Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Abel Hermant

La bibliothèque libre.
Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 291-294).




ABEL HERMANT


1862




Abel Hermant, né à Paris le 3 février 1862 , fit ses études au lycée Condorcet et fut reçu le premier à l’École Normale. Il n’y resta qu’une année et donna sa démission pour se consacrer exclusivement à la littérature. À vingt et un ans il publia ses premiers vers, Les Mépris (1883). Les courts poèmes dont se compose ce volume ont un charme particulier et tout moderne. D’une facture simple mais non exempte des recherches de style qui caractérisent l’artiste, ils disent excellemment les doutes et les tristesses du penseur dont l’esprit s’est aiguisé au scepticisme du siècle qui s’éteint. Et cependant la foi reste toujours vivace au cœur du poète.

M. Abel Hermant a écrit en prose plusieurs romans qui ont eu du succès, notamment Le Cavalier Miserey.

Ses poésies ont été éditées par P. Ollendorff.

a. l.





L’ÉTOILE




Je suis le Chaldéen par l’Étoile conduit
Vers un but inconnu que moi-même j’ignore.
Quelle main alluma cet astre dans ma nuit ?
Quel spectacle à mes yeux révélera l’Aurore ?


N’importe. — Dans la nuit je vais. La nudité
Du jour blessait mes yeux. L’ombre chaste est un voile.
Ce flambeau, qu’il m’égare ou me guide, est clarté :
L’Astre, même trompeur, est toujours une étoile.

Trouverai-je en sa crèche, ainsi que dans un nid,
Un enfant ? Me mettrai-je à genoux ? Que m’importe !
J’ai recueilli la myrrhe et le baume bénit :
Je respire en marchant les parfums que je porte.





MISSES




Blondes filles du Nord qui songez sur les grèves,
Les crépuscules frais me font penser à vous ;
Et vous éclaircissez l’horizon de mes rêves,
Lis éclatants, voilés par des brouillards jaloux.

Car vous seules, ô mes délicates hermines,
Vous offrez à mon cœur attentif et charmé,
Cygnes environnés d’un flot de mousselines,
Un parfum d’idéal encore inexprimé.

Non, vous êtes plutôt les mouettes sauvages
Qui glissent sur les flots en leurs vols cadencés,
Amantes des ciels gris d’argent, et des rivages
Qu’un soleil trop ardent n’a jamais caressés.

Vous avez conservé votre pudeur native ;
Vous ressemblez au fruit que nul n’a défloré.
Votre jeunesse est pure, et votre âme naïve
pressent même pas le mal inexploré.


Vos chastes vêtements sont blancs comme vos âmes,
Et cachent aux regards sous leurs replis discrets
Si vous êtes encor des enfants ou des femmes :
Votre corps ne dira qu’une fois ses secrets.

Vous m’inspirez parfois, femmes, un rêve étrange
Qui repose mon cœur fatigué par l’ennui :
L’une de vous s’assied près de moi comme un ange ;
La plage a disparu, le vaisseau s’est enfui.

Ce n’est pas, douce enfant, une nef chimérique
Dont le gouvernail d’or fend des flots satinés :
C’est un yacht élancé, dont le sombre Atlantique
Berce les matelots rudes et basanés.

Il est fait tout entier de sapins de Norwège.
Dans les chantiers de Douvre une vieille a cousu
Les voiles, qui n’ont point la blancheur de la neige,
Dont le goudron parfume et rougit le tissu ;

Puissant parfum, plus cher aux âmes vagabondes
Que la fade verveine ou que le lourd benjoin !
À peine creusons-nous, enfant, les mers profondes.
Où fuyons-nous ? Toujours plus loin ! Toujours plus loin !

Vous êtes près de moi, matin et soir, assise ;
Nous écoutons vibrer les cordages tendus,
Nous regardons les flots et nous humons la brise,
Et nous laissons errer nos pensers confondus…

Mais comme j’ai parfois des humeurs casanières,
Nous habitons l’hiver un cottage charmant,
Maison blanche, avec des pelouses régulières
Où des jets d’eau bavards jasent confusément.


Etlorsque nous sortons dans nos chaudes voitures,
Les acacias du Bois étant nus et neigeux,
Vous avez, en croisant vos bras sous les fourrures,
De gracieux frissons et des rires frileux.





LIED DES RUBANS JAUNES




Ô mes chères beautés Anglaises, combien j’aime
Ce caprice d’orner votre teint rose et blanc
De rubans satinés d’un jaune étincelant,
Et doux comme le lait qu’une fermière écrème !

Pour que leurs reflets crus ne vous éclipsent pas,
Il faut que vous soyez adorablement fraîches,
Et que le velouté qui fleurit sur les pèches
Fleurisse la blancheur si pure de vos bras,

Madones aux colliers d’ambre, d’or et d’opales,
Pour auréole ayant sur vos longs cheveux roux
De fantasques Rembrandts, d’étranges Gainsboroughs
Tout en peluche, avec des roses-thé fort pâles.