L’École de Vienne et la Philosophie traditionnelle

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Gesammelte Aufsätze 1926 - 1936Gerold & Co (p. 389-398).








L’école de Vienne et la Philosophie traditionnelle.


Zuerst erschienen in „Travaux du 9e congrès international de philosophie (Congrès Descartes)“, fasc. 4. ( Actualités scientifiques et industrielles, 533, Paris, 1937).




La philosophie est des siècles, non du jour. En elle il n’y a pas d’actualité. Pour qui l’aime, c’est souffrance que d’entendre parler de „philosophie moderne“ ou „non moderne“. Les soi-disants courants philosophiques à la mode — soit qu’ils se répandent sous forme journalistique dans le grand public, soit qu’ils s’enseignent sous une forme scientifique dans les universités — sont par rapport au développement calmes et puissants de la philosophie à peu près ce que sont des professeurs de philosophie à l’égard des philosophes : ceux-la sont érudits, ceux-ci sages ; ceux-là écrivent sur la philosophie et luttent sur le champs de bataille des doctrines, ceux-ci philosophent.

Les courants philosophiques à la mode n’ont pas pire ennemi que la véritable philosophie, aucun qu’ils redoutent davantage. Quand elle se lève dans une nouvelle aurore et répand sa clarté impitoyable, les adhérents de toutes sortes de courants éphémères tremblent et s’unissent contre elle, criant que la philosophie est menacée, car ils croient vraiment que l’anéantissement de leur propre petit système signifie la ruine de la philosophie même.

Le vrai philosophe est toujours essentiellement critique et en ceci le contraire d’un esprit purement spéculatif ; il applique cette critique à ses propres œuvres, si bien que les professionnels de philosophie méconnaissent et sous-estiment souvent l’apport positif de sa pensée. Ainsi, ils voyaient en Kant le „tout-écrasant“ (Alleszermalmer), bien que sa critique de la métaphysique fut vraiment douce comparée à la critique pénétrante de Hume, qui, elle non plus, n’a pas été celle d’un véritable sceptique, moins encore l’extermination de la philosophie même.

Les métaphysiciens ont souvent accusé l’empirisme d’être antiphilosophique. De même, on reproche souvent à l’école de Vienne de ne pas se composer de philosophes, mais d’ennemis de la philosophie. Les doctrines de cette école ne contribuent en rien, dit-on, au développement et au progrès de la philosophie, mais elles tendent plutôt à la dissoudre. On a même déclaré qu’elles sont un phénomène de dégénérescence comme tant d’autres manifestations de la culture actuelle.

De tels reproches semblent trouver confirmation dans bon nombre d’assertions de plus d’un membre du cercle de Vienne où il est parlé d’un ton méprisant de la philosophie traditionnelle. Certains d’entre eux ont même une antipathie marquée contre le mot „philosophie“, qu’ils veulent proscrire au bénéfice d’autres termes tels que „science unitaire“, par où ils entendent se considérer eux-mêmes, non comme des philosophes, mais comme des chercheurs scientifiques. Si étrange que soit leur attitude et en dépit de tout ce que ces hommes peuvent croire eux-mêmes, on ne doit pas en conclure qu’ils ont travaillé à la destruction de la philosophie, ou que leur propre pensée n’est pas, en général, de la même espèce que celle désignée depuis toujours du nom de „philosophique“. Ainsi on ne cessera pas de considérer Pascal comme une véritable tête philosophique, encore qu’il ait écrit : „se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher“.

L’accusation de trahir la philosophie est soulevée contre nous par les adhérents de ces courants philosophiques à la mode qui identifient philosophie avec métaphysique ou qui voient dans celle-ci le but final de toute spéculation philosophique. Ces courants ont exalté les esprits dans ces vingt dernières années et les ont conduit à des attaques passionnées et dédaigneuses contre nous qui, il est vrai, prétendons qu’il n’y a pas de métaphysique.

Là-dessus, je me permettrai simplement de faire remarquer que la négation de la métaphysique est une vieille attitude bien connue des historiens de la philosophie, dont nous n’avons nullement à revendiquer la priorité. Il a fallu une activité infatigable pendant des siècles et des siècles pour acquérir la conviction de la vanité de la métaphysique. Pour nous qui, portant nos regards en arrière, observons l’évolution millénaire de la pensée occidentale, il est facile de ne pas être métaphysiciens, et nous n’avons aucun droit d’en être fiers. Celui-ci n’a pas encore vaincu la métaphysique en lui-même ni n’est au-dessus d’elle, qui continue de la combattre sans cesse, qui s’estime anti-métaphysicien plutôt que non-métaphysicien, qui emploie l’adjectif „métaphysique“ non seulement pour désigner une erreur particulière, mais comme expression dédaigneuse, qui cherche dans chaque opinion différente de la sienne une métaphysique cachée, non pas pour la démontrer comme fausse, mais pour pouvoir la stigmatiser comme inférieure : ses gestes arrogants et ses paroles tintantes ne traduisent que la peur de la métaphysique.

Ce que l’homme fait par peur produit presque toujours un effet ridicule. Ce n’est donc pas étonnant si telle anti-métaphysicien propose par exemple, le plus sérieusement du monde, d’établir un Index verborum prohibitorum, où il faudrait mettre tous les mots qui se trouvent le plus souvent au centre des discussions métaphysiques, par exemple „monde“, „âme“, „être“, etc., et le mot „philosophie“ lui-même, dont nous avons déjà parlé. C’est vraiment une drôle d’idée que de vouloir conduire les hommes à la vérité en leur faisant peur de certains mots. Il est vrai que les philosophes mésusent de maints mots ; mais la pensée ne se rend pas libre quand elle les évite anxieusement, mais seulement en les détachant de leur contexte traditionnel, en apprenant à les employer sans préjugé. En défendant certaines expressions et en récommandant d’autres, on crée des préjugés, on ne les supprime pas. La pensée s’enchaîne au mot, au lieu de rester indépendante des contingences verbales. Il s’agit uniquement de fixer clairement la signification des mots ; c’est une erreur que de croire que la défense de certaines expressions soit le premier pas vers une telle détermination. Au contraire, cela induirait à croire que les expressions non-défendues ont déjà une signification déterminée : ce qui est très dangereux.

On ne peut jamais dire d’une phrase ou d’un mot isolés qu’ils sont „métaphysiques“. Car un mot n’est tout d’abord rien qu’un signe, une phrase rien qu’une suite de signes (sons, lettres, etc.); et seule importe la façon dont on les emploie : la même suite de mots peut être employée et d’une manière empirique et d’une manière métaphysique. Avant de blâmer une expression il faut regarder de près quel emploi son auteur a prévu pour elle. L’emploi seul peut être métaphysique.

Mais quand l’est-il ? Que signifie l’adjectif „métaphysique“ ? Une phrase est vide de sens quand elle n’exprime rien. Pour déterminer le sens d’une proposition il faut indiquer les circonstances dans lesquelles on dira que la proposition est vraie, ou les circonstances qui la rendraient fausse. C’est une grave erreur que de croire qu’une phrase exprime quelque chose si elle ne consiste qu’en mots bien connus et agencés suivant les règles de la grammaire linguistique. Cette erreur est la source de quantité de propositions absurdes ; mais, pour engendrer l’absurdité spéciale qui est caractéristique des „phrases métaphysiques“, il faut commettre une seconde erreur : il faut confondre les problèmes de sens avec les problèmes de fait.

Je crois que cette explication s’accorde le mieux avec le développement historique et les connaissances actuelles. Il y a premièrement des problèmes qui se rapportent à l’existence ou à la non-existence de certains faits : ce sont les questions de fait, qui trouvent leur réponse toujours par l’observation, c’est-à-dire par des expériences de la vie quotidienne ou scientifique. Deuxièmement il y a des problèmes qui ne trouvent leur réponse que par une réflexion sur la manière dont nous exprimons le fait : ce sont les „questions de sens“. On les résout en indiquant, non des faits d’observation, mais les règles de la grammaire logique, dont nous nous servons pour décrire la réalité. Tous les problèmes spécifiquement philosophiques sont de cette dernière espèce. Les autres, les questions de fait, sont les problèmes spécifiquement scientifiques.

La différence entre ces deux espèces de questions est absolument nette ; néanmoins, il est difficile de distinguer exactement entre elles. La plupart des philosophes soupçonnaient seulement que les problèmes philosophiques sont à traiter d’une façon particulière qui est caractéristique pour des questions pareilles et qui ne s’applique pas aux questions de fait. Quant à ces dernières, ils ont souvent reconnu que seule l’expérience observatrice décidait du vrai et du faux ; quant aux questions philosophiques, ils se rendaient compte qu’elles n’étaient pas à résoudre de la même manière. Néanmoins ils les tenaient également pour des questions de fait, et ils devaient en conclure que les faits auxquels elles se rapportaient ne pouvaient pas être atteint par l’expérience. Ainsi ils concluaient que ces faits-là étaient au delà de toute expérience. Voilà l’attitude métaphysique.

Pour illustrer cette confusion typique que nous venons de décrire, examinons un peu le soi-disant problème de „l’essence des idées“, c’est à dire la question de la nature des concepts. Ce „problème platonicien“ peut être considéré comme le problème métaphysique par excellence. Eh bien, les questions qui se rapportent à l’essence des concepts sont sûrement des questions logiques, elles perdent leur aspect mystérieux aussitôt qu’on les a reconnues telles. Il est aussi évident que c’est la fausse interprétation de telles questions comme problèmes de fait qui est responsable de l’erreur consistant à considérer les notions comme des êtres d’une existence particulière („idéal“, „supérieur“).

C’est cette fausse interprétation qui fait du philosophe un métaphysicien prononçant des phrases vides de sens. La forme et le contenu apparent de ces phrases (c’est-à-dire les représentations qui s’y attachent) sont déterminés naturellement par des facteurs psychologiques de nature essentiellement émotive et difficiles à contrôler. Et cela ne peut se faire que dogmatiquement, les arguments objectifs faisant défaut. Le dogmatisme du métaphysicien est donc chose secondaire. Il est inévitable dès que cette confusion fondamentale des problèmes logiques et des problèmes de fait s’est une fois produite. Comme logiciens nous sommes contents d’avoir découvert le paralogisme ; nous nous sommes débarassés d’une certaine sorte d’inquiétude, dès lors plus d’angoisse à l’égard de la métaphysique. Vis-à-vis de ces systèmes du passé nous manifesterons une compréhension historique, leurs dogmes ne nous irritent plus ; nous pouvons admirer en toute bonne conscience les magnifiques époques d’une humanité qui, tout en cherchant, tout en commettant des erreurs, fait preuve d’une profonde volonté d’arriver à la vérité.

Or, il y a des anti-métaphysiciens qui le sont devenus plutôt par l’agacement que certains dogmes métaphysiques leur causent que par la découverte de l’impossibilité de la métaphysique ; ils ne se réjouissent de cette impossibilité que parce qu’au fond ils en profitent dans la lutte contre leurs adversaires. Leur attitude n’est donc pas purement objective, mais plutôt émotionnelle. Je refuse de faire avec eux cause commune. Souvent aussi ils sont injustes envers la philosophie traditionnelle en déclarant qu’elle n’est qu’un simple recueil de pseudo-problèmes. Je pense au contraire que nous avons tous le droit d’être fiers de ce que nos pensées sont les résultats d’un long développement historique de l’esprit humain. Les historiens de la philosophie décrivent d’abord (et peut-être ne peuvent-ils pas faire autrement) les événements les plus saillants : les grands cris du combat, les œuvres maîtresses des philosophes. Mais celui qui veut observer l’esprit humain dans son véritable développement, doit pénétrer plus profondément. Les grandes vagues de la surface sont agitées par des tempêtes passagères, les courants puissants n’en sont pas touchés, ils continuent à couler tranquillement dans la profondeur.

Quelques-uns de mes amis préféreraient passer pour représentants de la science plutôt que pour philosophes ; ils attachent la plus grande importance au caractère scientifique de notre pensée et prétendent que nos doctrines dérivent en tout et pour tout des connaissances scientifiques et ne doivent rien à la philosophie traditionnelle. Souvent ils se moquent d’elle et parfois ils vont jusqu’à prohiber le terme de „philosophie“ pour qualifier leur propres travaux (comme nous l’avons déjà remarqué), le remplaçant par des expressions sans couleur et peu esthétiques telles que „science unitaire“. Cette attitude me paraît reposer sur un profond malentendu. Il est exact, que l’espèce d’empirisme que nous professons est en général acceptée et promue par des esprits tout à fait familiarisés avec les sciences exactes et leur nouvelle méthode. Mais cela tient à des raisons purement psychologiques et ne nous autorise pas à effacer la différence qui existe entre notre façon de poser les questions et de les résoudre et celles d’un physicien, d’un biologiste ou d’un sociologue, de façon à désigner tout effort théorique du nom commun de „science“ en vue d’éviter le mot de „philosophie“. Il est juste aussi que l’empirisme de notre époque doit ses inspirations décisives à des savants appartenant aux sciences exactes, aux Poincaré, Mach, Russell, mais je n’en conclus pas que notre travail doit seulement s’appeler „science exacte“ et non pas „philosophie“ : j’en conclus que ces savants méritent d’être appelés philosophes.

On rend le mieux compte du développement de l’esprit humain et de l’usage du langage depuis vingt-cinq siècles lorsqu’on formule de la façon suivante la distinction entre la philosophie et la recherche scientifique : le philosophe cherche à éclairer le sens de nos énoncés, le savant cherche à décider de leur vérité. Ce sont deux attitudes tout à fait différentes dans la façon de poser les questions. Dans le processus effectif de la connaissance, ces deux attitudes sont naturellement liées et dépendantes, car on ne peut décider de la vérité d’une affirmation sans connaître quelque chose de son sens, et la détermination de son sens présuppose toujours la saisie de certaines vérités. Malgré cette imbrication psychologique des deux vérités il faut, dès le principe, les séparer avec rigueur, car elles correspondent à deux types d’esprit différents (qui peuvent du reste se trouver réunis dans une seule personne), celui du philosophe et celui du chercheur scientifique. On peut également formuler la différence entre l’explication du sens (philosophie) et la recherche de la vérité (science) en disant : celle-ci s’efforce de donner aux questions des réponses exactes et celle-là s’efforce de les poser exactement.

Parvenus à ce point de vue nous reconnaissons soudain le vrai père de notre philosophie, ce n’est ni un savant ni un logicien, ni Comte, ni Frege, ni Poincaré, ni Russell, qui sont tous les anneaux tardifs d’une longue chaîne : c’est Socrate. Ce fut le premier qui enseigna à ses disciples l’art de poser des questions justes. Volontairement, il prit le contre-pied des philosophes naturalistes de Thalès à Anaxagore, non pas qu’il sous-estimât la physique, mais parce qu’il se rendait compte qu’on ne pouvait l’aborder avec les moyens primitifs de ces penseurs (faute d’une façon correcte de poser les questions). Sciemment, il prit le contrepied des métaphysiciens, c’est-à-dire de l’école d’Élée, auxquels il reprochait le sens qu’ils conféraient aux mots qui figurent dans leurs problèmes les plus importants, comme on peut l’inférer d’un passage du „Sophiste“ de Platon. Platon, en parlant de ses prédécesseurs, dit, dans ce passage, qu’ils se sont efforcés de déterminer la nature propre de l’être, à savoir, s’il était un ou double ou composé de quatre éléments, etc. ; lui, par contre, voudrait bien savoir ce qu’ils voulaient dire en déclarant que ces choses constituent la réalité (243) ? Dans le même passage, il fait dire à l’étranger (244) : „Comme nous sommes dans un tel embarras, il faut que vous nous donniez des explications suffisantes sur ce que vous pensez réellement quand vous vous servez de l’expression être (ὄν)”. Socrate fut le premier vrai philosophe. Il ne fut pas naturaliste comme les anciens Ioniens. Il ne fut pas „savant et journaliste“, suivant l’expression de T. H. Gomperz, comme les sophistes ; il ne fut pas métaphysicien comme les penseurs d’Élée ; il n’était pas mystique comme les Pythagoriciens. Mais il fut un chercheur du sens des propositions et particulièrement de celles à l’aide desquelles les hommes jugent mutuellement leur comportement moral. Il s’aperçut, en effet, que ce sont précisément ces propositions, les plus importantes apparemment pour la conduite de la vie, qui sont les plus incertaines et les plus difficiles, et que la raison en est qu’on n’accorde aux propositions morales aucun sens clair et univoque. En effet il en est de même encore de nos jours, sauf en ce qui concerne le sens des propositions, qui sont confirmées ou infirmées sans cesse par nos expériences quotidiennes : p. e., celles qui traitent des ustensiles, de la nourriture, des nécessités et des commodités de l’existence humaine. Au contraire, dans les choses d’ordre morale règne aujourd’hui la même confusion qu’au temps de Socrate. C’est ce que confirme un simple regard jeté sur l’état actuel de l’humanité ; et un simple regard sur la métaphysique actuelle révèle qu’il y a des propositions à l’intérieur de la science ou tout au moins à sa périphérie qui ne sont pas encore comprises de beaucoup de gens et sur lesquelles peut-être aucune unanimité n’est encore faite. La plupart des adhérents de la philosophie viennoise s’occupent de préférence ou exclusivement des énoncés de cette dernière sorte, c’est-à-dire des propositions scientifiques, et, parmi celles-ci, des propositions des mathématiques et des sciences exactes qui servent de modèles aux autres sciences, d’où le reproche qui leur est souvent fait de s’occuper uniquement de ces disciplines et d’être sans compréhension pour les questions concernant les sciences de l’esprit et de la vie, ainsi que d’une façon générale, pour tous les problèmes de valeur. Notre prédilection pour la logistique a été particulièrement blâmée. On nous a fait le reproche de vouloir traiter tous les problèmes à l’aide d’une seule méthode préconçue et de les vouloir couler dans une forme mathématique qui ne leur est pas adéquate. Mais, tout d’abord, il n’est pas exact de dire que la logistique soit identique à la mathématique : il serait plus juste d’affirmer que la mathématique est logistique, car elle est à la logique ce que l’espèce est au genre. En outre, la logique n’est pas une méthode mais un langage. Nous tenons pour utile, suivant l’exemple de Leibniz, l’emploi de ce langage partout où il est applicable. Nous blâmer pour cela serait aussi déraisonnable et injuste que d’accuser Platon d’avoir écrit ses dialogues en grec.

En vérité, l’école de Vienne se comporte à l’égard des questions de valeur et de morale, de la même façon que la philosophie de Socrate : pour elle l’éthique est une tâche philosophique et elle sait que l’éclaircissement des concepts moraux est infiniment plus important pour l’homme que tous les problèmes théoriques. Assurément, il y a beaucoup plus de travaux consacrés à l’analyse des concepts mathématiques et physiques qu’aux concepts éthiques. Mais cela n’a aucune importance de principe. Deux causes psychologiques l’expliquent surtout. La première réside dans le fait que les hommes qui ont l’aptitude nécessaire à l’éclaircissement des concepts, du fait même de cette aptitude logique, sont devenus généralement des savants dans le domaine des sciences exactes et s’y sont cantonnés. La seconde raison psychologique qui explique qu’on ait négligé la philosophie morale réside dans la confusion des concepts éthiques et surtout psychologiques. On ne peut, en effet, préciser le sens des jugements de valeur morale sans avoir éclairci quantité de propositions psychologiques, ce qui rend extrêmement difficile l’incertitude lamentable des notions fondamentales de cette science et ce qui effraie tous ceux qui ne se satisfont que de résultats parfaitement rigoureux. Mais, en principe, nos efforts se portent aussi bien vers les questions de l’éthique que vers celles des mathématiques, aussi bien vers les énoncés douteux de la vie que vers ceux de la science. C’est pourquoi je ne suis pas du tout d’accord avec certains partisans de notre empirisme qui veulent identifier la philosophie avec la logique de la science. Non, si le mot „logique“ peut être à sa place, il n’est pas permis d’ajouter le terme de „science“ pour en limiter la compréhension, comme si les questions de la vie quotidienne n’étaient pas accessibles et dignes d’un traitement philosophique. Au demeurant, il est bon et juste qu’aujourd’hui le mot de „logique“ soit promu à l’honneur de désigner tout ce qui a trait à la philosophie, car le domaine de la philosophie a une extension aussi large que celle de „Logos“, le discours, le Verbe.