La Vie de saint Corentin

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LA VIE DE SAINT CORENTIN,


Confesseur et premier Evesque de Cornoüaille, le 12. de Decembre.


Saint Corentin, premier Evesque de Cornoüaille, en la Bretagne Armorique, nasquit au même Diocese, environ l’an 375, treize ans avant que le tyran Maxime passast és Gaules, & fut, dès son enfance, instruit par ses parents en la Religion Chrestienne ; & ayant esté par une grace & protection speciale de Dieu, preservé pendant les guerres que le Roy Conan Meriadec fit aux garnisons Romaines, qu’il chassa entierement de Bretagne, il s’adonna tout de bon au service de Dieu ; &, pour mieux y vacquer, & faire un perpétuel divorce avec le monde, il se retira en une solitude, dans une forest en la Paroisse de Plou-Vodiern, au pied de la montagne de S. Cosme, où il bastit an petit Hermitage près d’une fontaine, &, tout joignant un petit Oratoire ; passant en ce lieu les nuits & les jours en prieres & Oraisons, inconnu & retiré de toute conversation humaine, mais chery & consolé de Dieu, qui jamais n’oublie ceux qui, pour son Amour, oublient toutes choses, & fortifié de sa grace contre les attaques & tentations de ses ennemis, & comblé de ses celestes et divines caresses. Pour sa nourriture & sustentation en cette solitude, Dieu faisoit an miracle admirable & continuel ; car, encore qu’il se contentast de quelques morceaux de gros pain, qu’il mendioit quelques fois ès villages prochains, & quelques herbes & racines sauvages, que la terre produisoit d’elle-mesme, sans travail ny industrie humaine, Dieu luy envoya un petit poisson en sa fontaine, lequel, tous les matins, se presentoit au Saint, qui le prenoit & en coupoit une piece pour sa pitance & le rejetoit dans l’eau, &, tout à l’instant, il se trouvoit tout entier, sans lesion ny blesseure, & ne manquoit, tous les matins, à se presenter à S. Corentin, qui faisoit toujours de mesme.

II. En mesme temps, vivoit un saint Prestre solitaire, nommé Primael, ou Primel, lequel menoit une vie fort sainte dans une forest en Cornoüaille[1]. S. Corentin l’alla visiter, pour recevoir de luy quelques salutaires instructions S. Primel le recueillit gracieusement, & passèrent les deux Saints le reste de la journée en saints propos & colloques spirituels, & la nuit suivante en prieres & Oraisons. Le matin, saint Corentin désira dire la Messe en l’Oratoire de saint Primael, qui, luy ayant disposé tout ce qui estoit requis & necessaire, s’en alla querir de l’eau à une fontaine assez éloignée de son Hermitage ; Saint Corentin l’ayant longtemps attendu, sortit de la Chapelle & vid venir le Saint vieillard tout doucement & à petits pas, tant pour sa lassitude & que la fontaine estoit loin de là, que parce qu’il estoit boiteux. Saint Corentin, le voyant tout hors d’haleine, en prit pitié & supplia Nostre Seigneur de luy octroyer de l’eau plus prés de son Hermitage puis, dit la Messe, pendant laquelle il reitera son Oraison Dieu exauça sa prière, car au lieu mesme où il mit son baston en terre, après la Messe, il rejaillit une source d’eau, dont les deux Saints rendirent graces à Dieu ; &, ayant séjourné quelques jours avec S. Primael, il s’en retourna en son Hermitage à Plovodiern. Encore qu’il tâchast à se derober de la hantise & conversation des hommes, si ne se peut-il tellement cacher, que la reputation de sa Sainteté ne retentit par toute la Bretagne, de sorte que deux Personnages de grande sainteté le vinrent visiter en son Hermitage[2] ; saint Corentin les receut fort humainement ; &, pour les festoyer, leur dressa des crèpes (à la mode du païs) qu’il accomoda de quelque peu de farine qu’on luy avoit donnée par aumône és villages prochains mais Dieu, qui ne délaisse ceux qui ont jetté en luy toute leur esperance, pourveut miraculeusement à la nourriture de ses serviteurs car S. Corentin, estant allé puiser de l’eau à la fontaine, la trouva pleine de belles & grosses anguilles, dont il en prit autant qu’il luy fut necessaire pour festoïer ses hôtes, lesquels se retirèrent, loüans Dieu qui, par des miracles si signalez, témoignoit la Sainteté de son serviteur S. Corentin.

III. En ce temps-là, le Roy Grallon, qui avoit succedé à Conan Meriadek, se tenoit, avec toute sa Cour, en la Ville de Kemper-Odetz, capitale du Comté de Cornoüaille. Un jour, estant allé à la chasse, il donna jusques dans la forest de Nevel (qui n’est plus), en la Paroisse de Plovodiern, proche l’Hermitage de saint Corentin &, ayant chassé tout le jour, sur le soir, il s’égara dans la forest, & enfin se trouva prés l’Hermitage du Saint, avec une partie de ses gens, ayans tous bon appetit ; ils descendirent et s’adressèrent au Saint Hermite, luy demandèrent s’il ne les pourroit pas assister de quelques vivres ? « Oüy (répondit-il), attendez un petit, & je vous en vays querir. » Il s’en alla à sa fontaine, où son petit poisson se représenta à luy, duquel il en coupa une pièce de dessus le dos & la donna au maistre d’hôtel du Roy, luy disant qu’il l’apprestast pour son maistre & les Seigneurs de sa suite ; le maistre d’hôtel se prit à rire & se mocquer du Saint, disant que cent fois autant ne suffiroit pour le train du Roy. Neanmoins, contraint par la nécessité, il prit ce morceau de poisson, lequel (chose étrange !) se multiplia de telle sorte, que le Roy & toute sa suite en furent suffisamment rassasiez. Le Roy, ayant veu ce grand Miracle, voulut voir le poisson duquel le Saint avoit coupé ce morceau & alla à la fontaine, où il le vid, sans aucune blessure, dans l’eau ; mais quelque indiscret (que la Prose, qui se chante le jour de la Feste du Saint, dit avoir esté de l’Evesché de Léon) en coupa une pièce pour voir s’il deviendroit entier, dont il resta blessé, jusqu’à ce que saint Corentin y vint, qui, de sa Benediction, le guerit, & luy commanda de se retirer de là, de peur de semblable accident, à quoy il obeït[3]. Le Roy Grallon, ravy de ces merveilles, se prosterna aux pieds du saint Hermite & luy donna toute sa forest & une maison de plaisance qu’il avoit en ladite Paroisse de Plovodiern puis, s’étant recommandé à ses prieres, il se retira à Kemper-Odetz. S. Corentin convertit cette maison que le Roy luy avoit donnée en un Monastere, où, ayant amassé nombre de saints Religieux, il vivoit en grande sainteté & austerité.

IV. Le Saint, sçachant combien il importoit au bien de la republique que les enfans des seigneurs & gentils-hommes fussent, de bonne heure, élevez & dressez à la vertu, prenoit le soin de les instruire &, à cette fin, il avoit un nombre de pensionnaires en son Monastere, entre lesquels les plus signalez furent Wennolé, Tugdin & Jacut, lesquels, depuis, furent Abbez en trois célèbres Monasteres. Quelque temps après, le Roy Grallon fut supplié par les seigneurs & tout le Peuple de procurer l’erection d’un Evesché à Kemper-Odetz, pour le Comté de Cornoüaille, le Roy s’y accorda, &, ayant fait toutes les dépêches requises, nomma S. Corentin à ce nouveau Evesché, &, l’ayant mandé, l’envoya à Tours vers S. Martin, Archevesque dudit lieu, pour estre par luy sacré, luy donnant pour compagnons Wennolé & Tugdin[4], pour estre benits Abbez de deux Monasteres qu’il vouloit édifier. Ils furent gracieusement receus du saint Archevesque, lequel, au désir des lettres du Roy, consacra saint Corentin, mais ne voulut benir les deux autres, disant que c’estoit à faire à luy à benir les Abbez de son Diocese. Les Saints, ayans achevé leur legation, s’en retournèrent à Kemper-Odetz, où le Roy, avec toute sa Cour, les receut, & fut dressé une entrée Episcopale & solemnelle à saint Corentin, qui prit possession de son Siège & celebra Pontificalement la Messe. Le Roy vint à l’Offrande & offrit à Dieu & au saint Prélat son palais qu’il avoit dans Kemper[5] & grand nombre de terres & possessions les princes & seigneurs de sa Cour, à son exemple, en firent de mesme, chacun selon ses moyens & facultez. Le lendemain, S. Corentin benit solemnellement ses deux saints Disciples, Abbez, destinant Wennolé pour le Monastere de Land-Tevenec, que le Roy Grallon fonda quelque temps après. Ce pieux prince, non content des dons qu’il avoit faits au saint Evesque, fonda la Cathedrale, arrenta nombre de Chanoines ; &, pour laisser la Ville libre à saint Corentin, il en retira sa Cour & la transfera en la fameuse ville d’Is.

V. Saint Corentin, considerant que cette nouvelle dignité requeroit de luy une nouvelle sollicitude, commença, à bon escient, à cultiver son Diocese il confera les saints Ordres à bon nombre de vertueux personnages, lesquels il instruisoit pour les faire Recteurs de son Diocese, lequel il visita & distribua par paroisses & trêves, preschant partout d’une ardeur & zèle admirables, non moins d’exemple que de vive voix, n’ayant relasché rien de ses austeritez ordinaires. Ayant saintement gouverné son troupeau quelques années, Dieu le voulut recompenser de ses travaux & luy envoya une maladie, qui l’affoiblit tellement, que, prévoyant l’heure tant désirée s’approcher, il fit venir tous ses Chanoines & Religieux, &, les ayant exhortez à l’Amour de Dieu & perseverance en leur vocation, il receut, en leur présence, ses Sacremens puis, leur ayant donné sa benediction, il rendit son Ame beniste és mains de son Createur, le 12. Decembre l’an 401. Son Corps lavé fut revêtu de ses Ornemens Pontificaux & porté dans son Église Cathedrale & son décez estant sceu par le Pays circonvoisin, il se rendit une si grande affluence de peuple à Kemper-Odetz, pour voir son saint Corps & le baiser, qu’on ne le pût si-tost enterrer qu’on s’estoit proposé les malades y alloient & estoient guéris ; les muets, sourds, boëteux, aveugles y receurent l’usage de leurs membres ; les demoniacles y furent délivrez, & plusieurs autres miracles s’y firent en témoignage de sa sainteté. Le Roy Grallon, qui s’estoit rendu à Kemper-Odetz, quand il eut avis de sa maladie, assista, avec sa cour, à son enterrement, qu’il fit faire avec autant de pompe & magnificence, que si c’eust esté pour luy mesme, & défraya le tout ; il fut ensevely dans le Chœur de sa Cathedrale, devant le grand Autel, où Dieu a fait plusieurs miracles par son intercession, aucuns desquels nous rapporterons icy, à la gloire de Dieu & de son Saint, duquel la mémoire fut si douce à ses citoyens, qu’ils donnèrent son Nom à leur Ville, l’appelans KEMPER-CORENTIN, & non plus KEMPER-ODETZ.

VI. Une damoiselle, ayant receu quelque faveur par les mérites & intercessions de saint Corentin, fit vœu d’offrir quelque quantité de cire à son Église, & vint rendre son vœu ; comme elle s’approcha de l’Autel pour l’y présenter, le diable la tenta de le retenir, ce qu’elle fit ; mais la miserable fut punie sur le champ car la main qu’elle avoit tirée se ferma si fort, que, quelque effort qu’elle fit, elle ne la pût ouvrir ; se voyant punie de la sorte, elle s’en retourna au logis fort désolée, suppliant S. Corentin de luy impetrer l’usage de la main. Une nuit qu’elle prioit de grande ferveur, S. Corentin luy apparut, glorieux & resplendissant, & luy dit « Ma fille, quand vous aurez promis quelque chose à Dieu, ou à ses serviteurs, ne vous en dédites pas, mais accomplissez-le gayement allez demain à mon Église & priez devant mon tombeau, & vous recevrez guerison. » Le lendemain, la femme alla prier au Sepulchre du Saint, où s’estant endormie, S. Corentin lui apparut de rechef & luy dit qu’elle estoit guérie ; elle, se réveillant là dessus, se trouva avoir le maniement de sa main libre, dont elle rendit graces à Dieu & à saint Corentin. Il apparut à un larron & le frappa de Paralysie, dont il ne pût jamais estre guery, qu’il n’eut restitué ce qu’il avoit dérobé. Quelques méchans, estans entrez de violence dans la maison d’un honneste Personnage, l’enfermèrent dans un coffre, à dessein de l’y laisser mourir de faim ; ce pauvre homme eut recours à Dieu par l’entremise de S. Corentin, lequel parut en la chambre, tout éclatant & glorieux, &, du bout de sa Crosse, leva la serrure de ce coffre & délivra ce pauvre homme, qui, de ce pas, alla à son Église remercier Dieu & son serviteur saint Corentin. L’an de grâce 1018, Alain Caignard, comte de Cornoüaille, pensa devenir aveugle, à cause d’une défluxion qui luy tomba sur les yeux à laquelle les médecins ne pouvoient remédier en cette affliction, la Comtesse Judith, sa femme, fille de Judicaël, Comte de Nantes, luy conseilla de faire un vœu à S. Corentin, & promettre de donner quelques terres & héritages à son Église il la crût, & ainsi, ayant fait dresser & signé les contrats des terres qu’il disposoit donner, il se fit porter à Kemper-Corentin, où il visita l’Église & fit sa prière, puis mit ces contrats sur l’Autel, offrant à Dieu & à S. Corentin les terres & héritages qui y estoient mentionnez, &, aussi-tost, la défluxion se dissipa, &, du depuis, n’eut plus mal aux yeux. Ce saint corps demeura à Kemper jusques à l’an 878. que les Normands ayans pris terre en Cornoüaille, les Chanoines & Ecclesiastiques de Kemper se retirèrent à Tours, emportans le trésor de leur Église, &, entre autres Reliques, le Corps de saint Corentin, qu’ils mirent en l’Église de saint Martin depuis, il fut transporté à Marmoutier, où il est reverement conservé.

Cette Vie a esté par nous recueillie des anciens Breviaires et Legendaires MSS. des Églises Cathedrales des Dioceses de Cornoüailte, Léon et Nantes, qui en ont l’Histoire distribuée en 9. Leçons ; Molanus, en ses Additions sur Usward, où il appelle Kemper-Corentin, Civitas Aquilœ ; Robert Cœnalis, Evesque d’Avranches, de re Gallica lib. 2, perioche 6 Benoist Gononus, Célestin, in vitis PP. Occid. lib. 1 pag. 27 Alain Bouchard, en ses Annales de Bretagne, l. Il ch. 4, récite un abregé de sa vie, et d’Argentré, en son Histoire de Bretagne, 1. 1, ch. Il et l. 11, ch. 9 ; le P. Augustin du Pas, en son Catalogue des Evesques de Cornoüaille, à la fin de son Hist. des Illustres Maisons de Bretagne, saivu par Jean Chenu, en son Histoire Chronologique des Evesques de France, et Claude Robert, en sa Gallia Christiana, lettre B.

ANNOTATIONS. AUTORITÉ DE LA VIE DE SAINT CORENTIN (A.-M. T.).


Cn 1886, Dom F. Plaine 0. S. B. faisait paraître une à Vie inédite de saint Corentin, écrite au siècle, par un anonyme de Quimper, publiée avec prolégomènes, traduction et éclaircissements. » Le pieux et savant bénédictin l’avait découverte lui-même au musée Bollandien de Bruxelles où elle était venue de Montreuil-sur-Mer (on sait que dans cette ville était conservée une partie notable des reliques de notre saint). Ce manuscrit n’est que de 1664, mais la lettre d’envoi qui l’accompagne et qui était adressée à Henschenius affirme que la transcription a été faite sur des manuscrits rongés de vétusté. « Le texte en est parfaitement identique quant au fond et quelquefois même quant à la lettre avec celui du Chronicon Briocense, du Sanctorale Corisopitense. etc. Cette identité serait absolument inexplicable si l’on n’admettait pas qu’à l’époque de la translation du corps de saint Corentin, le texte primitif de la Vie du saint fut transféré simultanément et arriva ainsi jusqu’à Montreuil en Picardie. » C’est affirmer que ce « texte primitif » était bien du IXe siècle.

Dom Plaine ajoute : « Si nous examinons la vie de saint Corentin en elle-même, nous en déduirons 1° Que l’auteur était clerc de l’église même de Quimper, par conséquent des mieux placés pour en connaître les vraies traditions. Qui sait même s’il n’avait point à sa disposition certains documents primitifs, aujourd’hui et depuis longtemps perdus sans retour ? 2° Qu’il a dû apporter le plus grand soin dans ses recherches, car il s’était proposé pour but non de composer un simple éloge ou un panégyrique, mais bien de retracer dans son ensemble la vie de son héros. » Dom Plaine constate ensuite que l’écrivain anonyme écrit le latin avec une pureté et une élégance au moins relative, admet bien qu’il est un peu déclamateur (non dans l’histoire du saint mais dans le tableau qu’il fait des vices de sa propre époque) et déclare qu’il rachète ce défaut par un ton de bonne foi et de franchise bien propre à lui gagner des suffrages.

Évidemment je ne puis reproduire ici ni ce texte, ni sa traduction ; qu’il suffise de constater l’accord du récit d’Albert Le Grand avec celui du premier historien de saint Corentin les seules différences viennent de la simplicité d’Albert qui attribue toujours aux siècles même les plus reculés, les mœurs et le langage de son temps.

Pour en revenir à l’anonyme du IXe siècle, je dirai encore : Personnellement je suis porté à trouver valables les raisons que Dom Plaine invoque en sa faveur, mais la bonne foi me fait un devoir d’ajouter que M. de la Borderie ne fait pas grand fond sur ce document. Il ne le fait remonter qu’au XIIIe siècle[6] et y relève certains détails qu’il regarde comme des impossibilités historiques ; exemple « Saint Martin était mort depuis un siècle (lors de l’arrivée de saint Corentin à Tours). — Son successeur, en qualité de métropolitain, avait le droit de confirmer l’élection épiscopale faite par le peuple et le clergé d’un diocèse dépendant de sa métropole, nullement celui d’en élire l’évêque. Quant à la dignité abbatiale soi-disant conférée par Corentin à Gwennolé et à Tudi, en ce qui touche le premier du moins, rien de plus faux. Gwennolé fut institué abbé par son maître saint Budoc quand celui-ci mit sous sa direction onze moines de Lavré. Il était abbé avant l’épiscopat de Corentin et contribua beaucoup plus à faire celui-ci évêque que Corentin à le faire abbé. »

SAINT CORENTIN À PLOMODIERN (A.-M. T.).


Très peu favorable à notre légendaire en ce qui concerne l’épiscopat de saint Corentin à son début, l’historien de la Bretagne est moins sévère pour la partie qui concerne la vie du solitaire au Ménez-Hom, et il en admet le fond comme croyable, mais là où je me sépare tout à fait de M. de la Borderie c’est quand il explique le miracle du poisson mutilé tous les jours et toujours vivant. « C’est simplement, dit-il, une figure de l’Eucharistie, car chez les anciens chrétiens le poisson (ΙΧΥΣ en grec) est le symbole du Christ. » M. l’abbé Guillotin de Corson s’est empressé d’admettre cette explication, et j’avoue que je ne puis comprendre qu’on s’y soit arrêté. Ce symbole du Poisson figure de Jésus-Christ, symbole si familier aux chrétiens de Rome, au temps des persécutions, rien absolument ne l’indique comme ayant été connu des chrétiens d’Armorique ni au temps de saint Corentin, ni au temps de son légendaire, que celui-ci soit du IXe ou du XIIIe siècle.

Que le miracle quotidien du poisson soit réel ou soit faux, pensez-en ce que vous voudrez, mais renoncez à l’expliquer.

LE PLUS ANCIEN DOCUMENT RELATIF À SAINT CORENTIN (A.-M. T.).


Au tome III de l’Histoire de Bretagne, p. 321, nous lisons « Dans un des chapitres en vers de la Vie de saint Gwennolé, il y a un bel éloge de Corentin auquel sont associés et le roi Gradlon et le fondateur de Landevenec ; c’est aujourd’hui le plus ancien texte concernant le premier évêque de Corisopitum, en voici la traduction :

« Comme ils brillaient d’une triple lumière les sommets de la Cornouaille, quand ces trois grands hommes — Gradlon, Corentin et Gwennolé — y tenaient le premier rang ! —Gradlon avait pour sa part l’empire terrestre sagement il gouvernait les campagnes et les rivages. Corentin dans sa haute dignité, dans la splendeur dont l’environnait le corps sacré du Christ, apaisait la soif du peuple en lui distribuant le breuvage précieux de la foi. Il mérita d’être appelé le premier des contemplatifs car, voué à la plus profonde contemplation, à la vie la plus austère, il fallait pour le retirer du désert les plaintes des églises avec soin et diligence il les examinait, il rendait aux peuples une paix solide, puis retournait à la vie d’où il s’était arraché. Pour Gwennolé, le plus illustre de tous, son activité prodigieuse, la hauteur transcendante de ses vertus justifiaient sa prérogative de père des moines. »

EXTRAIT DE L’EPITRE DU VÉNÉRABLE PÈRE J. MAUNOIR AU GLORIEUX SAINT CORENTIN (1659) (A.-M. T.).


Dieu avait envoyé dans ces dernières limites de la Gaule Celtique, sept brillantes lumières pour dissiper les ténèbres de l’infidélité S. Paul en Léon, S. Tugdual en Tréguier, S. Brieu en Saint-Brieu, S. Malo en Saint-Malo, S. Samson en Dol, S. Paterne en Vennes et vous en Cornouaille. Vous avez esté entre ces beaux astres de l’Église, ce qu’est le soleil parmy les planettes vous avez esté le premier maistre des roys de l’Armorique, et l’Église, le jour de vostre feste, vous donne cet éloge, vous appellant Pater orphanorum, Patronus Oppressorum, Magister Regum, et vous disant en vostre octave :


Septem sanctos veneremur,
Et in ipsis demiremur
Septiformem gratiam
His proofulsit Corentinus.

« … Ça esté à la faveur de cette langue Armorique, ô grand apostre, que vous avez planté la foy dans la Cornouaille, avec des bénédictions du Ciel très spéciales, et qui donnent une vénération particulière pour l’idiosme dont vous vous estes servy. Le soleil n’a jamais éclairé de canton, où ayt paru une plus constante et invariable fidélité dans la vraye foy, depuis que vous en avez banny l’idolastrie. Dieu vous a mis comme un chérubin à la porte de ce Paradis terrestre pour empescher le retour du serpent infernal. Il y a treize siècles qu’aucune espèce d’infidélité n’a souillé la langue qui vous a servy d’organe pour prescher Jésus-Christ, et il est à naistre qui ayt vu un Breton bretonnant prescher une autre religion que la catholique. Les Eveschez, qui ont tenu fidélement à l’idiosme que vous avez honoré de vostre bouche sacrée, ont les mesmes avantages et faveurs, auxquelles aucune autre nation ne peut prétendre.

Dans votre Evesché, après qu’on a franchi le Cap Sizan, se void une isle nommée l’isle de Sein, où ne se trouve aucune beste venimeuse, et où aucun serpent ne peut subsister. C’est l’image de vostre terre saincte, arrousée de vos sueurs, terre qui, depuis qu’elle a esté cultivée par vos soins charitables, ne produit aucun venin contraire au sentiment de nostre Mère la saincte Église. »

LES SEPT SAINTS DE BRETAGNE (A.-M. T.).


On a souvent écrit, en ces dernières années, sur le pèlerinage fort ancien et fort populaire des Sept saints de Bretagne. M. Le Men, dans sa savante monographie de la Cathédrale de Quimper, a parfaitement résumé tout ce qu’avaient dit ses devanciers ; et ceux qui sont venus après lui n’ont guère ajouté à son exposé aussi complet que lucide les sept saints sont les fondateurs des sièges épicospaux bretons ; c’est pourquoi saint Clair, de Nantes, et Saint Amand, de Rennes, ne figurent pas dans ce groupe glorieux ; leurs sièges furent d’abord et longtemps occupés par des évêques gallo-franks ; il est vrai qu’on peut en dire autant du siège épiscopal de Vannes, mais comme politiquement il devint breton avant les deux autres, saint Patern fut vite assimilé, dans la dévotion populaire, aux vrais évêques bretons. Celui-ci était honoré, non dans l’église où il avait siégé, mais dans celle qui portait son nom les six autres étaient "honorés chacun dans sa cathédrale.

Dom Lobineau dit avoir vu au prieuré de Saint Georges, de Dinan, « des vestiges d’un chemin pavé destiné tout exprez, appelé pour cela le Chemin des sept Saints. » Il ajoute :« On voit encore dans l’Église de Quimper, au costé méridional de la porte du chœur, un ancien autel dédié aux sept saints, ou ces sept évesques sont dépeints avec leurs attributs tirés de leurs principaux miracles, et leurs noms au bas. »

Cet autel a disparu, mais la petite niche qui le surmontait existe toujours à l’entrée du chœur, au dessous de la statue de saint Corentin ; c’est là qu’on exposait aux époques de ces grands pèlerinages la relique du saint patron. Les pèlerinages des Sept Saints, appelé aussi Tro Breiz, se renouvelait, à la fin du XIVe siècle (du moins dans l’Evêché de Vannes), quatre fois par an à Pâques, à la Pentecôte, à la fête de saint Michel, et à Noël ; c’est ce qu’on appelait les quatre temporaux ; la durée de chacun était d’un mois (quinze jours avant, et quinze après chacune des quatre fêtes).

Malgré les dangers du voyage, l’affluence des pélerins était considérable il a été possible d’évaluer à trente cinq mille environ le nombre des personnes qui visitèrent pendant une année à la fin du XIVe siècle, l’église de saint Patern à Vannes. Le montant de leurs oblations s’éleva à une somme représentant huit à neuf mille francs de notre monnaie.

Ce pèlerinage se faisait à pied, en suivant une voie romaine qui, partant de Vannes, se rend à Quimper en passant par Hennebont, la Chapelle Saint-Pierre en Rédéné, Quimperlé, Mellac, Le Trévoux, Bannalec, la Trinité en Melgven, Locmaria-an-Hent en Saint-Yvi, et Saint-Anne de Guélen en Ergué-Armel. Tout près du bourg de Locmaria-an-Hent, était une fontaine appelée encore, au XVIe siècle, Fontaine des sept Saints, qui était au moyen-âge très fréquentée par les pèlerins, et dont, pour ce motif, le prieur de Locamand, à qui elle appartenait, tirait un certain revenu. Après avoir visité les reliques de saint Corentin, les pèlerins devaient se rendre, par la route de Pleyben et de Morlaix, à Saint-Pol de Léon, d’où ils gagnaient successivement Tréguier, Saint-Brieuc, Saint-Malo et Dol, en suivant la voie romaine la plus voisine du littoral. Il existe, où il a existé, à peu de distance de ce parcours, des chapelles ou des fontaines qui ont conservé le vocable des sept saints Coetmaloën, Erquy, Plédran, Plouaret, Yffiniac, Maroué, Bulat.

En 1410, le duc de Bretagne, Jean V, étant malade de la rougeole, à Rennes, fit vœu de faire le voyage des Sept Saints.

Dans la première moitié du XVIe siècle la coutume de ce pèlerinage n’avait pas disparu, mais les anciennes traditions étaient bien altérées ; par son testament daté du 11 avril 1518, Nicolas Coatanlem s’engageait à faire porter un écu (s’il ne pouvait l’aller porter lui-même) « Aux sept saincts de la Bretagne, sçavoir à monsr sainct Pierre de Nantes, à monsr sainct Paul, à monsr sainct Tudgoal, à monsr sainct Guillaume, à monsr sainct Brieuc à Saint-Brieuc, à monsr sainct Sampson, à monsr sainct Malo. »

Donc, dans l’itinéraire, Nantes est substitué à Quimper ou à Vannes, et l’apôtre saint Pierre à saint Corentin ou à saint Patern la ville de Saint-Brieuc a deux stations, l’une en mémoire de son patron, l’autre en l’honneur de saint Guillaume. Dans cette voie de l’oubli des vieilles traditions on marche vite ; à Brest, dans la vieille église des Sept Saints, les sept fils de sainte Félicité furent substitués aux saints évêques qui ont fait notre Bretagne on peut voir encore dans l’église Saint-Louis un tableau qui représente le martyre de ces saints jeunes gens. A Locmaria-an-Hent, un bas relief fort laid représente également sainte Félicité entourée de ses sept enfants ; cette œuvra baroque est du XVIIIe siècle.

Nos sept saints sont représentés dans une belle plaque d’émail sur lave à la cathédrale de Quimper (retable de l’autel dans la chapelle absidale) dans les verrières si consciencieusement

étudiées de Plounéour-Trez, et dans les remarquables vitraux de la chapelle du Grand-Séminaire.
LES TROIS GOUTTES DE SANG (A.-M. T.).


Dans le Propre du bréviaire pour le diocèse de Quimper, au mercredi avant le Mercredi des Cendres, on trouve les leçons qui suivent pour la fête de l’Effusion du Sang du Crucifix. « Ce qui a donné lieu à la solennité d’aujourd’hui, c’est un miracle éclatant que la tradition dit s’être autrefois accompli dans l’église de Quimper. Un habitant de la ville, homme honorable et riche, allant partir pour la Terre-Sainte, confia à un ami la garde de sa famille et l’administration de valeurs très considérables, et cela sans appeler personne en témoignage. Il consacra plusieurs années à son pèlerinage, et quand il fut enfin de retour il réclama de son ami le dépôt qu’il lui avait confié celui-ci déclara qu’il n’avait rien reçu. Le pèlerin frustré le traduisit en justice, mais ne pouvant, faute de témoins, prouver la culpabilité, il demanda que les deux intéressés fussent admis à prêter un serment solennel devant le Crucifix, admettant que cette épreuve terminerait l’affaire. Ils se rendirent donc tous deux à la Cathédrale, et là, au moment même où le dépositaire ajoutait le parjure à son premier crime, les pieds du Crucifix de bois, attachés par un seul clou se séparèrent, et répandirent trois gouttes d’un sang miraculeux. La réalité du prodige ayant été bien établie, il fut réglé que pour en perpétuer la mémoire, la fête de l’Effusion du Sang du Crucifix, se célébrerait chaque année le mercredi avant les Cendres. Les trois gouttes de Sang sont encore conservées très religieusement avec l’image du Crucifix dans la cathédrale de Quimper. »

Dans cette dernière affirmation il y a deux inexactitudes 1° il n’y a plus que deux gouttes ; celle qui était à part, dans un vase de cristal, d’après les inventaires de 1273 et de 1361 a disparu depuis un temps immémorial 2° du grand crucifix de bois il n’y a plus que la tête, le reste a été brisé par les terroristes en la fête de saint Corentin, 12 décembre 1793.

La fête de l’Effusion du Sang du Crucifix se célèbre à Quimper, au moins depuis le XIVe siècle ; le crucifix miraculeux était vénéré sur un petit autel placé entre les deux piliers du fond du chœur sur une colonne dominant le maître-autel était une châsse en vermeil exécutée en 1219 par les soins de l’évêque Rainaud et ornée des figures des douze apôtres ; destinée à recevoir les reliques de saint Ronan elle renferma aussi plus tard les gouttes de Sang avec leurs nappes. En 1790, elles furent extraites du reliquaire qui disparut dans l’odieuse confiscation de l’argenterie des églises, mais elles furent sauvées en 1793 en même temps que le Bras de saint Corentin. À partir de ce moment ces deux principaux trésors de la cathédrale de Quimper n’ont plus qu’une seule et même histoire, et comme il nous fallait, dans l’annotation qui suit, parler des Trois Gouttes de Sang, pensant que nous ne serions pas compris si nous ne donnions pas une notice sur ce précieux objet, nous avons inséré le récit qui précède.

LES RELIQUES ET LE CULTE DE SAINT CORENTIN (A.-M. T.).


Inutile de revenir sur l’exode des reliques de nos Saints quittant la Bretagne pour être soustraites aux profanations des Normands. Dès que le danger se fut manifesté, le corps de saint Corentin fut exhumé de son tombeau dans le chœur de la cathédrale, et pendant quelque temps resta caché dans le pays.

1° Quimper garda au moins un bras, comme on le voit par un inventaire de 1219 (Cartulaire de Quimper). Depuis des siècles cette relique a disparu de la cathédrale sans qu’on sache ni quand, ni comment.

2° Entre 910 et 920, le monastère de Saint-Magloire de Léhon, près Dinan, possédait une partie notable des restes de saint Corentin ; il y a lieu de croire que cette possession datait de la première translation (876-880). 3° Montreuil-sur-Mer (aux confins de la Flandre et de la Picardie), reçut avec le corps de saint Conogan, une partie notable du corps de saint Corentin.

4° Au commencement du Xe siècle (910-920), les Normands gagnant toujours du terrain, Salvator, évêque d’Aleth, et Junanus, abbé de Léhon, emportant les corps saints dont ils avaient la garde, allèrent jusqu’à Paris où ils déposèrent les reliques des saints bretons dans l’église de Saint-Barthélemy, d’où une partie peu notable des ossements de saint Corentin fut apportée à Corbeil.

5° Plus tard, l’abbaye de Marmoutiers reçut de Paris la plus grande partie des reliques de saint Corentin, et en particulier son chef, mais il en demeura une partie encore fort importante dans la ville royale.

6° C’est là, dans l’église Saint-Magloire, qu’au XIIe siècle Philippe-Auguste en obtint une part pour un monastère de religieuses qu’il fondait alors près de Mantes, au diocèse de Chartres, monastère qui prit le nom d’Abbaye de Saint-Corentin. Une autre partie fut donnée au célèbre monastère de Saint-Victor (de Paris), mais beaucoup plus tard, à l’époque des guerres de religion.

7° Les reliques qui étaient demeurées au trésor de Saint-Magloire (de Paris) arrivèrent en la possession de l’Oratoire (du cardinal de Bérule). Elles appartiennent maintenant à l’église de Saint-Jacques du Haut-Pas et nous aurons à y revenir.

Voilà donc bien des églises en possession des reliques de saint Corentin, mais sa cathédrale et son diocèse ne possédaient même plus une parcelle de ses os. Plusieurs fois, paraît-il, les moines de Marmoutiers avaient été instamment priés de rendre à la Cornouaille quelques fragments du corps de son premier évêque, mais ces démarches étaient restées sans succès.

LE BRAS DE SAINT CORENTIN À QUIMPER.

Enfin en 1619 Guillaume Le Prestre de Lézonnet évêque de Quimper adresse une nouvelle demande ; il le fait par écrit.

Le 10 mai 1623 se trouvant à Tours il réclame de vive voix, et Jacques Dhuisseau grand prieur de Marmoutiers, de l’avis du chapitre de ses moines, accueille favorablement les instances de l’évêque auquel il donne Le Bras de Saint Corentin (l’os humerus). Il donne en même temps une relique du même saint à Guillaume Le Gouverneur évêque de Saint-Malo.

Guillaume Le Prestre dépose le Bras de saint Corentin dans son manoir de Kervégan (paroisse de Scaër), le laisse là pendant dix-sept ans, et ne s’en occupe plus que le jour de sa mort. Il lègue alors 1.500 livres pour aider à faire un reliquaire.

Le 16 novembre 1C40 les chanoines Étienne Follart archidiacre de Poher, et Julien Le Texier arrivant de Scaër où ils se sont rendus sur les instances de l’évêque mourant, remettent au trésor de la cathédrale le Bras de saint Corentin dans la petite caisse et avec les actes de donation venus de Marmoutiers.

Depuis deux ans une terrible peste décimait la population de Quimper ; le fléau s’était déclaré après une odieuse profanation de la statue dominant la fontaine de saint Corentin. Le matin du 2 février 1640 un saint prêtre de la Compagnie de Jésus, le P. Pierre Bernard avait en révélation que c’était à saint Corentin qu’il fallait s’adresser pour obtenir la cessation de l’épidémie. Le procureur syndic informé ayant assemblé les bourgeois à la maison commune, le vœu avait été formulé le jour même ; sans retard, la fontaine du saint fut réparée, la statue remplacée, et celle qui avait été mutilée, placée après restauration dans la cour du collège, pour y devenir l’objet de la vénération des écoliers[7]. Cela ne pouvait suffire aux pieux bourgeois de Quimper ils réunirent tout ce qu’ils purent trouver de ressources pour vénérer dignement et placer honorablement la relique tant attendue.
Le 3 mai 1643 le jubé construit à grands frais à l’entrée du chœur pour recevoir le Bras de saint Corentin était enfin terminé ; la chasse d’argent surmontée de deux anges et de l’image du saint était toute prête ; la veille de ce jour le pieux évêque René du Louet visita la relique, reconnut les cachets dont elle avait été scellée (de l’abbaye de Marmoutiers, des évêques de Quimper et de Saint-Malo, etc.) et la caisse même qui portait l’empreinte de ces sceaux. Il dressa un nouveau procès-verbal. La translation se célébra avec une solennité inouïe, et avec le concours du Chapitre, de tout le clergé séculier et régulier de la ville et de Kerfeunteun, du Présidial, de l’Hôtel de Ville ; la station de la procession solennelle fut l’église de Locmaria. Une foule innombrable suivait le cortège. Pendant huit jours la relique resta exposée à la vénération ; la grand’messe et les vêpres se chantaient avec solennité et la procession se faisait à la cathédrale, avec le même concours du clergé, des religieux, des magistrats et du peuple.

On peut dire qu’à partir de cette date le Bras de saint Corentin est devenu le palladium de la ville de Quimper. L’octave de la translation ayant été célébrée, il fut placé sur le jubé construit à cet effet, et de 1640 jusqu’à la Révolution il ne fut descendu (c’est le mot consacré) que trois fois le 28 août 1768, par Auguste-François-Annibal Guillé de Farcy, le 8 juillet 1782 et le 6 mai 1785 par Toussaint Conen de Saint-Luc. Le cérémonial fut exactement le même qu’en 1643, et les solennités durèrent encore huit jours. À ces processions figuraient aussi les autres reliques que possédait la cathédrale, et la statue d’argent de saint Corentin.

Cette statue avec les reliquaires en métal précieux fut confisquée en 1790, et les reliques restèrent sans aucune châsse convenable pour les exposer.

En 1791 l’évêque constitutionnel Expilly fit démolir le jubé élevé d’après le vœu des bourgeois et qui, il faut bien le dire, avait mieux prouvé leur piété et leur générosité que leur bon goût. En dépit de l’enthousiasme qu’elle avait inspiré au bon Père Maunoir, cette massive construction masquait le chœur on peut donc savoir gré au prélat intrus, à ses vicaires épiscopaux, au maire Le Goarre et à l’entrepreneur Castellan d’en avoir débarrassé la cathédrale. Alexandre Expilly fit alors placer à l’entrée du chœur les immenses statues de Notre-Dame et de saint Corentin qu’on peut voir aujourd’hui à l’église de Penmarc’h.

Dans la nuit du 8 au 9 décembre 1793, Daniel Sergent maître menuisier, et Dominique Mougeat sous-diacre (assermenté), sacristain de la cathédrale, prirent le Bras de saint Corentin et les Nappes des Trois Gouttes de Sang, traversèrent la rue Neuve, le chemin de Pen-ar-Stang et transportèrent leur pieux larcin au presbytère du Petit-Ergué ou Ergué Armel ils le confièrent au prêtre constitutionnel Claude Vidal, mais en réalité ce fut le très catholique et très vénérable maire M. Loëdon qui veilla sur le dépôt à lui confié. Daniel Sergent et Dominique Mougeat avaient été bien heureusement inspirés, car trois jours après, un hideux personnage nommé Dagorn[8] profanait odieusement la cathédrale, criblait de balles les tableaux, brisait les statues, violait les tombeaux et brûlait sur le champ de bataille un immense amas de débris amoncelés. Après les événements de Thermidor (28 juillet 1794), les catholiques et les constitutionnels crurent un instant au retour de la liberté religieuse et Daniel Sergent alla reprendre au Petit-Ergué le Bras de saint Corentin et les Trois Gouttes de Sang ; lui-même fit deux châsses en bois sculpté et mouluré et c’est dans ces pauvres reliquaires qu’il les restitua à la cathédrale de Quimper, la veille de la fête de saint Corentin, 11 décembre 1795 cette restitution fut faite au clergé schismatique. Les deux châsses furent portées en procession le lendemain dans la pauvre cathédrale dépouillée, puis on les plaça dans l’église à l’endroit où elles restèrent, bien négligées, jusqu’en 1821 ou 1825 les trois évêques qui se succédèrent après le Concordat ne s’occupèrent pas d’en reconnaître le contenu ; toutefois, Mgr Dombideau de Crouseilhes prouva qu’il admettait l’authenticité du Bras de saint Corentin, puisqu’en 1819 il permit d’en détacher une parcelle pour la paroisse de Plonévez-Porzay (parcelle révisée le 14 juillet 1855 par Mgr Sergent).

Le 24 juillet 1807, M. l’abbé Le Guernalec de Keransquer, originaire du diocèse de Quimper, vicaire général de Mgr de Barrai, archevêque de Tours, arrivait à Quimperlé, apportant un fragment d’un os de saint Corentin, seul débris échappé à ses reliques conservées à Marmoutiers. Le dimanche suivant, 2 août, Mgr Dombideau, évêque de Quimper, en faisait la réception avec une grande solennité, mais la relique (l’ossiculum) ne fut apportée dans la ville épiscopale que deux ans après, et la translation en passa à peu près inaperçue.

Dans les inventaires dressés par ordre épiscopal le 26 avril 1816, le 16 juillet 1814, le 12 janvier 1818, le 3 septembre 1821 sont invariablement signalés deux tombeaux contre les piliers à l’entrée du chœur, et contenant à droite, la Nappe des trois Gouttes de Sang ; à gauche, le Bras de saint Corentin.

En 1825, nouvel inventaire, mais cette fois il n’est plus fait mention des deux tombeaux et de leur contenu. C’est la période de l’oubli presque complet, du moins pour le Bras de saint Corentin, car le 23 décembre 1829 le Chapitre décide que les Trois Gouttes de Sang placées dans une nouvelle châsse élégamment vitrée seront placées dans la chapelle à laquelle se rattache leur souvenir. Mais pourquoi les reliques ont-elles été retirées de la place occupée durant un quart de siècle ? C’est qu’il a fallu les reléguer à la sacristie pendant qu’une escouade de barbares étend le badigeon sur les colonnes et les murs noircis de la vieille église. Bientôt il n’y a plus que quelques prêtres et quelques serviteurs de la cathédrale à connaître l’existence d’une vieille petite caisse contenant un os qui pourrait être le Bras de saint Corentin, comme on le dit timidement.

Le 9 décembre 1879 M. de Penfentenyo, récemment promu à l’administration de la paroisse Saint-Corentin, visite avec M. François Daoulas fils, maître menuisier, le mobilier de la sacristie et y trouve l’os dont il vient d’être parlé, toujours dans sa petite caisse ; celle-ci, très étroite, est placée en diagonale dans une autre caisse plus large. La petite caisse porte différents cachets rompus, mais sans que les fragments en soient détruits ou perdus. Évidemment c’est une relique autrefois reconnue.

Pour la première fois j’entends parler de cette trouvaille le mardi de Pâques 1880. Au mois d’août suivant M. le Curé de la Cathédrale me prie de vouloir bien m’en occuper. Sur les dires de ma grand’mère[9] et de Mademoiselle Rosine Brisson, petite-fille du menuisier Daniel Sergent, j’avais longtemps cru que le Bras de saint Corentin avait réellement été restitué à la cathédrale, puis, faute de le voir vénéré, j’avais dû renoncer à cette conviction, quand parut en 1877 la Monographie de la Cathédrale de Quimper par M. Le Men, le savant archiviste du Finistère. Or cet ouvrage affirmait la possession du Bras par la cathédrale, donnait la teneur du procès-verbal dressé par les prêtres assermentés de 1795, la description minutieuse des deux caisses qui contenaient la relique, la nomenclature des cachets qui y figuraient. Reconnaître le taffetas vert dont la relique de saint Corentin avait été enveloppée à Marmoutiers, la petite caisse dans laquelle l’avait insérée le grand-prieur Jacques Dhuisseau, la châsse ou tombeau fabriquée par D. Sergent, les sceaux de Marmoutiers, de Guillaume Le Prestre de Légonnet et de René du Louet me fut chose très facile. Je ne reconnus pas le sceau de Guillaume Le Gouverneur, évêque de Saint-Malo je manquais pour ceci des éléments nécessaires. Mgr Nouvel chargea M. Jégou, vicaire général, de continuer l’enquête commencée par moi. Il déclara en être très heureux, mais négligea de s’en occuper. À sa mort, M. du Marhallac’h, vicaire général, lui fut substitué à cet effet et mit à ses investigations une ardeur peu commune. C’est à lui que sont dues les indications sur les inventaires où figure la relique pendant les premières années du siècle, et les explications très admissibles sur l’état d’esprit qui amena l’oubli du Bras tant vénéré autrefois. Son rapport fut présenté à l’Évêque en mai 1885 ; en 1886, le 30 novembre, Mgr Nouvel adressa à son clergé la lettre par laquelle il reconnaissait comme étant le Bras de saint Corentin la relique trouvée à la sacristie par M. de Penfentenyo, et depuis soumise à de consciencieuses études. Le 9 décembre, devant les chanoines réunis, Monseigneur et M. Téphany, secrétaire du chapitre, scellaient le nouveau reliquaire destiné à l’enfermer désormais.

Le samedi 11 décembre 1886, au chant enthousiaste du Pange solemnes soutenu par toute la puissance des grandes orgues, devant une foule de prêtres lui formant un glorieux cortège, en présence d’un peuple joyeux, le Bras de saint Corentin, après plus de soixante ans d’oubli, fait son entrée dans sa cathédrale, naguère si pauvre et si nue, maintenant si belle et si somptueuse, et après avoir fait le tour de la noble église il est déposé sur un trône digne d’un roi, à l’entrée du chœur ; c’est là qu’entouré de palmes, de fleurs et de lumières, il reçoit les hommages de la Cornouaille et aussi ceux du Léon, pendant cette soirée et les deux jours qui suivent. Le dimanche 12, Quimper, Concarneau, Douarnenez, Pont-PAbbé, offrent à saint Corentin un triomphe incomparable ; jamais peut-être ville n’a offert une décoration aussi somptueuse sur le parcours d’une procession. Le quartier favorisé est la rue Neuve, où Daniel Sergent demeurait quand il reçut chez lui le Bras de saint Corentin, et le zèle et la dévotion des braves gens de cette rue justifient grandement le choix de cet itinéraire. Le lundi 13 la cathédrale est insuffisante pour recevoir la multitude innombrable venue des paroisses rurales du canton de Quimper sous une pluie torrentielle, avec un vent qui a exigé des efforts héroïques aux porteurs de bannières. Et depuis ces trois jours, 11, 12, 13 décembre 1886, la dévotion à saint Corentin a repris une intensité dépassant probablement celle qui se manifesta vers le milieu du XVIIe siècle sous l’influence du P. Maunoir et du P. Bernard. Chaque année, le dimanche qui suit le 12 décembre, à cinq heures du matin, la cathédrale est envahie par la foule des pèlerins venus de la campagne pour entendre déclarer saint Corentin, c’est-à-dire pour écouter son panégyrique. Aux offices solennels et surtout à la procession du Bras de saint Corentin (qui suit le panégyrique français, après les vêpres) ce sont surtout les fidèles de la ville qui sont présents ; et c’est un spectacle bien touchant que celui des visages se tournant avec une visible vénération vers le splendide reliquaire où, dans son cylindre de cristal aux frontons d’or et d’émail, apparaît le Bras de saint Corentin, reliquaire non seulement riche mais gracieux sur une plate-forme toute brillante d’or, quatre statuettes d’argent portent la relique et deux autres l’accompagnent elles représentent Salvator, évêque d’Aleth, et Guillaume Le Prestre de Lézonnet, évêque de Quimper, Jacques Dhuisseau, grand prieur de Marmoutiers, et Mgr Anselme Nouvel, évêque de Quimper et de Léon, enfin M. de Penfentenyo et M. du Marhallac’h c’est donc comme un résumé de l’histoire de cette relique.

Le jeudi 20 juillet 1893 le Bras de saint Corentin fut extrait pour la première fois de son nouveau reliquaire. M. Nicolas, recteur de Plomodiern, avait demandé à Mgr Valleau et au Chapitre une parcelle du Bras vénéré pour la chapelle érigée au lieu où le saint passa sa jeunesse sacerdotale. Cette demande était trop bien justifiée pour ne pas être favorablement accueillie. La parcelle accordée fut insérée dans un reliquaire rappelant celui de la cathédrale. Le samedi 22, elle était apportée à Ploéven par M. Corentin Toulemont, chanoine délégué du Chapitre, et recevait bien des hommages en passant par Plogonnec, Locronan et Plonévez-Porzay La procession de Plomodiern arrivait vers le soir à Ploéven pour recevoir la relique et repartait presque immédiatement. Le dimanche 23, à la procession de Plomodiern s’unissaient celles de Douarnenez, Ploaré, Tréboul, Le Juch, Kerlaz, Plonévez-Porzay, Ploéven, Locronan, Quéménéven, Dinéault, Saint-Nic, Trégarvan, Argol, Telgruc, Lanvéoc et Crozon. Toutes les solennités de ce beau jour furent présidées par Mgr Valleau.

Cette année 1900, le dimanche 22 juillet, Mgr Dubillard célébrait à Plomodiern une fête encore bien belle. Il bénissait la nouvelle chapelle érigée là où, en 1893, on trouvait si peu digne de saint Corentin le pauvre édifice élevé au XVe siècle. Pendant ces six années, M. Nicolas s’était fait quêteur volontaire, et il avait glané à peu près de quoi réaliser son beau rêve. Un architecte particulièrement dévot à saint Corentin avait été initié à ce rêve et l’avait traduit dans le plus gracieux des projets. Outre les processions des paroisses énumérées plus haut, nous trouvions encore cette fois à Saint-Corentin de Plomodiern : Châteaulin, Port-Launay, Saint-Ségal, Saint-Coulitz et Cast.

Puisque j’ai uni l’histoire des Trois gouttes de Sang à celle du Bras de Saint Corentin, il me faut dire que Mgr Nouvel en fit la vérification le samedi 27 janvier 1883. En les extrayant de la châsse de saint Ronan, en 1714, l’évêque Hyacinthe de Plœuc n’avait point brisé les sceaux apposés par François de Coëtlogon en 1687 il s’était donc écoulé 203 ans depuis le dernier examen de la relique.

J’ai assisté à cette vérification : les nappes, en parfait état de conservation, sont d’une belle toile, et ornées de barres bleues d’une jolie nuance ; aux extrémités, de longues franges font corps avec le tissu. On y voit des trous qui doivent correspondre aux coupures des parties imprégnées de sang, car celles-ci ont été mises à part, comme je l’ai dit. Le mercredi suivant, 31 janvier, Mgr Nouvel consacra l’autel des Trois gouttes de Sang. La chapelle où il se trouve est ornée d’une belle verrière moderne où le miracle est représenté d’une manière très frappante. Le dimanche 17 décembre, amende honorable pour le centenaire de la profanation de la cathédrale en 1793.

Le dimanche 15 décembre 1895, la fête de saint Corentin est célébrée comme en 1886 par une procession magnifique qui suit le même itinéraire. C’était le centenaire de la rentrée du Bras de saint Corentin à la Cathédrale, et la dévotion populaire se manifesta comme elle l’avait fait sept ans auparavant. Ces deux cérémonies furent célébrées sur l’initiative de M. J.-C. Coat, curé-archiprêtre.

MONUMENTS DE SAINT CORENTIN (A.-M. T.).


Saint CORENTIN construisit la première Cathédrale de Quimper sur l’emplacement que lui avait donné le roi Grallon, et le Père Maunoir dit qu’il y travailla de ses mains. Il la dédia à Notre-Dame. Avant la Cathédrale actuelle, une autre (d’après M. Trévédy), plusieurs (d’après M. Le Men) furent successivement bâties.

La chapelle absidale est actuellement la partie la plus ancienne de la Cathédrale ; construite au XIe siècle en exécution d’un vœu à la suite d’une victoire remportée par le comte de Cornouaille, Alain Canihart, elle fut modifiée dans le XIIIe siècle, et rattachée à la nouvelle Cathédrale, jusque-là elle formait un édifice à part.

Saint Corentin n’avait point tardé à être patron de l’église de Quimper, de concert avec Notre-Dame. La plus belle, la plus harmonieuse, la plus richement ornée des cathédrales de Bretagne fut commencée en 1239 par l’évêque Rainaud, auquel on doit le chœur les bas côtés qui l’entourent furent élevés par Yves Cabellic (1280), et Allain Gonthier (1335), Gatien de Monceaux construit les voûtes du chœur (1408-1416), Bertrand de Rosmadec les fait peindre (1417), orne les fenêtres de vitraux peints et entreprend la construction de la nef ; en outre, il dote son église d’un splendide mobilier. La nef est terminée en 1460 sous l’épiscopat de Jean de Lespervez qui consacre une grande partie de ses biens à l’achèvement de l’édifice ; en 1469 il fait construire le clocher central en charpente recouverte de plomb (qui fut incendié en 1620). Thibaud de Rieux (1475), Alain Le Maout (1487-1493), élevèrent le transept et ses voûtes Raoul Le Moél (1494) fit faire les meneaux et les verrières des fenêtres de la nef, les balustres, les galeries, les pinacles.

Mgr Graveran (1854), au moyen du sou de saint Corentin donné par chacun des diocésains pendant cinq ans, commence les flèches de la Cathédrale sur les plans de M. Joseph Bigot. Mgr Sergent voit les flèches terminées et débarrassées de leurs échafaudages (1856). Son épiscopat est la période de transformation pour la Cathédrale 1857-1859, reconstruction de la sacristie 1860, galeries de la nef 1862-1867 débadigeonnage, œuvre délicate remarquablement accomplie par M. Mahé 1868 consécration du maître autel en orfèvrerie dessiné par M. Boeswilwald, etc., etc.

Mgr Nouvel prit fort peu de part aux travaux à exécuter dans sa Cathédrale, mais il lit continuer les peintures murales de M. Yan’ Dargent, et il encouragea le curé archiprêtre M. de Penfentenyo à qui l’on doit, entre autres choses, la restauration de la chapelle absidale, l’autel et le reliquaire de saint Corentin.

Dans cette même Cathédrale il nous faut signaler par ordre de dates :

1° Les représentations de saint Corentin dans les verrières du chœur, de la nef et du transept (XVe siècle).

2° Plusieurs bas reliefs reproduisant les principaux faits de la vie du saint dans les panneaux de la chaire à prêcher (1679, épiscopat de François de Coetlogon).

3° Petite statue de saint Corentin, exposée tous les jours de marché, et très vénérée des paysans Cornouaillais (XVIIe ou XVIIIe siècle).

4° Dans la chapelle de saint Corentin : — le reliquaire décrit, ordinairement enfermé, mais exposé pendant l’octave de saint Corentin, et aux principales solennités – un curieux bas relief représentant l’évêque G. Le Prestre recevant de Jacques Dhuisseau, prieur de Marmoutiers, le Bras de saint Corentin les peintures de Yan’ Dargent au-dessus de l’autel, saint Corentin porté au Ciel par les anges en face, la conversation de saint Corentin et de saint Primel. La seconde est la plus belle de toutes les peintures murales de la Cathédrale de Quimper ; les statues de saint Corentin et de saint Primel une intéressante verrière moderne reproduisant en 16 médaillons les principales scènes de la vie du Saint.

5° Dans la chapelle absidale, un très beau vitrail de M. G. Cl.-Lavergne, représente saint Corentin acceptant en présence de saint Guénolé, suivi des seigneurs bretons, l’offrande de la Cathédrale de Quimper que le roi Grallon présente à Notre-Dame. À l’entrée de cette même chapelle, saint Corentin figure encore avec saint Guénolé derrière le pieux évêque René du Louet, qui bénit dom Michel Le Nobletz et le P. Julien Maunoir, puis auprès de Mgr de Saint Luc, présentant à Pie VI sa protestation contre la constitution civile du Clergé.

6° Chapelle de Saint-Pierre Notre-Dame et saint Corentin acceptent les flèches de la Cathédrale présentées par Mgr Graveran. (Vitrail de M. Léopold Lobin, de Tours, 1856.)

7° À l’entrée du chœur, belle statue moderne de saint Corentin dans une jolie niche en granit au dessous une seconde niche presque semblable abrite un petit reliquaire. En dehors de la Cathédrale, le plus beau des vitraux où figure saint Corentin, est celui de Rumengol, représentant l’institution du pèlerinage de Notre-Dame d’après la tradition œuvre de M. Léopold Lobin[10].

Il faut aussi signaler la belle verrière du Grand-Séminaire : saint Corentin ayant le Père Maunoir agenouillé à ses pieds. (Œuvre de M. Georges Cl.-Lavergne.)

Si saint Corentin est premier patron de la Cathédrale, de la Ville et du Diocèse de Quimper, il l’est encore de sa très élégante chapelle érigée à la place de son ermitage en Plomodiern, sur les plans de M. J.-M. Abgrall, chanoine honoraire, architecte. Bâtie dans le style du XXIIIe siècle, cette chapelle a au-dessous de son porche latéral une Scala, édifice couvert s’ouvrant par une grande baie ogivale d’où l’autel est visible aux foules qui sont venues et viendront encore honorer en ce lieu sanctifié le patron de la Cornouaille. Au sommet du fronton se dresse une belle statue en kersanton représentant le saint évêque ; une autre statue toute semblable, mais polychrome se voit à l’intérieur ; enfin, sous le porche, saint Corentin est encore représenté, mais en costume de solitaire et avec une physionomie d’adolescent, c’est-à-dire tel qu’il devait être en arrivant ici. À quelques pas de la chapelle est la fameuse fontaine. On trouve encore le patronage de saint Corentin à Carnoët, à Saint-Connan, à Loperhet, dans des chapelles de Baud, Berrien, Poullaouen, Scrignac. Le saint a des autels à Moëlan, à Beuzec-Cap-Sizun et aussi à Melgven des statues à Châteaulin (église paroissiale et chapelle de Kerluan), Dirinon, Le Faouet (chapelle de sainte Barbe), Kerfeunteun (chapelle de la Mère de Dieu), Landeleau, Landrévarzec (chapelle de Quilinen), Meilars (chapelle de Notre-Dame de Confors), Pencran, Penmarc’h, Pleyben, Plomeur, Plonévez du Faou (chapelle de saint Herbot), Plouégat-Guerran, Plouguer, Riec, Saint-Divy la Forest, Douarnenez, Pluguffan, Pont-l’Abbé, Esquibien, Landerneau, Roscoff, Coray, Plounéour-Trez.

Il est représenté dans un bas-relief sur les volets de la niche de saint Maurice à la chapelle de Sainte-Cécile de Briec ; dans une peinture murale à l’église de Poullan ; sur une colonne dans la nef de la cathédrale de Tréguier ; belle peinture sur le lambris du sanctuaire de l’église du Bodéo. Statue dans une chapelle de Caurel (ces deux dernières paroisses de l’ancienne Cornouaille appartiennent présentement au diocèse de Saint-Brieuc.)

Je ne puis omettre de dire que l’ami de saint Corentin et de saint Guennolé, le bon et populaire roi Grallon à sa statue équestre en granit au fronton de la cathédrale de Quimper, entre les deux belles tours.

LES RELIQUES CONSERVÉES DANS L’ÉGLISE DE SAINT-JACQUES DU HAUT-PAS

À PARIS (A.-M. T.).


Il a été plusieurs fois question dans les annotations sur les reliques de nos saints, de celles qui sont conservées dans cette église, et j’avoue que je me suis demandé plusieurs fois si l’autorité diocésaine de Paris avait fait tout ce qui était possible pour que chacune de ces reliques fût reconnue séparément. La savante étude récemment publiée sur le cartulaire de l’abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé par MM. Léon Maitre et Paul de Berthou répond au doute que je m’étais fait sur ce point, et prouve que l’enquête a été aussi consciencieuse et aussi complète que possible. Je cite textuellement ce qui est dit à ce sujet dans les observations à la vie de saint Gurthiern :

« En 965, Salvator, évêque d’Aleth, craignant les suites de la guerre entre Richard duc de Normandie, et Thébaut, comte de Chartres, transporta à Paris les reliques de onze évêques, deux martyrs et quatre abbés, presque tous Bretons, entre autres des saints Magloire, Samson et Leutherne ou Lauthiern. Elles furent placées par Hugues Capet dans l’église royale de Saint-Barthélemy. Les Bretons, ayant plus tard remporté leurs reliques, en laissèrent quelques-unes à Paris, et c’est en leur honneur que l’église des saints Barthélemy et Magloire fut reconstruite et confiée aux Bénédictins. Vers 1138, les religieux allèrent habiter, hors de la ville, la chapelle Saint-Georges qui prit le nom de Saint-Magloire ; enfin, en 1572, ils emportèrent leurs reliques à l’hôpital Saint-Jacques [11]. Henri de Gondi établit ensuite un séminaire dans la maison des religieux ; ce fut le séminaire Saint-Magloire, aujourd’hui Institution des Sourds-Muets.

En 1793, le Père Tournaire, supérieur, fit cacher les reliques dans la terre. Elles en furent retirées en 1797, et on les déposa dans l’autel paroissial de Saint-Jacques du Haut-Pas, près de l’église de Saint-Magloire. Retrouvées en 1835 lorsqu’on substitua un revêtement de marbre au revêtement de bois du maître-autel, tous les ossements étaient mêlés ensemble. Toutefois, on savait à quels saints ils avaient appartenu. Mgr de Quélen en fit la translation solennelle le 25 octobre 1835. En juillet 1871, un incendie allumé par mégarde endommagea tellement les châsses de bois doré placées dans la sacristie de Saint-Jacques du Haut-Pas, qu’on dut placer les ossements dans d’autres reliquaires semblables. Les authentiques, en date du 8 mars 1873, reproduisant les premières à demi brûlées, émanent de Mgr Guibert et nous offrent bien, entre autres noms, ceux des saints Magloire, Samson et Leutherne mais il n’y est point question de saint Gurthiern.

Après nous être renseigné avec soin nous avons acquis la conviction que M. de la Villemarqué a lu Sancti Gurthierni là où il y avait Sancti Leutherni. La similitude des désinences et l’éloignement de la châsse placée au sommet d’un pilier du chœur, expliquent fort bien cette erreur. »

  1. En voyant saint Corentin vivre en ermite dans la forêt de Névet, et aller faire visite à un autre solitaire plusieurs ont supposé que leurs ermitages étaient voisins ; c’est une erreur. M. d Kerdanet a très bien désigné le lieu sanctifié par saint Primel ; il est marqué par une chapelle aujourd’hui en ruines, dans la paroisse de Saint-Thois, non loin de la route de Quimper à Châteauneuf, sur un des points les plus pittoresques de cette contrée accidentée.
  2. L’ancienne Vie dit que ces visiteurs étaient saint Malo et saint Patern ; au nom du premier, don Plaine a substitué le nom de saint Melaine dans la traduction ; encore aurait-il mieux valu qu’il se contentât de la note chronologique qu’il a placée sur le texte latin. A.-M. T.
  3. Ce n’est pas du tout l’ancienne Vie qui indique la nationalité du serviteur de Grallon coupable d’avoir mutilé le poisson de saint Corentin. Et d’abord, ce personnage n’est pas un voleur ; Albert Le Grand l’appelle plus judicieusement « un indiscret » ce n’est donc pas à lui qu’il faut appliquer la fameuse strophe que l’on chantait trois fois dans la séquence ou prose usitée pour la fête de saint Corentin

    Aperitur clausa manus
    Reddit furtum et fit sanus
    Latro de Leonia.

    Il s’agissait là d’un voleur de profession, et vraiment Léonard de naissance, qui étant venu à Quimper afin de pouvoir faire son métier dans la foule le jour où l’on consacrait la cathédrale, s’empara d’un peloton de fil de soie au détriment d’un pèlerin. Sa main se ferma sur l’objet du larcin et ne put s’ouvrir que quand le larron eut réclamé l’intervention du saint patron de la Cornouaille et promis la restitution. Non-seulement ce malheureux se convertit, mais il devint un zélé propagateur de la dévotion à saint Corentin. La tradition populaire (malencontreusement suivie par Albert Le Grand) a confondu le Léonard voleur de soie (illustré par la séquence) et le mutilateur du poisson. A.-M. T.

  4. On sait peu de choses sur saint Tudy il débuta dans la vie religieuse sous la discipline de saint Maudet, puis il vécut en solitaire à l’île qui porte son nom, et fonda une abbaye là où est aujourd’hui la belle église paroissiale de Loctudy (XIIe siècle). M. de la Borderie (tome III p. 166) suppose que cette abbaye subsista peu de temps et qu’elle fut, non pas restaurée, mais remplacée par un nouveau monastere avant la fin du XIe siècle où l’on voit figurer dans deux chartes du duc Alain Fergent, les noms de deux abbés de saint Tudi Guégon et Daniel. Ce nom d’abbé indique bien, il est vrai, des chefs de maisons monastiques ; mais il y eut à une époque très reculée un collège de chanoines ou de chapelains desservant l’importante église que les barons du Pont (Pont-l’Abbé) avaient érigée dans les dépendances de leur château, en l’honneur de saint Tudy ; on pourrait se demander si l’abbé de saint Tudy n’était pas le prélat de ce collège canonial. Parmi les reliques dont il a été parlé aux annotations de la Vie de saint Guénolé figurent celles de saint Tudy, portées du monastère d’Anaurot à l’île de Groix, et retrouvées au XIe siècle, sur les indications d’un moine de Sainte-Croix de Quimperlé. Conservées dans l’île (du moins en partie) jusqu’à la Révolution, elles sont aujourd’hui perdues. Saint Tudy est le patron de Groix, des deux paroisses qui portent son nom, et de plusieurs chapelles. Avec saint Primel, il est représenté dans un beau vitrail à la chapelle du Grand-Séminaire de Quimper. A.-M. T.
  5. C’est-à-dire le château, situé au confluent de l’Odet et du ruisseau appelé le Frout. C’est en effet à cette place que saint Corentin batit la cathédrale et la monastere où il devait vivre entouré de ses religieux. Ce fut la le centre d’une ville nouvelle appelée en latin Corisopitum, (parce que les habitants de la contrée s’appelaient les Corisopites), et en breton Kemper qui veut dire confluent ; l’ancienne ville s’etendait sur les deux rives de l’Odet, mais en aval, la où sont les faubourgs de Locmaria et de Bourlibou, rejoints alors par un pont. Cette vieille cité s’appelait Civitas Aquilæ ou Civitas Aquilonia.
  6. En se basant sur cette particularité Au § XVI il est question de fil de soie en peloton mis en vente et volé sur le marché de Quimper ; or, la fabrication de la soie en France, par conséquent la vente du fil de soie sur les marchés de Bretagne n’est certainement pas antérieure au VIIIe siècle. Francisque Michel prouve même par des faits que la soie était encore très rare en France en 1315. — À cela l’on peut répondre que Dom Plaine lui-même reconnaît les $ XVI, XVII et XVIII comme n’étant pas antérieurs à l’époque désignée par M. de la Borderie, car le fait qui y est raconté s’est produit lors de la consécration de la Cathédrale, fixée par Dom Plaine au XIVe siècle.
  7. Une grande et belle statue de saint Corentin occupe maintenant la première place dans l’ancienne église du Collège des Jésuites, aujourd’hui chapelle du Lycée de Quimper.
  8. Né à Rennes en 1758 successivement receveur des domaines à Plélan et à Carhaix, puis contrôleur à Lesneven où il se trouvait en 1789.
  9. Pauline Boustouler, veuve de Pierre Thomas. Elle était douée d’une étonnante mémoire et racontait avec une grande précision les scènes de la Terreur telles qu’elles s’étaient produites à Quimper. Élevé près d’elle, j’ai pu recueillir ses souvenirs ; elle mourut à un âge très avancé.
  10. Voir S. Corentin, Histoire de sa vie et de son culte, par l’abbé A. Thomas. J’ai donné dans ce volume (aujourd’hui épuisé) une description détaillée (p. 248). On trouvera dans ce livre et dans la Visite à la Cathédrale beaucoup de détails qui ne peuvent trouver ici leur place.
  11. Légende du Bréviaire de Paris au 24 octobre fête de saint Magloire.