L’Avancement des officiers

La bibliothèque libre.
XXX
La Revue de Paristome 2, Mars-Avril (p. 361-372).



L’AVANCEMENT DES OFFICIERS



On a beaucoup écrit et beaucoup discuté sur l’avancement des officiers. On n’écrit pas moins, et on discute tout autant, sans arriver à s’entendre plus que par le passé. Au moment où la question, sortant du domaine académique, va venir devant le Parlement, on nous permettra d’essayer à notre tour de l’élucider. Si elle est aussi controversée, c’est peut-être qu’avant de discuter on n’a pas pris soin de s’entendre sur le point de départ, et qu’au lieu de poser un principe, sur lequel tout le monde est d’accord, et d’en déduire les conséquences logiques, on a abordé l’examen du problème par ses données accessoires. Il fallait entrer par la grand’porte : on a pris l’escalier de service.

L’avancement a exclusivement pour but d’assurer le recrutement des cadres au mieux, c’est-à-dire au moyen d’éléments présentant les garanties d’aptitude nécessaire : il ne peut en aucune façon être destiné à récompenser les services rendus.

Voilà le principe : il ne sera contesté par personne.

Les services rendus ne peuvent ouvrir de droits à l’avancement qu’autant qu’ils ont mis en évidence l’aptitude du candidat au grade supérieur. Quand on achète un cheval, ce n’est pas pour les courses qu’il a gagnées, mais pour celles qu’il gagnera. Ainsi ni l’ancienneté de service, ni un fait de guerre simplement heureux, ni une invention utile, ni le fait d’avoir pris part à une campagne pénible ne constituent par eux-mêmes, et indépendamment de l’aptitude, des titres suffisants à l’avancement.

Encore moins l’avancement est-il une manière d’assiette au beurre dont il s’agit de répartir le contenu, d’après un pourcentage savant, entre les différentes catégories d’officiers : tant pour l’École de guerre, tant pour Saint-Cyr ou Polytechnique, tant pour le rang, tant pour ceux-ci, tant pour ceux-là. La question est plus haute. Quand on a à choisir les dépositaires de la lourde charge du commandement, — plus lourde de jour en jour, à mesure que la guerre se fait de plus en plus scientifique, — et à confier par là-même à un homme un certain nombre d’autres vies humaines qu’il saura économiser ou qu’il gaspillera en pure perte, suivant qu’il sera habile ou non, il s’agit franchement d’autre chose que de satisfaire des ambitions, voire des appétits.

Je n’apprendrai rien à personne en disant qu’actuellement, chez nous, l’avancement se donne soit au choix, soit à l’ancienneté : d’abord exclusivement à l’ancienneté pour passer du grade de sous-lieutenant à celui de lieutenant ; puis partie au choix et partie à l’ancienneté, jusqu’au grade de chef de bataillon ou d’escadrons inclus ; enfin, uniquement au choix, pour les grades supérieurs.

Nous avons dit que l’ancienneté ne saurait constituer à elle seule un droit à l’avancement si le candidat ne présente par ailleurs les qualités jugées nécessaires à l’exercice du grade supérieur. Or en fait, chez nous, apte ou non, un officier passe au grade supérieur quand son rang sur l’Annuaire l’y appelle. C’est une garantie insuffisante. Est-ce à dire que je méconnaisse les droits de l’ancienneté et que je veuille voir donner tout l’avancement au choix ? Rien n’est plus loin de ma pensée. L’avancement au choix se justifiait chez nous — lorsqu’il a été institué par la valeur très inégale des éléments qui entraient alors dans la composition du corps d’officiers. Le choix était, jusqu’à un certain point, nécessaire pour fournir des officiers supérieurs et des généraux suffisamment jeunes, puisque, personne n’étant exclu de l’avancement à l’ancienneté, la masse des officiers arrivait tard.

Actuellement tous les officiers, quelle que soit leur origine, ont une valeur comparable. Ceux qui sortent des écoles de sous-officiers (Saint-Maixent, Saumur ou Versailles) sont ceux qui ont échoué aux examens de Saint-Cyr ou de Polytechnique, ou qui se sont avisés trop tard de leur vocation militaire ; mais tous — avec des degrés s’entend — ont le même fond de connaissances générales. D’ailleurs, les méthodes de guerre actuelles exigeant de la part des officiers une instruction étendue, imposent par là-même, à l’entrée aux écoles de sous-officiers, des examens d’instruction générale tels que ceux-là seuls peuvent les subir avec succès qui ont derrière eux des études sérieuses. L’histoire du conscrit en sabots devenant général en chef est aujourd’hui du domaine de la légende : elle n’en sortira plus. Je ne parle pas des dispositions nouvelles et non encore appliquées, qui réservent un certain nombre de places de sous-lieutenants aux adjudants ayant plus de dix ans de services. La situation matérielle du sous-officier rengagé, avec la retraite acquise à quinze ans de services au lieu de trente, et la certitude d’avoir un emploi civil dont les émoluments peuvent se cumuler avec la pension de retraite, — ce qui n’existe pas pour les officiers — est tellement, supérieure à la situation de l’officier que ces adjudants ne veulent pas du cadeau qu’on a prétendu leur faire. C’est parmi eux à qui ne sera pas proposé. On est obligé de les désigner au tour de corvée.

Ainsi l’avancement au choix a cessé de se justifier par la différence de valeur. D’autre part, au point de vue moral, tel qu’il est pratiqué chez nous, tout au moins depuis qu’en 1872 on a supprimé l’avancement par régiment qui excluait jusqu’à un certain point l’arbitraire, il présente des inconvénients extrêmement sérieux et de nature à faire grandement réfléchir.

On a dit tout le mal possible des Commissions de classement. Ce n’étaient cependant ni les lumières, ni la bonne volonté qui leur manquaient ; mais pourquoi leur demandait-on l’impossible ? Comment voulait-on en bonne conscience qu’une commission de classement pût, en connaissance de cause, déterminer le mérite relatif des candidats avec assez de précision pour décider que M. A… devait être classé juste trois rangs avant M. B… que M. X… était apte à passer cette année et que M. Z… ne le serait que l’année suivante ? C’est pourtant ce que nous demandions aux commissions de classement. Dès lors, quoi d’étonnant à ce que nous nous soyons trouvés quelquefois en présence de résultats déconcertants ? C’est le contraire qui eût été surprenant. Il n’en est pas moins vrai que ces résultats se sont produits, et si on ajoute à cela le manque de suite dans les méthodes de classement et dans la manière d’apprécier, qui provient du renouvellement inévitable des commissions et beaucoup plus encore des innombrables Décrets et Instructions sur la matière qui se sont succédé en se contredisant, on comprendra le désarroi qu’une semblable façon de procéder doit à la longue apporter dans les idées, les mécontentements qu’elle provoque, les défiances qu’elle fait naître, et, en fin de compte, la démoralisation qu’elle prépare.

Que dire après cela de l’avancement au choix régi par la volonté d’un seul : et aboutissant — à peu près forcément — à l’invraisemblable chaos des dernières années ? Avec les Commissions, un candidat était sûr de n’être pas un inconnu pour l’un tout au moins des officiers généraux appelés à l’apprécier. Actuellement, à part quelques rares individualités personnellement connues de l’arbitre suprême, les candidats ne peuvent plus être jugés que sur pièces. La comparaison de leurs titres, déjà très difficile avec les commissions de classement, devient absolument illusoire. Il n’y a plus de place que pour le hasard, en mettant tout au mieux — quand ce ne sont pas les recommandations ou les influences qui décident. Franchement, est-ce un progrès par rapport aux commissions de classement ? Le désarroi, le mécontentement, la défiance et la démoralisation seront-ils moindres ? Je ne veux pas insister sur les tristes incidents qui ont trop cruellement démontré, dans ces temps derniers, que ni la camaraderie, ni l’esprit de corps, ni l’esprit militaire n’ont gagné à la substitution du système actuel à l’ancien.

À vrai dire, ni l’un ni l’autre ne valent rien, et, en présence des inconvénients que j’ai signalés et qui sont inhérents à l’essence même de l’avancement au choix, — qu’il se manifeste par l’attribution d’un numéro d’ordre sur un tableau, ou par l’octroi d’une ou plusieurs majorations variables d’ancienneté sans règle fixe, ce qui revient exactement au même, — je préfère nettement l’avancement à l’ancienneté.

L’avancement à l’ancienneté a du moins l’avantage de laisser chacun à sa place, de ne pas bouleverser du jour au lendemain, sans raison apparente, les relations de commandement et de subordination, et d’assurer l’indépendance des caractères. Convenablement appliqué, c’est-à-dire tempéré par l’exclusion des éléments inaptes, il permet, comme je le prouverai tout à l’heure avec chiffres à l’appui, de recruter dans des conditions d’âge absolument satisfaisantes les officiers supérieurs et les officiers généraux. Il n’y a donc pour nous qu’un seul système d’avancement logique et applicable : c’est l’avancement à l’ancienneté, après constatation préalable de l’aptitude, autrement dit l’avancement à l’ancienneté par sélection.

On me dira que la sélection est une autre forme du choix, et que, par conséquent, si le choix est déclaré impraticable, la sélection ne le sera pas moins. À cela je répondrai que, s’il est impossible d’apprécier avec une précision suffisante le mérite relatif des candidats pour leur attribuer, en toute justice, un numéro sur un tableau de choix, il est par contre facile, ou tout au moins possible, de juger s’ils sont aptes ou non au grade supérieur (question de valeur absolue), ce qui est tout différent. Une vue exceptionnelle est nécessaire pour différencier entre elles vingt nuances de bleu voisines ; une vue ordinaire suffit pour distinguer le bleu du rouge.

Le principe posé, passons à l’application. Nous voudrions que, chaque année, les officiers qui entrent dans le premier tiers de la liste d’ancienneté de leur grade fussent jugés par la commission de classement compétente, les commissions étant constituées comme elles l’étaient autrefois pour l’établissement des tableaux de choix. La commission ne classerait pas les officiers, mais déciderait simplement s’ils sont ou non capables d’exercer les fonctions du grade supérieur. Les officiers déclarés aptes seraient seuls admis à passer au grade supérieur : ils y seraient promus à leur tour d’ancienneté. Les jugements de la commission seraient sans appel et définitifs. Aucun officier ne pourrait être discuté deux fois : le premier jugement fixerait le sort de tous, une fois pour toutes.

Il va sans dire que la constatation de l’aptitude des candidats ne donnerait lieu à aucun examen, ni écrit ni oral, et que les seuls éléments d’appréciation consisteraient dans les notes données à l’officier par les chefs hiérarchiques sous les ordres desquels il a exercé un commandement de son grade. Je dis à dessein : exercé un commandement de son grade, parce que l’aptitude au commandement est l’élément essentiel à considérer, et que cette aptitude ne se révèle que dans l’exercice même du commandement.

Nous voudrions donc que pour les officiers brevetés, ainsi que pour les officiers des états-majors de l’artillerie et du génie, et généralement pour tous les officiers détachés dans un service quelconque, l’aptitude ne pût être constatée que pendant une période suffisamment prolongée de service régimentaire. Il ne serait pas établi de tableau d’aptitude distinct pour le service d’état-major, puisque les officiers brevetés ne seraient inspectés au point de vue de l’aptitude au grade supérieur que pendant leur séjour dans la troupe. Toutefois, comme les officiers brevetés présentent indiscutablement, de par leurs études antérieures, des garanties de savoir, qui, si elles se trouvent réunies aux autres qualités, doivent, dans l’intérêt de l’armée, leur ouvrir plus vite l’accès des grades élevés, il serait accordé à tous les officiers brevetés une majoration d’ancienneté dans chaque grade, à partir du grade de capitaine inclus, jusqu’à celui de général de brigade inclus.

Les tableaux d’aptitude seraient publiés tous les ans au 31 décembre, dans la même forme que les tableaux d’avancement actuels. Les officiers inscrits sur les tableaux d’aptitude, qui, à la suite de faits de guerre, seraient l’objet d’une proposition motivée de la part du commandant en chef de l’armée ou du corps expéditionnaire, pourraient être promus hors tour à la première place vacante. On ne nous reprochera pas de ne pas faire la part assez large à ceux qui paient de leur personne, puisque c’est à eux seuls que nous réservons l’avancement hors tour.

Les candidats jugés inaptes seraient mis d’office à la retraite s’ils avaient trente ans de service. Les autres seraient, suivant leurs préférences et leurs aptitudes, affectés avec le grade supérieur à l’un des services suivants : comptables des corps de troupes ; remontes ; officiers d’administration des services d’état-major, de l’artillerie, du génie, ou des bureaux de l’intendance, recrutement, parquet des conseils de guerre, gendarmerie, pour y parfaire leurs trente années de service, à l’expiration desquelles ils seraient à leur tour mis à la retraite, à moins qu’ils ne préfèrent l’attendre en restant, avec leur grade, dans leur arme. Les services que je viens d’énumérer, constamment ouverts à l’entrée, seraient rigoureusement fermés à la sortie, de telle sorte qu’un officier qui y aurait été une fois admis ne pourrait plus rentrer dans la troupe. Ils comporteraient une hiérarchie propre, permettant d’assurer à leurs membres une situation équivalente à celle qu’ils auraient eue dans les emplois civils.

Voilà le système dans sa forme essentielle, j’allais dire brutale. Je ne me dissimule pas qu’il ne saurait être mis en pratique tel quel, sans que la formule voile ce que le principe a de cruel et de contraire à nos habitudes de camaraderie, parce que ceux-là même qui seraient chargés de l’appliquer, hésiteraient à arrêter la carrière de braves officiers, et laisseraient leur bon cœur influencer leur jugement. Si, au point de vue de l’intérêt général, c’est de leur part un tort, il n’en est pas moins vrai que leur scrupule procède d’un sentiment trop généreux et est trop à la louange des dépositaires du commandement pour que — tout en le regrettant — nous ayons le courage de les en blâmer trop haut. On propose volontiers quelqu’un pour ceci ou pour cela ; on se déciderait difficilement à le marquer pour le sacrifice.

Partant de là, nous voudrions que l’application eût lieu dans la forme suivante : chaque année, à l’issue des grandes manœuvres, les chefs de corps, après avoir établi un état de propositions pour l’avancement dans la troupe (notre liste d’aptitude de tout à l’heure), établiraient parallèlement des états de propositions similaires pour les différents services à pourvoir. Exemple : un colonel de cavalerie établirait pour les lieutenants de son régiment entrés depuis douze mois dans le premier tiers de la liste d’ancienneté de leur grade :

1o Un état de proposition pour capitaine d’escadron ;

2o Un état de proposition pour capitaine-comptable ;

3o Un état de proposition pour capitaine dans les remontes ;

4o Un état de proposition pour officier d’administration de 1ère classe du service d’état-major (il faudrait dire capitaine-archiviste d’état-major) et ainsi de suite.

Tout officier ayant trente ans de service serait mis d’office à la retraite. Ce serait la règle générale. Ceux-là seuls seraient maintenus en activité après trente ans de service, qui, sur la proposition de leurs chefs directs, auraient été jugés dignes de cette faveur par la commission de classement. Le travail des commissions de classement consisterait donc à établir :

1o La liste des officiers à maintenir en activité, bien qu’ayant atteint trente ans de service ;

2o Le tableau d’avancement des officiers jugés susceptibles d’exercer le commandement de la troupe dans le grade immédiatement supérieur (autrement dit le tableau d’aptitude) ;

3o Le tableau d’avancement des officiers proposés pour passer avec le grade immédiatement supérieur dans les différents services énumérés précédemment.

Cette manière de procéder nous donnerait exactement le même résultat que celle que nous exposions tout d’abord. Au fond, c’est absolument le même système, mais présenté sous une forme plus aisément assimilable, si j’ose dire. Ce n’est qu’une question de nuances ; mais en pareille matière les nuances sont beaucoup, sinon tout.

Le système est simple et ne présente pas les inconvénients reprochés à juste titre au système du choix, qui se formule par le Ôte-toi de là que je m’y mette de la lutte pour la vie. Il me reste à prouver qu’il n’amènera pas à vieillir les cadres supérieurs, comme on pourrait le craindre au premier abord, et que, par suite, il ne compromettra pas le recrutement des officiers généraux. Comme il faut se borner, je prendrai pour base de cette discussion l’arme de la cavalerie, puisque — de l’aveu de tous — c’est celle où il importe le plus que les têtes de colonne soient jeunes. La même étude entreprise sur les autres armes donnerait d’ailleurs des résultats analogues.

Actuellement tous les lieutenants de cavalerie passent capitaines. Ceux qui sont promus à l’ancienneté (soit les 2/3) mettent environ 13 ans à passer. Ceux qui sont promus au choix (l’autre 1/3), gagnant, qui, plus qui moins sur leurs camarades, passent en moyenne à 11 ans et demi de grade. S’il n’y avait pas de choix, l’ancienneté des officiers promus s’abaisserait à la durée moyenne d’écoulement des trois files représentant les trois tours (13 x 2 + 11,5) : 3 = 12,5 ou 12 ans et 6 mois. Si, de plus, on admet que ceux-là seuls doivent être promus capitaines qui sont réellement aptes à tous les points de vue à commander un escadron, on peut évaluer à 1/10 environ la proportion des lieutenants à exclure de l’avancement. Par suite, les 9/10 seulement des lieutenants arrivant au grade de capitaine, ceux qui y parviendraient ne mettraient plus, toutes choses égales d’ailleurs, que les 9/10 du temps qu’ils mettent actuellement et que nous avons évalué à la moyenne de 12 ans 5, soit (12,5 X 9): 10 = 11,25 autrement dit 11 ans et 3 mois.

Passons aux capitaines. Actuellement les 5/6 environ sont promus au grade supérieur, le 1/6 restant disparait par retraite, décès, etc. Si nous admettons qu’il faille, pour être nommé officier supérieur, posséder un nombre suffisant d’idées générales et être capable de commander éventuellement un régiment (c’est le rôle de presque tous les chefs d’escadrons dans le régiment mobilisé), nous en conclurons que la moitié seulement des capitaines actuels seraient admis à l’avancement. Dans le système proposé, une première élimination ayant fait disparaître 1/10 des officiers avant le grade de capitaine, la proportion à éliminer lors du passage au grade de chef d’escadrons se trouverait réduite d’autant, c’est-à-dire que nous n’aurions plus à éliminer que 1,2 — 1/10 = 8/20 des capitaines et qu’il en passerait 12/20.

Les capitaines mettent en ce moment — étant donné que les 5/6 d’entre eux sont promus — 14 ans à passer à l’ancienneté (moitié des places) et 10 ans 4 mois en moyenne au choix (l’autre moitié), ce qui, en raisonnant comme tout à l’heure, nous amène à conclure que si les capitaines actuellement étaient tous promus à l’ancienneté, le temps passé dans ce grade s’abaisserait pour eux à ( 14 + 10,33): 2 = 12,16 ou 12 ans et 2 mois. Mais si nous ne laissons plus passer que les 12/20 au lieu des 5/6, la durée d’écoulement se trouve réduite à 12,16 x 12/20 : 5/6 = 8,75 ou 8 ans et 9 mois.

En définitive, dans le système proposé, tous les officiers qui n’auraient pas été exclus de l’avancement mettraient pour parvenir au grade de chef d’escadrons :

Pour passer de sous-lieutenant à lieutenant 
 2 ans.
Pour passer de lieutenant à capitaine 
 11 ans et 3 mois.
Pour passer de capitaine à chef d’escadrons 
 8 ans et 9 mois.
 

En tout 
 22 ans.


C’est le temps que met actuellement la moyenne des officiers ayant obtenu les deux derniers grades au choix. Les capitaines brevetés, gagnant deux ans sur leurs camarades pour passer au grade de chef d’escadrons, arriveraient à ce dernier grade en 20 ans, égalant ainsi les officiers les plus favorisés par le système actuel. Enfin, ce temps pourrait encore être réduit pour les officiers promus hors tour à la suite de faits de guerre.

On remarquera que, dans ce qui précède, je n’ai pas fait état de l’abaissement de l’ancienneté des lieutenants devant résulter du renouvellement plus rapide des capitaines, parce qu’il serait en partie compensé par l’attribution exclusive des places de capitaines-comptables aux officiers exclus de l’avancement. D’après ce que nous venons de dire, on voit que les officiers parviendraient respectivement au grade de chef d’escadrons aux âges ci-après :

Non brevetés Brevetés
Officiers sortant
de Saint-Cyr
Sous-
lieutenants
à 20 ans
à 21 ans
à 22 ans
42 ans

43 ans

44 ans
40 ans

41 ans

43 ans
Officier provenant
des élèves-
officiers de Saumur,
sous-lieutenants........
à 23 ans (minimum d’âge relevé
sur les
promotions des deux dernières années)

à 27 ans (moyenne d’âge
relevée sur les promotions
des deux dernières années).
45 ans




49 ans
43 ans




47 ans

C’est-à-dire que l’âge des officiers au moment de leur nomination au grade de chef d’escadrons serait très légèrement inférieur à ce qu’il est actuellement. Si on admet qu’à partir de ce dernier grade, l’avancement reste ce qu’il est actuellement, c’est-à-dire que les officiers restent 7 ans chefs d’escadrons, 4 ans lieutenants-colonels et 6 ans colonels (ce sont les moyennes actuelles), ce qui fait en tout 17 ans — dont il y aurait lieu de défalquer 6 ans pour les 2 années gagnées à chacun des trois échelons par les officiers brevetés, — les officiers brevetés sortant de Saint-Cyr arriveraient au grade de général de brigade entre 51 et 54 ans, les officiers brevetés sortant du rang y arriveraient à partir de 54 ans et, en moyenne, vers 58 ans, et un certain nombre d’officiers non brevetés y parviendraient à partir de 59 ans. Cette moyenne d’âge est certes moins élevée que la moyenne actuelle. Il est d’ailleurs permis de supposer que le fonctionnement du système de sélection, dont nous n’avons pas fait état dans le calcul qui précède pour les officiers supérieurs, la réduirait encore d’une manière appréciable. On me dira que le système proposé fait la part bien large aux officiers brevetés au détriment des officiers des corps de troupe, et que c’est un tort de ne pas donner les hauts commandements à ces derniers, beaucoup plus aptes que les officiers brevetés — ce sont mes contradicteurs qui parlent — au commandement de la troupe. À cela, je répondrai :

1o Que l’École de guerre et les examens pour le brevet d’état-major étant ouverts à tout le monde, tout le monde peut concourir pour l’obtention du brevet, et s’assurer, en cas de succès, les avantages qu’il confère ;

2o Qu’il est désirable que les hauts commandements ne soient donnés qu’à des officiers possédant une instruction suffisamment étendue pour être vraiment des officiers généraux, et exercer avec autorité les fonctions de leur grade, et qu’en cela, le résultat du système n’est pas pour nous effrayer ;

3o Enfin que l’aptitude au grade supérieur n’étant jamais constatée — dans notre système — que pendant les périodes de service régimentaire, c’est-à-dire dans l’exercice du commandement, tous les officiers brevetés qui, à leur savoir théorique, ne joindraient pas une aptitude réelle au commandement, se trouveraient par là même exclus de l’avancement : les hauts grades ne seraient jamais occupés par des savants en chambre.

Il est une autre objection des partisans du choix qui est assez spécieuse pour avoir séduit un certain nombre de bons esprits. L’avancement à l’ancienneté. dit-on, ne favorise pas l’émulation comme l’avancement au choix. Je ne fais aucune difficulté pour en convenir. Le tout est de savoir si cette émulation tant prônée est toujours féconde et ne se traduit pas le plus souvent par des inventions risquées, par des essais hasardés, par l’envie de faire, non pas mieux, mais autrement que le voisin, par le besoin de se singulariser plutôt que de se distinguer, par une réclame malsaine, par de petits syndicats d’admiration mutuelle se jalousant et se dénigrant les uns les autres : toutes choses à coup sûr plus dommageables à l’intérêt bien compris de l’armée que l’absence d’émulation. À cette agitation, qui enfante parfois des progrès, mais qui, le plus souvent, ne produit rien d’utile, nous préférons sans hésiter un système qui assure l’indépendance et la dignité des caractères. Est-ce mal entendre les intérêts supérieurs du pays ?

Qu’avaient-ils donc à espérer, ces hommes que, pendant quatre années, nous avons vus se dévouer sans faiblir à leur ingrat labeur ? Ils savaient cependant que le hasard seul décidait de leur avancement, quand il n’était pas à la merci des rancunes ou de l’intelligence d’un délateur anonyme ; et combien d’entre eux se sont vus ou rayés du tableau sans motif, ou invariablement sautés quand venait leur tour, comme si on avait pris à tâche de les dégoûter du métier ! Et pourtant leur zèle s’est-il jamais ralenti, les avons-nous vus mettre moins d’ardeur, moins d’entrain dans l’accomplissement de leur besogne quotidienne ? Leur a-t-il fallu, pour s’y donner de tout cœur, d’autres mobiles que le sentiment du devoir et de l’amour passionné de leur pays ? Qu’on ne vienne pas nous dire après cela que ceux-là seuls sont capables d’efforts et d’énergie que soutient l’ambition ! Nous savons, de reste, ceux qu’elle inspire ne sont pas toujours les serviteurs les plus utiles, et ce ne sont pas eux qui ont le plus de droits à notre estime.

Je n’ai pas la prétention d’avoir traité à fond la question. Il. me suffit d’avoir posé le principe et indiqué les grandes lignes. Si respectables soient-ils, les intérêts particuliers ne sauraient primer l’intérêt général. C’est parce qu’on ne veut pas se le dire, ou parce qu’on l’oublie chemin faisant, qu’on fait fausse route.