L’Encyclopédie/1re édition/ARCHITECTURE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 617-618).

ARCHITECTURE, subst. f. est en général l’art de bâtir.

On en distingue ordinairement de trois especes ; savoir, la civile qu’on appelle architecture tout court, la militaire, & la navale.

L’Ordre encyclopédique de chacune est différent. Voyez l’Arbre qui est à la suite du Discours préliminaire.

On entend par architecture civile, l’art de composer & de construire les bâtimens, pour la commodité & les différens usages de la vie, tels que sont les édifices sacrés, les palais des rois & les maisons des particuliers ; aussi-bien que les ponts, places publiques, théatres, arcs de triomphes, &c. On entend par architecture militaire, l’art de fortifier les places, en les garantissant par de solides constructions de l’insulte des ennemis, de l’effort de la bombe, du boulet, &c. & c’est ce genre de construction qu’on appelle Fortification. Voyez l’art. Fortification. On entend par architecture navale, celle qui a pour objet la construction des vaisseaux, des galeres, & généralement de tous les bâtimens flottans, aussi-bien que celle des ports, moles, jettées, corderies, magasins, &c. érigés sur le rivage de la mer, ou sur ses bords. Voyez l’art. de la Marine.

Pour parler de l’architecture civile qui est notre objet, nous dirons en général que son origine est aussi ancienne que le monde ; que la nécessité enseigna aux premiers hommes à se bâtir eux-mêmes des huttes, des tentes & des cabanes ; que par la suite des tems, se trouvant contraints de vendre & d’acheter, ils se réunirent ensemble, où vivant sous des lois communes, ils parvinrent à rendre leurs demeures plus régulieres.

Les anciens auteurs donnent aux Egyptiens l’avantage d’avoir élevé les premiers des bâtimens symmétriques & proportionnés ; ce qui fit, disent-ils, que Salomon eut recours à eux pour bâtir le temple de Jérusalem, quoique Vilapandre nous assûre qu’il ne fit venir de Tyr que les ouvriers en or, en argent & en cuivre, & que ce fut Dieu lui-même qui inspira à ce roi les préceptes de l’architecture (ce qui seroit, selon cet auteur, un trait bien honorable pour cet art.) Mais sans entrer dans cette discussion, nous regardons la Grece comme le berceau de la bonne architecture, soit que les regles des Egyptiens ne soient pas parvenues jusqu’à nous, soit que ce qui nous reste de leurs édifices ne nous montrant qu’une architecture solide & colossale (tels que ces fameuses pyramides qui ont triomphé du tems depuis tant de siecles) ne nous affecte pas comme les restes des monumens que nous avons de l’ancienne Grece. Ce qui nous porte à croire que nous sommes redevables aux Grecs des proportions de l’architecture, ce sont les trois ordres, dorique, ionique & corinthien, que nous tenons d’eux, les Romains ne nous ayant produit que les deux autres qui en sont une imitation assez imparfaite, quoique nous en fassions un usage utile dans nos bâtimens, exprimant parfaitement chacun à part le genre d’architecture rustique, solide, moyen, délicat & composé, connus sous le nom de toscan, dorique, ionique, corinthien, & composite, qui ensemble comprennent ce que l’architecture a de plus exquis ; puisque nous n’avons pû en France, malgré les occasions célebres que nous avons eues de bâtir depuis un siecle, composer d’ordres qui ayent pû approcher de ceux des Grecs & des Romains : je dis approcher ; car plusieurs habiles hommes l’ont tenté, tels que Bruant, le Brun, le Clerc, &c. sans être approuvés ni imités par leurs contemporains ni leurs successeurs ; ce qui nous montre assez combien l’architecture, ainsi que les autres Arts, ont leurs limites. Mais sans parler ici des ouvrages des Grecs, qui sont trop éloignés de nous, & dont plusieurs auteurs célebres ont donné des descriptions, passons à un tems moins reculé, & disons que l’architecture dans Rome parvint à son plus haut degré de perfection sous le regne d’Auguste ; qu’elle commença à être négligée sous celui de Tibere son successeur ; que Néron même, qui avoit une passion extraordinaire pour les Arts, malgré tous les vices dont il étoit possédé, ne se servit du goût qu’il avoit pour l’architecture, que pour étaler avec plus de prodigalité son luxe & sa vanité, & non sa magnificence. Trajan témoigna aussi beaucoup d’affection pour les Arts ; & malgré l’affoiblissement de l’architecture, ce fut sous son regne qu’Appollodore éleva cette fameuse colonne qui porte encore aujourd’hui dans Rome le nom de cet empereur. Ensuite Alexandre Severe soûtint encore par son amour pour les Arts, l’architecture : mais il ne put empêcher qu’elle ne fût entraînée dans la chûte de l’empire d’Occident, & qu’elle ne tombât dans un oubli dont elle ne put se relever de plusieurs siecles, pendant l’espace desquels les Visigots détruisirent les plus beaux monumens de l’antiquité, & où l’architecture se trouva réduite à une telle barbarie, que ceux qui la professoient négligerent entierement la justesse des proportions, la convenance & la correction du dessein, dans lesquels consiste tout le mérite de cet art.

De cet abus se forma une nouvelle maniere de bâtir que l’on nomma gothique, & qui a subsisté jusqu’à ce que Charlemagne entreprit de rétablir l’ancienne. Alors la France s’y appliqua avec quelque succès, encouragée par Hugues Capet, qui avoit aussi beaucoup de goût pour cette science : Robert son fils qui lui succéda, eut les mêmes inclinations ; de sorte que par degrés l’architecture, en changeant de face, donna dans un excès opposé en devenant trop légere, les Architectes de ces tems-là faisant consister les beautés de leur architecture dans une délicatesse & une profusion d’ornemens jusqu’alors inconnus ; excès dans lequel ils tomberent sans doute par opposition à la gothique qui les avoit précédés, ou par le goût qu’ils reçûrent des Arabes, & des Maures, qui apporterent ce genre en France des pays méridionaux : comme les Vandales & les Goths avoient apporté du pays du nord le goût pesant & gothique.

Ce n’est guere que dans les deux derniers siecles que les Architectes de France & d’Italie s’appliquerent à retrouver la premiere simplicité, la beauté, & la proportion de l’ancienne architecture ; aussi n’est-ce que depuis ce tems que nos édifices ont été exécutés à l’imitation & suivant les préceptes de l’architecture antique : nous remarquerons à cette occasion que l’architecture civile qui se distingue, eu égard à ces différentes époques, & à ses variations, en antique, ancienne, gothique, & moderne, peut encore se distinguer selon ses différentes proportions & ses usages, selon les différens caracteres des ordres dont nous avons parlé. V. Toscan, Dorique, Ionique, Corinthien & Composite.

Pour avoir des notions de l’architecture & des principes élémentaires concernant la matiere, la forme, la proportion, la situation, la distribution & la décoration, voyez la définition de ces différentes expressions, aussi-bien que celles des Arts qui dépendent de l’architecture, tels que la Sculpture, Peinture, Dorure, Maçonnerie, Charpenterie, Menuiserie, &c. Voyez ces articles.

De tous les Architectes Grecs qui ont écrit sur l’architecture, tels qu’Agatarque l’Athénien, Démocrite, Théophraste, &c. aucun de leurs traités n’est parvenu jusqu’à nous, non plus que ceux des auteurs Latins, tels que furent Fussitius, Terentius Varo, Publius Septimius, Epaproditus, &c. de sorte que Vitruve peut être regardé comme le seul Architecte ancien dont nous ayons des préceptes par écrit, quoique Vegece rapporte qu’il y avoit à Rome près de sept cens Architectes contemporains. Cet Architecte vivoit sous le regne d’Auguste, dont il étoit l’ingénieur, & composa dix Livres d’architecture, qu’il dédia à ce prince : mais le peu d’ordre, l’obscurité & le mêlange de Latin & de Grec qui se trouve répandu dans son ouvrage, a donné occasion à plusieurs Architectes, du nombre desquels sont Philander, Barbaro, &c. d’y ajoûter des notes : mais de toutes celles qui ont été faites sur cet auteur, celles de Perrault, homme de Lettres & savant Architecte, sont celles qui font le plus d’honneur aux commentateurs de Vitruve. Ceux qui ont écrit sur l’architecture depuis cet auteur sont, Léon-Baptiste Alberti, qui publia dix Livres d’architecture, à l’imitation de Vitruve, mais où la doctrine des ordres est peu exacte ; Sebastien Serlio en donna aussi un, & suivit de plus près les préceptes de Vitruve ; Palladio, Philibert de Lorme & Barrozzio de Vignole en donnerent aussi ; Daviler a fait des notes fort utiles sur ce dernier. On peut encore ranger au nombre des ouvrages célebres sur l’architecture, l’idée universelle de cet Art, par Vincent Scamozzi ; le parallele de l’ancienne architecture avec la moderne, par M. de Chambray ; le cours d’architecture de François Blondel, professeur & directeur de l’Académie royale d’architecture, qui peut être regardé comme une collection de tout ce que les meilleurs auteurs ont écrit sur les cinq ordres ; l’architecture de Goldman, qui a montré combien il étoit aisé d’arriver au degré de perfection dans l’art de bâtir, par le secours de certains instrumens dont il est l’inventeur ; celle de Wotton réduite en démonstration par Volfius, à qui nous avons l’obligation, ainsi qu’à François Blondel, d’avoir appliqué à l’architecture les démonstrations mathématiques.

Depuis les auteurs dont nous venons de parler, plusieurs de nos Architectes François ont aussi traité de l’architecture, tels que M. Perrault qui nous a donné les cinq ordres avec des additions sur Vitruve & des observations fort intéressantes ; le P. Dairan, qui nous a donné un excellent traité de la coupe des pierres, que la Rue, Architecte du Roi, a commenté, éclairci & rendu utile à la pratique ; M. Fraizier, qui a donné la Théorie de cet art, presque inconnue avant lui ; M. Boffrand, qui nous a donné ses Œuvres, dans lesquels cet habile homme a montré son érudition & son expérience dans l’art d’architecture ; M. Brizeux nous a aussi donné un traité de la distribution & de la décoration des maisons de campagne ; & Daviler, qui non-seulement a commenté Vignole, mais nous a donné un traité d’architecture fort estimé, augmenté par le Blond (qui a dessiné les planches de l’excellent traité du Jardinage de M. d’Argenville, dont il est parlé dans le Discours Préliminaire, p. xlij.) & depuis par Jacques-François Blondel, professeur d’architecture, dont nous avons aussi un Traité de la distribution & de la décoration des édifices ; sans oublier Bullet, le Muet, Bosse, &c. qui nous ont aussi donné quelques ouvrages sur l’architecture.

Le terme d’architecture reçoit encore plusieurs significations, selon la maniere dont on le met en usage, c’est-à-dire qu’on appelle architecture en perspective celle dont les parties sont de différentes proportions, & diminuées à raison de leurs distances pour en faire paroître l’ordonnance en général plus grande ou plus éloignée qu’elle ne l’est réellement, tel qu’on voit exécuté le fameux escalier du Vatican, bâti sous le pontificat d’Alexandre VII. sur les desseins du cavalier Bernin. On appelle architecture feinte celle qui a pour objet de représenter tous les plans, saillies & reliefs d’une architecture réelle par le seul secours du coloris, tels qu’on en voit dans quelques frontispices de l’Italie, & aux douze pavillons du château de Marly ; ou bien celle qui concerne les décorations des théatres ou des arcs de triomphe peintes sur toile ou sur bois, géométralement ou en perspective, à l’occasion des entrées ou fêtes publiques, ou bien pour les pompes funebres, feux d’artifice, &c. (P)