L’Art d’avoir toujours raison/La base de toute dialectique

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Dialectique éristique ou L’Art d’avoir toujours raison (1830 ?)
(p. 20-22).
La base de toute dialectique

Avant tout, il nous faut considérer l’essence de tout débat : ce qu’il s’y déroule réellement.

Notre adversaire a posé une thèse (ou bien nous même en avons formulé une, cela revient au même). Pour la réfuter, il existe deux modes et deux moyens.

  1. Les modes sont :
    1. ad rem ;
    2. ad hominem ou ex concessis, c.-à-d. montrer que la thèse ne s’accorde pas avec la nature des choses, la vérité objective absolue, ou du moins qu’elle est inconsistante avec d’autres thèses de l’adversaire, c.-à-d. avec la vérité relative et subjective.

Ce dernier mode ne produit qu’une conviction relative et ne fait aucune différence avec la vérité objective.

  1. Les moyens sont :
    1. réfutation directe ;
    2. réfutation indirecte.

La directe attaque la thèse sur ses raisons, l’indirecte sur ses conséquences : la directe montre qu’une thèse n’est pas vraie, l’indirecte qu’elle ne peut pas être vraie.

  1. Par le moyen direct, nous pouvons agir de deux façons. Soit en exposant que les raisons de la thèse sont fausses (nego majorem, minorem), soit en admettant les raisons ou prémisses mais en démontrant que la thèse ne découle pas d’eux (nego consequentiam), c’est-à-dire attaquer la conclusion et sa forme.
  2. Par la réfutation indirecte, nous faisons usage soit de diversion, soit d’instance.
    1. La diversion : nous acceptons la thèse adverse comme vraie et nous exposons ce qui en découle à partir d’une autre proposition considérée comme vraie pour aboutir à une conclusion manifestement fausse, soit parce qu’elle contredit la nature des choses[1], soit parce qu’elle contredit d’autres déclarations de l’adversaire ad rem ou ad hominem (Socrate, Hippias majeur et autres). Implicitement, la thèse adverse doit donc être fausse car de deux prémisses vraies on ne peut aboutir qu’à une conclusion vraie tandis que deux prémisses fausses ne donnent pas forcément une conclusion fausse.
    2. L’instance, ενστατις, exemplum in contrarium : il s’agit de réfuter la thèse générale en se référent directement aux cas particuliers inclus mais auxquels ils ne semblent pas avoir de rapport, ce qui donne l’impression de discréditer la thèse elle-même.

Telle est la structure basique, le squelette de tout débat, car tout débat repose dessus. Mais la controverse peut se baser là-dessus ou seulement en donner l’impression et peut utiliser de véritables arguments comme de faux. C’est parce qu’il n’est pas aisé de discerner la vérité que les débats sont si longs et obstinés. Nous ne pouvons pas non plus séparer la vérité apparente de la véritable vérité car mêmes les débatteurs eux-mêmes n’en sont pas certain. Je vais donc décrire les différents stratagèmes sans m’occuper du vrai ou du faux puisque la distinction ne peut être faite et que personne ne connaît la vérité objective et absolue. En outre, dans tout débat ou dispute sur n’importe quel sujet, il nous faut être d’accord sur quelque chose, et en principe, chacun doit bien vouloir porter un jugement sur ce dont il est question : contra negantem principia non est disputandum.

  1. Si elle est en contradiction directe avec une vérité indubitable, nous aurons alors mené notre adversaire ad absurdum.