L’Adieu du Plaideur à son argent

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L’Adieu du Plaideur à son argent.

1624



L’Adieu du Plaideur à son argent.1
In-8. S. L. ni D. 16 pages.

Le jeu de paulme et le Palais
Sont (ce me semble) de grands frais ;
Les tripots et les plaideries
Sont le vray jeu du Coquimbert2 :
Car il en couste aux deux parties,
Et en tous deux qui gaigne pert.

Adieu, mon or et mes pistolles,
Adieu mes belles espagnolles3,
Adieu mes escus au soleil :
Messieurs les maistres des requestes
Et les advocats du conseil
Auront de quoy passer les festes.

Adieu mes amoureux testons4,
Adieu mes larges ducatons,
Adieu mes quarts d’escus de France :
Les coppistes et les commis
Ne m’ont point laissé de finances
Et m’ont pillé mes bons amis.

Adieu mon or et ma monnoye,
Adieu mon amour et ma joye,
Adieu mes gentils pistollets5 :
Que mal-heureuse soit la vie
Et des maistres et des valets
Qui m’ostent vostre compagnie !

Vrày’ment, il n’estoit jà besoin
De vous apporter de si loin,
Ô belles et riches medailles,
Pour vous donner à des larrons,
À des voleurs, à des canailles,
Qui vous font servir de jettons !

Race de gens abominable
Qui vous prise moins que le sable,
Et ne fait presque point d’estat
Des bourses mesmes mieux garnies !
N’est-ce pas estre trop ingrat
En prenant l’argent des parties ?

Qui penseroit qu’auprès du roy
Des voleurs nous donnent la loy,
Et que leurs vols et brigandages
Surpassent mesme les larcins,
Les rapines et les outrages
Qui se font sur les grands chemins ?

Plaideurs qui avez des affaires,
Que dites-vous des secretaires
Et des clercs de vos rapporteurs ?
Que dites-vous de l’avarice
Et de l’humeur de ces voleurs
Qui vendent ainsi la justice ?

Et vous qui ne sçavez que c’est
De faire donner un arrest,
Escoutés à combien d’harpies
Vous faites manger vostre bien
En procez et chicanneries
Qui ne valurent jamais rien.

Si vous avez un bon affaire,
Auparavant que de rien faire
Il faut prendre beaucoup d’argent ;
Il en faut trouver sur des gages,
Et obliger à cent pour cent
Vos rentes et vos heritages.

Allez-vous plaider au conseil ?
On ne vous void point de bon œil
Si vous n’y portez des pistolles.
Il y faut laisser vos escus
Et n’emporter que des paroles
Pour y estre les bien venus.

Il faut quitter vostre patrie,
Il faut hazarder vostre vie,
Suivant le roy par le pays,
Et, pensant faire vos affaires,
Peut-estre serez-vous trahis
Par des coquins de secretaires.

Il faut presenter le ducat
Et l’escu d’or à l’advocat
Pour acquerir ses bonnes graces,
Et si le clerc n’a de l’argent,
Il vous fera laides grimaces
Et ne sera jamais content.

Il faut, pour appaiser ce drolle,
Vous deffaire d’une pistolle ;
Il en faut pour vous presenter,
Pour faire dresser vos deffences,
Et aussi pour vous appointer
Sur des legères consequences.

Il faut suivre le reglement,
Il faut lever l’appointement,
Il faut dresser un inventaire,
Il faut produire dans trois jours6,
Et pour quelque petit affaire
Il faut faire de longs discours.

C’est icy qu’on serre l’anguille,
Et c’est icy que l’on vous pille,
Car les cent francs n’abondent rien,
Et, de la façon qu’on vous volle,
Il faut donner tout vostre bien
Pour payer un escu du rolle.

Cependant vous suivez la cour,
Où vous faites un long sejour
Avec une grande despence.
Jamais personne n’est content,
Et tout le monde recommence
À vous demander de l’argent.

Ayant payé vos escritures,
Voicy de nouvelles blessures :
Il faut estre solliciteur,
Il faut gagner la bonne grace
Du clerc de vostre rapporteur,
Ou bien il est froid comme glace.

Vous l’irez voir cinq et six fois ;
Mais si vous ne parlez françois
Et ne jetiez dessus la table
Vos pleines mains de quarts d’escus,
Vous le verrez inexorable,
Et vous ne luy parlerez plus.

Ne pensez pas qu’il se contente
De cet argent qu’on luy presente ;
Sçachez que ce n’est jamais faict :
Si vous perdez ceste coustume,
Il ne fera point son extraict,
Et n’aura ny encre ny plume.

Tant que vous aurez un teston,
Vous n’en aurez jamais raison ;
Si vous ne vuidez vostre bourse,
Vous n’en aurez que du mespris,
Et faut recourir à la source
Lorsque les ruisseaux sont taris.

Il faut descoudre vos pistolles
Qui sont dedans vos camisoles,
Et, luy en donnant deux ou trois,
Il minuttera quelque page,
Sous esperance toutesfois
Qu’il en aura bien davantage.

Il faut despenser vostre bien
Pour achepter son entretien
Et avoir l’oreille du maistre,
Encore n’est-il pas content
Si vous ne le sçavez repaistre
De l’esperance d’un present.

S’il vous fait voir, par courtoisie,
Les pièces de vostre partie,
Il luy faut payer le festin,
Il luy faut faire bonne chère
Et le traitter un beau matin
Au logis de la Boisselière7.

Pauvre plaideur, ce n’est pas tout,
Encore n’es-tu pas au bout
De ce grand poids de la justice,
Où se trouve tant de voleurs
Et où demeure l’avarice,
Qui est cause de tels malheurs.

Voicy un huissier qui exige
Plus que sa charge ne l’oblige,
Et si tu ne le rends content
Il employe ses artifices
Pour tirer de toy plus d’argent
Qu’on n’en baille pour les espices.

Encores en fait-il refus
Si ce ne sont des quarts d’escus :
Car le moyen, disent ces drolles,
De diviser en tant de parts
Des escus d’or et les pistolles
Comme on fait les escus en quarts !

Ayant consigné les espices,
On exerce d’autres malices
Sur ta bourse, qui n’en peut mais :
Car, si ta cause est terminée,
Ton arrest ne se fait jamais
Que ta bourse ne soit vuidée.

Il faut aller chez le greffier
Voir ton arrest, et le prier
Que sur-le-champ il l’expedie ;
Il faut trois livres pour le veoir,
Et, quelque chose qu’on luy die,
Il en faut douze pour l’avoir.

Il faut un escu au coppiste,
Autrement il fera le triste
Et te lairra le fin dernier ;
Il te fera beaucoup de grace
S’il t’expedie le premier,
Quelque present que l’on luy face.

Maintenant garde bien ta peau :
Car, quand il faut aller au sceau,
C’est une vraye escorcherie
Où l’on prend l’argent d’un chacun.
Hé ! bon Dieu ! que de vollerie
De prendre quatre sceaux pour un !

Enfin, pour tant de grandes sommes,
En ce maudit temps où nous sommes,
Tu n’auras que du parchemin
Avec un peu de cire jaune.
Il vaudrait mieux les mettre en vin
De Gaillac8, de Grave ou de Beaune.

Or, parce qu’il m’est arrivé
Que Messieurs du conseil privé
N’ont jugé le fond de ma cause,
Ains m’ont remis au Parlement,
Il est bien raison que j’en cause,
Puis qu’il aura de mon argent.

Primo, je crains fort la chicane
De quelque procureur marrane9
Qui sçaura nourrir mon procez ;
J’apprehende ses procedures,
Et crains qu’il n’y ait de l’excez
Parmy toutes ses escritures.

Je crains fort un clerc affamé,
Lequel ne soit point estimé
Que pour frequenter les beuvettes,
Demander pinte et puis le pot,
Et qui n’a jamais de pochettes
Quand il faut payer son escot.

Ces droites n’ont point de memoire,
Si ce n’est quand on les fait boire ;
Ils disent à de pauvres gens
Qu’ils sont tousjours en l’audience,
Qu’ils sçavent faire les despens,
Et s’en mocquent en leur presence.

L’audience est un cabaret ;
Le bon vin blanc et le clairet
Sont les despens qu’ils sçavent faire.
L’un est assis, l’autre debout,
L’autre en mangeant parle d’affaire ;
Mais la partie paye tout.

Cependant qu’ils font bonne chère,
Leurs maistres boivent la poussière
Et les atomes du Palais ;
Et puis ils vont à leurs maistresses,
Le front joyeux et le teint frais,
Faire leurs jeux et leurs caresses.

J’espargnerois les procureurs ;
Mais on m’a dit que les meilleurs
Sont les plus grands larrons de France.
Ils sont donc beaucoup de larrons,
Car je vous dis en asseurance
Que les procureurs sont tous bons.

Il faut que j’escrive le stile
Du plus savant et plus habile
Qui soit dedans le Parlement.
Premierement, il faut escrire
Et luy envoyer de l’argent
Pour avoir un morceau de cire.

Quelquesfois ce petit morceau
Demeure long-temps sous le sceau,
Et par après on expedie
Le relief10 en vertu duquel
Vous intimez vostre partie
Pour aller plaider sur l’appel.

Vous rescrivez par l’ordinaire
Qu’on prenne soin de cest affaire ;
Vous priez vostre procureur
Que dans tel jour il se presente ;
Mais, si vous n’estes bon payeur,
Jamais cela ne le contente.

Ayant touché de vostre argent,
Il se monstre plus diligent,
Mais c’est pour prendre davantage :
Car, ayant pris tout ce qu’il faut,
Il vous rescrit en son langage
Qu’il vous faut lever un deffaut.

Vous asseurant à ses paroles,
Vous envoyez quelques pistolles
Pour cest avare chicaneur,
Car vos parties d’ordinaire
Ont comparu par procureur,
Quand il vous mande le contraire.

Il vous escrit ainsi souvent
Pour avoir tousjours de l’argent ;
Si vostre cause n’est instruitte,
Il faut envoyer des quibus,
Afin d’en faire la poursuite :
Autrement on n’y songe plus.

La maladie continuë
Quand le procez se distribuë,
Et les habiles procureurs
Mettent l’argent sous leurs serrures,
Que les miserables plaideurs
Envoyent pour leurs escritures.

Or vous n’avez le plus souvent
Ny escritures ny argent,
Car l’avarice est bien si grande,
Qu’au lieu de payer l’advocat,
Monsieur le procureur vous mande
Que le procez est en estat.

Et cependant, tout au contraire,
Car il arrive d’ordinaire
Qu’on n’a pas conclu au procez ;
Vous quittez lors vostre mesnage,
Mais il vous fasche par après
D’avoir fait si tost le voyage.

Car, arrivant au Parlement,
Il faut encores de l’argent
Pour retirer vos escritures ;
Et ainsi vostre procureur
Se paye de ses impostures,
Et l’advocat de son labeur.

Un advocat jamais ne volle,
Ne prenant que vingt sols du roole,
Mais escrivant trop amplement,
Il est indigne, ce me semble,
De plaider dans un Parlement
Et d’y escrire tout ensemble.

Or, pour les jeunes advocats,
Ils ayment mieux fripper les plats
Que d’avoir le bruit de trop prendre ;
Aussi ne vont-ils au Palais
Que pour gausser et pour reprendre,
Mais non pas pour plaider jamais.

Ils sont plustost aux galleries,
Auprès des marchandes jolies,
Que non pas dedans le barreau.
L’un courtise sa librairesse,
Voyant quelque livre nouveau ;
L’autre fait une autre maistresse.

Laissons-les donc, jeunes et vieux :
Car tout le mal ne vient pas d’eux,
Mais des soutanes d’estamines,
Je veux dire des procureurs,
Qui n’eurent jamais bonne mine
Qu’aux depens des pauvres plaideurs.

Revenons à leurs procedures
Et inutiles escritures,
Qu’on paye sans sçavoir que c’est,
Qu’on fait payer à la partie
Auparavant qu’avoir arrest,
Et que jamais on n’expedie.

Mais posons mesmes que la cour
Juge quelqu’un au premier jour :
Il luy faut payer les espices ;
Autrement il n’a point d’arrest,
Car ceux qui tiennent les offices
En veulent toucher l’interest.

Après la fin de son instance,
Il faut trouver d’autre finance
Pour faire taxer ses despens ;
Et, bien qu’il gagne la victoire,
Il faut payer beaucoup de gens
Pour avoir son executoire.

Un procureur garde par fois
Cette pièce plus de deux mois
Sans l’envoyer à sa partie ;
Et puis il luy fait d’autres frais
Et excuse sa volerie
Dessus les longueurs du Palais.

À la fin il luy fait à croire
Que ce certain executoire
Est demeuré dessous le sceau ;
Encore la cire est si chère
Qu’on n’en a qu’un petit morceau
De la longueur du caractère.

Enfin, après tant de longueurs
Qu’inventent tant de chicaneurs,
Vostre procureur vous demande
Ce qu’il a desboursé du sien,
Quoy que ceste race brigande
Vous ait volé tout vostre bien.

Bon Dieu ! qui sçavez nos affaires,
Preservez-nous de ces corsaires,
Gardez des voleurs les marchands,
Et les mariniers des pirates ;
Preservez-nous de tels brigands,
Et nous delivrez de leurs pattes.

Pour moy, si je plaide jamais,
Ou au Conseil, ou au Palais,
Faites qu’on ne me desemplume,
Afin que ces larrons fameux
Qui ne volent que par la plume
Me voyent voler dessus eux.

Dizain.

Maudits soient les procez, et non pas les plaideurs !
Maudits soient les exploits, et non pas les libelles !
Je veux et ne veux point de mal aux chicaneurs ;
J’ayme les differends, et non pas les querelles ;
J’ayme fort de plaider, et c’est ce que je fuis ;
J’abhorre le Palais et c’est ce que je suis ;
Je veux mal aux larrons, et veux bien qu’on desrobe ;
Je veux mal aux procez et les ayme par fois :
Or, qu’est-ce que je veux ? En un mot, je voudrois
Que tout le monde en eust, hormis ceux de la robbe.




1. M. Leber possédoit une édition de cette pièce qui portoit la date de 1624.

2. C’est celui que Rabelais désigne ainsi (liv. 1er, ch. 22) :

À Coquimbert,
Qui gaigne perd.

3. La pistole étoit originairement une monnoie d’Espagne.

4. Petite monnoie d’argent mise en cours par Louis XII. Elle devoit son nom à la teste de ce roi qui y étoit frappée. Elle avoit d’abord valu dix sols parisis. Quand Henri III la supprima, en 1575, elle ne valoit plus que quatre deniers.

5. Demi-pistoles. V., dans les Contes et joyeux devis de B. Des Perriers, la CIVe nouvelle.

6. On croit entendre le Scapin des Fourberies (acte 2, scène 8) : « Mais, pour plaider, il vous faudra de l’argent. Il vous en faudra pour l’exploit ; il vous en faudra pour le contrôle ; il vous en faudra pour la procuration, pour la présentation, les conseils, productions et journées de procureur. Il vous en faudra pour les consultations et plaidoiries des avocats, pour le droit de retirer le sac et pour les grosses écritures. Il vous en faudra pour le rapport des substituts, pour les épices de conclusion, pour l’enregistrement du greffier, façon d’appointement, sentences et arrêts, contrôles, signatures et expéditions de leurs clercs, sans parler de tous les présents qu’il vous faudra faire. »

7. Fameuse tavernière dont le cabaret se trouvoit dans les environs du Louvre. On n’y mangeoit pas à moins d’une pistole. V. les Visions admirables du pèlerin du Parnasse, Paris, 1635, in-8, p. 208, et notre Histoire des hôtelleries et cabarets, t. 2, p. 308–311. — Chez la Coiffier on dînoit jusqu’à six pistoles « pour teste ». Francion, 1663, in-8. p. 308.

8. Gaillac, dans l’Albigeois.

9. Ce mot, qui s’appliquoit surtout aux Maures, se disoit aussi des juifs convertis. V. Cotgrave. — On comprend alors qu’on en fît une injure contre les procureurs rapaces. C’est, toutefois, contre les Espagnols qu’on l’employoit surtout. V. L’Estoille, Journal de Henri IV, 19 juin 1598.

10. V., sur ce mot, une note des Ordonnances d’amour.