L’Encyclopédie/1re édition/POLYGLOTTE

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POLYGLOTTE, s. f. en termes de Théologie & de Critique, signifie une bible imprimée en diverses langues. Voyez Bible. Il vient du grec πολὺ & γλῶττα, langue, langage. La premiere est celle du cardinal Ximenès, imprimée en 1515 à Alcala de Henare, & on l’appelle communément la bible de Complute.

Elle contient le texte hébreu, la paraphrase chaldaïque d’Onkelos sur le Pentateuque seulement, la version greque des septante, & l’ancienne version latine. Voyez Pentateuque, Paraphrase, &c.

Il n’y a point dans cette polyglotte d’autre version latine sur l’hébreu, que cette derniere ; mais on en a joint une littérale au grec des septante. Le texte grec du nouveau Testament y est imprimé sans accens, pour représenter plus exactement l’original des Apôtres, ou au moins les plus anciens exemplaires grecs où les accens ne sont point marqués. Voyez Accent.

On a ajouté à la fin un apparat des Grammairiens, des dictionnaires, & des indices ou tables. François Ximenès de Cineros, cardinal & archevêque de Tolede, qui est le principal auteur de ce grand ouvrage, marque dans une lettre écrite au pape Léon X. qu’il étoit à propos de donner l’Ecriture-sainte dans les originaux, parce qu’il n’y a aucune traduction, quelque parfaite qu’elle soit, qui les représente parfaitement.

La seconde polyglotte est celle de Philippe II. imprimée par Plantin à Anvers en 1572, par les soins d’Arias Montanus.

On y a ajoute outre ce qui étoit déja dans la Bible de Complute, les paraphrases chaldaïques sur le reste de l’Ecriture, outre le Pentateuque, avec l’interprétation latine de ces paraphrases. Il y a aussi dans cette polyglotte une version latine fort littérale du texte hébreu, pour l’utilité de ceux qui veulent apprendre la langue hébraïque.

Et à l’égard du nouveau Testament, outre le grec & le latin de la bible d’Alcala, on a mis dans cette édition l’ancienne version syriaque, en caracteres syriaques, & en caracteres hébreux, avec des points voyelles pour en faciliter la lecture à ceux qui étoient accoutumés à lire l’hébreu. On a aussi joint à cette version syriaque une interprétation latine composée par Guy le Fevre, qui étoit chargé de l’édition syriaque du nouveau Testament.

Enfin l’on trouve dans la Polyglotte d’Anvers un plus grand nombre de grammairiens & de dictionnaires, que dans celle de Complute, & l’on y a ajouté plusieurs petits traités qui ont été jugés nécessaires pour éclaircir les matieres les plus difficiles du texte.

La troisieme polyglotte est celle de M. le Jay, imprimée à Paris en 1645. Elle a cet avantage sur la bible royale de Philippe II. que les versions syriaque & arabe de l’ancien Testament y sont avec des interprétations latines. Elle contient de plus sur le Pentateuque le texte hébreu samaritain, & la version samaritaine en caracteres samaritains.

A l’égard du nouveau Testament, on a mis dans cette nouvelle polyglotte tout ce qui est dans celle d’Anvers ; & outre cela, on y a ajouté une traduction arabe avec une interprétation latine. Mais il y manque un apparat, & les grammaires & les dictionnaires qui sont dans les deux autres polyglottes, ce qui rend ce grand ouvrage imparfait.

La quatrieme polyglotte est celle d’Angleterre imprimée à Londres en 1657, que quelques-uns nomment la bible de Walton, parce que Walton, depuis évêque de Winchester, prit soin de la faire imprimer.

Elle n’est pas à la vérité si magnifique, tant pour la grandeur du papier, que pour la beauté des caracteres, que celle de M. le Jay, mais elle est plus ample & plus commode.

On y a mis la vulgate, selon l’édition revue & corrigée par Clement VIII. ce qu’on n’a pas fait dans celle de Paris, ou la vulgate est telle qu’elle étoit dans la bible d’Anvers avant la correction. Voyez Vulgate.

Elle contient de plus une version latine interlinéaire du texte hébreu ; au lieu que dans l’édition de Paris il n’y a point d’autre version latine sur l’hébreu que notre vulgate. Le grec des septante qui est dans la polyglotte d’Angleterre n’est pas celui de la bible de Complute, qu’on a gardé dans les éditions d’Anvers & de Paris, mais le texte grec de l’édition de Rome, auquel on a joint les diverses leçons d’un autre exemplaire grec fort ancien, appelle alexandrin, parce qu’il est venu d’Alexandrie. Voyez Septante.

La version latine du grec des septante est celle que Flaminius Nobilius a fait imprimer à Rome par l’autorité du pape Sixte V. Il y a de plus dans la polyglotte d’Angleterre quelques parties de la Bible en éthiopien & en persan, ce qui ne se trouve point dans celle de Paris. Enfin cette édition a cet avantage sur la bible de M. le Jay, qu’elle contient des discours préliminaires, qu’on nomme prolegomenes, sur le texte des originaux & sur les versions, avec un volume de diverses leçons de toutes ces différentes éditions.

On peut aussi mettre au nombre des polyglottes deux Pentateuques, que les Juifs de Constantinople ont fait imprimer en quatre langues, mais en caracteres hébreux.

On voit dans l’un de ces Pentateuques imprimé en 1551, le texte hébreu en gros caracteres, qui a d’un côté la paraphrase chaldaïque d’Onkelos en caracteres médiocres, & de l’autre côté une paraphrase en persan, composée par un Juif nommé Jacob avec le surnom de sa ville.

Outre ces trois colonnes, la paraphrase arabe de Saadias est imprimée au haut des pages en petits caracteres ; on y a de plus ajouté au bas des pages le commentaire de Rasch.

L’autre Pentateuque polyglotte a été imprimé à Constantinople en 1547, sur trois colonnes, comme le premier. Le texte hebreu de la loi est au milieu ; à un des côtés est une traduction en grec vulgaire, & à l’autre une version en langue espagnole. Ces deux versions sont en caracteres hebreux, avec les points voyelles qui fixent la prononciation. On a mis au haut des pages la paraphrase chaldaïque d’Onkelos, & au bas des mêmes pages le commentaire de Rasch.

On ajoutera pour septieme polyglotte le Psautier qu’Augustin Justinien, religieux dominicain & évêque de Nebio, a fait imprimer en quatre langues à Gènes en 1516. Ce pseautier contient l’hébreu, l’arabe, le grec & le chaldéen, avec les interprétations latines & des gloses. Voyez Pseautier.

Il y a plusieurs autres éditions de la Bible, soit entiere, soit par parties, qu’on pourroit appeller polyglottes. La bible de Gutter, imprimée à Hambourg, en hébreu, en chaldéen, en grec, en latin, en allemand, en saxon, en francois, en italien, en sclavon, en danois, doit être placée au rang des Bibles polyglottes.

Telles sont encore les Hexaples & les Octaples d’Origene. Voyez Hexaple & Octaples.

On a encore les Bibles polyglottes de Vatable en hébreu, grec & latin, & de Volder en hébreu, grec, latin & allemand. Celle de Polken, imprimée en 1546, en hébreu, en grec, en chaldéen, ou plutôt en éthiopien & en latin. Celle de Jean Draconits de Carlostad en Franconie, qui en 1565 donna les Pseaumes, les Proverbes de Solomon, les prophetes Michée & Joel en cinq langues ; en hébreu, en chaldéen, en grec, en latin & en allemand. Le pere le Long de l’oratoire, a traité avec soin des Polyglottes dans un vol. in-12 qu’il a publié sur ce sujet.

Polyglotte de Ximenès, (Littérat.) c’est ainsi qu’on appelle l’édition de la Bible procurée par les soins & aux dépens de François Ximenès, archevêque de Tolede, & premier ministre d’Espagne sous Isabelle & le roi Ferdinand. L’histoire de sa vie est intéressante parce qu’elle est sans cesse liée avec celle du royaume. Cet homme célebre naquit à Torrelaguna en 1437, & mourut en 1517 dans un bourg voisin de sa patrie nommé Bos-Eguillas, après avoir gouverné l’Espagne pendant vingt-deux ans. Voyez Torrelaguna, (Géog. mod.)

Dans l’épître adressée au pape Léon X. Ximenès marque les raisons qui l’avoient déterminé à cette entreprise ; c’est qu’il étoit à propos de donner l’Ecriture-sainte dans les originaux, parce qu’il n’y a aucune traduction de la Bible qui puisse représenter parfaitement ces mêmes originaux. Il ajoute qu’en outre il a cru devoir se conformer à l’autorité de S. Jérôme, de S. Augustin, & des autres Peres, qui ont pensé qu’il falloit avoir recours au texte hébreu pour les livres du vieux Testament, & au texte grec pour le nouveau.

Afin d’exécuter son dessein il prit les mesures les plus sages ; voici ce que son historien Gomez, que M. Flechier a suivi, nous en apprend. Il fit venir les plus habiles gens de ce tems-là ; Démétrius de Crete, grec de nation, Antoine de Nebrissa, Lopés de Stunica, Fernand Pincian, professeurs des langues grecque & latine ; Alfonse, médecin d’Alcala, Paul Coronél & Alfonse Zamora, savans dans les lettres hébraïques, qui avoient autrefois professé parmi les Juifs, & qui avoient depuis embrassé le Christianisme. Il leur exposa son projet, leur promit de fournir à toutes les dépenses, & leur assigna de bonnes pensions à chacun. Il les exhorta sur-tout à la diligence, de peur que lui ne vint à leur manquer, ou qu’eux ne lui manquassent. Il les excita si bien par ses discours & par ses bienfaits, que depuis ce jour-là, jusqu’à ce que l’ouvrage fut achevé, quinze ans après, ils ne cesserent de travailler. Il fit chercher de tous côtés des manuscrits de l’ancien Testament, sur lesquels on pût corriger les fautes des dernieres éditions, restituer les passages corrompus, & éclaircir ceux qui seroient obscurs ou douteux.

Le pape Léon X. lui communiqua tous les manuscrits de la bibliotheque du Vatican Il tira de divers pays sept exemplaires manuscrits, qui lui coûterent quatre mille écus d’or, sans compter les grecs qu’on lui envoya de Rome, & les latin, en lettres gothiques, qu’il fit venir des pays étrangers, & des principales bibliotheques d’Espagne, tous anciens de sept ou de huit cens ans ; en un mot, les pensions des savans, les gages des copistes, le prix des livres, les frais des voyages & de l’impression, lui coûterent plus de cinquante mille écus d’or.

Cette bible contient le texte hébreu, la paraphrase chaldaïque pour le Pentateuque seulement, la version grec que des septante, & la vulgate latine ; on a joint au grec des septante une version littérale faite en partie par d’habiles gens d’Alcala, formés sous Démétrius & Pincian, & en partie par Démétrius lui-même & par Lopés de Stunica. Pour le nouveau Testament, le texte grec bien correct, sans aucuns accens, & la vulgate. Il voulut qu’on ajoutât un volume d’explications des termes hébreux, & des façons de parler hébraiques.

Le nouveau Testament parut en 1514, le vocabulaire en 1515, & l’ancien Testament en 1517, peu de tems avant la mort de Ximenès. Voici le titre de l’ouvrage tel que nous le fournit le pere le Long : Biblia sacra, vetus Testamentum multiplici linguâ, nunc primò impressum. Et imprimis Pentateuchus hebraïco atque chaldaïco idiomate.

Adjuncta unicuique suâ latinâ interpretatione, IV. vol. in-fol. ad quorum calcem leguntur hæc verba :

Explicat quarta & ultima pars totius veteris Testamenti hebraïco, græcoque & latino idiomate nunc primùm impresso, in hâc præclarissimâ Complutensi universitate.

Demandato & sumptibus reverendissimi in Christo patris Domini, Domini Francisci Ximenii de Cimeros, tituli sanctæ Balbinæ, sacrosanctæ romanæ Ecclesiæ presbiteri cardinalis, & Hispaniorum primatis, & regnorum Castelli archicancellarii, archiepiscopi Toletani. Industriâ & solertia honorabilis viri Arnoldi-Gulielmi de Brocario, artis Impressoriæ magistri. Anno Domini millesimo quingentesimo decimo septimo, mensis Julii die decimo. Novum Testamentum græcè & latinè noviter impressum.

In fine voluminis reperiuntur hæc verba : Ad laudem & gloriam Dei & Domini Jesu-Christi sacrosanctum opus novi Testamenti & libri vitæ, græcis latinisque characteribus noviter impressum, atque studiosissime emendatum, felici fine absolutum est in hâc præclarissimâ Computensi universitate. De mandato & sumptibus, &c. Anno Domini millesimo quingentesimo decimo quarto, mensis Januarii die decimo.

Telle est l’histoire de la polyglotte de Ximenès, qui a été depuis effacée par d’autres polyglottes beaucoup plus belles, celles de Paris & de Londres. (Le Chevalier de Jaucourt.)