L’Or du Soleil

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L’Or du Soleil
Poètes du nord, 1880-1902, morceaux choisis, Texte établi par Alphonse Marius GossezSociété d’Éditions littéraires et artistiques (p. 201-202).


L’OR DU SOLEIL


Ils marchent, et, plongeant sous le noir firmament,
Leur houle, irrésistible ainsi qu’un élément,
Vers l’Astre deviné par delà les terrasses
Des montagnes, s’étale et meut ses lourdes masses.

C’est une humanité tout entière en chemin
Vers la lumière ardente et vers le lendemain.

Ils rêvent d’un rivage où les levants flamboient,
Et du Sud merveilleux où les palais s’éploient
Parmi les nefs à l’ancre en essaims triomphaux
Sur les golphes pareils à la courbe des faulx.

Ils savent une Rome aux coupoles splendides
Lavant ses marbres dans les conques propontides,
Sur qui fulgure et bat l’angélique étendard,
Le labarum de Théodose et de César ;
Une chambre en porphyre aux voûtes romaïques
Où, plus muets que les émaux des mosaïques,
Joyaux vivants sertis et comme orfévrés d’or,
La Basilisse thrône avec l’Autokratôr,
Où les divins Époux, qui gardent les icônes,
Lèvent leurs fronts cerclés de mitres octogones,
Sous les arcs surbaissés des dômes byzantins.
Et là-bas, vers la Ville, où sont les Konstantins,
Voici, que, salué de clameurs inconnues,
Pour la première fois à leurs yeux, dans les nues

Où s’écroule et ruisselle, en nappes de clartés,
Dans la gloire des monts soudain ensanglantés,
Le thrésor sidéral des nouvelles aurores,
Voici qu’irradiant de flammes les Bosphores,

Sur les lances grandit le Bouclier du ciel.

....................

Alors, on vit debout sur les seuils du réel,
Belles comme un faisceau de glaives, à l’orée
Des grands bois frissonnants d’une terreur sacrée,
Les Vierges du Walhall apparaître, et dans l’air
Monta leur chant de mort vers le Nord triste et clair.

(L’Esprit qui passe).


SAPPHÔ


Ô toi vers qui mes sens allaient sans te connaître
Tyran tant désiré qu’appelait tout mon être,
Par mon sang lourd d’amour si longtemps attendu
Quand j’ai crié, vers toi qu’adorait mon génie,
Ma divine agonie,
Ô Phaon, c’est ta chair qui seule a répondu,

Pour dompter de ton front la beauté despotique,
J’ai jeté mon angoisse à la strophe impudique
Et tendu vainement, et jusqu’à les briser,
Les cordes de mon cœur et celles de ma lyre,
Sans voir en ton sourire
Une autre âme fleurir que l’âme du baiser.