et que sans moi elle n’aurait pu avoir lieu ou tout au moins elle eût été retardée pour je ne sais combien de temps !

Tu devines si j’ai obtenu tout ce que j’ai demandé !

J’aurais demandé la lune à ces Américains, je crois que je l’aurais eue.

Le télégraphe a fonctionné pour moi seul et ma dépêche, par ordre supérieur, a été câblée avant tout autre !

Je pense donc que ton oncle sera content de moi à ce sujet.

Quant à mon rapport sur les établissements pénitentiaires de cette partie du pays, je te l’enverrai plus tard ou plutôt je te le remettrai moi-même à mon arrivée à Paris.

Je quitterai Brownsville pour en réunir les éléments en visitant les grandes villes des États de l’Union aussitôt après… après mon mariage !

Le grand mot est lâché !…

Oui, mon cher Vaucaire, je reviendrai en France, marié… et content !

Car j’ai trouvé ici une femme délicieuse. J’avais, il est vrai, fait sa connaissance à Paris, mais elle est Américaine et sa famille est — vois comme ça se trouve — de Brownsville.

Tu dois te dire que je suis devenu fou, et que moi, qui avais déjà de la peine à vivre indépendant, je suis stupide de me marier dans ma situation, plus que modeste !

Eh bien, non, je ne suis pas fou, je ne suis pas stupide, car j’ai fait fortune ! Est-ce que du reste on ne fait pas toujours fortune, quand on est intelligent, en Amérique !

Il y avait une prime d’un million — un million tout rond — pour celui qui ouvrirait ce fameux coffre dont je t’ai parlé, et c’est ton ami Marius qui a décroché la timbale ! Pas « moinss », mon cher !

Et dire, mon cher Vaucaire, que c’est grâce à toi, à ton intervention providentielle, que je dois tout : fortune et bonheur !

Aussi tu as en moi un ami dévoué et sûr !

Je me marie dans un mois ; quelques jours après le mariage du banquier Weld, dont je suis devenu l’ami.

Je choisis mes connaissances, comme tu vois.

Vous voulions nous marier tous deux le même jour, mais nous nous sommes heurtés à une difficulté insurmontable. Ma fiancée, miss Ketty Trubblett et moi sommes catholiques ; Weld et miss Cecil Kendall sont protestants. J’ai comme témoin l’homme du jour ici : le général Roland Kendall, celui qui dirige la mobilisation des troupes américaines.

Enfin, mon cher et vieux camarade, je suis au comble de la joie et je n’aurai qu’un regret : c’est de ne pas te serrer dans mes bras en ce beau jour !

Veux-tu me rappeler respectueusement au souvenir de monsieur le ministre… ton oncle et me croire pour la vie ton

Marius BOULARD.

Brownsville, le … 1913.


Les quelques semaines qui s’écoulèrent entre le jour où Marius écrivit cette lettre et le jour de son mariage passèrent comme un rêve.

Stockton, après avoir fourni les éléments du fameux rapport sur la police américaine et les procédés qu’elle préconise et emploie, était parti à la Nouvelle-Orléans, appelé par une affaire de vol dans laquelle il lui avait semblé reconnaître « le faire » de Borchère — ou plutôt de Martin.

Marius lui avait bien offert de l’accompagner, mais sans insister ; il n’avait que juste le temps, en effet, pour parachever le cadeau de noces qu’il destinait à Weld et auquel il travaillait en cachette : le portrait de miss Cecil.

Aussi Stockton partit-il seul, mais faisant la promesse de revenir pour le jour des épousailles, car il était témoin de Ketty avec l’agent de change Obrig.

Mistress Trubblett seule n’était pas complètement joyeuse ! Sa fille en effet rentrait en France après son mariage et elle perdait l’espérance de voir Ketty épouser un pair d’Angleterre, comme cela serait indubitablement arrivé, répétait-elle, à qui voulait l’entendre, si elle n’avait pas rencontré sur sa route Marius !

Le bon Méridional, dont la joie était sans mélange et qui voulait tout le monde heureux autour de lui, lui proposa de venir habiter Paris, mais mistress Trubblett avait ses habitudes, ses amis à Brownsville, et heureusement pour Boulard, elle ne voulut pas les quitter.

Une autre bonne fortune — un bonheur ne vient jamais seul — échut à Marius et arrangea tout. Weld et miss Cecil s’étant mariés, tout Brownsville avait défilé dans les salons du banquier.

Or, dans le salon d’honneur, sur un chevalet, le portrait, resplendissant de vérité, de grâce et de charme de la jeune mariée, attira l’attention de tous. On s’informa.

Quand on sut que le distingué détective Boulard était en même temps le peintre de talent qui avait signé cette œuvre remarquable, ce fut à qui voudrait être portraituré par lui.

Comme il commença par refuser toute commande, ou plutôt tout engagement, l’engouement devint de la fureur : il fut obligé d’accepter de faire une vingtaine de portraits pour le moins, et la vogue fut d’autant plus grande qu’il demanda des prix plus élevés.

Il dut s’engager à revenir aussitôt son voyage de noces terminé, car lorsqu’il partit pour le continent, il avait accepté pour plus de cent mille dollars de portraits, ébauchés déjà pour la plupart.

Aussi avait-il acheté à son ami Weld un superbe terrain, et les fondations de l’hôtel avec atelier qu’il faisait construire pour venir passer quelques mois tous les ans à Brownsville, sortaient-elles déjà de terre.

Parmi tous les présents de noces dont Ketty et lui furent comblés par Srockton, Obrig, le général Kendall et surtout monsieur et madame Georges Weld, il reçut le matin même de son mariage « un joli cadeau à faire à un Méridional ».

Comme sa fiancée mettait la dernière main à sa toilette avant de partir pour la cérémonie, le banquier lui apporta de la part de Vaucaire, un petit écrin en maroquin noir arrivé ce matin même de Paris et un journal.

Marius resta interloqué.

« Un joli cadeau à faire à un Méridional », disait la carte de visite de son ami.

Qu’est-ce que cela pouvait bien être ?

Il n’y put tenir davantage. Il ouvrit l’écrin. Sur un petit coussin de soie, il y avait une décoration.

Ketty pendant ce temps avait déplié le journal.

C’était « Le Journal Officiel de la République Française ».

Quelques lignes encadrées d’un vigoureux trait au crayon bleu attirèrent ses regards.

Elle lut.

PAR PROMOTION SPÉCIALE

Dans l’ordre de la Légion d’Honneur :

Est nommé Chevalier :

M. Boulard Marius-Arsène, chargé de mission à l’étranger, pour services exceptionnels.


FIN