Les Fleurs du mal (Revue des Deux Mondes)/L’Invitation au voyage

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Les Fleurs du mal (Revue des Deux Mondes)
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 10 (p. 1087-1088).

IX.

L’INVITATION AU VOYAGE.


Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble ;
— Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisans
Polis par les ans
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
— Les soleils couchans
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
— Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.