Là-bas/Chapitre X

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Tresse & Stock (p. 214-229).


X


La journée fut longue à tuer. Éveillé, dès l’aube, songeant à Mme  Chantelouve, il ne tint pas en place et il s’inventa des prétextes pour aller au loin. Il manquait de liqueurs imprévues, de petits gâteaux et de bonbons et il convenait de n’être pas ainsi démuni de tout en-cas, un jour de rendez-vous. Il s’en fut, par le chemin le plus long, jusqu’à l’avenue de l’Opéra pour acheter de fines essences de cédrat et de cet alkermès dont le goût évoque l’idée d’une confiserie pharmaceutique de l’Orient. Il s’agit, se dit-il, moins de régaler Hyacinthe que de lui faire déguster un élixir ignoré, qui l’étonne.

Il revint, chargé d’emplettes, sortit encore et, dans la rue, un immense ennui l’accabla.

Il finit par échouer, après une interminable promenade au ras des quais, dans une brasserie. Il tomba sur une banquette et ouvrit un journal.

Il pensait à quoi, maintenant que, sans les lire, il regardait la série des faits divers ? à rien, pas même à elle. À force d’avoir tourné dans tous les sens, toujours sur la même piste, son esprit était arrivé au point mort et restait inerte. Durtal se trouvait seulement très fatigué, engourdi, comme après une nuit de voyage, dans un bain tiède.

Il faut que je rentre chez moi de bonne heure, se dit-il, lorsqu’il parvint à se reprendre, — car le père Rateau n’aura certainement pas fait, ainsi que je l’en ai prié, mon ménage à fond, — et je ne veux pourtant pas qu’aujourd’hui la poussière traîne sur tous les meubles.

Il est six heures ; si je dînais vaguement dans un lieu à peu près sûr. Il se rappela un restaurant voisin où il avait autrefois mangé sans trop de craintes. Il y chipota un poisson de la dernière heure, une viande molle et froide, pêcha dans leur sauce des lentilles mortes, sans doute tuées par de l’insecticide ; il savoura enfin d’anciens pruneaux dont le jus sentait le moisi, était tout à la fois aquatique et tombal.

De retour chez lui, il alluma d’abord le feu dans sa chambre à coucher et dans son cabinet ; puis il inspecta les pièces.

Il ne s’était pas trompé ; le concierge avait bousculé le ménage avec la même brutalité, la même hâte que de coutume. Pourtant, il avait essayé de nettoyer les vitres des cadres, car des traces de doigts marquaient les glaces.

Durtal essuya avec un linge mouillé ces empreintes, défit les plis en tuyaux d’orgue des tapis, tira ses rideaux, polit avec un torchon les bibelots qu’il mit en ordre ; partout il constatait de la cendre écrasée de cigarette, de la poudre de tabac, des copeaux de crayons taillés, des plumes privées de becs et mangées de rouille. Il découvrait également des cocons de poils de chat, des brouillons déchirés, des morceaux de papier épars, lancés à coups de balai, dans tous les coins.

Il en venait à se demander comment il avait pu si longtemps tolérer des meubles obscurcis et glacés par les crasses — et à mesure qu’il époussetait, son indignation s’augmentait contre Rateau. — Et ça ! fit-il, apercevant ses bougies devenues jaunes ainsi que des chandelles. Il les changea. — Là, voyons, c’est mieux. — Il organisa le désarroi convaincu de son bureau, espaça des cahiers de notes, des livres traversés par des coupe-papiers, posa un vieil in-folio ouvert sur une chaise. — Le symbole du travail ! se dit-il, en riant. — Puis il passa dans sa chambre à coucher, rafraîchit avec une éponge humide le marbre de la commode, lissa le couvre-pied du lit, remit droits les cadres de ses photographies et de ses gravures et il pénétra dans le cabinet de toilette. Là, il s’arrêta, découragé. C’était, sur une étagère de bambou, au-dessus de la tablette du lavabo, un tohu-bohu de fioles. Il empoigna résolument les flacons de parfums, débarbouilla les goulots et les bouchons à l’émeri, frotta les étiquettes avec de la gomme élastique et de la mie de pain, puis il savonna la cuvette, trempa les peignes et les brosses dans de l’eau saturée d’ammoniaque, fit manœuvrer son vaporisateur et injecta la pièce de poudre de lilas de Perse, lava les toiles cirées du parquet et du mur, étrilla le petit cheval, essuya le dossier et les barreaux de la chaise basse. Pris d’une fringale de propreté, il raclait, émondait, récurait, imbibait, séchait à tour de bras. Il n’en voulait plus au concierge maintenant ; il trouvait même qu’il ne lui avait plus laissé assez d’objets à fourbir, à rendre neufs.

Puis il se rasa de frais, se brillanta la moustache, procéda à une nouvelle toilette minutieuse à grande eau, se demanda, en s’habillant, s’il devait enfiler des bottines à boutons ou des pantoufles, jugea que les bottines étaient moins familières et plus dignes, se résolut pourtant à nouer une cravate lâche, à endosser une vareuse, pensant que cette toilette négligée d’artiste plairait à cette femme.

— Là, ça y est, — dit-il, après un dernier coup de brosse. Il retourna dans les autres pièces, fourgonna les feux, donna enfin à dîner au chat qui rôdait, ahuri, flairant tous les objets lavés, les jugeant sans doute différents de ceux qu’il frôlait, sans s’en occuper, tous les jours.

Et l’en-cas qu’il oubliait ! Durtal posa près de la cheminée une bouillotte, distribua sur un ancien plateau de laque, des tasses, la théière, le sucrier, des gâteaux, des bonbons, des petits verres en bordure, afin de les avoir prêts sous la main, aussitôt qu’il estimerait que le moment était venu de les servir.

Cette fois, c’était achevé ; le logement est sévèrement épouillé, elle peut arriver, se dit-il, en alignant dans ses rayons quelques livres dont les dos dépassaient ceux des autres. Tout est bien, sauf… sauf le verre de ma lampe qui est piqué, dans son renflement, à la hauteur de la mèche, de points de caramel, et tigré de jus de pipe ; mais ça, je suis incapable de l’enlever, et puis je n’ai pas envie de me brûler les doigts ; au reste, en baissant un peu l’abat-jour, on ne l’aperçoit pas.

Voyons, comment vais-je m’y prendre, lorsqu’elle viendra ? se demanda-t-il, en s’enfonçant dans son fauteuil. Elle entre, bon, je lui prends les mains, je les embrasse ; puis, amenée ici, dans cette pièce, je la fais asseoir près du feu, dans ce fauteuil. Je m’installe, moi, en face d’elle, sur cette petite chaise et, en m’avançant un peu, en touchant ses genoux, je puis lui ressaisir et lui enlacer les mains ; de là, à la faire se pencher vers moi qui me soulèverais, il n’y a qu’un pas. J’atteins alors ses lèvres et je suis sauvé !

Eh non, pas tant que cela ! car c’est alors que l’aria commence. Je ne puis songer à la conduire dans la chambre à coucher. Le déshabillage, le lit, ce n’est tolérable que lorsque l’on se connaît déjà. À ce point de vue, les entames d’amour sont hideuses et m’atterrent. Je ne les concevrais qu’avec un souper à deux, avec un tantinet de vin fou qui exalterait la femme ; je voudrais qu’elle fût prise dans un étourdissement, qu’elle ne se réveillât qu’étendue sous de subreptices baisers, dans l’ombre. À défaut de souper ce soir, il est nécessaire qu’elle et moi, nous nous évitions de mutuels embarras, que nous rehaussions la misère de cet acte par une allure de passion, par un tourbillon effaré d’âme ; il faut donc que je la possède, ici même, et qu’elle puisse s’imaginer que je perds la tête, alors qu’elle succombe.

Ce n’est pas commode à arranger dans cette pièce qui manque de canapé ou de divan. Pour bien faire, il convient que je la renverse sur le tapis ; elle aurait, ainsi que toutes les femmes, la ressource de se replier le bras sur les yeux, de se cacher par à peu près la face ; moi, j’aurai soin, avant qu’elle ne se relève, de baisser la lampe.

Bien — je vais toujours préparer un coussin pour sa nuque ; il en chercha un, le glissa sous le fauteuil. — Si je défaisais maintenant mes bretelles, car elles prêtent souvent à de risibles retards. — Il les détacha, serra la boucle de son pantalon pour qu’il ne tombât point. Mais, il y a cette damnée question des jupes ! j’admire les romanciers qui font déflorer des vierges harnachées dans des robes, sanglées dans des corsets, et cela, naturellement, en un tour de baiser, en un clin d’œil, comme si c’était possible ! — Quel ennui tout de même que de se battre avec ces affutiaux, que d’errer dans les plis à empois du linge ! Je dois espérer pourtant que Mme  Chantelouve a prévu le cas et qu’elle évitera, autant que possible, dans son intérêt même, des difficultés ridicules !

Il consulta sa montre ; huit heures et demie. Il ne faut pas l’attendre, avant au moins une heure, se dit-il, car elle viendra ainsi que toutes les femmes, en retard. Que diable peut-elle bien raconter à ce pauvre Chantelouve, pour lui expliquer sa sortie, ce soir ?

Enfin, cela ne me regarde pas. — Hum ! cette bouillotte près du feu semble une invite à toilette ; mais non, le prétexte du thé à échauder conjure toute grossière idée. Et si Hyacinthe ne venait pas ?

Elle viendra, se dit-il, subitement ému : car enfin, quel intérêt aurait-elle à se dérober maintenant qu’elle sait ne pas pouvoir m’attiser plus ? Puis, sautant toujours dans le même cercle, d’une pensée à une autre : — ce sera un désastre sans doute ; une fois repu, la désillusion est probable ; eh bien, tant mieux, je serai libre, car avec ces histoires-là, je ne travaille plus !

Quelle misère ! me voilà reculé — d’âme seulement hélas ! — jusqu’à vingt ans. J’attends une femme, alors que depuis des années, je méprisais et les gens amoureux et les maîtresses ; — et je regarde ma montre, toutes les cinq minutes, et j’écoute, malgré moi, si je n’entends point dans l’escalier son pas !

Non, il n’y a pas à dire, la petite fleur bleue, le chiendent de l’âme, c’est difficile à extirper et ce que ça repousse ! Rien ne paraît pendant vingt ans et soudain, on ne sait, ni pourquoi, ni comment, ça drageonne et ça jaillit en d’inextricables touffes ! — Mon Dieu, que je suis bête !

Il bondit dans son fauteuil. Doucement on sonnait. Il n’est pas encore neuf heures, ce n’est pas elle, murmura-t-il, en ouvrant.

C’était elle.

Il lui serra les mains, la remercia d’être aussi exacte.

Elle se déclara souffrante.

— Je ne suis venue que pour ne pas vous faire attendre !

Il s’inquiéta.

— J’ai une migraine affreuse, reprit-elle, en passant ses doigts gantés sur son front.

Il la débarrassa de ses fourrures, la pria de s’asseoir dans le fauteuil, et il se préparait à se rapprocher d’elle, à s’installer, ainsi qu’il se l’était promis, sur une petite chaise, mais elle refusa le fauteuil et choisit, loin du feu, près de la table, un siège bas.

Debout, il se pencha et lui prit les doigts.

— Comme vous avez la main brûlante, dit-elle.

— Oui, un peu de fièvre, je dors si mal. Si vous saviez combien je pense à vous ! puis vous êtes toujours, ici, pour moi ; et il parla de cette persistante odeur de cannelle expirant très au loin, dans les odeurs moins définies qu’exhalaient ses gants. Allez, — et il fleura ses doigts, — vous me laisserez encore un peu de vous aujourd’hui, lorsque vous me quitterez.

Elle se leva, en soupirant :

— Tiens, vous avez un chat ; comment se nomme-t-il ?

— Mouche.

Elle l’appela. Il s’empressa immédiatement de déguerpir.

— Mouche ! Mouche ! cria Durtal.

Mais Mouche, refugié sous le lit, ne sortit pas.

— Il est, voyez-vous un peu sauvage… il n’a jamais vu de femmes.

— Oh, voulez-vous me faire croire que vous n'avez, jamais ici, reçu de femmes.

Il lui jura que non, attesta qu’elle était la première…

— Et vous ne teniez peut-être pas beaucoup, avouez-le, à ce que cette… première vînt ?

Il rougit. — Mais pourquoi ?

Elle eut un geste vague. — J’ai envie de vous taquiner, reprit-elle, en s’asseyant, cette fois sur le fauteuil. Au reste, je ne sais vraiment pas pourquoi je me permets de vous poser des questions aussi indiscrètes.

Il s’était assis devant elle ; il était enfin parvenu à poser la scène telle qu’il la voulait et il allait commencer l’attaque.

Il frôlait ses genoux avec les siens.

— Vous savez bien que vous ne pouvez être indiscrète, que seule, ici, vous avez désormais des droits…

— Non pas, je n’en ai aucun et n’en veux pas avoir !

— Pourquoi ?

— Parce que… Écoutez. — Et sa voix s’affermit et devint grave. — Écoutez, plus je réfléchis et plus je vous demande en grâce de ne pas ainsi détruire notre rêve. Et puis… voulez-vous que je sois franche, si franche que je vais vous paraître sans doute un monstre d’égoïsme, eh bien, personnellement, je ne voudrais pas gâter le bonheur… comment dirai-je, abouti, extrême… que me donne notre liaison. Je sens bien que cela devient confus et que je m’explique mal. Enfin, tenez, je vous possède quand et comment il me plaît, de même que j’ai longtemps possédé, Byron, Baudelaire, Gérard de Nerval, ceux que j’aime…

— Vous dites ?

— Je dis que je n’ai qu’à les désirer, qu’à vous désirer vous, maintenant, avant de m’endormir…

— Et ?

— Et vous seriez inférieur à ma chimère, au Durtal que j’adore et dont les caresses rendent mes nuits folles !

Il la regarda stupéfié. Elle avait ses yeux dolents et troubles ; elle semblait même ne plus le voir et parler dans le vide. Il hésita, aperçut en un éclair de pensée, ces scènes de l’incubat dont Gévingey parlait ; nous débrouillerons cela plus tard, se dit-il ; — en attendant… — il lui tira doucement les bras, se haussa vers elle et brusquement il lui baisa la bouche.

Elle eut un sursaut électrique, fut debout. Il l’étreignit, l’embrassa furieusement ; alors, avec des gémissements très doux, avec une sorte de roucoulement de gorge, elle renversa sa tête et étreignit sa jambe entre les siennes.

Il eut un cri de rage — car il sentait bouger ses hanches. — Il comprenait, ou croyait, cette fois, comprendre ! elle voulait une volupté d’avare, une espèce de péché solitaire, de joie muette…

Il la repoussa. Elle resta, toute pâle, suffoquant les yeux fermés, les mains tendues en avant, comme celles d’un enfant qui s’épeure… — Puis la colère de Durtal s’évanouit, car il hennissait ; — et marchant sur elle, il la reprit ; — mais elle se débattit, criant : non, je vous en supplie, laissez-moi !

Il la tenait, à plein corps, écrasée contre lui et il essayait de lui faire plier les reins.

— Oh ! je vous en supplie, laissez-moi partir !

Elle eut un accent si désespéré qu’il la lâcha. Puis, il se demanda s’il n’allait pas la jeter brutalement sur le tapis et tenter de la violer. Mais ses yeux égarés l’effrayèrent.

Elle haletait, les bras tombés, appuyée, toute blanche, contre sa bibliothèque.

— Ah ! fit-il, en marchant dans la pièce et en bousculant les meubles. Ah ! il faut vraiment que je vous aime pour que malgré toutes vos supplications et vos refus…

Elle joignit les mains pour l’écarter.

— Ah çà, reprit-il, exaspéré, en quoi donc êtes-vous faite ?

Elle s’éveilla et, froissée, lui dit : — Monsieur, je souffre assez, épargnez-moi. — Et pêle-mêle, elle parla de son mari, de son confesseur, devint incohérente et il eut peur ; elle se tut, puis, d’une voix chantante, elle reprit :

— Dites vous viendrez, demain soir, chez moi ?

— Mais moi aussi, je souffre !

Elle sembla ne pas l’entendre ; ses yeux en fumée s’éclairaient tout au loin des prunelles de faibles lueurs. Sur ce ton de cantilène, elle murmura : Dites, mon ami, dites, vous viendrez, n’est-ce pas ?

— Oui, fit-il, enfin.

Alors elle se rajusta, et, sans dire mot, elle quitta la pièce ; il la suivit, silencieux, jusqu’à l’entrée ; elle ouvrit la porte, se retourna, lui prit la main et très doucement elle l’effleura de ses lèvres.

Il resta stupide, ne comprenant plus. Qu’est-ce que cela signifie ? fit-il, en rentrant dans sa pièce, en remettant les meubles en place, en rétablissant le désordre des tapis foulés. Voyons, j’aurais bien besoin de mettre aussi de l’ordre dans ma cervelle ; réfléchissons, s’il se peut :

Où veut-elle en venir, car enfin elle a un but ! — Elle ne veut pas aboutir à l’acte même. Craint-elle, ainsi qu’elle l’affirme, la désillusion ? se rend-elle compte combien les soubresauts amoureux sont grotesques ? ou bien est-elle, ce que je crois, une mélancolique et terrible allumeuse qui ne songe qu’à elle ; ce serait alors une sorte d’égoïsme obscène, un de ces péchés compliqués tels qu’en contient la Somme des confesseurs… Dans ce cas, elle serait une… frôleuse !

Puis reste cette question de l’incubat qui vient se enter là-dessous ; elle avoue, et cela si placidement, qu’elle cohabite à volonté, en songe, avec des êtres vivants ou morts ? est-elle satanisante et le chanoine Docre, qui l’a connue, a-t-il passé par là ?

Autant de questions impossibles à résoudre. Que dénonce maintenant cette invitation imprévue pour demain ? veut-elle ne céder que chez elle ? s’y trouve-t-elle plus à l’aise ou juge-t-elle plus urticant le péché commis près de son mari, dans une chambre ? Exècre-t-elle Chantelouve, est-ce une vengeance méditée ou compte-t-elle sur la peur du danger pour se fouetter les sens ?

Après cela, c’est peut-être tout bonnement une dernière coquetterie, une halte de scrupules, un apéritif avant le repas ; puis les femmes sont si drôles ! elle s’est peut-être assigné des délais, pour se mieux différencier, par ce subterfuge, des filles. Ou bien, il y a peut-être encore une cause physique, un atermoiement indispensable, une nécessité charnelle de gagner un jour ?

Il chercha d’autres raisons encore, mais il n’en découvrit point.

Au fond, reprit-il, vexé, malgré tout, de son échec, au fond j’ai été un imbécile. J’aurais dû hussarder, ne pas m’arrêter à ses supplications et à ses leurres ; j’aurais dû lui violenter la bouche, lui faire sauter les seins. Ce serait fini, tandis que maintenant tout est à recommencer ; et que diantre, j’ai autre chose à faire !

Qui sait si, à l’heure actuelle, elle ne se fiche pas de moi ? peut-être m’espérait-elle plus virulent et plus hardi ; mais non, sa voix navrée n’était pas feinte, ses pauvres yeux ne simulaient pas l’égarement, et que signifierait alors ce baiser presque respectueux, car il y avait une insaisissable nuance de respect et de gratitude, dans ce baiser qui m’enveloppa la main !

C’est à s’y perdre. En attendant, j’ai, dans cette bousculade, oublié mes rafraîchissements et mon thé. Si j’ôtais mes bottines maintenant que je suis seul, car j’ai les pieds gonflés, à force d’avoir ainsi piétiné dans la chambre.

Si je faisais mieux encore, si je me couchais, car je suis incapable maintenant de travailler ou de lire. Et il ouvrit sa couverture.

Décidément, rien n’arrive comme on le prévoit ; ce n’était pourtant pas trop mal machiné, reprit-il, en s’étendant entre ses draps. Il éteignit, en soupirant, la lampe, tandis que le chat rassuré, passait plus léger qu’un souffle au-dessus de lui et gagnait sans bruit sa place.