L'Art contemporain - Les sculptures de M. Carpeaux

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L'Art contemporain - Les sculptures de M. Carpeaux
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 83 (p. 478-491).
L'ART CONTEMPORAIN

LES SCULPTURES DE M. CARPAUX.

Il s’est fait beaucoup de bruit depuis quelque temps autour du nom de M. Carpeaux. Il a été porté aux nues et honni. D’un côté les amateurs du beau classique, de l’autre les ennemis de la tradition académique, ont combattu à propos de lui comme jadis les Grecs et les habitans d’Ilion sur le corps de Patrocle. On ne sait encore qui l’emportera. Une main demeurée inconnue s’est attaquée à la pierre de son dernier groupe, et dans la tache qui s’étalait aux regards quelques-uns auraient bien voulu voir la vengeance d’un dieu irrité, car nos dieux d’aujourd’hui se vengent des offenses des mortels comme ceux d’Athènes ou de Phrygie.

Essayons d’examiner les travaux de l’artiste, d’en démêler les qualités et les défauts. Nous en dirons ce que nous pensons, non pas sans passion, — qui peut se flatter d’en être exempt, et que gagnerait le lecteur à ce qu’il en fût ainsi ? — mais sans parti-pris et sans ambages, Ce n’est certes point un homme ordinaire que M. Carpeaux, et nous ne croyons pas que son œuvre, assez considérable déjà, puisse être traitée, autrement qu’avec déférence, en raison de l’effort qu’elle a exigé. Des erreurs même, résultat d’une volonté consciencieuse et sincère, ne sont pas indignes de respect. Les premiers travaux de lui auxquels on puisse remonter, bien qu’il fût déjà en possession de quelque estime parmi ses condisciples, ne témoignaient guère de ce qu’il devait se montrer plus tard, lorsque, débarrassé de toute entrave, il marcherait d’un pas hardi sur la route qu’il tient à cœur de se frayer lui-même. On peut voir à l’École des Beaux-Arts le morceau de concours pour le prix de Rome qui détermina le jury de 1854 à l’envoyer en Italie. Le sujet du programme était un groupe d’Hector et d’Astyanax. Hector tient son fils entre ses bras et le soulève aux yeux de la foule. Sur ce thème homérique, qui n’était qu’à moitié dans ses aptitudes, M. Carpeaux ne s’est pas distingué, il n’a point donné la mesure de son talent. Bien pénétrant serait celui qui eût prédit sur cette pièce quelques-uns de ses succès futurs. Le défenseur de la ville du vieux Priam n’est qu’une figure d’académie, un modèle d’atelier. Il est nu, ne porte rien que le baudrier, qui retient l’épée de forme antique ; son casque, objet de terreur pour l’enfant, est à ses pieds. L’homme est d’ailleurs assez bien campé ; mais la composition du groupe reste médiocre. C’est une tentative honnête, un certificat d’application. L’œuvre est sans expression et sans portée. Il n’y aurait qu’à faire endosser une tunique à Hector pour qu’il devînt un saint Joseph fort acceptable, et le jeune Astyanax, petite poupée blanche, un enfant Jésus. Nous n’exagérons pas. Le caractère fait à tel point défaut à l’ensemble, que quelques attributs modifiés transformeraient ce groupe et en dénatureraient la signification sans lui faire presque rien perdre.

L’École des Beaux-Arts garde encore de M. Cadeaux une esquisse de bas-relief, Coriolan allant offrir ses services aux ennemis de Rome. Ce n’est qu’une ébauche, quelque chose d’inachevé et qui n’a rien de bien saisissant. M. Carpeaux ne devait pas laisser longtemps sous l’impression de ces débuts ceux qui s’intéressaient à ses progrès. Il travailla, dit-on, beaucoup à la villa Médicis ; de plus il travaillait vite. Nous notons ce point en passant, sans y trouver matière d’éloge ni de blâme. Pour les objets d’art, « le temps ne fait rien à l’affaire. » Ce qui dure est presque toujours ce qui a été lentement mûri par la réflexion et l’étude. Ce serait miracle qu’une sculpture parfaite sortît soudain sous le coup de maillet d’un sculpteur, comme une Minerve tout armée du cerveau de Jupiter. Cela ne se passe ainsi que dans l’époque et le pays des fables. Cependant la dextérité de la main, la promptitude de l’exécution, ont toujours pour résultat d’éblouir, d’aveugler un instant les plus crédules, d’arracher les admirations faciles. Sous ce rapport, M. Carpeaux, capable de pétrir dans l’argile une tête ou un buste en une heure, de lui donner la ressemblance et la vie, fut dès ses débuts en possession d’un des élémens les plus essentiels de la popularité.

Un groupe de dimension considérable fut, après son concours, ce qui tourna vers le jeune artiste l’attention du public, qui ne le connaissait point encore. M. Carpeaux s’était pris à forte partie. S’attaquant audacieusement à la version de Dante, il osait retracer la légende d’Ugolin et de sa famille, les angoisses physiques, les tortures morales de l’immortel prisonnier et de ses fils dans la tour de la Faim, il faut dire que ses goûts, son tempérament, ses procédés de travail, le rendaient propre à la peinture de ces tableaux accentués plutôt qu’aux images du calme, de la sérénité et de la paix. Il réussit. La scène est bien présentée, morne, terrible, point hideuse, Elle est vigoureusement et clairement dessinée, elle n’a pas besoin de commentaires, elle ne permet pas de méprise. Voilà bien l’auteur et les victimes d’un autre festin d’Atrée. Le père n’a point encore commis le meurtre et repris aux siens la vie qu’il leur a donnée. Ils sont tous autour d’Ugolin, maigres, affaissés, endoloris, n’ayant plus qu’un souffle. Lui médite et songe à son crime, les doigts serrés contre ses dents. Ce groupe, coulé en bronze, a été regardé plus tard comme digne d’être placé au jardin des Tuileries. Il est en parallèle avec celui du Laocoon, dont il évoque le souvenir, non point à cause de la disposition, — rien n’est moins de nature à éveiller l’idée de plagiat ou de réminiscence, — mais en raison de certaines analogies dans l’invention des poètes. Il supporte sans trop de défaveur la comparaison. Si les lignes de la silhouette générale sont moins heureuses, moins pondérées, l’ensemble est plus vrai, et ce n’est pas un mince mérite. Du reste, pourquoi ne pas l’avouer ? — ce groupe du Laocoon si souvent offert en exemple, prôné par la critique allemande, mesuré sur toutes ses faces, nous paraît surfait en bien des points ; nous n’y trouvons en dernière analyse qu’un art savant, mais dépourvu de naïveté.

Au moment où le groupe d’Ugolin parut, les éloges hyperboliques autant que les dénigremens et les remarques envieuses se répandirent sur l’artiste. Les uns lui refusaient tout, les autres voulaient le forcer à monter au Capitole pour remercier les dieux. Des amis prononcèrent le nom de Michel-Ange, d’autres le mot de génie. Ces ovations firent peut-être plus de mal que de bien à M. Carpeaux, qui n’était pas naturellement enclin à imposer une sourdine aux porte-voix de sa réputation naissante, et ne se dissimulait pas d’ailleurs de quelle importance et de quel profit devenaient pour lui les débats dont il était l’occasion. Pour tout dire, M. Carpeaux a une physionomie à part qui expliquerait au besoin plusieurs de ses déceptions et de ses triomphes. Homme d’une personnalité forte, ardente, envahissante, ayant conscience de sa valeur, enorgueilli de bonne heure parce qu’on l’avait loué avant qu’il ne fût en état de supporter l’éloge, il a emporté d’assaut une place au grand jour qu’on ne lui retirera plus. M. Carpeaux a quelque chose de cet Ajax qui consentait à mourir, mais voulait mourir au soleil. Ce n’est pas à lui que pouvait échoir le sort de ce sculpteur Briant, qui mourut presque ignoré, auteur d’un Mercure, une figure d’argile qu’on eût prise pour un antique, auquel le jury accorda, — hommage posthume, — la médaille d’or, mais qui n’eut point du vivant du pauvre statuaire les honneurs du marbre ou du bronze.

Quand vous voyez un artiste arriver jeune encore à une sorte de célébrité, lorsque surtout cet artiste, sculpteur ou peintre, s’est écarté de l’enseignement de l’école et ne s’est pas conformé docilement aux erremens académiques, vous pouvez être assuré que son talent, quel qu’il soit, se trouve doublé d’une certaine dose de savoir-faire, qualité essentielle pour qu’il puisse tirer parti de ses propres dons, à moins qu’il n’ait rencontré dès le début quelque haute protection, une puissante camaraderie, ce qui est rare. La plupart de nos modernes Mécènes, auxquels l’argent n’est pas ce qui manque le plus, ne se croient pas assez de perspicacité pour démêler dans la foule les jeunes gens dont le talent donne plus que des espérances. Ce serait une entreprise digne d’eux, la plupart n’y songent guère ; ils préfèrent attendre et jouer à coup sûr. L’artiste est devenu maître, ce n’est pas assez ; dût son talent décliner auparavant, ils exigent qu’il ait un nom. Faux Mécènes, ce n’est pas l’œuvre qu’ils recherchent, c’est une satisfaction d’amour-propre et un bon placement d’argent. Ils spéculeront ici comme à la Bourse, ils se vanteront de l’avoir emporté sur tel banquier renommé pour ses prodigalités : fanfarons de dépense d’ailleurs, faux prodigues, qui ne sont pas restés longtemps sans comprendre que les productions d’un artiste en vue, désormais cotées sur le grand marché de l’art, sont aussi des valeurs commerciales ! Ils les montrent, ils les étalent, ils les gardent suspendues dans leurs galeries, comme ils conservent en leurs portefeuilles les actions d’une exploitation quelconque. Ils n’y tiennent pas autrement. Collectionneurs, trafiquans, brocanteurs, marchands, moins réellement épris des belles choses qu’ils ne souhaitent de le paraître, ils demandent des objets sur lesquels la baisse ne soit pas probable, et dont le prix puisse monter toujours. Ils s’appliquent à des opérations qui, en fin de compte, rapportent un assez haut intérêt. Ajoutons que la statuaire, par la nature même de ses travaux, échappe à leur sollicitude. Il faut de l’espace pour en loger les produits. Ces produits coûtent cher et sont difficiles à déplacer. Piédestaux et statues ne se passent pas de main en main comme les tableaux dans leurs cadres d’or. On peut y voir presque des propriétés immobilières, des capitaux dormans.

L’état, les communes, les plus riches seulement, voilà donc les protecteurs naturels, les patrons dont le sculpteur peut invoquer l’appui et se faire le client. En eût-il d’autres d’ailleurs, il n’est pas sûr qu’il viendrait facilement à bout de leur plaire, de se concilier longtemps leurs bonnes grâces, de ne les pas froisser, de se plier autant qu’il le faut à leurs goûts, de satisfaire à leurs caprices. L’éducation que les artistes ont durant plusieurs années reçue à l’École des Beaux-Arts, — j’ai surtout en vue l’école telle qu’elle était avant l’organisation nouvelle, — leurs études assidues, l’indépendance au moins apparente de la profession qu’ils ont embrassée, les portent à contracter une allure particulière, décidée et peu souple, à leur rendre odieuse toute servilité. L’étiquette et le formalisme leur semblent ridicules. S’ils reconnaissent, non pas toujours sans peine, les supériorités intellectuelles, les formes extérieures du respect hiérarchique leur sont peu familières. C’est le sujet habituel de leurs railleries. Je constate le fait sans songer à leur en adresser un reproche. Plus tard, l’expérience de la vie, le joug de la nécessité, en changeront quelques-uns ; mais ce changement leur pèse. Un certain sans-façon et une pittoresque verdeur de langage leur paraissent volontiers un des plus précieux attributs de la libre existence de l’artiste.

M. Carpeaux, qui est élève de l’École des Beaux-Arts, a gardé un peu de cette apparence bizarre, bourrue, brutale, désintéressée. Cependant il ne faut pas trop se fier à la première impression. Ses coups de boutoir les plus imprévus, les plus brusques, lui ont réussi. Il a le désir de plaire, et ses paroles n’ont guère d’amertume et d’âpreté que dans la forme : si l’aspect est fâcheux, l’arrière-goût n’a rien de rebutant. Observant plus et connaissant mieux les faiblesses humaines qu’on ne croirait au premier abord, diplomate rustique et savant, il présente avec humeur un compliment comme une boutade ; il a quelque chose de spontané, je ne sais quoi d’involontaire, qui fait que nul ne se tient en garde. Sous cette enveloppe de paysan du Danube, toujours prêt à dire leurs vérités aux grands de la terre, habite une sorte de demi-courtisan auquel on permet plus qu’à d’autres, à la faveur de son costume, le sayon de poil de chèvre et la ceinture de jonc marin. Il y a beau jeu à se montrer inculte à qui sait d’avance à part soi qu’il ne dira rien qui doive être repris. On cite de M. Carpeaux des mots qui ont fait fortune, que les plus naïfs supposent partis malgré lui, comme le projectile d’une arme chargée maniée par un maladroit. A regarder de plus près, il n’y a guère à s’y tromper, chacun de ces mots est arrivé à son adresse, a surpris agréablement la personne qui se sentait frappée et s’attendait à être blessée. C’est la manœuvre d’un Parthe habile qui lancerait des flèches redoutées, flèches innocentes dont la pointe a été émoussée avec précaution. À cette tactique ingénieuse, M. Carpeaux joint l’avantage d’appartenir à la phalange des prix de Rome, qui forme, comme on le sait, une association serrée peu disposée à céder le terrain à personne.

Aujourd’hui M. Carpeaux a une certaine influence ; il est consulté Il a donné des leçons de dessin au prince impérial, d’après lequel il a fait une petite statue, œuvre charmante, fine et distinguée. Il se sent assez soutenu pour imposer aux architectes ses volontés ou ses caprices. Ses discussions avec celui des Tuileries sont restées célèbres. Il ne lui plaît pas de placer ses sculptures dans l’intérieur d’un fronton, il prétend les mettre au-dessus. Les désirs de M. Carpeaux sont accomplis. Nous reconnaissons ce qu’il y a de fâcheux pour les architectes et pour l’architecture dans un pareil système ; cependant l’auteur de la reconstruction des Tuileries avait moins le droit de se plaindre que tel autre artiste qui eut avec M. Carpeaux des démêlés non moins vifs, et qui finit de même par avoir le dessous dans ce conflit où l’on voit aux prises le maître de l’œuvre et le sculpteur. Entre le directeur des travaux des Tuileries et le lauréat chargé au concours d’élever le nouvel Opéra par exemple, la situation n’était pas comparable en face des exigences d’un des hommes qui devaient concourir à la décoration de l’édifice. Le premier a été agréé administrativement[1]. Son talent est moins en cause, sa responsabilité moins engagée. L’autorité a jugé bon de l’employer et l’emploie : il n’est point libre. On lui donne des ordres, il les exécute. Les statuaires usent de leur crédit, quoi d’étonnant ? Il serait plutôt surprenant qu’il n’en fût pas ainsi.

L’un des travaux de M. Carpeaux au nouveau pavillon de Flore est ce fronton dont il a obtenu de décorer la partie supérieure en dépit des premières intentions de l’architecte. C’est de la sculpture à grand éclat, à grand effet, pittoresque et retentissante. Elle couronne l’édifice en l’écrasant un peu, sans que pourtant il y ait rien là d’outré ni d’excessif. L’autre, un petit groupe de dimension fort restreinte, encastré sur un pan de mur présentant une surface pleine assez étendue, procure une véritable sensation de plaisir. C’est une fête pour les yeux. Il représente, dit-on, la déesse Flore, marraine ou patronne du pavillon. Doit-on bien y voir une Flore ? Nous ne savons ; mais cela importe peu. La déesse ou, si vous aimez mieux, la nymphe, la femme dans son éternelle jeunesse, laisse venir à elle, attire, renvoie des petits enfans, des génies ou des amours. Elle est accroupie, elle rit avec eux ; elle écarte des branches pour les faire passer. Ils foulent la terre sur un rhythme marqué, heureux de vivre sous la douce lumière, gais, beaux, bien portans. Tout cela est empreint d’un mouvement fort vif sans exagération. Les chairs sont fermes sans bouffissures, les traits agréables. Je ne puis m’empêcher de regarder ce morceau comme un des meilleurs, sinon le meilleur, qui soit sorti du ciseau de l’artiste, et l’un des plus originaux, des plus personnels, des plus remarquables de la sculpture moderne.

J’arrive aux travaux du nouvel Opéra, à ce groupe qui a excité la discorde et suscité tant de tempêtes. Sur la façade, en saillie sur le mur, sont taillés quatre grands bas-reliefs symbolisant la poésie lyrique, la musique, la danse, le drame lyrique. Trois de ces groupes ont été confiés à MM. Jouffroy, Guillaume et Perraud. Le quatrième, la Danse, qui figure entre la Musique et le Drame lyrique, a été demandé à M. Carpeaux. Ces bas-reliefs comportent des personnages plus grands que nature ; l’espace dont ils peuvent disposer, le même pour chacun, a été soigneusement déterminé. Une statue plus petite, autre allégorie telle que la déclamation ou l’élégie, se dresse dans l’espace compris entre les groupes. Les trois compositions qui accompagnent la Danse indiquent chez les auteurs du savoir et du talent, et font certainement honneur à l’école française. Le public, attiré par le bruit qu’on menait à propos de l’un des groupes, n’a pas suffisamment regardé les autres et ne leur a pas rendu toute la justice qu’ils méritent. Bien des gens semblent portés à les trouver simplement honnêtes, sans vices ni vertus ; ils y ont à peine jeté les yeux. S’ils avaient pris souci de les examiner, ils en auraient jugé autrement. Ces auxiliaires ont concouru avec discrétion et loyauté à l’ornementation de cette façade. La tâche est plus délicate, elle réclame plus de tact et de goût qu’on ne le suppose. Il ne faudrait pas beaucoup d’attention pour se persuader qu’il n’y a pas seulement des détails à admirer. Parmi ces groupes, il en est même un que nous voulons nommer, qui sans tapage, sans fanfare, a pris possession de l’espace qui lui était réservé, et tient, on peut le dire, glorieusement sa place. Ce groupe représente la musique. Comment l’auteur a-t-il compris et rendu son sujet ? Une femme a en main la double flûte, une autre promène l’archet sur un violon. Elles exécutent une mélodie sous la direction du dieu de la lumière. Deux génies sont à leurs pieds. C’est à M. Guillaume qu’est due cette belle, chaste et élégante composition. L’artiste, qui a eu le malheur d’être aux prises avec tant de figures diverses de Napoléon Ier après avoir modelé ces deux figures des Gracques, si fortes, si profondes, si pleines d’un sentiment âpre et fier, si pénétrées de vie sous leur couche de bronze, a donné ici la mesure de l’ampleur, de la souplesse de son talent. Les lignes sont bien entendues, presque architecturales, la grâce est exquise et pourtant robuste, l’exécution large et nettement décorative, comme il convient à de la sculpture sur les monumens.

Le groupe de la Danse de M. Carpeaux fait violence aux regards et les tire forcément à lui. Il n’est pas besoin pour cela de s’approcher. Du plus loin qu’on l’aperçoit, on se sent en présence de quelque chose de bizarre, d’étrange, d’emporté, de tumultueux. Les contours contrastés se choquent, se heurtent, et semblent attaquer les lignes mêmes de l’édifice ; il paraît plus grand que ses voisins, déborde de toutes parts, s’impose à la curiosité du spectateur. On sent tout d’abord que l’œuvre n’est pas dans la mesure. « Rien de trop, disaient les Grecs ; » ils avaient parfaitement raison. Avançons pour voir si l’impression ne se modifiera point. Non, elle s’accentue davantage. Des femmes nues forment une ronde conduite par un génie également nu. Les uns et les autres vivent, se meuvent et s’agitent. Sont-ce des ménades sur les montagnes, menant la bacchanale effrénée ? le jeune homme est-il le divin Liber ? Sont-ce de belles filles qui dansent au soleil sous un ciel clément, sur les prés en fleur, qui dansent parce que le printemps, est revenu, parce qu’il est plein de parfums, pour exprimer la joie de la vie et pour la seule volupté du mouvement ? Ce n’est point cela, ni rien qui y ressemble. Quelques-uns ont prétendu que cela représente une danse de sauvages ou une sarabande du sabbat. Ce n’est point encore cela. Nous voulons nous mettre au point de vue de l’artiste, le seul qu’il ne puisse récuser. Nous ne lui reprochons pas d’être hors de l’antiquité et de la tradition ; nous lui en ferions plutôt un mérite, s’il était parvenu à réaliser son idée d’une façon satisfaisante. Celui qui se souvient de son temps, qui n’imite pas, qui emprunte à son époque tout ce qui peut fournir les matériaux d’une œuvre d’art durable, fait preuve de force plutôt que de défaillance. Il s’assure d’avance la sympathie et l’estime de ses contemporains. Pourrait-il en être autrement ? Il reflète leur propre existence en lui donnant une certaine intensité de caractère, en la faisant moins mesquine et plus grande. Chacun lui saura gré de n’être pas sorti de la réalité et d’avoir pris dans la vérité même les élémens du mensonge éternel. M. Carpeaux, pour symboliser la danse, ne pouvait nous montrer dans leurs vêtemens actuels ces femmes fardées de brun, de blanc et de rouge, à jupons légers, demi-nues, demi-vêtues, couvertes de paillettes et de clinquant. Soit, cela n’est pas dans les moyens du marbre et de la pierre, et répugne à la sculpture, art sobre et sincère qui se prête mal aux artifices. Il pouvait, il devait choisir ses mouvemens et ses modèles pour éviter la trivialité, la vulgarité, le geste malsonnant et malsain dont la statuaire ne s’accommode pas davantage. La beauté, cette splendeur qui réjouit les yeux comme le vin réjouit le cœur, n’est pas chose si vile que l’artiste ne doive pas s’en soucier, et qu’il ne l’introduise dans ses compositions que comme un hors-d’œuvre. Nous savons bien que la beauté est chose peu commune ; serait-elle sans cela un si grand objet d’admiration ? Il faut la chercher, et, quand l’artiste en a trouvé les morceaux ou les membres épars, il lui reste à les réunir par un lien harmonieux. Ce travail constitue son œuvre, il la rend distincte et la fait à jamais sienne. Il donne enfin aux figures qu’il emploie le type et le caractère auxquels on les reconnaîtra.

Était-il nécessaire à M. Carpeaux de nous présenter des femmes déshabillées et non pas nues, — le nu est autre, — n’offrant même pas cette espèce de grâce de la galanterie équivoque pour laquelle les vieillards et les jeunes gens sans âge ont porté si haut tant de figures de Pradier ? Fallait-il étaler aux regards des chairs un peu bestiales, emphatiques, à la fois flasques et gonflées ? Ces figures, on serait tenté de les prendre pour des filles de débauche dansant ensemble après une orgie qu’elles ont partagée avec un adolescent quelconque et qui s’est mis nu comme elles !

L’objection qui a été faite en faveur de l’artiste pour atténuer l’erreur qu’il a commise dans le choix de ses modèles mérite peu qu’on s’y arrête. Les Hollandais ni les Flamands n’ont pas craint de retracer sur la toile des personnages qui n’offraient guère la beauté de la forme. Si le grand roi les faisait éloigner de ses yeux en les déclarant des magots, ils n’en avaient pas pour cela moins de valeur et moins d’accent. Pour ne citer qu’un exemple, la Kermesse de Rubens, qui décrit si vivement la félicité brutale, l’exaltation et le délire des sens, est acceptée comme un chef-d’œuvre. Sans doute, mais la Kermesse est une œuvre du pinceau ; le pinceau a son domaine propre et ne peut le franchir. Quel effet ferait la Kermesse en bas-relief, à la base d’un monument, sur un piédestal, dans un endroit où il est indispensable que l’accord des lignes verticales ne soit pas rompu, c’est ce que nous souhaitons ne jamais voir de nos yeux. Autant vaudrait, pour la témérité de l’entreprise, mettre en vers français, ce qui a du reste été essayé, l’Intermezzo de Henri Heine.

Tout le groupe de la Danse, malgré la blancheur de la pierre récemment taillée, a gardé, je ne sais pourquoi, quelque chose de l’aspect de l’ébauche ou de l’esquisse en terre, et rappelle plutôt le travail de l’argile que celui d’une matière plus dure. Cependant nous croyons que M. Carpeaux est un de ces artistes consciencieux qui ne se contentent pas de ce premier travail, qui ne pensent pas qu’il soit au-dessous d’eux de prendre en main le ciseau pour achever ou corriger l’exécution du praticien. Nous signalerons aussi tel arrangement de lignes qui nous surprend, qui atteste peu de maturité dans la composition, et qui nuit à ce groupe et à ceux qui l’entourent. Les femmes ne pourraient se tenir debout. A-t-il voulu indiquer l’ivresse ? Nous ne le pensons pas. Le génie lui-même se penche en avant, il chancelle ; à moins d’un appui surnaturel, il va tomber. Il produit cette singulière illusion qu’on se demande si ce n’est pas l’édifice qui périclite. Il semble qu’un invisible Samson ébranle les colonnes. L’abus des lignes obliques, trop importantes dans la donnée générale, maintient cette désastreuse apparence. Or, en architecture, il ne suffit pas que la construction soit stable, il faut qu’elle procure l’idée de la stabilité, et qu’elle n’ait pas l’air de se tenir par un prodige d’équilibre. Dans l’arc de triomphe de l’Étoile, massif et puissamment assis, la ligne verticale domine sur les bas-reliefs, même sur celui de Rude, emporté d’un mouvement si fougueux. M. Carpeaux ne s’est occupé que de lui, et n’a point tenu compte de ces nécessités.

Il n’est pas sans intérêt de rechercher ici jusqu’à quel point l’architecte du nouvel Opéra s’était préoccupé d’avance de l’effet que devaient donner à l’édifice auquel il attachera son nom les sculptures en bas ou haut-relief confiées à divers artistes. Dans un livre qu’il publiait récemment, A travers les arts, M. Garnier constate avec un regret bien naturel que la division du travail, élément utile pour la production à bon marché, mais dangereux pour ceux qui recherchent avant tout le beau et veulent réaliser l’idée qu’ils ont conçue, s’est introduite peu à peu dans l’art comme dans l’industrie, à un moindre degré toutefois. Un architecte ayant à édifier un monument considérable est contraint de faire appel au concours d’artistes spéciaux. Les artistes, il le fait remarquer, pratiquaient jadis assez souvent les trois grands arts réunis : architectes aujourd’hui, sculpteurs demain, peintres après-demain, ou bien, s’ils n’excellaient que dans un de ces arts, ils prouvaient au moins par l’harmonieuse disposition de leurs œuvres qu’ils avaient médité sur les principes généraux des autres. Ce système était en vigueur au temps de la renaissance ; on l’a bien vu en Italie. De nos jours, les choses ne se passent plus ainsi. Chacun suit sa voie distincte, et s’occupe assez peu de ses confrères. L’artiste est peintre, sculpteur ou architecte. L’architecte exécute le plan, commande et discipline, autant qu’on lui en accorde le crédit, les volontaires qui sont venus de tous les côtés se ranger sous ses ordres ; le sculpteur taille sa statue ou son groupe, le peintre exécute son tableau. Il en résulte qu’on ne sent plus partout la même main, le même esprit, la même volonté. De là des indécisions, des incohérences de style. M. Garnier se console en disant que les artistes multiples étaient le plus souvent inférieurs en certains points, les peintres lorsqu’ils devenaient sculpteurs, les sculpteurs lorsqu’ils faisaient œuvre d’architectes. Une fois réalisées, les créations de pareils hommes procurent au premier aspect une impression calme et forte qui saisit. Il est bien rare, ajoute-t-il, que l’analyse ne conduise à y reconnaître de nombreuses imperfections. M. Garnier conclut que, si tout artiste ne peut pas, comme Michel-Ange, Raphaël, le Giotto, Scamozzi, Sansovino, manier tour à tour le compas, le pinceau et l’ébauchoir, il faut cependant que l’architecte sache peindre et sculpter pour juger sainement de la peinture et de la sculpture et les employer au besoin avec autorité ; il faut que le sculpteur et le peintre connaissent assez d’architecture, non pour élever l’édifice, mais pour l’apprécier, en comprendre les moyens et les discuter sincèrement. Alors s’établit une communauté d’idées, chacun ne parlant plus à l’autre une langue étrangère ; les rivalités inutiles ou pernicieuses tombent, elles n’ont plus de raison d’être ; il y a réellement concorde, collaboration a une même œuvre.

Jusqu’ici, nous ne voyons que des considérations générales, qui ne s’appliquent point immédiatement au groupe de M. Carpeaux. Ailleurs néanmoins l’architecte, parlant des sacrifices que les sculpteurs ont à faire, montre combien il est indispensable que ces derniers envisagent la place qui leur est assignée ; il faut non pas seulement qu’ils se renferment dans ce cadre et donnent à leurs statues des dimensions déterminées, cela va de soi et nul ne songe, pense-t-il, à s’en affranchir : ils ont à se pénétrer de l’effet que leur travail produira, de la mission qui leur est échue. Leur travail, pour être parfaitement décoratif, doit avoir des « vertus collectives, » mot remarquable que nous signalons aux réflexions de M. Carpeaux. Cela leur sera bien facile, si les artistes ont fait assez d’études pour aimer l’architecture, en apprécier les beautés, en reconnaître les défauts. Ils deviendront en ce cas architectes eux-mêmes, ils marcheront droit au but. « Et pourtant, continue M. Garnier, combien dédaignent ou ignorent cette règle première et nécessaire ! Combien font des tableaux ou des statues d’ateliers qui contrastent avec les entourages, rompent les lignes ou les tons d’ensemble, et non-seulement nuisent à l’édifice, mais encore se nuisent à eux-mêmes… L’harmonie est indépendante de la donnée générale et du style choisi… Il ne s’agit que de s’entendre à- deux, de discuter amicalement le bien et le mal et de réunir comme dans une même pensée les deux arts qui tendaient à se produire individuellement. » M. Garnier prévoyait-il, quand il écrivait ces lignes, à combien de clameurs le groupe de M. Carpeaux servirait de prétexte ? Nous pensons plutôt qu’il parlait d’une façon générale, et que la composition de ce groupe, dont les dessins et les modèles lui avaient dû être soumis comme les autres, ne lui inspirait aucune inquiétude. Il ne l’avait pas vu en place. Il semble qu’entre M. Carpeaux et M. Garnier les discordes et les tiraillemens auraient dû être assez faciles à éviter, puisque l’architecte et le statuaire sont unis par les liens de cette confraternité des anciens pensionnaires de la villa Médicis dont nous avons dit quelques mots. Il existe même sans doute entre eux une intimité plus particulière. Chacun peut avoir vu au Salon dernier un buste que M. Carpeaux avait exposé, un portrait de M. Garnier d’une grande ressemblance d’aspect, d’une facture ferme et solide. M. Carpeaux aura été détourné de ses propres réflexions et des corrections utiles qu’il aurait pu introduire à temps dans son groupe de la Danse par les éloges maladroits de quelques amis, qui, l’encourageant à s’affirmer de plus en plus lui-même, lui auront fermé les yeux sur les dangers de la route dans laquelle il s’engage, lui auront persuadé qu’il faut pousser jusqu’au bout, jusqu’à la grimace, jusqu’à l’enflure, les qualités de force que tout le monde lui reconnaît. A les entendre encore aujourd’hui, le groupe de M. Carpeaux a démontré ce qu’il peut faire. Il est moderne, il échappe à toute convention, il rompt avec le passé, il n’est pas loin d’être sublime. En tout cas, ajoutent-ils, il dépasse tellement les compositions qui l’entourent qu’on peut dire qu’elles en sont écrasées. Cette remarque n’est pas sans justesse. Écrasées, oui ; c’est un triste privilège qu’on revendique là pour M. Carpeaux ; cet écrasement de ses voisins doit être considéré par lui comme un médiocre sujet d’orgueil. La proximité de tel tableau de second et même de troisième ordre écraserait sans peine à Dresde la Madone de Saint-Sixte de Raphaël, et quel peintre, à moins d’être affolé, voudrait se vanter d’avoir obtenu ce triomphe ? Ces louanges prématurées, adressées par des ignorans ou des complaisans, jettent le trouble dans l’esprit et portent un artiste fait pour des choses plus grandes à se contenter de peu. Pourquoi la recherche assidue quand on obtient l’admiration à bon marché ? Plus que jamais depuis quelques mois, on a prononcé autour de M. Carpeaux le nom de Michel-Ange. S’il faut à toute force qu’il soit comparé à quelqu’un, sa manière rappelle plutôt celle du Puget et quelquefois celle d’un contemporain, M. Clésinger. Improvisateur souvent habile, il ferait souvenir d’un autre artiste bien doué, également en possession de la popularité, M. Gustave Doré, qui le rappelle par certaines tournures, certaines habitudes de lignes. Il a toutefois sur M. Doré cet avantage de savoir beaucoup et d’être encore capable d’études serrées et profondes.

La pieuse main d’un Basile qui suppose que la morale est perdue, que la société est compromise par des statues, ou celle de quelque Erostrate en délire a attenté au groupe de M. Carpeaux. Les traces de cette action criminelle ont disparu, et M. Carpeaux peut se consoler. Une tache d’encre a plus fait pour la notoriété de son talent que n’eussent pu dix années de rudes labeurs, de sacrifices, de luttes obstinées, de succès modestes. Sur le champ de bataille de l’art, il a conquis une position que plus d’un ambitionne : les yeux sont tournés sur lui ; il est assuré de la renommée, il aura l’immortalité, au moins viagère. Il a été plusieurs jours de suite l’objet des conversations d’un monde blasé qui l’a sacré grand. Il n’a rien perdu à tout ce bruit. Si ses sculptures antérieures ne sont pas parfaites, pour celle-ci l’esprit de protestation qui est au fond de l’âme humaine contre toute violence et toute basse persécution lui a gagné, lui a ramené plus de sympathie, plus de bienveillance irraisonnée que ne pourront se l’imaginer jamais ceux qui l’ont misérablement noircie ; mais cette bonne volonté de sentiment s’épuisera comme tant d’autres, elle ne suffira pas longtemps à masquer les défauts de ce groupe et à le faire passer pour supérieur aux autres morceaux du sculpteur.

Pour conclure, la dernière œuvre de M. Carpeaux, quelque mérite qu’on veuille lui attribuer en elle-même, sera toujours déplacée là où elle se trouve, non point, il s’en faut, à cause de la nudité des figures de femmes qu’il a montrées dansant au soleil. Nous n’avons pour le nu aucun de ces scrupules qui font voir trop de mépris de la nature humaine. Pourquoi renier la nature, lui jeter la pierre, se scandaliser ? Qui donc a l’orgueil de se mettre au-dessus ? « L’art, c’est le nu, » disait M. Ingres. Sans aller aussi loin, nous croyons le nu assez chaste, d’un spectacle assez honnête quand il s’élève à la véritable beauté. Les beaux modèles ne portent guère aux actions basses et honteuses. Par malheur, M. Carpeaux a posé les figures de son groupe en dehors des conditions réelles de la beauté. Elles n’ont ni la jeunesse, cette première beauté, ni la grâce, ni même cette beauté de second ordre, qui est le joli, dont nous avouons volontiers faire peu de cas, et que quelques hommes spéciaux regardent comme le premier degré de la laideur. Elles vivent cependant, mais d’une vie peu enviable pour des figures de pierre, attristante, attristée, avec leurs corps, sans vigueur et sans accent, leurs attitudes contraintes et leurs contours redondans. Malgré la verve et l’entrain du mouvement, l’attention qu’elles ont provoquée d’abord s’est assez vite lassée ; leur sourire appelle une admiration qui ne veut point venir, on cherche pourquoi. On ne peut pas dire qu’elles soient provocantes ni lascives. Ce sont dans leur réalité des femmes communes, peu choisies, déformées par les vêtemens qu’elles ont quittés, qui dansent non pour danser, mais pour compléter l’orgie commencée. Pourtant là n’est pas encore le plus grand péché de l’artiste. L’irrémédiable faute est de n’avoir pas eu le sentiment d’une des lois les plus impérieuses et les plus immuables de l’art, à savoir la subordination de la partie au tout. Or cette loi n’est pas une règle de rhéteur, une de ces barrières que les puissans renversent quand ils veulent aller plus avant, comme l’enfant rejettera les lisières dès qu’il saura marcher sans guide. C’est la loi, la nécessité même de l’existence pour une œuvre d’art.

Pour en avoir tenu peu de compte, l’auteur du groupe de la Danse, détruisant autant qu’il était en lui l’harmonie de l’ensemble, sortant de sa valeur relative et se faisant trop de place, pareil au musicien qui prétendrait que son instrument fût remarqué dans l’orchestre, a compromis l’accord du tout et dérangé l’eurythmie prévue. C’est pour cela, nous le croyons, que la Danse ne doit pas rester là où elle a été taillée. Il ne sera pas malaisé de lui trouver un emplacement plus favorable à elle-même, moins défavorable aux autres. Où ? — La question n’est pas là. Dès qu’elle sera isolée, elle sera mieux. Elle gardera la vie, qualité fort appréciable dont sont dépourvues tant d’images de pierre. Un bon nombre des défauts que fait saillir et met en lumière le contraste qu’elle oppose à ce qui l’entoure perdront de leur importance, s’atténueront, disparaîtront dans l’ombre. L’œuvre demeurera ce qu’elle est, une œuvre peu ordinaire, une erreur peut-être, mais non pas l’erreur du premier venu. Telle qu’on la voit et qu’on la peut juger aujourd’hui en dépit de certaines ovations bruyantes qui ne feront pas prendre le change à M. Carpeaux, il a rencontré là plutôt un échec qu’une victoire. Il n’est pas homme à laisser le public sur cette impression, ni à se tenir pour battu. Il est vaillant, actif, remuant, fiévreux. Il a étudié, il est encore capable d’étude. Il a des retours heureux et inattendus. On peut douter qu’il soit propre à certaine sculpture décorative, là où sa tâche se trouve strictement limitée ou resserrée et doit se composer avec l’ensemble. Il lui resterait d’autre part un assez beau champ à parcourir. Encore sur ce dernier point, la subordination de son œuvre à l’œuvre commune, nous n’oserions rien affirmer, et nous serions heureux, pour lui-même et pour l’art de notre pays, de lui voir un jour donner à ceux qui prétendent qu’il n’aura jamais cette « vertu collective » un éclatant démenti.


CH. D’HENRIET.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1866, le Nouveau Louvre et les Nouvelles Tuileries, de M. Vitet.