L’Encyclopédie/1re édition/HYDROMANTIE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 374-375).

HYDROMANTIE, s. f. l’acte ou l’art de prédire l’avenir par le moyen de l’eau. Voyez Divination. Ce mot est grec & composé d’ὕδωρ, eau, & μαντεία, divination.

L’Hydromantie est une des quatre especes générales de divination ; les trois autres ont chacune rapport à un des élémens, le feu, l’air, la terre ; & on les appelle Pyromancie, Aëromancie, Géomancie.

Varron dit que l’Hydromantie a été inventée par les Perses, & que Numa Pompilius & Pythagore s’en sont fort servis. Voyez Hydatoscopie.

Ceux qui ont écrit sur l’Optique, nous ont donné la description de plusieurs machines qui sont d’usage dans cette science.

Pour construire une machine hydromantique, par le moyen de laquelle on fera perdre une image ou un objet de vûe au spectateur, & on le lui fera appercevoir de nouveau sans changer la position de l’un ou de l’autre : prenez deux vaisseaux ABF, & CGMK (Pl. hydraul. fig. 31.), dont l’un soit plus haut que l’autre ; remplissez le premier d’eau, & soutenez le sur trois petits piliers, dont l’un doit être creux & muni d’un robinet B ; partagez le vaisseau le plus bas CM en deux parties par une cloison HI, & adaptez un robinet à celle d’en-bas pour pouvoir l’ouvrir & fermer à plaisir.

Placez un objet sur la cloison que le spectateur placé en O, ne pourra appercevoir par le rayon direct NL.

Si l’on ouvre le robinet B, l’eau descendant dans la cavité CI, le rayon NL s’éloignera de la perpendiculaire, & réfléchira vers O, & le spectateur appercevra l’objet par le rayon rompu NO. Si l’on ferme le robinet B, & que l’on ouvre celui qui est marqué par la lettre P, l’eau descendra dans la cavité la plus basse HI ; la réfraction cessera, & il ne viendra aucun rayon de l’objet à l’œil. Mais en fermant de nouveau le robinet P, & ouvrant l’autre B, la cavité se remplira de nouveau, & l’on appercevra l’objet comme auparavant. Voyez Réfraction.

Pour construire un vaisseau hydromantique qui représente les objets extérieurs comme s’ils nageoient dans l’eau, prenez un vase cylindrique ABCD (Pl. hydraul. fig. 32.) partagé en deux par un verre EF, qui ne soit pas exactement poli : appliquez au point G une lentille convexe des deux côtés, & inclinez en H un miroir plan de figure elliptique sous un angle de 45 degrés ; que IH & HG soient un peu moindres que la distance du foyer de la lentille G ; en sorte que l’image de l’objet puisse passer à travers dans la cavité du vaisseau supérieur ; noircissez la cavité intérieure, & remplissez celle de dessus d’eau bien claire.

Ces machines appartiennent à l’hydromantie considérée comme une branche de l’histoire naturelle ; mais, pour y revenir entant qu’elle est divination, nous ajoûtons après Delrio qu’il y a plusieurs especes d’hydromantie, dont voici les principales.

1°. Lorsqu’à la suite des invocations, & autres cérémonies magiques, on voyoit écrits sur l’eau les noms des personnes, ou des évenemens, qu’on désiroit de connoître, ordinairement ces noms se trouvoient écrits à rebours, au moins se rencontrerent-ils de la sorte dans l’évenement que cite Delrio, d’après Nicephore Choniate. Annal. lib. II.

2°. On s’y servoit d’un vase plein d’eau, & d’un anneau suspendu à un fil, avec lequel on frappoit un certain nombre de fois les côtés du vase.

3°. On jettoit successivement, mais à peu de tems l’une de l’autre, trois petites pierres, dans une eau tranquille & dormante, & des cercles que formoit la surface de cette eau, aussi-bien que de leur intersection, on tiroit des présages pour l’avenir.

4°. On examinoit avec soin les divers mouvemens & l’agitation des flots de la mer ; les Siciliens & les Eubéens étoient fort adonnés à cette superstition, & quelques chrétiens orientaux ont eu celle de baptiser tous les ans la mer, comme si c’étoit un être animé & raisonnable ; mais ce n’en est pas une que d’examiner l’état de la mer, pour en conjecturer si le calme durera, ou s’il n’arrivera pas de tempête. On ne doit pas non plus mettre au nombre des superstitions, comprises sous le titre d’hydromantie, la cérémonie que fait tous les ans le doge de Venise d’épouser la mer Adriatique.

5°. On tiroit aussi des présages de la couleur de l’eau, & des figures qu’on y voyoit, ou qu’on y croyoit voir représentées. C’est ainsi, selon Varron, qu’on apprit à Rome quelle seroit l’issue de la guerre contre Mithridate ; certaines rivieres ou fontaines passoient chez les anciens pour être plus propres que d’autres à ces opérations. Voyez Pégomancie.

6°. C’étoit encore par une espece d’hydromantie que les anciens Germains, quand ils avoient quelque soupçon sur la fidélité de leurs femmes, prétendoient s’en éclaircir : ils jettoient dans le Rhin les enfans dont elles étoient accouchées ; & s’ils surnageoient, ils les tenoient pour légitimes, & pour bâtards, s’ils alloient à fond ; c’est à quoi Claudius fait allusion dans ce vers,

Et quos nascentes explorat gurgite Rhenus.

Ne seroit-ce pas sur cet ancien usage, que dans le même pays on faisoit subir l’épreuve de l’eau froide à ceux qu’on accusoit d’être sorciers ? Voyez Epreuve.

7°. On remplissoit d’eau une tasse, ou un autre vase, & après avoir prononcé dessus certaines paroles, on examinoit si l’eau bouillonneroit, & se répandroit par-dessus les bords.

8°. On mettoit de l’eau dans un bassin de verre, ou de crystal, puis on y jettoit une goutte d’huile, & l’on s’imaginoit voir dans cette eau, comme dans un miroir, les choses dont on désiroit être instruit.

9°. Les femmes des anciens Germains pratiquoient encore une autre sorte d’hydromantie, en examinant les tours & détours, & le bruit que faisoient les eaux des fleuves dans les goufres ou tourbillons qu’ils formoient, pour prédire l’avenir. Clem. Alex. Strom. lib. I.

10°. Enfin, on peut rapporter à l’hydromantie une superstition qui a été en usage en Italie, & que Delrio assure qu’on pratiquoit encore de son tems. Lorsqu’on soupçonnoit quelques personnes d’un vol, on écrivoit les noms de trois de ces personnes sur autant de petits cailloux, qu’on jettoit dans l’eau, & il ajoute que quelques-uns se servoient pour cette opération d’eau-bénite ; mais il n’ajoute pas ce qu’on découvroit par ce moyen. Delrio, Disquisit. magic. lib. IV. quæst. vj. sect. 3. pag. 543 & 544.