La Case de l’oncle Tom/Ch XLIV

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Traduction par Louise Swanton Belloc.
Charpentier (p. 565-576).


CHAPITRE XLIV.

Résultats.


Il nous reste peu de choses à ajouter. Ému comme le devait être un jeune homme des espérances et des anxiétés de la pauvre mère, et rempli de sentiments d’humanité, George Shelby ne perdit pas un moment pour rechercher l’acte de vente et le lui faire passer. Noms, date, tout correspondait juste avec les souvenirs de Cassy. Le doute n’était plus possible quant à l’identité de l’enfant. Il ne s’agissait désormais que de retrouver les traces des fugitifs.

Madame de Thoux et Cassy, réunies par la singulière coïncidence de leurs destinées, se rendirent immédiatement au Canada, et commencèrent leur enquête dans toutes les stations où s’établissent les nombreux esclaves fugitifs. À Amherstberg, elles découvrirent le missionnaire qui avait recueilli le jeune ménage à son débarquement, et apprirent de lui que toute la famille était allée s’établir à Montréal.

Georges et Éliza y jouissaient de leur liberté depuis environ cinq ans. Le mari avait trouvé une occupation stable dans les ateliers d’un honnête ingénieur mécanicien, et ses gains étaient suffisants pour maintenir dans l’aisance sa famille, qui s’était accrue d’une petite fille.

Henri, devenu un beau et vif jeune garçon, fréquentait assidûment une bonne école où ses progrès étaient rapides.

Le digne pasteur de la station d’Amherstberg fut tellement touché de ce que madame de Thoux et Cassy lui racontèrent qu’il céda aux sollicitations de la première, et consentit à les accompagner dans leur recherche, la fortune de madame de Thoux lui permettant de se charger de tous les frais.

Voyez-vous, au fond d’un des faubourgs de Montréal, cette petite maison proprette ? Là, vers la nuit, un feu joyeux égaye le foyer ; la table à thé, avec sa nappe d’une blancheur de neige, est préparée pour le repas du soir. Dans un coin de la chambre, sur une autre table couverte d’un drap vert, se trouve le pupitre à écrire, les plumes, le papier ; au-dessus une tablette étroite est garnie d’un petit assortiment de livres de choix ; c’est là le cabinet de Georges ; car cette même activité d’intelligence qui l’a rendu capable d’apprendre à la dérobée l’art de lire et d’écrire, au milieu de tous les obstacles, des fatigues, des travaux de sa première vie, le porte encore à dévouer ses heures de loisir à la culture de son esprit.

À ce moment il est devant sa table à prendre quelques notes d’un volume de la Bibliothèque de famille qu’il achève de lire.

« Allons, Georges, dit Éliza, tu as travaillé dehors tout le jour, veux-tu bien poser ce livre à présent et nous accorder quelque peu de causerie pendant que je prépare le thé ? — Sois bon ! »

La petite Éliza seconde les efforts de sa mère ; elle trottine vers le lecteur, et tâche de s’installer sur ses genoux à la place du volume qu’elle s’efforce de lui enlever.

« Ô petite friponne ! dit Georges cédant comme font tous les pères.

— À la bonne heure ! » reprend Éliza qui coupe les tartines de pain. Un peu moins jeune, un peu moins svelte, elle a dans la figure quelque chose de plus maternel, de moins jeune fille que jadis ; mais elle semble aussi heureuse qu’une femme puisse l’être.

« Henri, mon garçon, comment t’y es-tu pris pour faire cette addition ? » demande Georges posant sa main sur la tête de son fils.

Ce n’est plus l’enfant aux longues boucles soyeuses ; mais il a conservé les yeux brillants, les cils épais et longs, le front haut et hardi qui se colore d’orgueil comme il répond : « Je l’ai faite tout seul, papa, tout seul : personne ne m’a aidé.

— C’est bien, mon garçon ; appuie-toi sur toi-même, mon fils, tu as pour cela meilleure chance que ne l’avait ton pauvre père. »

En ce moment on frappe à la porte ; Éliza va ouvrir. À son cri de joie : « Quoi, c’est vous ! » son mari s’est levé, et le bon pasteur d’Amherstberg est accueilli. Deux dames l’accompagnent, Éliza les engage à s’assoir.

S’il faut tout dire, le bon missionnaire avait fait son petit programme à l’avance. Toute l’affaire devait se dérouler d’elle-même progressivement ; et, en route, il avait bien prémuni ses compagnes contre une découverte trop soudaine.

Quelle fut donc la consternation du brave homme lorsque, juste au moment où, après avoir, d’un geste, indiqué aux deux dames leurs sièges, il tirait son mouchoir, afin de préluder au discours avec la gravité voulue, soudain madame de Thoux renverse tous ses plans, et jetant ses deux bras autour du cou de Georges ; « Ô Georges ! s’écrie-t-elle, ne me reconnais-tu pas ? Je suis ta sœur Émilie ! »

Cassy, demeurée assise avec plus de tenue et de calme, se préparait à jouer de son mieux son personnage, lorsque la petite Éliza lui apparut sous les traits, la taille, toute l’apparence de sa fille si longtemps perdue et pleurée, et secouant sur sa petite tête ronde les mêmes boucles flottantes. La petite espiègle épiait la figure de la dame avec de grands yeux curieux. Cassy n’y tint pas, elle la saisit, l’enleva et la pressa contre sa poitrine en criant, ce qui, dans l’émotion du moment, lui semblait réel : « Ma chérie, je suis ta mère ! »

C’était en vérité chose difficile que de remettre tout en ordre et de tranquilliser chacun. Ce ne fut pas sans peine que le digne pasteur y arriva. Enfin, il put débiter le discours qui devait ouvrir la séance, et réussit de façon à satisfaire tout orateur ancien ou moderne, car l’auditoire entier fondit en larmes.

Tous s’agenouillèrent, et l’excellent homme prononça la prière pour tous. — II est des sentiments si agités, si tumultueux qu’ils ne peuvent trouver de repos qu’en s’épanchant au sein de l’Éternel, source de tout amour. — En se relevant, frère, sœur, mère et fille si inopinément retrouvés, s’embrassèrent avec des élans de reconnaissance pour ce Dieu qui, au travers de tant de souffrances, de tant de périls, et par de si obscures voies, les réunissait enfin.

Les notes recueillies par un missionnaire du Canada abondent en histoires plus merveilleuses que les fictions les plus romanesques. En peut-il être autrement sous un état de choses qui lance les familles dans toutes les directions, comme un vent d’orage disperse les feuilles d’automne ? Semblable aux rives éternelles, ce pays de refuge réunit souvent, dans une commune allégresse, ceux qui, durant de longues années, se sont pleurés l’un l’autre, se croyant à jamais perdus. Rien de plus touchant que l’ardeur inquiète avec laquelle on accueille chaque arrivant qui peut apporter quelques nouvelles de mères, de sœurs, d’enfants, de femmes perdus encore dans les sombres limbes de l’esclavage.

Il se fait des actes d’héroïsme au-dessus de toutes les fictions romanesques, lorsque, défiant les tortures et bravant la mort, le fugitif, sauvé une première fois, retourne volontairement s’exposer à tous les périls de ces lieux de ténèbres, pour en arracher une mère, une sœur, une épouse !

Un jeune homme, dont un missionnaire nous racontait l’histoire, deux fois repris, déchiré de honteux coups de fouet pour son héroïsme, s’est échappé de nouveau, et, dans une lettre que nous entendions lire, parle de retourner à tout risque pour tenter de délivrer sa sœur. Cet homme est-il, à votre avis, un criminel ou un héros ? Pour sauver votre sœur n’en feriez-vous pas autant ? et le pouvez-vous blâmer ?

Revenons aux amis que nous avons laissés essuyant leurs larmes et cherchant à reprendre haleine au milieu des transports d’une joie trop vive et trop inattendue. Les voilà réunis autour d’un riant couvert, et devenus vraiment sociables et de bonne compagnie. Cassy seulement, la petite Éliza sur ses genoux, ne se peut modérer et la serre souvent avec transport. La petite espiègle étonnée la regarde, et ne comprend pas que la dame refuse de se laisser étouffer à force de gâteaux, que l’enfant persiste à lui fourrer dans la bouche ! et lorsque Cassy affirme avoir enfin trouvé ce qu’elle aime mieux que tous les gâteaux et bonbons, la petite fixe sur elle de grands yeux tout surpris.

Deux ou trois jours ont rendu Cassy méconnaissable. Son expression de farouche désespoir a fait place à l’air d’une douce et tendre confiance ; elle semble se fondre tout doucement dans la famille et s’empare des enfants comme d’un bien longtemps convoité. Son affection déborde sur la petite, plus que sur sa propre fille. Dans l’enfant, elle voit l’image ni parfaite de celle qu’elle avait perdue. La petite créature, entre sa grand’mère et sa mère, est comme une chaîne fleurie, un lien de sympathie et d’affection. La ferme et solide piété d’Éliza, que la lecture constante de la sainte parole a nourrie, la rend un excellent guide pour l’esprit inquiet et fatigué de sa pauvre mère, et bientôt, soumise à tant de salutaires influences, Cassy devient une pieuse et tendre chrétienne.

Il s’était à peine passé deux jours, que madame de Thoux, mettant son frère au fait de ses affaires personnelles, offrait de partager avec la famille de Georges la fortune considérable et indépendante que lui avait laissée son mari.

« Oh ! chère Émilie, lui répondit son frère, donne-moi ce que j’ai toujours désiré par-dessus tout, une bonne et complète éducation, et je me charge du reste. »

Après mûre délibération, il fut décidé que la famille tout entière se rendrait en France. Ils partirent, emmenant avec eux Emmeline. Celle-ci ayant, dans la traversée, gagné le cœur du second du navire, devint sa femme peu après leur arrivée au Havre.

Georges suivit quatre ans à Paris les cours de l’université avec un zèle assidu. Il prit des maîtres, et son éducation se compléta de façon à faire de lui un homme tout à fait supérieur. Les troubles politiques survenus en France à cette époque décidèrent le retour de la famille en Amérique. Ce que l’instruction et la fréquentation des hommes lettrés apportèrent de maturité dans les sentiments et les vues de Georges se fera mieux comprendre par les fragments d’une lettre qu’il écrivit à cette époque à un de ses amis :

« Je me sens fort combattu quant à mes plans d’avenir. Il est vrai que je puis, comme vous m’y engagez, faire partie de la société des blancs de ce pays. Le mélange de couleur, chez moi à peine perceptible, disparaît tout à fait pour ma femme et mes enfants. Il ne tient donc qu’à moi de me faire passer pour un blanc ; mais, à vous parler vrai, je ne le souhaite point.

« Mes sympathies ne sont pas pour la race de mon père. Qu’étais-je pour lui ? Ce qu’est un beau chien, un beau cheval, peut-être. Pour ma pauvre chère mère, j’étais un fils, et sa race est la mienne. Jamais je ne l’ai revue depuis la cruelle vente qui nous sépara : elle est morte sans m’embrasser ; mais je sais, je le sais par mon propre cœur, jusqu’au bout elle m’a chèrement aimé. Quand je songe à ce qu’elle a souffert, aux angoisses de mon enfance et de ma première jeunesse, au désespoir, aux luttes de mon héroïque femme, de ma sœur vendue dans un marché d’esclaves à la Nouvelle-Orléans, — sans manquer de charité chrétienne, je l’espère, je puis dire que je ne souhaite nullement passer pour être Américain, et que je n’adopte point l’Amérique pour patrie.

« C’est à la race opprimée, réduite en esclavage, c’est à la race africaine que je me rallie de toute l’énergie de mes affections. Loin de désirer m’en éloigner en perdant toute trace de couleur, je me souhaiterais d’une teinte plus sombre, afin de me rapprocher d’elle.

« Toutes mes sympathies, toutes les ardeurs de mon âme sont pour une nationalité africaine. Je veux rentrer dans un peuple ostensiblement séparé des autres peuples. Où le chercher ? Pas dans Haïti. Partis de bas, ces hommes ne sauraient s’élever. Le fleuve ne remonte pas au-dessus du niveau de sa source. La race qui forma le peuple haïtien était molle, efféminée, et pour que ceux qu’elle tenait assujettis se régénèrent, il faudra des siècles.

« Où regarder alors ? Sur les rives de l’Afrique, je vois une république formée d’hommes choisis partout, élevés pour la plupart au-dessus de sa condition d’esclave à force d’énergie individuelle, dont l’intelligence s’est formée, s’est éclairée, toujours grâce à des efforts personnels. Cette république a traversé des temps de faiblesse et d’épreuve ; elle est arrivée à se faire reconnaître sur la surface du globe. — Elle est avouée par la France, par l’Angleterre. — Là j’irai, là est mon peuple.

« N’allez pas tous vous récrier, attendez ; avant de me jeter la pierre, écoutez-moi. Durant mon séjour en France, j’ai étudié avec un intérêt profond l’histoire de ma race captive en Amérique ; j’ai suivi les opinions, observé les débats entre les colonisationnistes et les abolitionnistes[1]. Spectateur à distance, j’ai pu me former une opinion qui serait peut-être autre si j’avais pris part à la lutte.

« Je ne nierai pas que la colonie de Libéria n’ait servi d’instrument à toute sorte de desseins contre nous ; qu’elle n’ait été une arme dans les mains de nos oppresseurs ; qu’elle n’entre dans les moyens employés pour retarder, sinon pour empêcher à jamais notre émancipation. Mais, pour moi, la question est autre. N’y a-t-il pas au-dessus des plans faits par les hommes un Dieu qui, renversant leurs projets, a peut-être, par leurs mains, et malgré eux, créé pour nous une nation ?

« De nos temps il n’y faut qu’un jour. Un peuple se dresse-t-il tout à coup, il trouve tous les grands problèmes de la vie sociale, de la vie politique et de la civilisation déjà préparés, résolus pour lui. — II n’a rien à découvrir, il lui suffit d’appliquer. Laissez-nous donc, nous serrant les uns contre les antres, réunir nos forces, marcher tous ensemble, et voir ce que nous pourrons accomplir, ayant le splendide continent de l’Afrique ouvert devant nous et nos enfants. Notre race puissante roulera les flots de la civilisation et du christianisme le long de ces magnifiques rivages, et plantera des républiques vigoureuses qui, croissant avec la rapidité des végétations tropicales, éblouiront les siècles futurs.

« Direz-vous que j’abandonne mes frères captifs ? Je ne le pense pas. Ah ! si jamais je les oubliais une heure, un moment, puisse à son tour Dieu m’oublier ! Mais ici que ferais-je pour eux ? Puis-je briser leurs chaînes ? non ; comme individu. Faisant partie d’une nation ayant voix parmi les nations, c’est autre chose. Alors nous nous ferons écouter. Un peuple peut discuter, remontrer, implorer, exiger même et soutenir la cause de sa race : un individu ne peut rien.

« Si jamais l’Europe devient un grand conseil de nations éclairées et libres, — et j’ai foi en Dieu que ce temps arrivera, — si tout servage, toute injuste et oppressive inégalité disparaissent, si tous les peuples, comme l’ont fait Français et Anglais, reconnaissent notre indépendance ; alors nous en appellerons à ce congrès suprême, et nous plaiderons devant lui la cause de notre race opprimée et souffrante. Il est impossible qu’alors l’Amérique détrompée ne s’empresse pas d’effacer elle-même la barre sinistre qui souille son écusson, la dégrade au milieu des peuples, et devient pour elle, une malédiction pire que pour ceux mêmes qu’elle opprime.

« Vous me dites que notre race a, pour se fondre dans la république américaine, les mêmes droits que les Irlandais, les Allemands, les Suédois ? Je vous l’accorde ; elle en a même de plus légitimes. Nous devrions être libres de nous associer, de nous mêler aux Américains — de nous élever parmi eux, selon le mérite personnel, sans considération de caste ou de couleur. Ceux qui nous dénient ce droit mentent aux principes mêmes d’égalité humaine qu’ils professent. Ici nos droits devraient dépasser ceux de tous les autres hommes ; car à nous, race injuriée, est due une réparation ; mais je n’en veux pas. Je demande une patrie, une nation qui soit mienne. Je crois que la race africaine a des vertus, des facultés qui doivent s’épanouir aux clartés de la civilisation et du christianisme, et qui, autres que celles des Anglo-Saxons, peuvent être moralement d’un ordre supérieur.

Les destinées du monde ont été confiées à cette race du Nord, ferme et entreprenante, durant une première période, toute de lutte et de conflit. Ses éléments rigides, énergiques, inflexibles, la préparaient à cette mission. Mais, comme chrétien, j’attends une ère moins âpre, et je crois y toucher. Les douleurs qui, de nos jours, agitent, ébranlent les nations, ne sont, à mes yeux, que les transes, les angoisses de l’enfantement de cette heure prospère de paix et de fraternité universelle que j’espère.

« J’ai la conviction la plus ferme que le développement de la race africaine sera essentiellement chrétien. Si elle n’est ni dominante, ni impérieuse, ni énergique, elle est affectueuse, tendre, pleine de magnanimité et de clémence. Éprouvée dans la fournaise de l’injustice et de l’oppression, il lui a fallu embrasser, avec une foi plus intime et plus ardente, la doctrine d’amour et de pardon qu’elle est appelée à répandre et à faire régner sur tout le continent africain.

« Moi-même, je le confesse, je sens mon insuffisance sous ce point de vue. Le sang impétueux et bouillant du Saxon est pour moitié dans celui qui échauffe mes veines ; mais j’ai sans cesse à mes côtés celle dont la voix persuasive me prêche l’Évangile avec une si pénétrante onction ; j’ai ma belle, ma charmante femme. Si je m’égare et m’irrite, son doux et tendre esprit vient me calmer, et me remettre sous les yeux la vocation et la mission de notre race. Comme patriote chrétien, comme prédicateur chrétien, je vais dans la patrie que j’ai choisie, dans une glorieuse Afrique. C’est à ma nation que, du plus profond de mon cœur, j’applique souvent les magnifiques promesses du prophète : « Au lieu que tu as été abandonnée et haïe, tellement qu’il n’y avait personne qui passât vers toi, je te mettrai dans une élévation éternelle et dans une joie qui durera de génération en génération[2] ! »

« Vous me traiterez d’enthousiaste ; vous me direz que je n’ai pas assez considéré et posé ce que j’entreprends. J’ai tout examiné, mon ami, je sais à quoi je m’expose et connais mes enjeux. — Je vais à Libéria, non comme à une terre de romanesques espérances, j’y vais comme au champ du labour. — J’y vais pour y travailler des deux bras, — pour y travailler vigoureusement ; y travailler contre toute espèce de difficulté, de découragement, y travailler enfin jusqu’à ce que je meure. C’est là pourquoi j’y vais. Sur ce point, je pense, vous m’accorderez que je ne cours nul risque d’être désappointé.

« Quoi que vous puissiez penser de ma résolution, ne me retirez pas votre confiance, votre amitié, et soyez sûr que, quoi que je fasse, j’agis dévoué de cœur et d’âme, — tout entier à mon peuple. Georges Harris. »

Quelques semaines après, l’auteur de cette lettre, sa femme, ses enfants, sa sœur et sa belle-mère s’embarquaient pour l’Afrique ; et si nous ne sommes trompés, le monde aura plus tard de leurs nouvelles.

Nous n’avons rien de particulier à dire des autres personnes dont nous avons entretenu le lecteur. Un mot seulement sur Topsy et miss Ophélia ; et un chapitre d’adieu à notre ami George Shelby.

Miss Ophélia emmena Topsy avec elle dans l’État de Vermont, à l’inexprimable surprise du corps réfléchi, solennel, des gens sérieux qui, à la Nouvelle-Angleterre, s’appellent exclusivement notre monde. Cette addition à l’établissement si bien ordonné jusqu’alors de la famille, parut « à notre monde » des plus inopportunes et tout à fait bizarre. Mais les efforts de miss Ophélia pour remplir son devoir envers son élève étaient trop zélés, trop persévérants, pour ne pas devenir efficaces. Bientôt l’enfant, qui croissait rapidement en grâce et en sagesse, se fit bien venir, et dans la maison, et dans les familles du voisinage. Devenue une intelligente jeune fille, elle demanda et obtint le baptême, et, comme membre de l’Église chrétienne, montra tant d’activité, de zèle, d’ardeur, à se rendre utile, de désir de faire un peu de bien en ce monde, qu’enfin, recommandée, choisie, approuvée, elle fut envoyée comme missionnaire à l’une des stations d’Afrique. Là, comme nous l’avons appris, l’activité turbulente, l’intelligence désordonnée qui avaient rendu son enfance à elle-même si fatigante, ne lui sont point inutiles maintenant. Elle applique ces facultés régularisées, de la façon la plus heureuse et la plus salutaire, à l’éducation des enfants de sa race.

P. S. Quelques mères apprendront avec plaisir que les recherches provoquées par madame de Thoux, pour découvrir le fils de Cassy, ont eu un résultat favorable. Ce jeune homme, doué d’une nature énergique, était parvenu, quelques années avant sa mère, à s’échapper ; il fut reçu et élevé dans le Nord, par les amis des opprimés, et il est allé rejoindre sa famille en Afrique.


  1. Ceux-ci, sans se préoccuper de l’avenir des esclaves libérés, ne voient que leur droit. L’affranchissement immédiat et sans restriction est pour eux un devoir, une religion. Les autres parlent d’affranchir successivement, et d’exporter les esclaves sur les rives de l’Afrique, à Libéria.
  2. Isaïe, ch. IX, verset 15.