L’Hypnotisme et les Religions/II

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X. X.
Marcellin Lacoste (p. 15-22).

II

M. CHARCOT ET LES DÉMONS

Voici un fait dont on est tous les jours témoin dans nos hôpitaux. Une femme arrive, atteinte d’une paralysie partielle ou totale qui dure parfois depuis plusieurs années. Le médecin ou l’interne de service reconnaît une affection nerveuse. Il dit à cette femme de le regarder fixement et elle tombe instantanément dans l’état hypnotique. Il lui dit alors que sa paralysie a cessé et on lui ordonne de marcher, de mouvoir son bras ou sa jambe paralysée, d’emporter une table ou les matelas de son lit, et elle exécute immédiatement les ordres qu’elle a reçus. On lui dit qu’on va la réveiller, mais qu’elle sera guérie, et en effet elle se réveille guérie de sa paralysie, du moins pour un certain temps. Ce fait, aujourd’hui commun et banal, ne semble-t-il pas la reproduction de l’une des principales espèces de miracles qui abondent dans l’Évangile, dans l’histoire de l’Église et dans celle de toutes les religions révélées ?

Tout le monde sait aujourd’hui qu’à telle ou telle lésion cérébrale, à tel ou tel trouble du système nerveux, correspondent tantôt une paralysie partielle ou totale, tantôt la perte de la vue, de l’ouïe ou de la parole, tantôt des accès de frénésie, d’épilepsie ou de catalepsie. On sait également que tous ces désordres se calment et souvent se guérissent, soit temporairement, soit définitivement, sous l’influence de l’hypnotisme et de la suggestion mentale. Pour les cas de léthargie et de catalepsie, il suffit même ordinairement de souffler dans les yeux du malade pour le ramener à la vie.

Or, les maladies guéries par Jésus-Christ ne sont pour la plupart que des affections de forme nerveuse, semblables à celles que M. Charcot a étudiées avec tant de soin durant ces dernières années. Mais du temps de Jésus-Christ, comme du reste pendant tout le moyen âge, ces sortes de maladies étaient invariablement attribuées à la possession du démon. Les Évangiles ne parlent que de démons muets, de démons sourds et de démons aveugles, de démons épileptiques, de démons frénétiques, etc., etc. Jésus chassait tous ces démons comme M. Charcot calme les accès de ses malades, par la suggestion mentale, par une simple parole ou par un simple attouchement. Mais ce que M. Charcot fait scientifiquement, Jésus le faisait inconsciemment. Il se croyait de bonne foi possesseur d’un pouvoir surnaturel, inhérent à sa personne et venu d’en haut. De là cet illuminisme qui le transfigurait aux yeux de la foule et qui portait à leur maximum d’intensité la puissance de la suggestion hypnotique et l’influence de l’imagination dans tous les cas de désordres nerveux et de maladies hystériques qui lui étaient soumis.

Nous avons vu que, d’après le témoignage de Jésus lui-même, la résurrection de la fille de Jaïre n’est pas une résurrection véritable ; c’est un simple réveil d’un sommeil léthargique ou cataleptique, qu’on avait confondu avec la mort véritable, mais qui n’avait pas trompé Jésus-Christ, plus éclairé, sous ce rapport, que ses contemporains.

Même dans l’Évangile selon saint Jean, le seul qui raconte la résurrection de Lazare, il est écrit que Jésus dit à Marie : « Votre frère n’est pas mort, mais il dort. »

Il est vrai que cet Évangile additionne son récit d’un commentaire tendant à prouver que Jésus, en disant que Lazare dormait, voulait parler du sommeil de la mort. L’auteur ajoute même force détails pour ne laisser aucun doute dans l’esprit de ses lecteurs sur la mort véritable de Lazare. Il va jusqu’à faire dire à Marie, sœur du mort, que le corps sent déjà mauvais, bien qu’elle ne puisse le savoir, puisque le tombeau n’a pas encore été ouvert. Mais on sait que l’Évangile selon saint Jean a été écrit très longtemps après les autres Évangiles, par un disciple de cet apôtre, et sous l’influence des idées païennes de la Grèce[1]. Il convient donc de n’accepter que sous bénéfice d’inventaire les commentaires de cet évangéliste tardif. Il est même douteux que la résurrection de Lazare ait jamais eu lieu, puisqu’elle est restée inconnue des trois premiers évangélistes, qui cependant racontent minutieusement les moindres guérisons d’apparence miraculeuse. Si Jésus avait réellement opéré plusieurs résurrections, tous les évangélistes en auraient fait mention, la résurrection des morts étant évidemment le plus important de tous les miracles. Il est donc fort à craindre que l’histoire de Lazare ne soit une légende ajoutée après coup par quelque disciple trop zélé.

Mais ce qui prouve péremptoirement que les prodiges opérés par Jésus-Christ et par les apôtres n’étaient que des phénomènes naturels, c’est qu’ils n’étaient pas seuls à posséder le don de les produire. En effet, les prêtres juifs accusaient Jésus de chasser les démons au nom de Béelzébuth, de même que les prêtres de nos jours attribuent à l’intervention du démon les convulsions des jansénistes et les phénomènes du somnambulisme, de l’hypnotisme et du spiritisme[2]. Or, Jésus leur répondit : « Si c’est au nom de Béelzébuth que je chasse les démons, au nom de qui vos enfants les chassent-ils donc ? » Jésus reconnaissait ainsi que d’autres que lui, parmi les Juifs, avaient le même pouvoir. Les Actes des Apôtres sont d’ailleurs précis à cet égard. Ils disent que Simon le magicien reproduisait les guérisons et les autres opérations miraculeuses des apôtres.

On peut donc admettre que les guérisons des Évangiles soient vraies en principe. Mais les faits primitifs, en passant de bouche en bouche jusqu’à ce qu’ils fussent consignés par écrit, ont dû éprouver le sort naturel de toutes les traditions de ce genre. L’imagination des narrateurs successifs les a ornés, dans un grand nombre de cas, de détails de plus en plus merveilleux et apocryphes. Ainsi, que Jésus ait calmé, par l’ascendant prestigieux de sa personne et par son attitude inspirée, les crises nerveuses d’un maniaque épileptique, rien n’est plus facile à concevoir, puisque nous sommes tous les jours témoins de phénomènes analogues. Mais qu’il ait fait sortir du corps de ce maniaque toute une légion de démons, au nombre de deux mille, et qu’à la prière de ces mêmes démons il les ait fait entrer dans les corps d’un nombre égal de pourceaux, voilà ce qui devient purement légendaire et absolument inadmissible. (Évangile selon saint Marc, ch. V, vers. 2 à 13.)


Vers. 2. « Comme il descendait de la barque, un homme possédé de l’esprit impur accourut à lui, sortant des sépulcres.

Vers. 3. » Cet homme avait fixé sa demeure dans les tombeaux ; et personne ne pouvait plus le lier, même avec des chaînes ;

Vers. 4. » Car souvent, ayant des fers aux pieds et étant lié de chaînes, il avait rompu ses chaînes et brisé ses fers, et nul homme ne pouvait le dompter.

Vers. 5. » Il était constamment jour et nuit dans les sépulcres et sur les montagnes, criant et se meurtrissant avec des pierres.

Vers. 6. » Ayant donc vu Jésus de loin, il accourut et l’adora ;

Vers. 7. » Et jetant un grand cri, il lui dit : Qu’y a-t-il entre vous et moi, Jésus fils du Dieu Très-Haut ? Je vous en conjure par le nom de Dieu : ne me tourmentez point.

Vers. 8. » Car Jésus lui disait : Esprit impur, sors de cet homme.

Vers. 9. » Et il lui demanda : Comment t’appelles-tu ? Et il répondit : Je m’appelle Légion, parce que nous sommes plusieurs ;

Vers. 10. » Et il le priait avec instance de ne le point chasser du pays.

Vers. 11. » Or, il y avait là un grand troupeau de pourceaux qui paissaient autour de la montagne ;

Vers 12. » Et les démons le suppliaient, en lui disant : Envoyez-nous dans ces pourceaux, afin que nous y entrions.

Vers. 13. » Jésus le leur permit aussitôt ; et ces esprits impurs étant sortis, entrèrent dans les pourceaux ; et tout le troupeau, qui était environ de deux mille, courut avec impétuosité se précipiter dans la mer, où ils furent tous noyés. »


N’est-ce pas le cas d’appliquer le proverbe : « Qui veut trop prouver, ne prouve rien ? »

  1. L’Évangile selon saint Jean a été écrit après la mort de saint Pierre, puisqu’il est question de cette mort au dernier chapitre, verset 19.
  2. Le spiritisme n’est évidemment qu’une hallucination résultant de la suggestion hypnotique spontanée et inconsciente.