Légendes chrétiennes/L’âme damnée

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III


l’âme damnée.



Il y avait une mission dans un bourg de Basse-Bretagne. Une jeune fille d’humeur gaie et d’apparence légère, nommée Thérèse Ménou, se dit :

— Je partirai de bonne heure pour me rendre au bourg, afin d’être confessée une des premières et pouvoir assister ensuite à l’enterrement.

En effet, un jeune homme, qui avait été son amoureux, était mort la veille, et devait être enterré ce jour-là.

Thérèse alla donc de bon matin au bourg. Mais, quand elle arriva, le confessionnal était déjà entouré d’un grand nombre de personnes, dont quelques-unes avaient fait le même raisonnement qu’elle, et elle ne put être confessée aussi tôt qu’elle l’avait espéré.

L’enterrement arriva. Le cercueil fut déposé sur les tréteaux funèbres, entouré de cierges, et Thérèse alla s’agenouiller et prier auprès. Le prêtre monta à l’autel et célébra la messe des morts. Puis, après avoir chanté le Libéra, il prit le goupillon, que lui présenta le sacristain, et fit le tour du cercueil en l’aspergeant d’eau bénite.

— Jésus mon Dieu !... cria en ce moment Thérèse, en se levant et en reculant d’horreur.

Tous les assistants la regardèrent, étonnés, car personne n’avait vu rien d’extraordinaire. Quatre hommes enlevèrent alors le cercueil, pour le porter au cimetière. Thérèse le suivit, comme tous ceux qui se trouvaient là. Quand il fut descendu dans le trou de terre, le prêtre l’aspergea d’eau bénite une dernière fois, en disant : Requiescat in pace !

Thérèse se leva encore, tout effrayée, et poussa la même exclamation :

— Jésus mon Dieu !...

Tout le monde était scandalisé. Le prêtre l’apostropha à haute voix et lui dit de se retirer.

Thérèse s’en alla, toute honteuse, rentra dans l’église et s’agenouilla devant l’autel, et pria longtemps pour l’âme du défunt. Puis elle alla se confesser au prêtre qui avait fait l’enterrement. Celui-ci la reconnut et lui dit qu’il ne la confesserait pas, et qu’elle pouvait s’adresser à un autre. Et il ferma le guichet et se retourna de l’autre côté ; mais Thérèse ne sortit pas, et, quand le prêtre rouvrit le guichet de son côté et qu’il la trouva là il lui dit, d’un ton dur :

— Je vous ai dit que je ne vous confesserai pas ; adressez-vous à un autre.

Et il ferma encore le guichet avec fracas. Mais, quand il le rouvrit, Thérèse était toujours là, et elle dit, en fondant en larmes :

— Au nom de Dieu, écoutez-moi !...

— Qu’aviez-vous donc pour vous exclamer de la sorte pendant l’enterrement ? Vous avez scandalisé tous les parents et les assistants !

— C’est que, mon père, lorsque, après la messe, vous avez aspergé le cercueil d’eau bénite, j’en ai vu sortir toutes sortes de vilaines bêtes, des couleuvres, des crapauds, des salamandres, et d’autres plus horribles encore ; et ces hideux animaux, dont la vue m’a arraché ces cris, sont encore rentrés dans le cercueil dès que vous avez cessé d’y jeter de l’eau bénite. Et cela a recommencé dans le cimetière, lorsque vous avez, une dernière fois, jeté de l’eau bénite sur le cercueil descendu dans le trou de terre !

— Que me contez-vous là ? Êtes-vous folle, ou rêvez-vous ? dit le prêtre.

— Je vous assure, reprit la pénitente, que j’ai bien vu tout ce que je vous dis, et que je ne suis pas folle, et que je ne rêve point.

Le prêtre réfléchit un peu, puis il dit :

— Eh bien ! venez dans huit jours assister à la messe de l’octave, et si vous voyez encore ce que vous avez vu aujourd’hui, vous me le direz, et alors je verrai ce qu’il y aura à faire.

Thérèse assista à la messe de l’octave et pria fervemment pour l’âme du défunt. Celui-ci lui apparut, horrible à voir, et lui dit :

— Ne priez pas pour moi, car je suis damné, dans le fond de l’enfer !...

À partir de ce moment, la jeune fille devint triste et sérieuse. Les dimanches et jours de fêtes, on ne la voyait plus aux danses, mais dans l’église de sa paroisse, priant et récitant son chapelet jusqu’au soir.


(Conté par Marguerite Philippe.)