L’Agitation réformiste en Allemagne

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L’Agitation réformiste en Allemagne
Revue des Deux Mondes2e période, tome 38 (p. 99-127).
L'AGITATION REFORMISTE
EN ALLEMAGNE

La bruyante agitation dont souffre en ce moment l’Allemagne semble mettre en danger la constitution fédérale, œuvre de 1815. On en conteste la valeur au-delà du Rhin, en même temps au nom d’une tendance suspecte vers une centralisation dont on n’a pas encore fait l’épreuve et au nom d’un particularisme qui exagère peut-être ses droits. Un trouble profond peut naître de cette agitation pour l’Allemagne ; va-t-elle découvrir que les conditions politiques et sociales au milieu desquelles elle a vécu ne convenaient pas à son génie, ou va-t-elle déclarer qu’elles ne lui conviennent plus et qu’elle en réclame d’autres ? Tendra-t-elle à conserver, en la modifiant, une forme de gouvernement qui a paru jusqu’à ce jour adaptée à ses mœurs, ou bien se précipitera-t-elle dans un abîme où l’on peut craindre qu’elle ne perde son originalité propre ? N’y a-t-il pas un certain équilibre qu’on lui souhaiterait volontiers, à égale distance soit d’une attache superstitieuse au passé et des nouveautés téméraires, soit des excès divergens vers lesquels inclinent ses tendances naturelles ? L’Autriche et la Prusse font, chacune de son côté, des rêves ambitieux ; les états intermédiaires s’interposent au nom des intérêts particuliers : où est l’unité praticable, et que doit-on penser de la constitution actuelle ? On ne saurait hasarder aucune sorte de réponse avant d’avoir recherché sous quelles influences et dans quel accord avec le caractère delà nation allemande s’est formée l’œuvre de 1815. Si l’on reconnaît qu’il y avait un accord réel, quoique peut-être facile à troubler extérieurement, si on arrive ensuite à se convaincre, au récit des tentatives réformistes, que leurs nombreuses contradictions ne dépassent pas une sphère naturelle à l’esprit des Allemands, on en vient à penser qu’ils ont à se garder seulement de leurs propres excès. Une des grandes puissances germaniques, « qui marche d’un pas calme et sûr vers le progrès, » a particulièrement charge d’âmes. Ce serait à elle la première de ne pas mettre en péril la constitution fédérale en dépassant les bornes de la modération, et de faire entrer l’Allemagne tout entière avec elle et d’un même pas sur le terrain des libertés constitutionnelles, où s’établirait le plus facilement une entente commune. Quelques réformes partielles de l’acte fédéral rendraient sans doute aisée cette œuvre générale. Il faudrait seulement souhaiter que nul imminent danger ne fût suscité du dehors contre l’Allemagne, ni par d’autres ni par elle-même, avant l’achèvement de ce grand travail intérieur, car, le trouble actuel s’en aggravant, il y aurait lieu de redouter des divisions peut-être irrémédiables pour l’Allemagne, et pour l’Europe aussi un ébranlement funeste.


I

Il n’est guère possible, avons-nous dit, de juger aujourd’hui l’œuvre constitutive de 1815 et les attaques dont elle est l’objet, si l’on ne se rappelle sous quelles inspirations et en présence de quels vœux multiples cette œuvre a été accomplie. En même temps qu’on s’expliquera, si l’on reprend de tels souvenirs, certaines de ses imperfections, aggravées peut-être par la durée, on reconnaîtra au nombre des griefs actuels les mêmes désirs qui n’ont pu être exaucés primitivement.

La constitution de la confédération germanique repose sur deux actes qu’il importe de ne pas confondre, parce qu’ils trahissent, pour les avoir subies et transmises, des influences différentes : l’acte fédéral du 8 juin 1815 et l’acte final des conférences de Vienne, daté de 1820.

Dès le temps même de la guerre de la délivrance et aussitôt après la ruine de la confédération du Rhin, l’Allemagne aspirait à sa reconstitution politique. Les souverains alliés ne tardèrent pas à comprendre que la satisfaction de ce vœu était leur premier et leur plus impérieux devoir, s’ils voulaient assurer définitivement la paix à l’Europe. Seulement leur tâche était difficile : ils avaient à distinguer, au milieu de l’ébranlement général des esprits, quels devaient être les principes de cette régénération. S’il était évident que la constitution nouvelle, pour envelopper tout ce peuple et le doter, en présence de l’étranger, de l’unité nationale, devait prendre ses racines dans son caractère propre et dans ses instincts traditionnels, il était clair aussi que le rétablissement pur et simple du passé était impraticable. L’Allemagne avait adopté, en partie du moins, les idées de la révolution française et celles que la conquête même de Napoléon lui avait apportées ; ces idées étaient précisément contraires aux maximes féodales, qui faisaient le fond de l’ancienne constitution germanique. Il fallait distinguer en quelle mesure le génie allemand s’était altéré ou modifié, le prendre d’abord lui-même pour base, et satisfaire à un premier désir de certaines libertés politiques et civiles en même temps qu’à une entière revendication de l’indépendance nationale. La pensée de rétablir l’empire allemand, détruit en 1806, se présenta tout d’abord : beaucoup de patriotes, comme Stein, Arndt et Görres, le demandaient ; mais les souverains alliés, après avoir rejeté l’idée d’exclure l’Autriche du nombre des états allemands, se trouvèrent arrêtés par les difficultés provenant du dualisme : la jalousie de la Prusse n’eût pas permis que la couronne impériale fût réservée à l’Autriche, et celle-ci, après l’avoir portée jadis, ne l’eût pas abandonnée facilement à sa jeune rivale. La Russie et la Prusse donnèrent une première assurance des dispositions des souverains dans la proclamation de Kalisch (25 mars 1813) : elles y promettaient « la réédification de la constitution allemande, ravivée, rajeunie dans l’unité, sans le secours d’aucune influence étrangère, et en s’inspirant du génie propre à la nation germanique. » Il fut arrêté à Langres et surtout à Chaumont (1er mars 1814) qu’à la forme d’un empire unitaire on substituerait une fédération, et l’article 6 du traité de Paris (30 mai 1814) proclama publiquement que l’Allemagne nouvelle serait composée d’états indépendans unis par un lien fédératif.

Le congrès chargé d’exécuter ce programme difficile se réunit à Vienne le 3 octobre. À peine avait-il commencé ses délibérations qu’il eut à écarter une proposition de. rétablissement de l’empire, issue sans doute de la jalousie des petits souverains contre les grands. Le 16 novembre, un certain nombre de ces princes du troisième ou du quatrième ordre qu’on voulait faire indépendans déclarèrent dans une note au congrès qu’à leur avis la constitution germanique « ne serait affermie qu’avec un chef unique assurant l’exécution des résolutions fédérales, forçant les membres négligens ou récalcitrans à remplir les obligations communes, faisant exécuter pleinement les décrets du tribunal fédéral, dirigeant enfin les forces militaires de la confédération et se présentant à l’extérieur et au dedans comme protecteur de tous ses membres, comme premier représentant de la nation, garant de la constitution et de la liberté germaniques. » Protestation inutile vis-à-vis d’un congrès qui se proposait au contraire d’imaginer un lien fédéral assez lâche pour comprendre à la fois l’indépendance de chaque souveraineté et l’unité nationale !

Le congrès eut à lutter contre les principaux de ces états secondaires, qui acceptaient à peine les sacrifices nécessaires à la consécration de cette unité. La Bavière, le Wurtemberg et le Hanovre regardaient évidemment la confédération promise comme une simple alliance conclue pour la défense commune entre des états parfaitement égaux, et se montraient extrêmement jaloux de la souveraineté qu’ils avaient acquise par la paix de Presbourg ou par l’acte de la confédération du Rhin, et que les grandes puissances avaient reconnue par les actes d’accession de 1813. C’est ainsi que la Bavière, qui redoutait l’Autriche, lutta contre l’interdiction proposée de conclure librement des traités au délions. En vain M. de Metternich rappelait-il au plénipotentiaire bavarois que, lorsque Napoléon avait transformé une partie de l’Allemagne en une confédération placée sous un protecteur, les membres de cette union ne s’étaient point offensés de ce que le protecteur leur interdît d’entrer dans des ligues dirigées contre un d’entre eux ; l’Allemagne voulant aujourd’hui se donner une constitution purement fédérale, il devait y avoir désormais entre ses membres un lien plus intime que celui qui les réunissait autrefois, au temps de l’empire germanique, sous l’autorité d’un seul maître. La Bavière ne se rendait pas à ces raisonnemens, et l’Autriche dut, pour l’apaiser, s’engager non-seulement à ne jamais conclure d’alliance étrangère contre aucun état d’Allemagne, mais encore à se placer, toutes les fois qu’elle ferait une guerre pour son propre compte, dans la catégorie des puissances étrangères, sans que la confédération fût obligée de prendre part à ce qui la toucherait. Ce même entêtement de leur souveraineté éloignait la Bavière et le Wurtemberg de toutes les mesures libérales. Lorsqu’on proposa de sanctionner les droits constitutionnels de la nation, le prince de Wrede, représentant la Bavière, déclara que le roi son maître ne permettrait pas que ses sujets pussent recourir au conseil de la confédération, et qu’il ne renoncerait à aucun des droits de souveraineté que les derniers traités lui avaient garantis. Le représentant du Wurtemberg déclara également qu’il avait pour instructions de, ne consentir à aucune disposition pouvant restreindre les prérogatives des souverains dans l’intérieur de leurs états. Il était d’avis que l’acte fédéral ne devait pas mentionner les droits des individus à l’égard de leurs souverains. Le représentant du Hanovre avait au contraire émis des maximes qui respiraient le libéralisme des idées anglaises : le prince-régent n’accordera jamais, avait-il dit, que les changemens survenus en Allemagne aient donné aux princes des droits de souveraineté absolue ou despotique sur leurs sujets, ni que le renversement de la constitution de l’empire germanique ait pu légaliser celui de la constitution territoriale des états, ni que des conventions conclues par des puissances allemandes avec Napoléon aient pu préjudicier aux droits des sujets. Quant à ce dernier point, il avait demandé formellement qu’aux états provinciaux de chaque pays de la confédération les droits suivans fussent assurés : celui de consentir librement l’assiette des impôts, celui de concourir à la confection des lois nouvelles, celui de prendre part à la surveillance de l’emploi des impôts consentis, celui enfin de poursuivre » n justice les fonctionnaires coupables de malversations. — C’était en entendant formuler de telles maximes que le roi de Wurtemberg avait rompu entièrement avec le congrès. Son départ subit de Vienne, le 26 décembre 1814, avait fait suspendre les négociations.

Voilà au milieu de combien de prétentions et d’idées contraires, de la part des souverains et de la part des peuples, le congrès de Vienne avait à délibérer. La pression des événemens extérieurs vint aplanir cependant la voie où les principaux membres du congrès s’étaient tout d’abord proposé de marcher. Quand on apprit le retour de l’île d’Elbe, personne ne songea plus à Vienne, comme dans l’Allemagne tout entière, qu’à la défense nationale, et ce fut l’intérêt suprême auquel on sacrifia même l’espoir d’une constitution meilleure. Les petits souverains de troisième et quatrième ordre, ligués ensemble, offraient sincèrement toutes les forces dont ils pouvaient disposer et demandaient en même temps à être admis aux délibérations. En acceptant leurs offres, on fit droit à leur demande, et le congrès, après s’être composé seulement des représentans des cinq premières puissances, appela dans sa dernière session, du 25 mars 1814 au 9 juin 1815, ceux des petits princes souverains et des villes libres allemandes. L’acte du 8 juin 1815, fixant le nombre des puissances confédérées et instituant une diète fédérale, fut signé au milieu du concours des parties intéressées, plus préoccupées assurément de leur propre indépendance et de leur souveraineté que de l’autorité à donner à l’ensemble, et la conclusion en fut d’ailleurs précipitée par la gravité des circonstances : c’était dix jours avant Waterloo.

L’acte final de 1820, destiné à compléter l’acte fédéral de 1815, fut discuté par la nouvelle diète de Francfort avec plus de loisirs, mais sous l’influence d’une réaction bien marquée contre l’esprit dont le congrès de Vienne s’était montré animé. C’est que, depuis la malheureuse année 1815, l’état de l’Europe s’était profondément modifié ; les mêmes périls ne pesaient plus sur les gouvernemens des grandes puissances allemandes, qui ne songeaient maintenant qu’à resserrer, chacun pour soi, les liens de leurs sujets. La réaction avait trouvé dans l’article 13 de l’acte fédéral une première occasion de se manifester. Aux termes de cet article, des assemblées représentatives devaient être instituées dans chaque pays de la confédération. Dès le mois de mai 1815, le roi de Prusse avait promis à son peuple la convocation d’une pareille assemblée et la publication d’une constitution ; mais il s’en était tenu à cette double promesse sans la faire suivre d’aucun effet. Quant à l’Autriche, elle n’avait pas même formulé une promesse, et ces deux grandes puissances, dont l’union en d’autres cas semblait si difficile, montraient sur ce point une entente parfaite. Leur langage, dans l’acte même de la sainte-alliance, avait eu de quoi inquiéter les peuples sous ce rapport : rien de plus paternel ni de moins rassurant. Il parut, à la conduite ultérieure des deux gouvernemens, que les beaux principes évangéliques proclamés par cet acte solennel au nom de la sainte Trinité leur semblaient incompatibles avec les libertés publiques. La Prusse surtout commença de honnir les patriotiques espérances qui ambitionnaient pour elle-même un rôle libéral à la tête de l’Allemagne. On traita de révolutionnaires et, peu s’en faut, d’impies ceux qui parlaient d’indépendance ; le Tugend-Bund fut dissous, et les chefs du parti national disgraciés : Stein, qui eût été prêt à rentrer aux affaires, ne fut employé ni à l’intérieur, ni à la diète de Francfort ; on se débarrassa de Niebuhr en l’envoyant comme ambassadeur à Rome ; Arndt fut nommé professeur à Bonn ; Gneisenau demanda de lui-même son congé ; York enfin se retira dans ses terres. Cette réaction ne fit qu’imprimer au libéralisme un nouvel essor, auquel répondit une recrudescence de restrictions et de sévérités gouvernementales. Le grand-duc de Saxe-Weimar, le célèbre Charles-Auguste, protecteur de Goethe et de Schiller, accordant aux idées nationales un refuge assuré dans ses états, la fameuse Burschenschaft s’était fondée à Iéna le 12 juin 1815, pour se propager ensuite dans presque toute l’Allemagne. Instituée d’abord uniquement par les jeunes gens des universités pour se grouper et se discipliner ensemble, elle était devenue, grâce à leur patriotisme idéaliste, le type sur lequel ils voulaient modeler l’unité de leur patrie. Une grande fête, célébrée par eux à la Wartbourg, près d’Eisenach, le 18 octobre 1817, retentit de leurs espérances, et attira sur eux les soupçons erronés de la police prussienne. On s’y entretint dans de nombreux discours, il est, vrai, des souvenirs de la lutte soutenue pour l’indépendance, d’une renaissance de la nationalité allemande, même du peu de foi des princes allemands, qui n’exécutaient pas leurs promesses ; bien plus, après une promenade aux flambeaux, on s’avisa de dresser un bûcher où l’on brûla d’abord un certain nombre de volumes favorables à la réaction, comme l’Histoire de l’empire germanique, de Kotzebue, puis, comme symboles du despotisme administratif et militaire, une perruque et une canne de caporal. Fort innocentes en elles-mêmes, ces démonstrations d’une jeunesse exaltée avaient été facilement interprétées comme factieuses ; on prétendit qu’on avait brûlé dans l’auto-da-fé de la Wartbourg non-seulement l’acte fédéral et celui de la sainte-alliance, mais encore les symboles sacrés de la foi chrétienne et une image de Martin Luther. Ces calomnies avaient déjà suscité un commencement de persécution, lorsque des événemens inattendus y ajoutèrent de nouveaux prétextes.

Après avoir rédigé à Berlin un journal hostile à la France, puis rempli les fonctions de secrétaire près de l’empereur Alexandre, le Saxon Kotzebue, de retour en Allemagne, passait pour faire le métier d’espion au service de la Russie ; on l’accusait particulièrement d’avoir dénoncé et signalé aux poursuites ceux des professeurs d’Iéna qui avaient pris part à la formation de la Burschensrhaft. Un étudiant nommé Sand, qui faisait partie de l’association, voyant en lui un ennemi dangereux et acharné de la nouvelle Allemagne, se crut appelé à en délivrer sa patrie, et l’assassina à Mannheim le 23 mars 1819. Au même moment, un insensé, nommé Löning, tenta inutilement d’assassiner le conseiller d’état Ibell, qui dirigeait le gouvernement de Nassau. C’étaient deux faits isolés et sans complices, et qui attestaient seulement l’agitation malsaine d’un état politique mal fixé. Au lieu de comprendre que le remède était dans les institutions et que les esprits irrités par un manque de foi n’étaient pas les seuls coupables, les gouvernemens affectèrent de croire à un vaste et criminel complot préparant la chute des trônes et le meurtre des personnes couronnées. Déjà au congrès d’Aix-la-Chapelle, pendant l’automne de 1818, l’asservissement de la presse et la diminution des privilèges universitaires avaient été proposés comme mesures préventives contre la conspiration universelle qu’on redoutait. Le congrès de Carlsbad, assemblé au mois d’août 1819, après le meurtre de Kotzebue, consacra ces mesures ; de plus, oubliant toute prudence, il adopta l’interprétation de M. de Metternich sur l’article 13 de l’acte fédéral, et déclara que les libertés promises par cet article ne devaient pas dépasser celles des diverses assemblées provinciales que certains pays de l’Allemagne avaient possédées jusque-là. En même temps une commission d’enquête fut instituée à Mayence pour la recherche des prétendues menées révolutionnaires. La diète de Francfort, qu’on n’avait pas consultée, approuva et sanctionna sans nulle résistance ces résolutions, dont elle allait assumer et subir tout l’odieux.

C’est ici un moment des plus graves dans l’histoire de la constitution actuelle de l’Allemagne. À partir du congrès de Carlsbad en effet, toute confiance dans la diète fédérale est détruite ; on n’attend plus rien de salutaire de son initiative, et l’épreuve déjà faite que le peu d’unité auquel elle a dû son existence n’a servi qu’à opprimer la liberté empêche de désirer quelques nouveaux progrès de centralisation. Chaque état allemand ne songe plus qu’à lui-même ; les plus avisés comprennent seuls qu’un sage développement des libertés constitutionnelles reliera les peuples aux gouvernemens et sera pour ceux-ci la seule ferme attache au sol incertain de la nouvelle Allemagne. Telle est la situation des esprits lorsque se réunissent les conférences ministérielles de Vienne, projetées au congrès de Carlsbad pour achever l’œuvre constitutive et combler les lacunes de l’acte fédéral. L’acte final signé en 1820 à la suite de ces conférences ne donne pas, comme on l’avait promis en 1815, une plus forte organisation à la confédération germanique. En revanche, il n’affaiblit pas la portée de l’article 13 de l’acte fédéral ; il prétend au contraire, Il est évident que, de 1815 à 1820, depuis l’acte fédéral jusqu’à l’acte final, le lien commun de la confédération, déjà si peu fortement constitué, s’est encore relâché. D’une part, la promesse de garantie des libertés particulières donnée au nom de la confédération a perdu de sa solidité et de son crédit ; de l’autre, les différens états ont gagné en indépendance propre ce qu’ils ont perdu en cohésion. L’acte fédéral a été conclu sous l’influence d’une pensée de conciliation et d’union, mais il est resté inachevé ; l’acte final a été signé sous l’influence d’un sentiment de division et de défiance qui a profité en partie aux peuples en avertissant les princes secondaires de chercher autour d’eux les moyens de sauvegarder leur indépendance.

Telle qu’elle est après ces deux actes qui l’ont fondée, la constitution de l’Allemagne offre assurément des imperfections auxquelles la législation ultérieure n’a que fort peu remédié. L’espèce de gouvernement qu’on appelle fédératif admet deux formes différentes : celle d’une confédération d’états et celle d’un état fédéré. La première, adoptée de notre temps par l’Allemagne, peut se passer d’un organe central fortement organisé, mais à la condition qu’une heureuse conformité d’institutions et de génie tienne intimement rapprochés tous ses membres. La seconde suppose l’hégémonie d’un état élevé par la constitution même au-dessus de ses associés ; elle est plus simple, d’une réalisation pratique plus facile, et mieux adaptée, il faut le dire, aux nécessités des temps modernes. Or, dans l’Allemagne du présent, la diète, qui sert d’organe à la confédération, a le tort de ne pas représenter la nation tout entière : elle réunit les délégués des princes, mais non pas ceux des peuplés ; les princes eux-mêmes n’y rencontrent pas une juste répartition de l’influence qui leur est due[1]. Un autre embarras intérieur pour la confédération germanique est la présence et l’antagonisme de la Prusse et de l’Autriche. Ce dualisme constant a introduit la division dans les conseils de l’Allemagne en perpétuant au sein même de l’union deux systèmes de gouvernement et d’intérêts politiques le plus souvent opposés. Ce fut une faute aussi d’admettre des souverains étrangers dans la confédération pour quelques parties isolées de leur territoire, le roi de Danemark pour le Holstein dès 1815, et plus tard pour le Lauenbourg, et le roi de Hollande pour le Luxembourg. On céda, en consacrant de tels arrangemens, à la prétention du germanisme de revendiquer tous les pays qui parlaient allemand ; on ne s’arrêta qu’à regret devant Strasbourg et l’Alsace, que redemandait le baron de Stein ; c’était appeler des intérêts étrangers dans le domaine des intérêts particuliers de l’Allemagne, et semer autour de soi des germes de discorde interminable.

Considérée au point de vue de la politique extérieure, la constitution de 1815 crée à la confédération des embarras et des dangers ; le, droit que possèdent les états secondaires de se faire représenter, aussi bien que ceux du premier ordre, auprès des grandes cours européennes divise et même annule toute politique vraiment allemande ; les cours ne voient pas auprès d’elles un représentant permanent de la diète, et elles ne rencontrent guère les souverains allemands qu’isolés. Au moment du péril, tout l’embarras de cette machine compliquée se montre au grand jour ; un long temps est nécessaire avant qu’une décision commune soit prise ; les levées d’hommes une fois décidées, l’Allemagne n’a encore qu’une réunion de contingens exercés, habillés, armés diversement ; une mauvaise constitution militaire laisse indécises les lois de l’obéissance et celles du commandement suprême. Enfin l’acte fédératif du 8 juin 1815 n’est qu’une dépendance du traité de Vienne, signé le 9 juin, et où l’on en retrouve textuellement toutes les dispositions générales. Celles-ci se trouvent donc placées sous la garantie des puissances signataires du traité de Vienne, source de protection sans doute pour le cas où l’existence de la confédération serait mise en danger, mais bien plutôt source de difficultés continuelles, soit que la confédération médite quelque notable réforme dans sa constitution intérieure, soit qu’elle veuille modifier son étendue et ses limites sur le sol même des provinces non allemandes qui appartiennent à une puissance faisant partie de l’union. À ce compte, la confédération germanique ne peut pas être envisagée uniquement comme une association libre de certains états créée seulement par leur volonté, et pouvant par conséquent se transformer par une simple résolution de leur part ; elle est le résultat d’un traité européen, et forme un élément de l’organisation générale de l’Europe réglée et fixée par ce traité, de telle sorte que nul état allemand ne peut apporter de changemens essentiels à son caractère national ni à l’étendue de son territoire sans le consentement et le concours formel de toutes les puissances signataires du traité général de Vienne. C’est ce que l’Angleterre et la France n’ont pas manqué de rappeler énergiquement à l’Allemagne en plus d’un cas.

Tels sont quelques-uns des principaux vices de la constitution germanique. Au nom de ces vices, on l’a bien souvent attaquée ; après 1848 même, on a pu croire à sa ruine complète. Le dualisme qui divise l’Allemagne, l’ambition des puissances secondaires, l’unitarisme enfin, sont autant de causes d’affaiblissement pour la constitution de 1815, et cependant elle a résisté sans cesse ; à peine détruite un instant, on l’a vue bientôt revivre. Bien plus, cette constitution, si défectueuse par certains côtés, a réédifié l’Allemagne ; elle lui a rendu la paix et l’honneur après une longue période d’humiliation et de division intestine ; elle lui a donné assez d’unité pour empêcher le retour d’éventualités funestes, comme l’entente de quelque puissance allemande avec des souverains étrangers en lutte avec l’Allemagne, comme la perte de quelque province cédée à l’ennemi, ou comme la guerre civile. La raison de ses bienfaits et de ses faiblesses doit être cherchée dans sa conformité avec le génie allemand. Il ne faut pas demander à une constitution politique et sociale d’être différente de l’esprit du peuple qu’elle est appelée à régir ; elle ne saurait lui être ainsi une chose extérieure sans perdre sa vraie signification et son utile influence : il faut que ce peuple reconnaisse en elle ses principaux traits, l’expression de son caractère et celle de ses mœurs ; sinon, il la renie comme une œuvre étrangère, imposée du dehors, et qui n’a pas été faite pour lui. Elle doit être ce qu’est un honnête vêtement, adapté justement à certaines proportions spéciales et à certaine mesuré, et qui prendra son allure et ses plis d’après les mouvemens naturels et les inclinations de la personne qui le portera. Le vêtement lui-même engage ; tout aussi bien le caractère et l’autorité propres de la loi universellement consentie donnent à une telle constitution la force suffisante pour réagir contre les faiblesses dont elle a d’abord souffert et qu’elle saura corriger ensuite, en se transformant elle-même d’accord avec un tel progrès.

Un vaste et ambitieux idéalisme, enté sur un particularisme aux profondes racines, tels sont les deux traits qui rendent compte du génie allemand, qui expliquent sa grandeur et ses faiblesses, ses momens de triomphe et ses incertitudes présentes. Ces deux traits sont visiblement inscrits dans la vie sociale et domestique de nos voisins d’outre-Rhin, dans leur art, leur littérature, leur histoire tout entière. On a souvent répété qu’ils étaient sans initiative pour résoudre et agir, et cela est vrai : ils poursuivent en effet l’idée jusque dans des régions si hautes qu’il ne leur reste pas le temps ou la force de la faire descendre sur le terrain solide de l’action : mais cette ambition, toute d’esprit et de théorie, les détache souvent de l’ambition vaniteuse et vulgaire à laquelle ils restent indifférons. Ce peuple a conservé une réelle simplicité de mœurs : les intérêts du foyer et les affections particulières sont pour l’Allemand une ferme attache ; il est révolutionnaire, cosmopolite et citoyen du monde jusqu’à vingt-cinq ans ; plus tard il est marié, père de famille et trop souvent étroitement séquestré dans sa douce prison. Dans la science, en philosophie et en littérature, de vastes théories, des systèmes qui n’excluent ni la profondeur ni l’obscurité, des aperçus ou des reflets universels, une Weltliteratur, en même temps la philologie la plus minutieuse, l’archéologie la plus patiente, la curiosité la plus infatigable ; puis des vues mystiques, une poésie lyrique sans rivale, mais point de théâtre à vrai dire, ou un théâtre inclinant vers le poème lyrique ; point de comédie surtout, puisque la comédie suppose l’expérience familière et le commerce quotidien de la vie pratique ; — l’art enfin offrant sous toutes ses formes les mêmes caractères, un magnifique et religieux essor, avec la profusion et quelquefois le réalisme des détails. Chacune de ces deux pentes conduit ainsi l’esprit allemand vers de rares et sérieuses qualités ; mais ensuite, et trop facilement, elle l’entraîne : de la sorte il ne trouve pas son équilibre dans sa propre force, mais seulement dans le contre-poids qui s’établit de l’un à l’autre excès. Cette lutte entre des courans divers se reproduit dans l’histoire générale des Allemands. Avec les deux grands instincts de leur race, les Germains du moyen âge ont accompli leur glorieuse mission. Tacite, qui les étudie et les décrit dès le Ier siècle, admire, en détournant les yeux du despotisme administratif de l’empire, le noble sentiment d’indépendance qui les anime. Quand les sujets de Rome sont comptés comme de vils troupeaux, il s’étonne que l’individu tienne ici tant de place ; lui, le généreux avocat de la conscience humaine, il ne soupçonnait pas tant d’alliés ; il a entrevu dans le particularisme germanique le germe d’une société nouvelle que le souffle du christianisme fécondera. Mais plus tard avec quelle vaste ambition l’idéalisme germanique s’affirme lui-même ! Après que Charlemagne, pour avoir mis un terme aux invasions et constitué l’Europe moderne, s’est intitulé, non sans droit, le successeur et l’héritier de Rome païenne, il faut à ce germanisme, une fois enfermé dans les limites plus étroites de l’Allemagne proprement dite, la domination du monde, et il prétend imposer à Rome chrétienne elle-même sa suzeraineté. Le saint empire romain de la nation germanique transporte les armes allemandes chez tous les peuples voisins et jusqu’aux dernières limites de l’Italie. Pourtant il ne sait rien fonder nulle part et ne cesse d’être une forme vide, qui, sans correspondre à aucune véritable unité politique, recouvre au contraire l’extrême division de la féodalité florissante. C’est au moment où Charles-Quint aspire à la domination universelle en s’armant des deux glaives que la révolution religieuse du XVIe siècle fait éclater le triomphe du sens individuel en Allemagne. Les convulsions de la guerre de trente ans enlèvent ensuite au germanisme toute prépondérance politique et presque toute unité nationale, et sa décadence n’est arrêtée pendant le XVIIIe siècle que grâce à l’essor d’une nouvelle puissance allemande qui s’efforce de réagir par un génie tout moderne.

Tant de vicissitudes ont démontré deux choses : la première, que l’Allemagne est faite au dehors pour la défensive et non pas pour l’attaque ; la seconde, que la forme de gouvernement intérieur qui lui est naturelle n’est autre que la forme fédérale. Nul autre gouvernement n’est plus apte à satisfaire à la fois le particularisme et l’ambition nationale. Il procure un lien suffisant pour qu’une certaine unité soit acquise, et en même temps il entretient et nourrit la flamme des libertés individuelles. Il faut à celles-ci leur satisfaction dans la constitution allemande. Les Germains de Tacite affectaient déjà cette indépendance et refusaient de se grouper tous ensemble sous la main d’un seul maître, colunt discreti ac diversi… Les Allemands du moyen âge firent de même, chaque tribu reconnaissant un chef ou duc particulier soumis de fort loin à l’autorité de l’empereur, et les Allemands d’aujourd’hui ne se comportent pas autrement quand ils maintiennent chez eux contre le courant des théories venues du dehors la multiplicité des souverainetés nationales. Napoléon Ier, lorsque toute une partie de l’Allemagne le reconnaissait pour maître, de 1806 à 1813, ne manqua pas de l’organiser en une confédération dont il s’intitula seulement le protecteur, et si l’Allemagne a pu renier ensuite à bon droit le souvenir de cette intervention étrangère, la confédération du Rhin n’en a pas moins été un préambule naturel pour l’œuvre de 1815.

Telle qu’elle est, et quelle que soit sa force intérieure et vitale, la constitution fédérative de l’Allemagne n’est pas assez parfaite, et surtout elle est trop en désaccord avec certaines tendances (faut-il dire certaines nécessités ?) de notre époque pour ne pas être l’objet d’attaques de la part des Allemands eux-mêmes. Ces attaques, ou, si l’on veut, ces essais et ces velléités de transformation se multiplient dans les momens de crise européenne, toutes les fois que l’Allemagne est amenée à sentir son défaut d’initiative plus vivement que sa force de cohésion, toute défensive il est vrai. L’année 1859 amena pour elle une pareille humiliation ; elle n’en est pas remise encore, et c’est de là que date le renouvellement de l’agitation politique dont elle souffre aujourd’hui. Étudions ce mouvement intérieur ; ses principaux caractères nous paraîtront déterminés par le double penchant du génie allemand : d’une part, l’idéalisme germanique nous apparaîtra au fond des théories unitaires ; d’autre part, nous verrons la protestation constante du particularisme opposer un contre-poids, non sans des tiraillemens pénibles, qui pourraient faire craindre que, sous l’influence de quelque ambition excessive au dedans, ou de quelques graves circonstances venues du dehors, l’équilibre ne se rompît un jour, au grand détriment de l’Europe et sans aucun doute de l’Allemagne elle-même.


II

L’Allemagne a toujours eu des unitaires, et ces unitaires ont toujours trouvé des historiens[2]. Nous ne voulons nous occuper ici que des efforts vers l’unité germanique suscités ou encouragés à nouveau par le récent affaiblissement de l’Autriche, de l’étroite connexion de ces efforts avec les espérances, tout au moins avec les intérêts particuliers de la Prusse, et de l’opposition déclarée qu’ils rencontrent. Il s’agit donc de l’épisode le plus récent des affaires d’outre-Rhin et de la principale cause des troubles qui agitent profondément l’Allemagne aujourd’hui.

Il est bien vrai qu’on respire à Berlin la vive atmosphère d’un grand pays. La physionomie extérieure de la ville en raconte déjà la puissance et l’ambition. Cette profusion de monumens accumulés à l’extrémité des Tilleuls comme sur l’ancien Forum romain, ces colonnes, ces statues innombrables, ces portiques, ces arcs de triomphe, ces fresques aux prétentieuses et obscures allégories, ces magnifiques musées enfin, tout cela est d’un riche parvenu peut-être, mais d’un parvenu qui s’est fait sa place et qui réclame autant d’avenir que les autres comptent de passé. Charlottenbourg, Sans-Souci et Potsdam n’offrent pas d’autre aspect. Bien que la nature s’y montre plus indulgente que dans tout le reste de la Prusse, c’est la main de l’homme qu’on y reconnaît avec la trace de la volonté humaine ; la persistance des princes de la maison de Brandebourg a créé ces lieux de plaisir rivaux de Marly et de Versailles. Toute la vigueur de l’esprit moderne, la Prusse l’a invoquée pour son œuvre. Encore aujourd’hui l’université de Berlin, bien qu’elle ait perdu quelques-uns de ses plus grands noms, offre un foyer d’activité intellectuelle et morale plus ardent que tous ceux des autres universités allemandes. Créée en 1810, au milieu même des humiliations de la Prusse et comme en défi aux menaces de l’avenir, elle s’est associée, dès les mémorables années qui ont suivi, à l’essor national, alors que ses professeurs Savigny, Schleiermacher, Marheineke, Wolf, Eichhorn, Boeckh, Fichte, s’engageaient comme volontaires, alors que Niebuhr s’applaudissait de ce que ses mains devinssent calleuses au contact du fusil. Cette grande école n’a pas cessé de représenter fidèlement le génie de l’Allemagne et celui de la Prusse en particulier ; son enseignement est vivant : il n’a jamais cessé d’être historique et même politique aussi bien que savant et érudit. Aujourd’hui même, à côté d’archéologues, de linguistes, d’hellénistes comme Gerhard, Lepsius, Boeckh et Bopp, elle compte des historiens tels que Raumer et Ranke, et des politiques libéraux tels que MM. Gneist, Virchow, Droysen, qui ne dissimulent pas une ambition volontiers excessive pour l’avenir de leur patrie.

Ils sont d’accord, on doit le reconnaître, avec un parti assez nombreux en Allemagne. Il y a un bon nombre d’esprits au-delà du Rhin qui, à voir certains grands peuples du continent si agiles, si prompts à l’action, si facilement affranchis, de beaucoup de liens, s’irritent à la vue des ressorts compliqués de la machine germanique, et voudraient lui rendre la liberté de ses mouvemens. Le plus sûr et le plus court moyen serait sans aucun doute de procurer à l’Allemagne une centralisation toute contraire, il faut l’avouer, au régime fédéral. Ce parti l’a reconnu tout d’abord, et sans hésitation comme sans scrupule il est entré dans la voie qui paraissait conduire à ce but. L’abaissement de l’Autriche en 1859 et l’inaction de l’Allemagne en présence de cet abaissement, après avoir justifié de nouveau ses desseins à ses yeux, lui avaient désigné la Prusse comme pouvant devenir entre ses mains un instrument énergique et utile. Le National Verein, qui lui servait d’organe, entreprit donc de donner à cette puissance l’hégémonie incontestée de l’Allemagne ; il demanda que les petits souverains de la confédération abdiquassent en sa faveur, que toute l’organisation militaire fût réunie dans sa main, ainsi que toute la représentation diplomatique au dehors. C’étaient là les premiers vœux qu’on exprimait, ce n’étaient pas les seuls qu’on eût formés ; une certaine centralisation, grâce à une simple hégémonie, n’eût bientôt plus paru suffisante ; une entière unité serait devenue nécessaire, dussent y périr un jour beaucoup de libertés. La Prusse se laissa sans trop de résistance aller aux tentations qui lui étaient offertes ; elle se mit à conclure avec les petits états des conventions à part, absorba des contingens militaires, acquit çà et là des droits de protection, ourdit une trame enfin qui ne se montrait pas au grand jour. Plus tard, M. de Beust, au nom des états secondaires, devait la forcer à s’expliquer et à se découvrir ; on avait pu toutefois deviner à l’avance qu’elle nourrissait encore, comme en 1850, des projets d’union restreinte, dût-elle mutiler l’Allemagne par une exclusion arbitraire de l’Autriche, dût-elle acheter à ce prix le triomphe de son ambition et celui de l’unité : idéalisme chimérique, contre lequel le particularisme inné au caractère germanique ne tarda pas à protester. Le récit de ces protestations est le tableau même des agitations intérieures qui troublent en ce moment l’Allemagne.

On reproche d’abord à la Prusse l’incertitude de sa politique au milieu de ses rêves d’ambition. Après 1848, dit-on, elle a déjà trompé les espérances de ses plus zélés partisans, alors que toute la nation lui laissait le champ ouvert. Elle a donné bientôt après de nombreux gages à la réaction[3]. La régence, l’avènement du loyal et honnête Guillaume Ier, les promesses et l’attitude du cabinet Hohenzollern ont excité, il est vrai, une nouvelle attente ; mais on se rappelle, même involontairement, les premières années du précédent règne, si brillantes et cependant suivies de désillusion. Les récentes déclarations du roi Guillaume Ier sur son droit divin ont particulièrement contribué à ébranler la confiance ; elles ont ranimé les théories contraires. — Ce n’est pas avec la doctrine du droit divin, assure-t-on, que la Prusse peut réussir à subjuguer l’Allemagne ; comme instrument à son ambition, qu’elle offre au moins une politique énergique et digne d’un grand gouvernement moderne !

En second lieu, le National Verein a proclamé que la Prusse était l’état modèle dans lequel toute l’Allemagne devait s’absorber ; on lui conteste la légitimité de l’éloge et celle de la conclusion. L’influence d’un certain entourage du roi de Prusse, qui puise directement ses inspirations auprès du parti féodal et réactionnaire de la croix, les obstacles que rencontrent de ce côté et le constitutionalisme et la suppression des derniers abus, restes informes du moyen âge, enfin la multiplicité des autres partis, tout cela empêche l’Allemagne, au moins pour quelque temps encore, d’admettre la Prusse comme l’état modèle auquel elle doive se livrer. Il est ensuite certains reproches que les états secondaires adressent à la Prusse et au National Verein conjointement. Ils accusent à haute voix celui-ci d’avoir affirmé sans cesse qu’il ne songeait qu’aux intérêts de l’Allemagne, tandis qu’il ne travaillait en réalité que pour l’avantage de la Prusse. L’agitation pour la flotte n’a été particulièrement, disent-ils, qu’un stratagème n’ayant pas d’autre but. La flotte allemande, rêve de la Prusse et légitime exigence de l’Allemagne, tel est le titre d’un écrit fort répandu, suivant lequel, comme le fait deviner ce titre même, la Prusse ne saurait mener à bien par sa seule initiative la grande entreprise que les efforts combinés de tous les pays de l’Allemagne réunis pourraient seuls accomplir. Les objections qu’on dirige contre les efforts de la Prusse dans cette direction sont importantes à recueillir ; en même temps qu’elles nous montrent les résistances du particularisme allemand, elles nous font mesurer à quelle distance l’Allemagne se trouve encore d’une puissance maritime qu’elle a si ardemment souhaitée. M. Harkort, aujourd’hui chef du centre gauche à la chambre des députés de Berlin, a publié à ce sujet des renseignemens qui font autorité.

L’agitation pour la flotte allemande telle qu’elle a été organisée n’a été, dit-on, qu’un coup de désespoir du National Verein. Issu de la vieille école du parti de Gotha, il avait contracté tout d’abord, en vue de l’unité allemande, une alliance peu réfléchie et peu profonde avec la démocratie. Au nord, où il rencontrait le plus grand nombre de ses adhérens, il avait proclamé par ses principaux organes que l’Allemagne devait s’absorber tout entière dans la Prusse, pour le plus grand bonheur de la patrie commune. Dans l’Allemagne centrale et dans l’Allemagne méridionale, où il ne recrutait d’alliés que parmi les démocrates, on l’avait entendu déclarer que c’était à la Prusse de se fondre dans l’Allemagne ; au seul prix d’un tel changement de langage, il pouvait espérer là d’être accueilli. Une base si incertaine ne devait supporter qu’un fragile et incomplet édifice : après deux années d’agitation et d’efforts, la société comptait, lors de sa dernière réunion générale à Heidelberg, en août 1861, 15,000 membres sur 34 millions d’Allemands ! De ces 15,000, 8,000 avaient été recrutés en Prusse, dans le royaume le plus directement intéressé au succès de l’œuvre. C’était un échec complet. Les meneurs songèrent alors à un autre moyen d’agitation : ils imaginèrent de recueillir de l’argent pour une flotte allemande ; mais cette flotte, jusqu’à l’organisation d’un pouvoir central unitaire, serait placée sous le commandement de la Prusse ; la Prusse s’augmenterait ainsi d’une force considérable, dont elle profiterait pour avancer l’œuvre de l’unité. C’est ici que commencent les objections et les reproches. — Votre préoccupation de faire d’abord construire des chaloupes canonnières, dit-on au National Verein, trahit trop évidemment votre partialité pour la Prusse. Ce sont de grands vaisseaux qu’il faut à l’Allemagne, pour protéger son commerce au loin et pour faire respecter son drapeau comme celui d’un grand peuple dans les crises européennes. Vos chaloupes ne servent à rien pendant la guerre, et elles sont d’un ruineux entretien pendant la paix ; donnez-nous des corvettes et des frégates, un navire de guerre dans la Méditerranée et dans le Levant, un sur la côte occidentale de l’Afrique, deux dans la mer des Indes, un dans l’Inde occidentale, un dans le Pacifique. Or, pour une telle entreprise, nécessaire et souhaitée, il faut beaucoup de temps et beaucoup d’argent ; c’est un mauvais calcul de se confier à une seule puissance et de perdre du temps, de l’argent, des peines à des desseins partiels, à des constructions inutiles. La Prusse doit appeler tous les états de l’Allemagne à cette œuvre au lieu de se la réserver, par une vue étroite d’intérêt, à elle seule, car cette œuvre est immense, et la Prusse est fort mal préparée à l’accomplir. D’abord la Prusse est mal dotée par la nature ; de plus, elle s’est montrée jusqu’à présent inhabile à corriger, en ce qui touche la puissance maritime, ses imperfections naturelles. On en peut dire autant des états du nord de l’Allemagne, dont les côtes sont inhospitalières et nécessiteront de grands travaux. Il faudra de longs et coûteux efforts pour rendre aisément praticables, sur les côtes de la Mer du Nord, le port de Brème (Bremerhafen) à l’embouchure de la Geeste dans le Weser, bien qu’on y voie dès aujourd’hui de grands bassins pour les vapeurs transatlantiques et les navires d’émigrans, — Blexem dans l’Oldenbourg, — Cuxhaven à l’embouchure de l’Elbe, etc. La Prusse a bien essayé de fonder sur ces côtes un grand port ; enfermée tristement dans la Baltique, elle s’est souvenue qu’elle avait possédé depuis 1744 jusqu’à Tilsitt la Frise orientale, avec Emden, belle rade sur le Dollart, aujourd’hui au Hanovre, et le traité du 23 juillet 1853 avec le gouvernement d’Oldenbourg lui a conféré le droit de construire à l’embouchure de la Jahde un port militaire[4]. C’est un point dont Napoléon Ier avait compris l’importance : depuis 1853, la Prusse y a fait d’importans travaux ; mais on assure qu’ils seront interminables, et que le nouveau port, malgré les espérances contraires, continue à s’ensabler chaque jour. D’énormes difficultés se présenteront aussi quand on voudra mettre en état les ports de la Baltique, Lübeck, Travemünde, Swinemünde et Oxhöft près de Dantzig. Sur les côtes de la Mer du Nord, on trouve un sol qui s’enfonce et ne donne point de prise à l’ancrage ; sur celles de la Baltique au contraire, le sol reste trop élevé et n’offre point assez de profondeur. Le gouvernement prussien a d’ailleurs fait de vains efforts pour approprier les côtes de l’île de Rügen et Dantzig à l’établissement de chantiers et de ports militaires. Justement préoccupé des progrès que la Prusse aurait pu faire comme puissance maritime, M. Harkort ne se fait pas faute de blâmer l’administration du royaume et de la taxer d’incapacité réelle : l’instruction est presque nulle à son gré, les inventions nouvelles arbitrairement négligées, l’administration embarrassée par une bureaucratie coûteuse et peu intelligente qui écarte les hommes spéciaux et ajourne les réformes.

La marine de guerre prussienne compte 77 bâtimens avec 324 canons : sur ce nombre, 26 vapeurs avec 121 canons et 9 bâtimens à voiles avec 125 canons[5] ; mais M. Frédéric Harkort nous apprend que deux des vapeurs (l’Arcona et la Gazelle) ont une machine trop faible d’environ 100 chevaux et n’atteindront jamais une vitesse normale, que les chaloupes canonnières, dépourvues de l’appareil nécessaire pour lever l’hélice, sont en outre mauvaises voilières ; les hélices elles-mêmes ont besoin d’être changées ; il faut abaisser les chaudières… « Et avec tous ces défauts, s’écrie-t-il, on a construit par douzaines, sur un plan arbitraire, avant d’avoir consulté l’expérience ! » — Les marines militaires prennent d’ordinaire naissance dans les marines de commerce. À ce compte encore, « la Prusse, dit M. Harkort, est dans de mauvaises conditions ; en effet, le nombre est relativement fort peu considérable des navires prussiens qui vont avec cargaisons directes dans les ports de la Méditerranée et de l’Océan, et le grand commerce de la Prusse se fait indirectement par les villes hanséatiques, et en transit par les Hollandais, les Belges et les Français. Ajoutez enfin la situation défavorable d’une vaste côte au fond d’une mer fermée et dominée par des voisins dangereux. »

En résumé, disent les adversaires du National Verein et de la Prusse, cette puissance peut bien, si elle le juge convenable, construire et équiper pour son propre usage et pour la défense de ses côtes une flottille de chaloupes canonnières, bien que les hommes du métier doutent fort à présent que cette sorte de protection, si ce n’est dans des archipels et de nombreux golfes, soit véritablement efficace ; mais elle ne saurait prétendre avec raison au rôle de fondatrice d’une flotte allemande. La Prusse n’est pas douée, elle n’a pas mission pour cela. Qu’on laisse agir l’Allemagne tout entière et qu’on remette à son énergie propre cette affaire éminemment nationale, sans qu’elle ait lieu de soupçonner qu’un des membres veuille absorber pour lui seul ce qui doit nourrir tout le corps, et l’on verra alors combien chaque état particulier contribuera puissamment à l’œuvre commune par des contributions volontaires, cette fois abondantes, ou par l’appoint d’une marine marchande déjà considérable. — Sait-on bien que la flotte marchande de l’Allemagne du nord compte à elle seule plus d’un million de tonneaux, chiffre que celle de la France ne dépasse pas, et qu’atteignent seulement pour moitié le Danemark et la Suède réunis ? Le Hanovre possède à lui seul 831 grands navires avec 102,000 tonneaux, Hambourg 488 avec 197,000 tonneaux, Brème 279 avec 180,000 tonneaux, Oldenbourg 259 avec 60,000 tonneaux. On connaît enfin la puissance maritime de l’Autriche. Pourquoi donc ces forces particulières que possède l’Allemagne ne se développeraient-elles pas en liberté, au lieu d’être absorbées ou même annihilées au profit de la Prusse ? Comment admettre en particulier, soit pour la marine, soit au point de vue de la politique générale, cette exclusion de l’Autriche que le National Verein et la Prusse paraissent avoir décrétée ? Il faut aux unitaires une Allemagne malléable et docile, et celui des états qui leur semble trop puissant encore pour se plier à leur volonté, ils le retranchent ! L’Autriche n’envoie-t-elle pas cependant quelques gouttes de soc meilleur sang au cœur même de l’Allemagne ? Aujourd’hui comme il y a plusieurs siècles, n’est-elle pas l’unique boulevard contre le danger que recèle le slavisme ? A Trieste et sur le cours inférieur du Danube, ne représente-t-elle pas un intérêt vital, celui des communications de l’Allemagne avec l’Orient ?

Telles sont les récriminations du particularisme contre le National Verein et la Prusse. Il ne lui est pas difficile de démontrer que le succès des plans qui ont rencontré à Berlin un favorable accueil serait tôt ou tard la rupture du lien fédéral, le démembrement de la patrie allemande, et, si les puissances étrangères pouvaient jamais le permettre, le renversement complet de l’équilibre européen. S’il faut reculer devant une telle carrière d’aventures, et si l’Allemagne, mécontente de sa constitution, persiste cependant à chercher le rétablissement d’un équilibre qui lui manque évidemment aujourd’hui, quelle combinaison nouvelle, après celle des unitaires, pourra lui agréer ? M. le baron de Beust, premier ministre du roi de Saxe, a pris sur lui d’en présenter une.

Ce n’est pas la première fois que le nom de M. de Beust paraît en tête de l’histoire constitutionnelle de l’Allemagne. Il semble avoir voué sa carrière d’homme d’état à la réforme légale du système fédéral et à la réclamation des droits qu’un tel système, fidèlement pratiqué, doit réserver aux états secondaires. M. de Beust est né, le 13 janvier 1809, d’une famille connue depuis longtemps dans la haute administration et dans la magistrature. Presque aussitôt après avoir achevé ses études à l’université de Goettingue, sous Eichhorn, Heeren et Sartorius, il entra au service diplomatique, et fut employé successivement à Berlin, à Paris, à Munich et à Londres. Il était ministre résident de Saxe à la cour de Saint-James quand éclatèrent en Allemagne les troubles de 1848. Son rôle personnel commença dès l’année suivante. Appelé au ministère d’état et à celui des affaires étrangères le 24 février 1849, il se trouva bientôt en face de la révolution, de l’émeute. Le roi de Prusse avait refusé, le 3 avril, la nouvelle constitution votée à Francfort et la couronne impériale, et il s’agissait de repousser à Dresde comme à Berlin toutes les prétentions révolutionnaires. Il faut entendre M. de Beust lui-même et son ami dévoué M. de Weber, aujourd’hui directeur habile et libéral des archives saxonnes, raconter les péripéties des journées du 3 au 9 mai 1849. La situation du gouvernement était d’autant plus difficile qu’une bonne partie des troupes saxonnes se trouvait alors en Slesvig, et il fallut un secours prussien pour triompher de l’insurrection. M. de Beust paya de sa personne avec une grande énergie. Le calme une fois rétabli, le premier acte important de son administration supérieure fut la conclusion de l’alliance des trois rois (Prusse, Hanovre et Saxe), 26 mai 1849. Il s’agissait de donner par une telle alliance une impulsion unitaire aux affaires de la confédération germanique, le roi de Prusse étant placé à la tête d’un collège des princes, et un parlement composé de deux chambres, dont l’une populaire, procurant à la nation quelque part dans l’action législative ; mais M. de Beust avait entendu trouver dans la fameuse union restreinte l’occasion de réserver aux états secondaires la place et le rôle qui leur étaient dus. Le refus de la Bavière et les réclamations de l’Autriche lui ôtèrent de ce côté toute espérance, et il se retira, ainsi que le ministère hanovrien, d’une ligue qui eût profité uniquement à la Prusse. Dans le même temps, il formait une autre ligue avec la Bavière et le Wurtemberg, cette fois de concert avec l’Autriche, pour tenter un nouvel effort en vue d’une réforme de la constitution fédérale qui assurât leur place aux états secondaires. On se rappelle les conférences de Dresde du 23 décembre 1850 au 15 mai 1851 ; elles échouèrent complètement, comme on sait, devant la restauration pure et simple de l’ancienne diète de Francfort. M. de Beust avait, il faut le dire, donné lui-même un pareil exemple de résistance à l’esprit novateur en rétablissant à Dresde, le 15 juillet 1850, le parlement saxon absolument dans la forme qu’il avait à la veille des mouvemens de 1848.

La réforme légale de la constitution fédérale en dehors des voies révolutionnaires et en sauvegardant les droits des petits états, telle est donc la mission que s’est donnée M. de Beust. Le principal trait du plan nouveau qu’il a conçu est incontestablement cette incessante réclamation. Il essaie particulièrement ici de la faire reconnaître en proposant l’institution d’un directoire chargé, en dehors de la diète fédérale, de tout le pouvoir exécutif, et composé de trois membres, qui seraient l’empereur d’Autriche, le roi de Prusse et un des souverains secondaires nommé par les états secondaires de l’Allemagne : importante innovation, si elle était adoptée, c’est-à-dire si le dualisme qui affaiblit en ce moment l’Allemagne consentait à abdiquer en acceptant un tel partage du pouvoir ! Comme il divise la répartition du pouvoir exécutif, M. de Beust divise aussi, dans le même intérêt, la présidence de la diète germanique ; il propose que l’Autriche ne l’exerce plus qu’à de certains intervalles et à son tour : grave sacrifice à obtenir de la part de cette puissance, à qui, en 1815, ce privilège avait été réservé comme un héritage et un reste de l’ancienne dignité impériale ! — Le second trait principal du projet de réforme présenté par M. de Beust est l’adjonction à la diète germanique renouvelée d’une chambre composée de députés choisis dans les parlemens des divers états de l’Allemagne et élus par ces mêmes parlemens. Jusqu’à ce jour en effet, on a reproché avec raison à la diète de Francfort de ne réunir que les plénipotentiaires des princes et par conséquent de ne pas représenter véritablement la nation. La chambre nouvelle imaginée par M. de Beust comblerait cette lacune et réparerait cette injustice ; elle aurait pour résultat aussi d’établir un contact plus intime et plus fréquent entre les différens membres de l’association fédérale ; elle créerait ce contact particulièrement pour ce qui concerne les peuples, comme l’ancienne diète, conservée avec la même composition par M. de Beust, le créait pour les princes. — M. de Beust s’efforce enfin de parer aux divisions intérieures par l’institution d’un tribunal fédéral chargé de vicier les dissentimens, sans qu’il soit nécessaire que la diète elle-même en soit saisie, comme il s’efforce de procurer à l’Allemagne une plus forte initiative au dehors par la création de son directoire exécutif.

M. de Beust est un esprit d’une rare finesse ; a-t-il pensé que son projet serait accepté des autres états de l’Allemagne et l’a-t-il jugé lui-même aisément réalisable ? Quant au premier point, nous ne saurions douter qu’il ne connût à l’avance ou ne prévît les oppositions qu’il devait rencontrer plus tard, et quant au second, il est permis d’éprouver quelque incertitude quand on lit avec attention le Mémoire et le Supplément qu’il a publiés à la suite de son Projet pour en expliquer et développer les intentions principales. Dans un passage du Supplément, il est vrai, le ministre saxon paraît s’applaudir du jeu que donneraient ses combinaisons nouvelles aux différens ressorts de la constitution fédérale, aujourd’hui si difficiles à mouvoir. « Reportons-nous par le souvenir, dit-il, vers les complications funestes en présence desquelles on se trouvait pendant le printemps de 1859. Aujourd’hui encore les vues peuvent diverger sur l’interprétation des faits qui s’accomplirent alors, mais on peut admettre cependant qu’un aveu sincère de tous à ce sujet ne produirait plus de dîssentimens essentiels. Or personne n’hésitera sérieusement sur ce point qu’une diète réunie le 1er mai 1859, selon nos propositions actuelles, n’aurait pu se séparer sans prendre une résolution définitive, et que cette résolution (si on veut bien se rappeler la disposition générale des esprits à cette époque) aurait été exprimée formellement par suite du vote d’une assemblée de délégués convoqués simultanément. L’Allemagne unie n’aurait pas abandonné une des grandes puissances allemandes, et aurait volontiers consenti à se soumettre au commandement de l’autre. » Voilà qui est clair sans aucun doute, et qui marque une confiance réelle de l’auteur dans l’expédient qu’il propose. Cependant il ajoute : « On fera probablement à nos propositions concernant la représentation destinée à siéger auprès de la diète le reproche de quelque incertitude et d’un manque de précision… » Et plus loin : « Tout ceci n’a d’autre but que de fournir un point de départ… Ces propositions appellent la critique. Elles ne trouveront pas toutefois leur entière réfutation dans la critique seule, mais uniquement dans l’offre d’une solution meilleure reconnue exécutable. » Ces deux derniers passages dont l’un nous autorise, de par l’auteur lui-même, à signaler dans son projet certaines obscurités, dont l’autre demande et provoque une catégorique réponse, donnent à penser. S’il faut tout dire, les propositions de M. de Beust nous paraissent avoir eu pour but principal, présentées directement à la Prusse, de forcer cette puissance à s’expliquer, et elles y ont réussi : mais l’accueil qu’elles ont rencontré auprès des différens gouvernemens de l’Allemagne a été des plus froids. Le Hanovre a tout simplement refusé de s’y adjoindre, la Bavière a répondu par un complet silence. — Quant aux deux grandes puissances allemandes, chacune d’elles a trahi de nouveau, en répondant à M. de Beust, sa constante ambition, et a fourni de la sorte quelques nouveaux traits au tableau du désordre et de la confusion dans lesquels toute l’Allemagne est plongée.

Après quelques mots de compliment sur un plan de réforme « si ingénieux et combiné avec une si rare intelligence des tendances et des désirs si divergens des états confédérés, » la Prusse[6] mentionne l’embarras que suscitera toujours à une réforme complète la présence dans l’union commune de puissances ayant d’importantes possessions en dehors de l’Allemagne. Elle proclame ensuite impraticables tous projets calculés sur un état fédératif comprenant la confédération actuelle dans toute son étendue ; mais il n’en serait pas de même, pense-t-elle, d’un état fédératif embrassant une partie seulement de cette confédération. Voilà le grand mot prononcé ; c’est le synonyme de l’ancienne union restreinte. La Prusse allait-elle toutefois aussi loin que le National Verein dans la voie de l’exclusion pour l’Autriche ? Elle s’en explique, mais de manière qu’il soit difficile de bien saisir le plan qu’elle imagine. « M. de Beust, dit-elle, émet cet avis, que la réunion d’une partie des confédérés dans une union restreinte aurait pour résultat nécessaire la séparation d’une des grandes puissances de la confédération, parce que l’union au second degré, c’est-à-dire celle que l’Allemagne, comme état fédératif, conclurait avec l’Autriche, deviendrait, à l’entendre, un simple traité particulier, dont la durée et l’exécution dépendraient de circonstances variables. Nous cherchons en vain une justification sérieuse de cette opinion. L’application du droit fédératif aux unions restreintes pour une partie des confédérés, telles que les reconnaît l’article 11 de l’acte fédéral, n’accorderait pas pour cela aux puissances restées en dehors d’une telle union le droit de sortir de la confédération commune, et la garantie de l’existence de l’union au second degré n’en serait point altérée. Elle resterait au contraire ce qu’elle est aujourd’hui et serait plutôt fortifiée par une amélioration de la constitution générale, tandis que l’organisation actuelle si défectueuse doit éveiller des doutes sur la force de résistance que posséderait la confédération en des circonstances graves. »

Quel est cet article 11 du pacte fédéral que la Prusse invoque ? Si nous nous reportons aux textes, nous voyons que l’article 11 de l’acte du 8 juin 1815 se compose de quatre paragraphes ; le troisième seul peut être celui que la dépêche prussienne a en vue : « Les membres de la confédération, tout en se réservant le droit de former des alliances, s’obligent cependant à ne contracter aucun engagement qui serait dirigé contre la sûreté de la confédération ou des états individuels qui la composent. » Voilà de quels termes la Prusse conclut qu’il lui est permis de former dans la confédération générale une confédération particulière pouvant se développer et prendre le caractère d’un état fédératif, où les attributs les plus essentiels de la souveraineté seraient transférés à un pouvoir central, où notamment le commandement permanent de l’armée et la prérogative de la représentation diplomatique à l’extérieur seraient placés dans une seule main ! Cette ingénieuse combinaison ne modifierait en rien, assure-t-elle, les garanties existantes pour la stabilité de la confédération elle-même, n’attribuant nullement aux gouvernemens restés en dehors de l’union restreinte le droit de sécession. Pourvu qu’on respectât la signification du lien légal qui unit tous les Allemands, et qui n’est autre que celle d’un traité international, tout serait sauf, d’une part l’honneur et l’indépendance de chaque état (la Prusse ne peut oublier que la principale base de la constitution germanique a été la souveraineté également sauvegardée pour chaque état), et d’autre part la sécurité, l’union, la paix morale de l’Allemagne, ainsi que ses espérances d’un développement salutaire du pacte fédéral. Il a été trop facile de répondre à la Prusse, comme l’ont fait au commencement de février les notes identiques rédigées par l’Autriche et quelques autres gouvernemens allemands, que le traité qui subordonnerait un état de l’Allemagne à un certain pouvoir central fédératif ou seulement à la direction diplomatique ou militaire d’un autre état allemand ne serait pas une alliance véritable, mais un traité de sujétion, et que la dissolution du lien fédéral serait tôt ou tard la conséquence inévitable d’une pareille innovation. On voit que nous avions raison de dire qu’un résultat important des démarches de M. de Beust avait été de forcer la Prusse à s’expliquer nettement. L’explication a retenti dans toute l’Allemagne, et ce retentissement a suffi pour susciter à la Prusse mille obstacles.

L’Autriche aussi a répondu à M. de Beust, et, comme la Prusse, elle a montré à découvert des prétentions qui outre-passent de beaucoup la sphère de légitime développement de la constitution et du droit fédéral. Le mémoire explicatif accompagnant les instructions données par le comte de Rechberg au baron de Werther proteste d’abord, comme on devait s’y attendre, contre la proposition faite à l’Autriche de renoncer à la présidence constante de la diète en vue d’un alternat avec la Prusse. « Le privilège honorifique de la présidence a été réservé à la cour impériale dans l’intérêt général de l’Allemagne, et parce que le lien naturel reconstitué par l’acte fédéral après de graves déchiremens ne devait pas rester privé entièrement de toute forme unitaire. Si le sacrifice de ce privilège pouvait jamais être consenti par l’Autriche, ce ne serait qu’au prix d’avantages réels procurés par une réforme de la constitution à la cause de la patrie commune, et les plans de M. de Beust ne paraissent pas de nature à offrir de pareils avantages. » Après cette réserve préliminaire viennent des récriminations et une requête qui forment l’essence même du mémoire. « La confédération n’est jamais devenue vis-à-vis de l’étranger, dit M. de Rechberg, une confédération complète et sincère. Les traités fédératifs laissent subsister la possibilité qu’une partie de la nation allemande combatte contre l’étranger pendant que le reste n’est que spectateur égoïste, et malheureusement les sentimens politiques du peuple et des gouvernemens n’ont pas été assez unanimes dans les complications de notre temps pour remplacer de fait ce qui manque sous ce rapport dans les lois fédérales. Tant que cette situation durera, les réformes apportées à l’organisation extérieure de la confédération seront peu fructueuses. Une œuvre utile et vraiment salutaire pour l’Allemagne ne sera accomplie que lorsque des réformes de ce genre coïncideront avec la consolidation politique de la diète, c’est-à-dire avec la garantie ferme et donnée par tous les étais de la confédération des possessions non allemandes de l’Autriche et de la Prusse. L’Autriche a proposé, depuis douze ans, cette garantie sous toutes les formes… » Voilà le remède, suivant l’Autriche, à tous les maux. Est-il possible d’en imaginer un plus illogique et plus inexécutable ? Ce qui légitime aux yeux de l’Europe et aux yeux des Allemands eux-mêmes la confédération germanique, c’est la communauté du sang. Peut-on croire qu’elle résisterait deux jours à la dissolution, n’était ce lien naturel qui est sa raison d’être ? Voici cependant qu’on veut lui inoculer, par une augmentation de vingt-cinq millions d’âmes, un sang étranger, le sang d’une race différente et depuis des siècles ennemie ! L’esprit germanique transplanté a en lui-même, cela est vrai, une énergie qui le fait résister et durer au milieu des influences étrangères ; mais on ne voit pas qu’il ait jamais été habile à subjuguer et à s’assimiler d’autres peuples. Ce seraient donc des élémens tout à fait disparates qu’on voudrait associer dans une apparente, mais fausse unité : ce serait le désordre moral et l’anarchie politique. L’Autriche peut-elle croire d’ailleurs que l’Europe laisserait s’accomplir un tel dessein ? A-t-elle donc perdu le souvenir du memorandum français en date du 5 mars 1851 et celui de la note anglaise de lord Cowley, plus explicite et plus vive encore ? Tous les articles qui composent l’acte du 8 juin 1815 dépendent directement ou indirectement de l’acte général de Vienne et en font partie intégrante, de telle sorte qu’il ne peut être apporté d’altération à aucune de ses clauses sans le concours de tous les gouvernemens qui ont signé ce dernier acte le 9 juin 1815. La confédération germanique est le résultat d’un traité européen, et forme un élément de l’organisation générale de l’Europe réglée et fixée par ce traité. On ne peut donc, de quelque part qu’en vienne l’initiative, apporter aucun » changement essentiel au caractère national et à l’étendue du territoire de cette confédération sans le consentement et le concours formel de toutes les puissances signataires du traité général de Vienne. Elles sont au nombre de huit : Autriche, Espagne, France, Grande-Bretagne, Portugal, Prusse, Russie et Suède. Il est vrai qu’en 1848 la diète de Francfort a, sans un tel consentement, fait entrer dans la confédération quelques provinces prussiennes qui y avaient été jusqu’alors étrangères : la Prusse orientale et occidentale et la Poznanie, en tout trois millions d’âmes ; mais la Prusse elle-même, craignant d’autoriser par un tel exemple un accroissement bien plus considérable de sa rivale, a proposé bientôt après à la diète de faire sortir de la confédération ces provinces, introduites en 1848. D’ailleurs, l’Europe n’ayant pas sanctionné la première décision, elle est restée vis-à-vis du droit public européen comme non avenue ; pour plus d’une raison, comme on voit, l’Autriche ne saurait s’en prévaloir.


Telle est l’anarchie dont souffre en ce moment l’Allemagne. D’un côté se manifeste une tendance excessive vers l’unité, puis vers l’envahissement et la conquête. C’est du camp des unitaires que sortent par intervalles des cris de guerre, c’est là qu’on rêve de donner à la flotte allemande la rade de Kiel, objet de tant de vœux, et d’annexer le Slesvig-Holstein ; c’est là aussi qu’on s’entretient dans la pensée d’une campagne au-delà du Rhin et qu’on redemande naïvement l’Alsace et la Lorraine. Une des deux grandes puissances allemandes s’est laissé séduire aux utopies de ce parti ambitieux ; elle peut juger aujourd’hui des alarmes et des résistances qu’elle a suscitées dans le sein de la confédération. De l’autre côté, le sentiment d’indépendance qui anime chacun des nombreux états réunis par le lien fédéral s’est réveillé devant le danger qui le menaçait, et une ligue s’est formée pour s’opposer à celle qui s’est donné le titre de nationale et pour maintenir les droits issus de la constitution. Si l’Autriche s’est laissée aller, au milieu de cette lutte, à exprimer, elle aussi, une espérance excessive dont elle ne peut certainement attendre la réalisation facile ni prochaine, c’est un nouveau témoignage de cette tendance des Allemands à se précipiter dans l’idéal, tandis que les démonstrations de M. de Beust resteront et produiront leur effet comme témoignage du particularisme germanique.

Il n’est pas toujours facile de conclure avec les Allemands ; cependant il est permis de penser d’abord que l’agitation présente, suscitée ou réveillée par l’épisode de 1859, n’aura pas immédiatement de suites considérables et n’amènera pas d’éclat prochain, parce que l’esprit germanique sait rester en suspens entre les excès, qu’il corrige l’un par l’autre. Secondement on ne saurait se refuser, il est vrai, à reconnaître certains progrès de l’unité nationale en Allemagne. Déjà 1815 avait transformé l’ancien empire allemand, qui avait compté jusqu’à dix-sept ou dix-huit cents souverainetés particulières, dont environ 270 représentées dans la diète, en une confédération de quarante et un états. Depuis 1815, six de ces états ont disparu : Saxe-Gotha, partagé en 1825 entre les autres Saxes ; Anhalt-Coethen, réuni en 1847 avec Anhalt-Dessau ; deux des principautés de Reuss (Lobenstein et Ebersdorf), éteintes par la mort des possesseurs en 1824 et 1848 ; enfin les deux principautés de Hohenzollern, aliénées en 1849 en faveur de la Prusse en échange d’une indemnité pécuniaire et de l’admission dans la famille royale. La confédération germanique ne compte donc plus aujourd’hui que quatre villes libres (il y en avait cinquante et une au commencement du siècle), et trente et une maisons princières, dont trois s’éteignent en ce moment : Anhalt-Bernbourg, Brunswick[7] et Hesse-Hombourg. De plus l’unité des institutions a fait dans les vingt dernières années des progrès notables ; les constitutions promises ont été accordées et se sont multipliées : il dépendra de l’issue définitive de l’affaire de la Hesse de témoigner si ce mouvement uniforme doit sur quelque point encore être convaincu d’impuissance. En revanche l’union douanière, qui comprend maintenant toute l’Allemagne, excepté les états autrichiens, le Limbourg, le Holstein, le Mecklenbourg et les trois villes hanséatiques, est un énergique moyen de rapprochement, que fortifie encore la facilité des communications. Ajoutez les conventions monétaires, l’unité des poids et mesures, etc. ; on ne saurait contester à de telles réformes pratiques l’avantage d’établir entre les peuples allemands des liens étroits, tout en laissant subsister leur individualité propre. Une fois la bienveillance mutuelle et le calme rétablis entre eux, pourquoi faudrait-il désespérer de voir la constitution fédérale s’améliorer elle-même sous l’influence de quelques réformes partielles, venant consolider l’organe commun de la confédération et donnant à celle-ci plus de liberté de mouvement et plus d’initiative ?

L’Allemagne ne doit pas espérer, ce semble, de devenir jamais un état agressif. Elle a été placée au centre du continent européen, dans un poste tout défensif, pour servir de boulevard contre la pression du slavisme et de ferme attache à la civilisation moderne en présence d’une race étrangère. Son noble instinct de particularisme est la profonde racine par laquelle lui tiennent si fortement au cœur et le sentiment de la dignité humaine, et l’amour de la liberté civile, et la simplicité des mœurs. Une centralisation trop servilement conforme à certaines tendances de l’esprit moderne ne risquerait-elle pas de lui dessécher cette racine et ces fleurs ? Quel charme, on l’a remarqué bien souvent, de trouver encore aujourd’hui au-delà du Rhin, entre Berlin et Munich, entre Hambourg et Vienne, ces multiples étapes de la vie allemande : Dresde, groupée autour de son admirable musée et tout attentive aux arts ; Iéna, Goettingue, Weimar, Bonn, Heidelberg, avec leurs universités ou leurs traditions littéraires ! Quels aimables foyers de la vie morale et intellectuelle, où ne trône pas exclusivement la richesse, mais qui protègent encore la vie modeste et la simplicité ! L’activité éparse, mais intense, qu’entretiennent ces petites capitales serait-elle heureusement remplacée par la régularité froide d’une centralisation officielle, qui substituerait en bien des cas l’action de l’état aux forces individuelles ? Il est permis d’espérer que, dans la crise actuelle comme dans plus d’une occasion précédente, l’individualisme, qui est après tout le fond principal du caractère allemand, fera contre-poids à ces ambitions idéalistes que le génie de l’Allemagne enfante si volontiers et auxquelles il se laisse trop souvent séduire. On comprend que la Prusse caresse avec complaisance l’idée d’une domination centralisée sur toute l’Allemagne ; on comprend que l’Autriche accueille facilement aussi l’idée d’une association qui lui garantirait, pense-t-elle, une domination non incontestée ; mais de part et d’autre ce sont des rêves, de part et d’autre un excessif idéalisme s’agitant dans les régions de l’impraticable. En présence de cette anarchie, les principaux états secondaires, qui représentent si fidèlement par certains côtés le véritable esprit germanique, ont un grand rôle tout tracé. On ne peut s’empêcher de suivre avec une sympathique attention leur conduite, et de souhaiter qu’ils rappellent les deux grands états à la modération, qu’une fois la mutuelle bienveillance rétablie, ils fassent accepter des projets de réformes sur la base toujours solide de la confédération actuelle, avec un lien assez ferme et assez flexible à la fois pour retenir ensemble l’Allemagne du nord protestante et l’Allemagne du midi catholique, en laissant à chacune sa vie propre et son originalité. Du reste, un progrès uniforme des libertés constitutionnelles doit précéder en Allemagne et faciliter cette œuvre, toute de conciliation et de délicate mesure, et c’est ici que la Prusse est appelée à donner l’exemple. Elle a, plus qu’aucune autre puissance allemande, conscience de l’esprit moderne, qui l’anime ; il faut que la constitution fédérale, partiellement réformée, laisse toute liberté à son progrès, et fasse de ce progrès même une protection et un motif d’espérance, au lieu d’un danger, pour l’Allemagne entière.


A. GEFFROY.

  1. Par une exagération du principe de la souveraineté, tous les états ont été réputés égaux, Lichtenstein et Autriche, Prusse et Brome, Bavière et Hombourg. La mauvaise distribution du droit de voter dans la diète, basée à tort sur ce principe, a souvent empêché le libre et énergique développement de la confédération, en permettant aux vues particulières des petits états de faire échec par un contre-poids légal aux projets utiles des grands états. Dans la plupart des affaires importantes, lorsqu’il s’agit par exemple de développer, régulièrement les lois fondamentales de la confédération et de réaliser des réformes d’un intérêt général, les résolutions de la diète ne se prennent qu’à l’unanimité des voix dans le plenum de l’assemblée fédérale, où chaque état, même le plus petit, compte au moins une voix. On sait pourtant quelle disproportion il y a eu ; dès l’origine entre les différens membres de l’union. À calculer d’après la matricule fédérale dressée en 1819 pour l’assiette des impôts, chacun des deux grands états, Autriche et Prusse, forme à lui seul presque un tiers de l’ensemble. Autriche, Prusse, Bavière, Saxe, Hanovre, Wurtemberg et Bade, qui forment réunis plus des cinq sixièmes, n’ont que 7 voix dans le conseil restreint et n’en ont que 27 sur 66 dans le plenum, tandis que le groupe des petits états en a 10 dans le premier cas et 39 dans le second.
  2. Le volume du docteur Klüpfel sur l’histoire de leurs tentatives commence à Charlemagne, et le professeur Kaltenborn, qui se propose d’exposer cette même histoire seulement pour la première partie du XIXe siècle, en remplit deux gros volumes. — Die deutschen Einheitsbestrebungen in ihrem geschichtlichen Zuzammenhange (Les Efforts de l’Allemagne vers l’unité dans leur corrélation historique), von Dr Karl Klüpfel ; Leipzig 1853. — Histoire des rapports fédéraux de l’Allemagne et de ses efforts vers l’unité, de 1806 à 1856, en tenant compte du développement des constitutions particulières (Geschichte der deutschen Bundesverhältnisse und Einheitsbestrebungen von 1806 bis 1856 unter Berücksichtigung der Entwickelung der Landesverfassungen), von Carl von Kaltenborn, professor ; 2 volumes, Berlin 1857.
  3. Est-il besoin de renvoyer le lecteur aux études de M. Saint-René Taillandier, qui ont fait connaître dans la Revue les épisodes auxquels nous faisons allusion (1er juillet et 1er août 1856) ? Avec les excellens travaux de M. Hippolyte Desprez dans les premiers volumes de l’Annuaire des Deux Mondes, et de M. Forcade (Revue du 1er décembre 1854). ce sont les meilleures sources à consulter en dehors de l’innombrable série des documens allemands.
  4. Voyez le texte du traité, avec une carte et de curieux commentaires, dans la brochure sans nom d’auteur : la Prusse sur la mer du Nord, question du jour. Oldenbourg, 1854 (en allemand).
  5. Ces chiffres, qui diffèrent de ceux de l’Almanach de Gotha, ont été donnés récemment par le journal allemand le Publiciste, et répétés par l’auteur de l’écrit que nous avons cité : la Flotte allemande, rêve de la Prusse, etc. — La flottille prussienne compte en ce moment 32 bâtimens de guerre achevés et 8 en construction. Dana ce nombre, il n’y a que 2 frégates, de quarante-cinq canons chacune, la Gefion et la Téthys. La première a été prise sur les Danois à la journée d’Eckernfürde ; la seconde a été échangée contre les deux vapeurs en fer la Salamandre et le Nix pendant la guerre de Grimée par les Anglais, qui manquaient de petits bâtimens. Ces frégates sont à voiles, et par conséquent, malgré leurs qualités et leur élégance, elles ne répondent qu’imparfaitement aujourd’hui à leur but tout militaire. Il y a encore 4 corvettes, dont une en construction, 1 brick (on en a perdu un dans les eaux de la Mer du Sud), 2 transports et 3 avisos à vapeur, 19 chaloupes canonnières, chacune avec trois bouches à feu, 4 pareilles en construction, 40 yoles à rames, et plusieurs marine-boardings.
  6. Dépêche de M. le comte de Bernstorf à M. de Savigny, à Dresde, 20 décembre 1861. — Les propositions de M. de Beust, son Mémoire et son Supplément (Denkschrift et Nachtrag), portent les dates du 15 octobre, du 20 et du 30 novembre.
  7. Sur les droits éventuels de la Prusse et sur ceux du Hanovre, plus réels, à cette importante succession, voyez un Mémoire important de M. Otto Bohlmann, Berlin 1861 (Denkschrift über die prioritätischen Ansprüche Preussens). On comprend de quelle importance serait une telle acquisition pour la Prusse, qui verrait par là se relier ses possessions orientales et rhénanes.