L’Apprenti sorcier (trad. Amiel)

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L’Apprenti sorcier (trad. Amiel)
Traduction par Henri-Frédéric Amiel.
Les ÉtrangèresSandoz et Fischbacher, éditeurs (p. 59-63).




XIV



L’APPRENTI SORCIER






Enfin la maison il quitte
Le malin, le vieux sorcier !
Evoquons les esprits vite !
Car nous sommes du métier.
J’ai vu la finesse,
Faisons donc ici,
Le jour qu’il nous laisse,
Un prodige aussi.
Kourils prestes,
Mes bidets,
Farfadets,
Lutins lestes,

Apportez, à baquet plein,
L’eau qu’il faut pour faire un bain.

Allons, vieux balai, bon drille,
Depuis si longtemps valet,
Revêts-moi cette guenille,
Car l’uniforme me plaît.
Sur deux pieds en course,
Avec cruche au bras,
Va vite à la source
Puis tu reviendras.
Servant preste,
Mon bidet,
Farfadet,
Esprit leste,
Qu’on m’apporte à baquet plein,
L’eau qu’il faut pour faire un bain.

Comme il court à la fontaine !
Le revoici, cruche en main ;
Il repart sans perdre haleine,
Il rapporte le seau plein.
La course est si prompte,
Si prompts les retours,

Que l’eau monte, monte,
Monte au bain toujours.
Halte ! arrête !
De tes dons
Nous avons
Pleine fête.
Ciel ! je ne sais plus le mot
Qui suspend l’œuvre aussitôt.

Comment ramener à l’ordre
Des fadets le plus fervent ?
Je voudrais le cou lui tordre !
Redeviens balai, servant !
Et, le flot à l’onde
S’ajoutant sans fin,
La maison s’inonde,
Déluge est le bain.
Vois mon signe,
Brute ! oison !
Trahison !
C’est indigne !
Mais je tremble ; quel regard
Lance le servant hagard !


Veux-tu noyer nos baraques,
Vermine de Lucifer ?
Tortillard qui m’estomaques,
Finis-tu ce jeu d’enfer ?
Pilier qui chemine,
Vilain avorton,
Pilier de cuisine
Redeviens bâton !
Qu’on te joigne
Seulement,
Garnement,
Qu’on t’empoigne !
D’un coup de hache, je veux
Gredin, te couper en deux !

Ah ! le voilà qui m’échappe
Et verse encor un baquet,
Mais cette fois je l’attrape,
Cobold, voici ton paquet !
Crac ! la perche dure
Est en deux morceaux,
Et je me rassure.....
Espoir vain et faux !

Ô misère !
Le second
Suit d’un bond
Son confrère,
Au lieu d’un, j’ai deux servants,
Au secours, dieux tout-puissants !

Tout est perdu sans remède.
Le novice est aux abois :
« O maître et seigneur, à l’aide !
« Accours, vole, entends ma voix. »
Il vient : « Maître, maître,
« Pardonne. Je sus
« Les faire apparaître,
« Je n’en sais pas plus. »
— « Dans ton antre,
« Sans délai,
« Vil balai,
« Rentre, rentre !
« C’est moi qui suis le sorcier.
« Petit, laisse mon métier. »


De l’allemand
Gœthe.