L’Hypnotisme et les Religions/IV

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X. X.
Marcellin Lacoste (p. 31-43).

IV

UNE ENQUÊTE SUR LA RÉSURRECTION

D. — Quel vêtement portait Jésus-Christ immédiatement après sa résurrection ?

R. — Il était habillé en jardinier, car lorsqu’il apparut à Marie-Madeleine, après être revenu à la vie, elle ne le reconnut pas et le prit pour le jardinier.

D. — N’est-ce pas avant d’avoir levé les yeux sur Jésus que Madeleine s’est ainsi trompée ?

R. — Pas le moins du monde. L’évangéliste saint Jean dit expressément (chap. XX, v. 14 et 15) : « Elle se retourna et vit Jésus debout et ne le reconnut pas. Et Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Elle, supposant que c’était le jardinier, lui dit : « Seigneur, si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis, et j’irai le chercher. »

Il est donc évident que ce fut en voyant Jésus-Christ que Madeleine le prit pour le jardinier.

D. — Pourquoi Jésus-Christ était-il habillé en jardinier ?

R. — Parce que ses vêtements avaient été distribués aux soldats et tirés au sort. Lorsqu’il revint à la vie, on lui donna les premiers vêtements que l’on put trouver. On emprunta ceux du jardinier de Joseph d’Arimathie, dans la propriété duquel se trouvait la chambre sépulcrale où Jésus avait été déposé.

D. — Il y avait donc quelqu’un auprès de Jésus-Christ lorsqu’il revint à la vie ?

R. — Évidemment. Il est écrit dans l’Évangile que Joseph d’Arimathie, qui était un puissant personnage, demanda son corps pour l’ensevelir et qu’il l’emporta dans une de ses propriétés, où était un tombeau, ou chambre sépulcrale, taillé dans le roc. Là, on lava son corps et on le frictionna avec des essences aromatiques, comme c’était la coutume parmi les Juifs. C’est ce qui le fit revenir à la vie. L’Évangile de saint Jean dit que Nicodème apporta 100 livres d’aloès et de myrrhe. (Ch. XIX, v. 39.)

D. — Vous oubliez qu’il y avait des soldats pour garder le tombeau.

R. — Un seul évangéliste, saint Mathieu, parle de soldats. Mais, d’après lui, les soldats ne furent envoyés que le lendemain samedi. Joseph d’Arimathie et Nicodème avaient donc eu toute la nuit du vendredi au samedi pour soigner Jésus. Voici les paroles de saint Mathieu (chap. XXVII, v. 62 à 66) : « Le lendemain qui suivit le jour de Parasceve[1] (vendredi), les prêtres et les pharisiens vinrent trouver Pilate, disant : « Commande que le tombeau soit gardé, de peur que ses disciples ne viennent l’enlever et ne disent au peuple : « Il est ressuscité… » Ils allèrent donc et scellèrent le sépulcre et placèrent des gardiens. »

D. — Je suis persuadé qu’il y avait, dès les premiers moments, une foule énorme de peuple pour garder le tombeau.

R. — Si cela avait été, les évangélistes n’auraient pas manqué de rapporter un détail aussi important. Mais la preuve que le tombeau n’a pas été gardé du vendredi au samedi, c’est que le samedi les prêtres vont trouver Pilate pour lui demander l’autorisation de faire garder ce tombeau, en disant que sans cela on pourrait enlever le corps. Il y a d’ailleurs trois évangélistes qui ne parlent pas de gardiens. Le corps de Jésus avait été remis à ses amis, Joseph d’Arimathie et Nicodème, tous deux très riches et très puissants. Ils l’avaient emporté dans une propriété privée, où personne n’avait le droit de s’occuper de ce qu’ils faisaient. Les eût-on épiés, on n’eût rien trouvé d’extraordinaire dans le lavage du corps, les fumigations et les frictions aromatiques, puisque ces opérations faisaient partie des cérémonies funèbres parmi les Juifs.

D. — Les évangélistes affirment que Jésus est mort sur la croix.

R. — Les évangélistes ont raconté les choses comme ils ont cru les voir. Mais leur récit lui-même démontre qu’ils ont cru sans aucune investigation sérieuse, sans aucune preuve scientifique. Ils s’en sont rapportés purement et simplement aux apparences, sans même soupçonner que ce qu’ils prenaient pour la mort véritable pouvait n’être qu’un simple état de léthargie ou de catalepsie résultant de la douleur physique et de la tension nerveuse produite par la suspension de la croix.

D’après l’Évangile, ce serait après trois ou quatre heures de supplice que Jésus aurait expiré. Mais ce temps était insuffisant, dans le cours ordinaire des choses, pour amener la mort d’un crucifié. Aussi, lorsqu’on vint demander le corps à Pilate, ne voulut-il pas croire tout d’abord que Jésus fût déjà mort. Il fallut l’affirmation du centurion pour le persuader. Or, le centurion n’était pas médecin, ni plus capable que les apôtres de distinguer la mort apparente de la mort réelle. De nos jours même les médecins s’y trompent encore souvent, comme nous en avons vu un exemple dans le cas du cardinal Donnet.

Si l’on vous présentait vivant, aujourd’hui, un homme qu’on aurait cru mort hier ou avant-hier, il n’est pas d’investigations médicales auxquelles vous n’ayez recours avant d’admettre que ce soit une résurrection véritable. Il faudrait les preuves scientifiques les plus irréfragables pour vous convaincre. Encore seriez-vous en droit de supposer que même les médecins ont pu être trompés par quelque circonstance inconnue à la science, par quelque phénomène physiologique inexpliqué. Dans le récit évangélique, les garanties les plus élémentaires de certitude raisonnable font absolument défaut. Les apôtres sont des gens grossiers, ignorants et crédules, qui n’ont pas même songé à prendre les précautions les plus vulgaires pour éviter d’être les victimes des apparences. Jésus lui-même a été dans l’impossibilité de juger si l’insensibilité d’où il a été tiré d’une manière si inattendue était vraiment un état de mort ou simplement une syncope léthargique ou cataleptique. On sait que lorsqu’on revient d’une syncope, on croit sortir du néant absolu.

Il n’y a que le coup de lance qui eût pu être mortel, s’il avait percé le cœur. Mais rien ne prouve que le cœur ait été percé, et les évangélistes ne le disent pas. Le sang et l’eau qui se sont échappés de la blessure sembleraient prouver, au contraire, que l’estomac seul avait été touché, et que la vie n’était pas éteinte, puisque le sang coulait encore librement.

Il faut se rappeler, en outre, qu’en dehors des prêtres et des pharisiens, Jésus n’avait que des sympathies à Jérusalem. Tout le peuple était pour lui. On espérait qu’il rétablirait le royaume d’Israël. Même parmi les grands, il avait des partisans secrets. L’Évangile le dit expressément de Nicodème, qui apporta des aromates pour l’ensevelir, et de Joseph d’Arimathie, qui réclama le corps. Quant aux Romains, l’Évangile dit que Pilate, loin de persécuter Jésus, fit de vains efforts pour le sauver et l’arracher aux rancunes des prêtres et à la rage de quelques misérables, ameutés par ces derniers. Les soldats romains n’avaient aucune raison pour en vouloir personnellement à Jésus. À la prière de Joseph d’Arimathie, ils lui épargnèrent le brisement des membres ; le coup de lance ne fut très évidemment donné que par acquit de conscience, et peut-être fut-il intentionnellement sans gravité. Toujours est-il que rien ne prouve qu’il ait été mortel. Tout établit, au contraire, qu’il ne l’était pas, puisque Jésus, descendu de la croix, est revenu à la vie.

D. — Mais Jésus-Christ n’est ressuscité que le troisième jour et non pas le vendredi, comme vous le prétendez.

R. — Les récits des évangélistes ne disent pas quand Jésus-Christ est ressuscité ; ils disent seulement que, le troisième jour, le tombeau était vide. Jésus a donc pu revenir à lui, soit le vendredi soir, soit le samedi matin.

D. — Les disciples de Jésus n’ont-ils pas connu les détails de sa résurrection ?

R. — Joseph d’Arimathie et Nicodème ont seuls connu le véritable moment de la résurrection ; mais ils se gardèrent bien d’en parler, de peur que les ennemis de Jésus ne vinssent à ressaisir leur proie. Jésus lui-même ne se montra à ses disciples que très mystérieusement et ne resta jamais que quelques instants avec eux, toujours par prudence et à cause des prêtres et des pharisiens.

D. — Quand Jésus-Christ apparaissait à ses disciples, n’était-il pas transformé et divinisé ?

R. — En aucune façon. C’était un homme purement et simplement, comme par le passé. La première fois qu’il leur apparut, ce fut sur la route d’Emmaüs. Il n’y avait que deux disciples, avec lesquels il soupa d’une manière si naturelle qu’ils ne le reconnurent pas tout d’abord. Le même jour, il apparut à plusieurs autres qui furent troublés et effrayés, croyant voir un esprit. Mais Jésus leur dit : « Voyez mes mains et mes pieds ; c’est moi. Un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. » Les disciples restant incrédules, Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose qui se mange ? » Et ils lui offrirent un morceau de poisson grillé et un rayon de miel ; et il en mangea devant eux, et lorsqu’il eut fini, il leur donna les restes. (Évangile selon saint Luc, ch. XXIV, v. 37 à 44.) La troisième fois qu’il leur apparut, ce fut sur les bords de la mer de Tibériade. C’est en cette occasion qu’eut lieu, d’après saint Jean, la pêche miraculeuse, placée avant la Passion par un autre évangéliste. Jésus leur dit alors : « Venez et soupez, » et il soupa avec eux. (Évangile selon saint Jean, ch. XXI, v. 1 à 15.)

Ainsi, toutes les fois que Jésus ressuscité revient trouver ses disciples, il mange avec eux ; d’abord, sans aucun doute, parce qu’ayant nécessairement voyagé à pied, il avait réellement faim ; ensuite, parce qu’il tenait à dissiper leur crainte superstitieuse et à leur montrer qu’il n’était pas un revenant (car les revenants ne mangent point), mais un homme de chair et d’os, ayant besoin de manger et de boire aussi bien qu’eux-mêmes ; en un mot, le Jésus qu’ils avaient connu, merveilleusement échappé à une mort imminente et revenu à la vie d’ici-bas.

Jésus ne s’est d’ailleurs montré à ses disciples que très rarement. La prudence lui défendait de se prodiguer. Les prêtres et les pharisiens n’auraient pas tardé à s’emparer de lui une seconde fois.

Saint Mathieu et saint Luc ne parlent que de deux apparitions après la résurrection, y compris l’ascension. Saint Marc et saint Jean n’en citent que trois. Les Actes des Apôtres disent qu’il se montra vivant à eux pendant quarante jours, mangeant avec eux, mais sans s’expliquer davantage, ce qui permet de supposer qu’il ne s’agit que des trois ou quatre apparitions mentionnées par les Évangiles. Si Jésus avait été un Dieu ressuscité, il n’aurait pas eu besoin d’être aussi avare de sa présence. Il pouvait rester avec ses apôtres et les entretenir du matin jusqu’au soir, au lieu de se contenter de ces rares apparitions où il prenait à peine le temps de leur adresser quelques paroles.

La conduite de Jésus revenu à la vie est donc bien manifestement celle d’un homme qui se cache de ses ennemis. Il ne va trouver ses disciples que furtivement et avec les plus grandes précautions. Il se fait ordinairement précéder par des émissaires dévoués, pour plus de sécurité. Ces émissaires étaient vraisemblablement des novices de la secte des Esséniens, à laquelle les doctrines de Jésus prouvent qu’il appartenait. Comme ils étaient revêtus du costume blanc de leur ordre, on les a pris depuis pour des anges, dans la persuasion que les anges sont nécessairement vêtus de blanc. Mais les Évangiles disent simplement que c’étaient des jeunes gens. Ce sont des jeunes gens vêtus de blanc qui annoncent la résurrection aux saintes femmes et aux apôtres Pierre et Jean. Ce sont des hommes vêtus de blanc qui se présentent aux disciples assemblés, lorsque Jésus, décidé à se retirer de la scène pour quelque temps, leur eut fait ses adieux et eut disparu dans les brouillards de la montagne. Plus tard, cette retraite si mystérieuse, restée inexpliquée, se transforma en une ascension miraculeuse. On ne savait pas, à cette époque, que ce que nous appelons le ciel, c’est l’espace tout entier. On ignorait que Dieu, étant un pur esprit, est partout à la fois, et nulle part en particulier. On croyait tout naïvement qu’au-dessus de cette voûte bleue du ciel, il y avait quelque vaste lieu d’habitation, quelque palais immense, ou quelque séjour enchanté, résidence matérielle de la Divinité et de sa cour, et semblable à la résidence des rois de la terre. On se figurait qu’il fallait monter en l’air pour arriver à ce séjour céleste. On s’imagina donc que le corps de Jésus s’était soudain soustrait aux lois de la pesanteur, et qu’il s’était graduellement élevé dans les airs, jusqu’à ce qu’un nuage fût venu fort à propos le dérober à la vue, sans quoi on l’aurait vu monter et monter toujours, sans jamais atteindre sa destination, puisque l’espace s’étend à l’infini et sans bornes. Plus tard, on renchérit encore sur ces puériles imaginations, et l’on affirma que Jésus, parvenu enfin au terme de son voyage aérien, alla s’asseoir à la droite de son père, sur un de ces trônes dont on trouvait tout naturel, à cette époque, de meubler le palais du roi du ciel. C’est encore aujourd’hui un article de foi pour toutes les églises chrétiennes que Jésus est assis à la droite du Père : « Sedet ad dexteram Patris, » dit le Credo. On cherche, il est vrai, à expliquer symboliquement cette expression. Mais les premiers chrétiens ne l’entendaient pas ainsi. Puisque Jésus est monté au ciel avec un corps humain palpable et matériel, comme le nôtre, il fallait nécessairement qu’il trouvât un siège dans la demeure de son père.

Seuls, ces hommes vêtus de blancs, ces novices esséniens qui servaient de messagers à Jésus, et qui l’accompagnèrent dans sa retraite, connurent les détails de sa véritable mort, survenue sans doute bientôt après sa disparition. Mais si, dans la suite, ils voulurent révéler ce secret et rendre hommage à la vérité, il était trop tard : la légende était créée.

  1. Parasceve signifie le jour de la préparation au sabbat, c’est-à-dire le vendredi. « C’était le Parasceve, c’est-à-dire le jour qui précède le sabbat (samedi). » Saint Marc, chap. XX, vers. 42.