L’Histoire de Pologne

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POLOGNE.

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L’HISTOIRE DE POLOGNE.


La fraternité qui unit les deux peuples français et polonais, cimentée par vingt années d’une gloire commune, n’étonne plus personne aujourd’hui ; mais ce qui mérite d’être remarqué, c’est qu’elle fut précédée par des siècles d’une alliance, ou plutôt d’une sympathie qu’aucun événement n’a interrompue. Déjà, au 14e siècle, quand la dynastie des Piast s’éteignit, un petit neveu de Saint-Louis fut proclamé roi de Pologne[1] ; l’héroïque Hedwige d’Anjou commença l’illustre race des Jagellons, et plus tard, le premier choix libre des Polonais tomba encore sur un prince français, Henri de Valois. Il y avait, dans le trésor de Cracovie, une couronne distincte qui portait le nom de Couronne française, parce qu’elle n’avait servi qu’à ceindre la tête des princes de cette nation. La France, à son tour, chérit la mémoire de Stanislas, comme elle avait respecté sur le trône les vertus de Marie Leszczynska. Ce fut enfin à une même époque que les deux états se virent entraînés dans une révolution dont les principes furent à peu près semblables, mais qui offrit des résultats bien différens. La France, quoique vaincue à la longue, se montra encore assez redoutable pour faire respecter son indépendance. La Pologne, honteusement trahie et abandonnée, fut rayée de la liste des royaumes ; on se vengea sur elle des triomphes d’un peuple ami, et de l’enthousiasme qu’elle montrait pour sa cause. Après avoir préservé l’Europe de l’invasion des Tartares, après avoir porté plusieurs fois ses armes jusque dans Moscou, la Pologne n’est plus aujourd’hui qu’une dépendance, et comme une province de l’immense empire des Czars.

Il n’est pas étonnant qu’une nation, à la fois si fidèle et si malheureuse ait excité l’intérêt d’un écrivain français. M. de Salvandy a voulu surtout retracer à ses lecteurs l’une des époques les plus brillantes de la Pologne, la vie du grand roi Jean Sobieski. Aussi, pour apprécier le mérite de M. de Salvandy comme historien, il faut distinguer deux ouvrages séparés dans un seul : l’un, où il traite son sujet principal ; l’autre, où, pour compléter son travail, il retrace l’histoire même de la patrie de son héros. La vie de Sobieski nous a paru un monument digne de la plume de l’auteur ; on pourrait cependant lui reprocher trop d’admiration pour le prince, et trop peu de justice pour ses adversaires. L’abrégé de l’histoire de Pologne mérite un jugement plus sévère. Depuis les savantes recherches de Naruszewicz[2], d’Albetrandy, de Czacki, d’Ossolinski, de Lelevel, etc., la lumière a pénétré dans les parties les plus obscures de nos annales ; malheureusement ces importans ouvrages, publiés dans la langue du pays, semblent être restés inconnus à M. de Salvandy. Réduit à consulter les seuls auteurs qui ont fait usage de la langue latine, il n’a pu y puiser que des notions imparfaites et des documens très-incomplets. En retraçant rapidement Les principales phases de l’histoire de Pologne, nous essaierons de rectifier ici quelques-unes de ses erreurs.

Un de nos écrivains les plus estimés, Lelevel, divise cette histoire en quatre époques.

La première, qui s’étend depuis les premiers âges jusqu’en 1139, présente la Pologne conquérante. La Léchie (Grande-Pologne), la Chrobatie (Petite-Pologne), la Mazovie, la Prusse, la Silésie, la Russie, et beaucoup de peuplades, se réunissent dans une seule monarchie : la royauté despotique et absolue y est à peine limitée par quelques usages.

Depuis cette époque jusqu’en 1333, la Pologne partagée par la seule autorité de Boleslas (Bouche de travers) entre les fils de ce souverain, continue à être divisée en plusieurs duchés. Les petits princes cherchent à envahir les possessions de leurs frères ou parens ; obligés de recourir à l’appui de leurs sujets, ils les récompensent par de nombreux priviléges, et le pouvoir royal s’affaiblit successivement. Mais enfin, Wladislas-Lokietek (le Bref) réunit sous son sceptre presque toutes les anciennes principautés, force les autres à reconnaître sa souveraineté, et rend à la Pologne le titre de royaume qu’elle avait perdu.

Le fils de Lokietek, Casimir-le-Grand, commence l’ère de la Pologne florissante. Après ce dernier des Piast, mort sans postérité en 1372, la couronne devient élective ; cependant le suffrage du peuple conserve l’hérédité dans la maison des Jagellons, jusqu’au moment où cette illustre race s’éteignit. Institutions, commerce, agriculture et sciences, tout fleurit à cette époque jusqu’à la fin du seizième siècle. Quatre universités sont fondées ; une tolérance complète en matière de religion est consacrée par la loi ; des diètes régulières s’organisent ; une législation générale est promulguée ; et si les développemens de l’esprit de liberté ne permettent plus à la nation d’entreprendre des conquêtes, de vastes possessions augmentent son territoire par une soumission spontanée des peuples qui enviaient sa prospérité. Le statut de Wislitza (1347) ne reconnaissait point le servage ; tout habitant était libre ; les bourgeois et les paysans étaient citoyens. Que M. de Salvandy ne s’étonne pas que ce statut n’institue « que la peine d’une amende de plusieurs écus pour les nobles qui assassinaient des serfs. » Le même avantage fut assuré aux non-nobles ; car pour les serfs, il n’en existait pas à cette époque. Si le noble, selon ce statut, ne payait que dix marcs pour l’assassinat d’un cmeton (paysan), celui-ci n’en payait que quinze pour l’assassinat d’un noble, et cette amende montait tout au plus à soixante marcs, quand le rang de l’assassiné était très élevé. On sait que, pendant long-temps en Europe, l’assassinat fut puni par des amendes pécuniaires ; c’était une espèce de dédommagement que la loi accordait aux familles. L’esprit du siècle ne pouvait comporter plus de générosité pour les classes inférieures, que le statut de Wislitza. Mais par trop de respect pour les droits acquis, on y consacra les priviléges que les faibles descendans de Boleslas s’étaient laisser arracher. L’exemption des impôts et de plusieurs autres redevances publiques, la concession de différentes prérogatives, telles que celles d’exercer juridiction, de battre monnaie, etc., créèrent des castes dans la nation[3]. Plus tard, la classe agricole, habituée à ne servir qu’à pied dans les armées, et par conséquent inutile contre les rapides incursions des Tartares, négligea de partager les dangers de la guerre, et laissa ainsi aux cavaliers la faculté de former dans l’état un ordre séparé, qui ne tarda pas à envahir exclusivement tous les droits politiques, et finit même par contester à ses concitoyens jusqu’à l’égalité civile. Enfin, la diète de 1496 acheva l’assujétissement des non-nobles, en leur refusant le droit de devenir propriétaires. Cependant l’émancipation fut garantie à ceux qui s’appliqueraient aux sciences ; plusieurs prélatures doctorales leurs furent réservées, et les villes de Cracovie, Posen, Wilna, Léopol et Dantzig, représentant la bourgeoisie des cinq principales provinces de la Pologne, conservèrent leurs droits politiques, et purent assister aux élections des rois.

Ainsi la noblesse s’éleva au XVe siècle sur la ruine des droits du peuple : au XVIIe, les grands voulurent à leur tour abaisser la petite noblesse et constituer l’oligarchie ; mais ils rencontrèrent une résistance opiniâtre : de là cette turbulence anarchique, source des malheurs de la Pologne. Par une bizarrerie assez remarquable, le respect pour les temps héroïques de l’ancienne Rome influa singulièrement sur cet état des choses, et sur d’autres modifications qui s’introduisirent dans la législation politique. On s’attacha à créer un plebs de la classe roturière ; la petite noblesse devint une sorte de peuple (populus Romanus) ; elle forma la clientelle de la grande noblesse, des patriciens. Tout citoyen qui s’éleva à quelque dignité, à une prélature, fut novus homo ; on poussa l’assimilation jusqu’à inventer des prænomina, cognomina, nomina, agnomina et gentes. Bientôt les hetmanns (grands-généraux) demandèrent à remplacer les anciens dictateurs ; les juges prétendirent au droit de compléter la législation par leur jus honorarium ; les tribunaux et les diètes cherchèrent à s’appuyer, à la façon romaine, sur la force armée. Les diètes furent les comices, et leurs lois acquirent l’autorité des plébiscites, auxquels durent céder nécessairement les sénatus-consultes, comme décisions des patriciens. Chaque représentant du peuple devint tribun et s’adjugea le droit d’un veto absolu ; car c’est ainsi qu’on expliqua en 1562 la fameuse garantie royale de 1505 : nihil novi constitui debeat per nos et successores nostros, sine communi consiliariorum et nuntiorum terrestrium consensu. L’extinction de la race des Jagellons en 1572 consolida ces bizarres prétentions et les conditions présentées aux rois élus, sous le nom de pacta conventa, donnèrent à la noblesse l’occasion de les multiplier. Toutefois, depuis le règne de Casimir-le-Grand, la Pologne voyait croître sa puissance. Les lumières répandues sous les Sigismonds empêchaient l’anarchie des comices ; l’amour de la patrie qu’elles inspiraient, écartait toute discorde en présence de l’intérêt public ; enfin les mœurs douces des seigneurs, autre résultat des lumières, rendaient leur joug tolérable à la bourgeoisie et aux classes agricoles. Aussi c’est dans cette brillante époque, que l’empire grec, les couronnes de Bohême, de Hongrie et de Danemarck, l’empire d’Allemagne même, et le trône de Moscou, furent offerts à la famille des Jagellons. L’instruction pénétra jusque dans les dernières classes du peuple ; la langue polonaise acheva de se former, et presque tous les classiques anciens et modernes furent traduits. De Thou rappelle l’impression que produisirent sur la cour de France les Polonais venus à Paris pour offrir le trône à Henri iii. Le célèbre Muret, au XVIe siècle, comparant les nations alors réputées les plus polies et les plus savantes (les Italiens et les Polonais), se demande « Quelle est entre ces deux nations celle qui mérite qu’on la loue davantage, sous le rapport des sciences et des arts ? Sont-ce les Italiens, dont la centième partie à peine étudie le latin et le grec, et montre quelque goût pour les sciences et les arts ; ou les Polonais, dont un grand nombre connaît parfaitement les deux langues, et qui paraissent animés d’une telle ardeur pour les sciences, qu’ils y consacrent leur vie entière ? » Érasme, vers le même temps, écrivait à Sévérin Bonnar : « La Pologne est la patrie de tous ceux qui osent être savans. » À l’époque où vivait le célèbre Hollandais, quatre-vingt-trois villes de Pologne possédaient des imprimeries, et Cracovie seule en comptait quarante. Kromer[4], Orzechowski, Sarniçki Bielski, Paproçki, exploraient l’histoire nationale ; Rey, Zimorowicz, Szymonowicz et les frères Kochanowski brillèrent comme poètes ; Ocieski, Modrzewski, Warszewicki, Groiki, Herburt, se firent un nom dans les sciences politiques ; Brudzewski, Kopernik, Grzebski, Spiczynski, Siennik, Sendziwoy, s’illustrèrent dans les sciences exactes. C’est cette brillante époque que M. de Salvandy nomme barbare et qui lui paraît « sans intérêt comme sans résultat. » Il ne date l’histoire de Pologne que de l’avénement au trône de la maison de Wasa, c’est-à-dire du moment de la décadence de ce royaume.

L’affaiblissement des lumières date de la fin du XVIe siècle, au moment même où elles se répandaient dans le reste de l’Europe. Cet affaiblissement commença avec le règne de Sigismond-Wasa (1587) ; il ne fit que s’accroître sous ce prince fanatique et ignorant. L’introduction des jésuites[5] à sa cour fut comme le signal de la persécution dirigée d’abord contre les protestans, et qui s’étendit bientôt aux lettres elles-mêmes. Le règne de Sigismond-Wasa ouvre la quatrième période de l’histoire polonaise C’est l’époque de la décadence de la Pologne.

Durant soixante ans, c’est-à-dire, tant que la vieille génération des siècles des Jagellons respirait encore, l’état des sciences et l’éclat des armes ne laissèrent point apercevoir le délabrement du pays. Ce règne vit encore les travaux de sept cent onze écrivains[6], l’envahissement de Moscou, la prise de trois Czars, de Maximilien d’Autriche et du fils de Charles IX de Suède. Mais soixante-dix ans de guerres extérieures et de discordes religieuses effacèrent peu à peu l’ancienne splendeur de la Pologne. Les protestans furent bannis d’une contrée où, plus d’un siècle auparavant, Socin avait trouvé un asile contre l’Europe, et où Montluc, pour soutenir la candidature de Henri de Valois, avait été obligé de nier publiquement la participation de son maître à la Saint-Barthélemi. La Moscovie, jusqu’alors obscure, se rapprocha de nos frontières ; le duc de Prusse, notre vassal, s’émancipa, et les Turcs poursuivirent leurs conquêtes. En vain les victoires de Jean Sobieski (1674, 1696) jetèrent un vif éclat sur cette triste époque ; l’intolérance avait déjà consommé son œuvre. En 1775, il ne restait plus que quatre imprimeries dans tout le royaume. L’invasion étrangère vint ajouter à tant de maux. L’antique patriotisme et l’amour des lettres, se réveillèrent un moment sous le faible Poniatowski ; mais il était trop tard. Poniatowski vendit son royaume à Catherine après le lui avoir acheté ; l’Europe sait le reste.

Ainsi le règne de Jean Sobieski ne forme pas l’époque de la splendeur de la Pologne, comme le croit M. de Salvandy. Ce règne, au contraire, appartient à la période de sa décadence. Sans doute, en sauvant la chrétienté, Sobieski dut inspirer l’enthousiasme ; mais ce n’est pas seulement devant les murs de Vienne que la Pologne mérita bien de l’Europe entière. Depuis le treizième siècle, elle luttait sans relâche contre les Moscovites, les Tartares et les Turcs, et chaque victoire remportée sur ces barbares assurait le repos des autres peuples chrétiens. Jagellon, Tarnowski, Bathory, Zamoyski, et surtout ce Czarnieçki, « que rien ne pouvait ni fatiguer ni abattre, plus terrible que jamais lorsqu’il était vaincu, comme le taureau irrité par sa blessure, » tous ces guerriers célèbres ne le cédaient à Sobieski, ni en talens ni en vaillance. Telle était alors la puissance de nos armes, que l’Europe ne sentait pas même le danger qui la menaçait ; à peine savait-elle que nous combattions pour sa défense. « Depuis cinquante ans, écrivait Melanchton, la Pologne garde l’Allemagne et la Pannonie contre le voisinage de la sauvage Asie… Puissent la religion, les arts et les sciences, fleurir long-temps chez cette nation magnanime…[7] » L’admiration de M. de Salvandy pour son héros nous paraît donc poussée trop loin. Jean n’emporta pas en mourant les regrets de sa patrie, comme il excita ceux de l’Europe. Grand dans la guerre, il ne fut pas toujours grand dans la paix. En vain M. de Salvandy veut-il prouver qu’incapable d’ambition, Sobieski ne songeait d’abord qu’à frayer la route du trône au prince de Condé. Tel n’est pas le jugement du savant Lelevel. « Le roi Michel, dit Lelevel, n’a pas manqué de nobles qualités pour régner ; mais telle fut l’envie que les grands (Sobieski et le Primat) portaient à son bonheur et son élévation, qu’il n’a pu réussir à être aussi bon roi qu’il l’aurait été, sans la haine de quelques méchans sujets. » Sobieski fut accablé à son tour d’une opposition haineuse de la part de ses concitoyens ; mais quel droit aurait-il eu de se plaindre de la désobéissance, « celui qui faisait brûler au milieu de son armée un libelle royal, et qui lançait des manifestes où il taxait son roi de trahison, » ce roi qui poussa l’oubli des injures jusqu’à placer son adversaire au nombre de ses exécuteurs testamentaires ?

La renommée de Sobieski a ébloui les yeux de son biographe ; cependant presque tous ses exploits n’ont eu d’autres motifs que les intérêts particuliers de sa famille. D’abord allié de la France, tant que Louis XIV le flattait de la concession d’une partie de la Prusse pour ses héritiers, Sobieski devint partisan de l’Autriche, dès que celle-ci offrit à ses fils l’appât de la possession de la Moldavie. Cette espérance l’engagea, contre les vœux de la nation, dans la malheureuse guerre de Turquie, où ses plus belles victoires n’ont profité qu’aux ennemis de sa patrie. Abandonné de l’empereur qu’il venait de sauver devant Vienne, et ne sachant où prendre ses quartiers d’hiver, il ramena en Pologne ses troupes décimées, comme s’il avait éprouvé le plus funeste revers. Jean conquit deux royaumes pour l’Autriche, et ne put seulement revendiquer pour la Pologne cette forteresse de Kamienietz, qu’une parole, avant la guerre, aurait fait remettre entre ses mains, comme elle redevint polonaise trois ans après sa mort. La promesse de la Moldavie pour ses héritiers lui fit supporter tous ses affronts, au détriment de sa gloire et de la Pologne. Il sacrifia ainsi l’indépendance de la Hongrie, refusa l’alliance de la France, laissa échapper sans retour l’occasion d’abaisser la maison impériale, et toujours poursuivi par cette fatale illusion, on le vit souscrire avec Moscou un traité honteux qu’il n’eût jamais signé le jour d’une défaite[8].

J’ai été sévère envers Sobieski ; son éloquent historien m’a paru avoir exagéré sa grandeur. Malgré ses nombreux triomphes, les Polonais ne le reconnaissent point pour le plus illustre de leurs rois. Boleslas, premier fondateur du royaume, Lokietek et Casimir son fils, Hedwige d’Anjou, Jagellon, et les deux Sigismonds, qui réunirent, par un lien fraternel, les deux peuples de Lithuanie et de Pologne ; Bathory enfin, qui aurait reçu le nom de législateur de la patrie, si une mort violente, après dix ans d’un règne glorieux, ne l’avait enlevé à ses vastes travaux : voilà aussi de grands princes dont s’enorgueillissent les fastes de la Pologne[9] !

La critique débute ordinairement par des remarques flatteuses ; elle n’use, pour ainsi dire, de son droit de blâmer, qu’après s’être rassurée contre les ressentimens de l’amour-propre. Nous avons procédé différemment. Les talens de M. de Salvandy sont trop supérieurs pour avoir besoin de ménagemens, et son ouvrage renferme trop de vraies beautés, pour que son mérite puisse avoir quelque chose à craindre de nos observations. Tout ce qui peut honorer un écrivain, des sentimens généreux, une sympathie sincère pour le malheur et une sage liberté, la haine pour la tyrannie, sous quelque forme qu’elle se présente, telle sont les qualités de M. de Salvandy. Un étranger ne saurait mieux écrire l’histoire d’un pays dont la langue est si peu connue, et les monumens scientifiques si peu répandus. Il reste à désirer que la littérature française s’enrichisse bientôt d’une traduction complète de Lelevel, ou de quelque autre historien célèbre. Alors on pourra s’assurer plus facilement que, chez nos écrivains les plus élégans, comme les plus exacts, la langue latine a fait place depuis long-temps à l’expression énergique et brillante de l’idiôme national.

Dans un prochain article, nous traiterons de la législation politique de l’ancienne Pologne. À une époque où toutes les idées sont dirigées vers un perfectionnement social, il ne sera pas sans importance de jeter un coup-d’œil sur les lois d’un État qui avait déjà une législation complète en 1347, son Neminem captivabimus (habeas corpus) en 1430, une assemblée représentative régulière en 1468, qui abolit le droit d’aînesse en 1538, et institua des tribunaux indépendans en 1578.


M… de Varsovie.
  1. Louis de Hongrie.
  2. M. l’abbé Gley, chapelain de l’hôtel royal des Invalides, vient de terminer la traduction de l’Histoire de Pologne sous le règne des Piast (en 7 volumes in-4o), par Naruszewicz, et s’occupe dans ce moment de celle de Lelevel. Il faut espérer que les deux traductions ne tarderont pas à être livrées à l’impression. Ce sera un important service rendu à la littérature française.
  3. La Pologne, immobile pendant les invasions des Barbares, est le seul pays qui n’a jamais connu la féodalité. Jusqu’au temps de sa constitution définitive, elle conservera la loi de l’allodialité barbare. Au XIVe siècle, quand la Lithuanie fut réunie à la Pologne, le principe de l’égalité devant la loi fit une telle impression sur la noblesse féodale de Lithuanie, que, malgré la tyrannie de ses grands-ducs, elle ne voulut pas accepter les libertés polonaises dans la diète de 1423, pour ne pas perdre ses droits sur les serfs. Elle ne s’en accommoda que quand la noblesse polonaise, corrompue par le contact de la féodalité lithuanienne, réduisit dans le servage la plus utile classe de ses concitoyens.
  4. Prince-évêque de Warmic, fils d’un paysan. Solignac l’appelle le Tite-Live moderne.
  5. Nous ne faisons ici que relater un fait, sans prétendre toutefois en tirer aucune conséquence défavorable aux jésuites, considérés comme particuliers. On ne peut révoquer en doute les services que plusieurs d’entr’eux rendirent aux sciences, même en Pologne.
  6. Voyez, pour l’état de la littérature en Pologne, l’Atlas des littératures récemment publié par M. Jarry de Mancy. Les notions exactes qu’il renferme sur la Pologne, sont dues, en partie, aux travaux d’un jeune Polonais, M. Léonard Chodzko.
  7. De Origine gentis hencticœ.
  8. Par ce traité, Sobieski céda aux Moscovites les villes de Smolensk et de Kiew, le palatinat de Czernichow, et le duché de Novogorod-Siewierski.
  9. Je pourrais indiquer encore plusieurs erreurs de l’histoire de Pologne, qui, sans être fondamentales, présentent cependant quelque importance. Telle est cette assertion de M. de Salvandy, que ce fut en 1685, pour la première fois, que les Polonais se hasardèrent à tenter le siége d’une place forte. Telle est cette autre erreur que, dans tout le cours des siècles qui précédèrent le règne de Sobieski, la république n’avait compté qu’un seul membre dans le sacré collége.

    « La presse polonaise, dit encore M. de Salvandy, publia, sous le règne de Jean iii, plus d’ouvrages que pendant les deux siècles précédens. La langue, jusqu’alors négligée, commença à être en honneur ; et c’est depuis lors surtout que le génie polonais en a multiplié les monumens. » Voici la réponse que je puise dans l’Histoire littéraire de Pologne, publiée en 1815, par le professeur Bentkowski. Après avoir retracé l’état des lumières au XVIe siècle, le savant auteur ajoute : « Ce siècle produisit le plus grand nombre d’écrivains, tant dans la langue nationale, que dans celle de Cicéron, d’Horace et de Tite-Live. Les premiers pourraient aujourd’hui même encore servir de modèle pour la pureté, la simplicité austère de leur style, et sa teinte vraiment polonaise ; les derniers sont très-estimés par les étrangers eux-mêmes… Ce n’est que de l’invasion des jésuites (1622) qu’il faut dater la décadence des lumières. Cet ordre religieux commence l’ère des discussions théologiques, qui fut suivie de celle des panégyriques. Le macaronisme latin ajoute encore à la corruption de la langue. Les victoires de Sobieski, plus brillantes qu’utiles, ouvrirent le champ aux panégyristes. Albert Bartochowski, jésuite, dédia au roi Sobieski, à son retour de Vienne, un éloge connu sous le titre de Fulmen Orientis, d’une éloquence affectée, plein d’idées vides et d’un sens obscur ; ce qu’on honorait alors du nom de style élégant et fleuri. Cette apologie plut beaucoup à la cour, et dès-lors l’auteur a trouvé une foule d’imitateurs. Toute la littérature fut bientôt encombrée de panégyriques, où des hommes presque inconnus étaient comparés aux César et aux Alexandre. Pour étaler leur érudition, les auteurs cherchaient à mêler les expressions latines dans les phrases polonaises ; c’était d’une nécessité rigoureuse pour mériter les applaudissemens publics, etc. » Tel fut, selon Bentkowski, le goût littéraire du temps de Sobiéski. Il est impossible d’hésiter en présence d’une autorité aussi respectable.