La Commune de 1871/Ses actes

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La Commune de 1871Bureau d’édition (p. 13-28).


La Commune. — Ses actes.


Quoique l’exposé des motifs, que la Chambre des députés a fait sien, ainsi que le Sénat, en en adoptant les conclusions, parle des « actes accomplis sous les yeux de l’étranger », nous n’avons pas conservé ce sous-titre, et pour deux raisons :

La première, c’est que la révolution du 18 Mars 1871 n’est pas la première qui ait été « accomplie sous les yeux de l’étranger ». La révolution du 4 septembre 1870 ne s’est pas opérée sous d’autres auspices, — avec cette différence cependant, qui ne me paraît pas une atténuation, qu’en 1870, lorsque les Jules Favre, les Ferry et autres Simon se décidèrent à sortir de la légalité impériale pour entrer dans le droit républicain, les canons de « l’étranger » tiraient à toute volée sur la France et sur Paris, pendant qu’en 1871, lorsque les Varlin, les Vermorel, les Malon, etc… furent amenés à sortir d’une légalité sans nom, pour rentrer dans le droit ouvrier et socialiste, ces mêmes canons de l’étranger se trouvaient encloués par la paix signée à Versailles et ratifiée à Bordeaux.

La seconde, c’est que les actes de la Commune n’ont pas été les seuls qui aient eu l’étranger comme témoin. Ceux de Versailles étaient absolument dans le même cas — à commencer par la tentative nocturne contre l’artillerie de Montmartre qui a été le signal du mouvement. Et, en admettant que la présence des Prussiens constituât une aggravation, cette aggravation existait pour les deux parties — ce qui permet de la négliger.

Pour apprécier sainement, sincèrement, disons le mot : honnêtement, les « actes » de la révolution communaliste, il convient de les diviser, de les répartir en trois périodes :

1o Du 18 mars à l’élection de la Commune ;

2o De l’installation de cette dernière (28 mars) à sa dissolution de facto par l’entrée des troupes de Versailles ;

3o Du 22 mai à la prise de la dernière barricade rue Fontaine-au-Roi, le vendredi 26.

Or, du 18 au 28 mars, pendant ce qu’on a appelé le règne du Comité central, on ne relève qu’un seul acte, l’exécution des généraux Clément Thomas et Lecomte, opérée dans l’après-midi du 18, c’est-à-dire en pleine crise, sinon en pleine lutte. Et cette exécution populaire, dès leur première proclamation, les membres du Comité central se défendent de l’avoir ordonnée. Leur dénégation, — absolument désintéressée alors — est d’ailleurs confirmée par le témoignage peu suspect de MM. Lannes de Montebello, de Douville-Maillefeu (aujourd’hui député) et autres prisonniers du Comité qui attestaient dans un procès-verbal en date du 18, et qui devaient plus tard maintenir devant le conseil de guerre, que « le Comité central avait fait tout ce qui était en son pouvoir » pour sauver les deux peu intéressantes victimes.

La Commune, elle, s’est installée à l’hôtel de ville le 29 mars, et jusqu’au 22 mai qu’elle devait tenir sa dernière séance — c’est-à-dire pendant près de deux mois qu’elle a été maîtresse absolue de Paris — on peut mettre au défi le plus éhonté de ses détracteurs d’invoquer contre elle je ne dis pas le moindre meurtre, mais la moindre exécution.

Huit semaines durant, ces communards ou « assassins » ont eu au bout de leurs fusils une population de deux millions d’habitants, dont un quart au moins complices, plus ou moins directs, des « ruraux », et pendant ces huit semaines, pas un seul cheveu n’est tombé de la tête de personne. Que dis-je ? ils ont été jusqu’à pensionner les femmes et les enfants des sergents de ville et des gendarmes qui assassinaient leurs prisonniers.

La Commune, il est vrai, dans sa séance du 5 avril, a voté le décret sur les otages ; mais, lorsque « pour défendre l’honneur et la vie de deux millions d’habitants qui avaient remis entre ses mains le soin de leurs destinées », elle fut amenée à décider que « toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan régulier de la Commune de Paris serait sur-le-champ suivie de l’exécution d’un nombre triple d’otages », a-t-on oublié à quels actes de ses adversaires elle entendait ainsi mettre fin ?

Le 8 avril, après le combat de Châtillon et de Fontenay-aux-Roses — c’est une dépêche de l’état-major prussien aux autorités militaires de Berlin qui l’apprenait à l’Europe — « les prisonniers parisiens avaient été fusilles sur-le-champ ».

Le même jour, à Chatou, où l’on ne s’était pas battu, mais où avaient pénétré quelques gardes nationaux, le général de Galliffet — c’est le Gaulois du 6 qui le rapporte — avait « surpris et passé par les armes un capitaine du 175e bataillon, un sergent et un garde ».

Le 4, après la capitulation de la redoute de Châtillon — je laisse la parole au même journal — au moment où les gardes nationaux se rendirent, on découvrit au milieu d’eux un homme tout chamarré qui déclara se nommer le général Duval. Quelques instants après il était fusillé, ainsi qu’un officier d’état-major et un commandant. Le reste des hommes qui ont été passés par les armes séance tenante, et qui sont sept ou huit, avaient été reconnus pour appartenir à l’armée.

Ainsi, de l’aveu de la presse versaillaise, lorsque la Commune essayait de faire à ses défenseurs un bouclier des Versaillais arrêtés et emprisonnés dans la sphère de son action, il y avait trois jours que, sans avis préalable, au gré d’un Vinoy et d’un Galliffet, les « fédérés » prisonniers et désarmés étaient exécutés comme on assassine ; il y avait trois jours que, dans le sang de Duval ainsi tué, M. le général Vinoy avait ramassé la grande chancellerie de la Légion d’honneur.

Est-ce assez clair ? Et quel est l’homme qui, en présence de ces cadavres faits et avoués par Versailles, oserait imputer à « crime », aux élus de l’hôtel de ville, une mesure de pure défense ?

Ce décret ensuite, dont on a mené si grand tapage et qui devait entraîner la condamnation à mort de M. Ranc, est resté lettre morte pendant les sept longues semaines qu’a duré le gouvernement communaliste, — et ce malgré les nouvelles exécutions sommaires de prisonniers, opérées en avril et mai à Clamart, au Moulin-Saquet, à Courbevoie, à la Belle-Épine, etc.

Un autre « acte » de la Commune, que ses vainqueurs de tous les degrés devaient transformer en « crime » pour la justification de leurs massacres d’abord, et de leur refus d’amnistie ensuite, est le décret en date du 12 avril portant « démolition de la colonne impériale de la place Vendôme ».

Ce n’était cependant pas la première fois que ce « monument de nos gloires passées » était décrété de « déboulonnement ».

Soixante-six ans auparavant, on avait pu voir s’atteler à sa chute le royalisme blanc rentré en France en croupe des cosaques et des uhlans ; et ce que voulaient ces premiers « déboulonneurs », c’était faire leur cour, donner satisfaction à leurs « bons amis nos ennemis » ; c’était renier et biffer dans la mesure du possible non seulement les victoires agressives de l’Empire, mais encore et surtout les victoires de la Révolution défensives du sol national. Tandis que le but de la Commune — tel qu’il résulte des termes mêmes de son décret — était d’affirmer le principe de la fraternité humaine.

Considérant — disait le décret — que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, la colonne de la place Vendôme sera démolie !

Mais, comme il s’agissait dans le premier cas du parti du trône et de l’autel, des souteneurs de la famille et de la propriété, ce qui était réellement un crime de lèse-patrie passa absolument inaperçu : pendant que dans l’autre cas, comme il s’agissait de républicains, de socialistes, ce qui n’était et ne pouvait être qu’un solennel hommage aux droits de l’humanité, à la paix entre les nations, devint un crime de lèse-patrie, que dis-je ! la preuve de la complicité des communalistes avec nos vainqueurs à aiguille de 1870.

C’est ainsi que des républicains mêmes écrivent l’histoire, l’histoire d’aujourd’hui ; car l’histoire de demain, la vraie, dira, qu’on en soit sûr, que le renversement de la colonne Vendôme, dans les conditions où il s’est opéré, sous le nez et à la barbe des armées prussiennes, était le plus sanglant soufflet qui pût être infligé aux victoires impériales et royales du nouveau Guillaume le Conquérant.

Pas un des termes du décret communaliste qui ne fut un coup de massue dans cette hégémonie, dans cette primauté que l’Allemagne césarienne prétendait avoir ramassée sur les champs de bataille de nos désastres et de ses triomphes.

Stigmatiser la gloire « militaire », la proclamer « fausse », s’en défendre comme d’un attentat — et ce à la face des de Moltke et autres lauréats de Metz, de Sedan, de Paris, c’était les dépouiller de la gloire dont ils se croyaient couverts pour nous avoir enlevé à la force de leurs canons d’acier deux provinces et cinq milliards.

Rayer des titres de la France à l’estime et à l’admiration du monde civilisé les batailles qu’elle avait pu gagner dans le passé ; faire des gros sous des canons de toutes les nations qui en avaient été le fruit, c’était ruiner par sa base et déboulonner à l’avance — du moins moralement — l’autre colonne également impériale que du bronze de nos canons, livrés plutôt que conquis, on s’apprêtait d’ores et déjà à édifier à Berlin.

Et qu’on ne s’avise pas de prétendre qu’il n’est si mauvaise cause qui ne puisse être défendue après coup, que nous prêtons à la Commune de Paris une pensée qui n’a jamais été celle de ses membres, ou l’on nous obligera, après avoir reproduit l’exposé des motifs si catégorique du décret du 12 avril, d’emprunter à « l’adresse du Conseil général de l’Internationale sur la guerre civile en France », ce passage de nature à clore le débat pour tout esprit non prévenu :

En jetant bas la colonne Vendôme, en vue de l’armée prussienne qui venait d’annexer à l’Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France le peuple travailleur du monde entier.


D’autres monuments ont été sinon démolis, du moins voués à la démolition par la Commune : c’est la Chapelle dite expiatoire ; c’est le monument du général Bréa.

Mais on n’attend pas de nous la justification d’une double mesure qui ne justifie pas son énoncé même.

Fille de la Révolution de 93, la Révolution du 18 Mars ne pouvait pas sans parricide laisser subsister à la mémoire et en l’honneur du roi traître et parjure, de l’allié de Brunswick, du complice de la conjuration de Pilnitz, justement condamné et exécuté, une chapelle qui était une véritable apologie en pierre d’un fait qualifié crime par la loi universelle.

Première expression gouvernementale du prolétariat parisien, la Commune eût manqué à tous ses devoirs, déserté ses électeurs et abdiqué, si elle n’avait pas mis la pioche dans une bâtisse qui, par le plus odieux des mensonges historiques, transformait en fusilleurs les fusillés ouvriers de Juin.

Je laisserai également de côté — et pour la même cause — la démolition de l’hôtel Thiers. Lorsque les élus de l’hôtel de ville se décidèrent à cette « représaille », il y avait plusieurs semaines que, sous les obus du mont Valérien et sur l’ordre de M. Thiers, des centaines de maisons sautaient en l’air chaque jour avec les femmes et les enfants qui les occupaient.

Ce n’était pas, ensuite, la première fois qu’on voyait une République raser la demeure d’un citoyen coupable d’avoir porté le fer et le feu au sein de la patrie.

L’histoire de Rome, de Florence, de Gand et autres communes de tous les temps abonde en précédents de cette nature. Et pour agir comme elle l’a fait, la Commune de Paris n’a eu qu’à se souvenir.

Nous voici arrivés à la troisième et dernière période de la révolution communaliste. La Commune, gouvernement dont nous avons exposé les principaux « actes », les actes les plus « criminels », est chassée de l’hôtel de ville et éparpillée dans tous ses membres derrière les barricades de quartier, seuls remparts contre l’invasion de l’armée versaillaise.

Varlin, Protot, Ferré, etc., sont à la tête de leurs bataillons. Il n’y a plus d’assemblée, plus de gouvernants ; il ne reste que des combattants ou des hommes qui, comme Delescluze, iront sans armes au-devant de la mort voulue et cherchée.

C’est alors que se produisent, qu’éclatent ces « actes » dont la réaction tricolore devait user et abuser contre les vaincus ; j’ai nommé les exécutions et les incendies.

Personne ne me prêtera un seul instant l’intention de défendre l’exécution in extremis de soixante-huit otages, sur les milliers que renfermaient les prisons de Paris. C’est de cet acte qu’on peut dire qu’il était plus qu’un crime, une faute.

Autant pendant les deux mois de la lutte on aurait compris que, pour sauvegarder la vie de ses prisonniers, pour mettre fin à des massacres de blessés, qui indignaient jusqu’à l’abbé Deguerry, la Commune fît un exemple et appliquât son décret, mais solennellement, au grand jour de la place publique ; autant, Paris à moitié occupé et définitivement vaincu, la mise à mort d’un seul otage devenait plus qu’inutile, dangereuse au premier chef en fournissant un prétexte aux tueries de l’Ordre, qui s’opéraient — et qui devaient naturellement redoubler.

Mais tout d’abord il convient de remarquer que la Commune n’est pour rien dans ces exécutions de la dernière heure. Les calomniateurs les plus effrontés du mouvement communaliste, M. Jules Simon en tête, ont dû reconnaître que les quelques membres de la Commune, qui ont été témoins involontaires de ces meurtres, s’y sont opposés de toutes leurs forces, risquant leur vie pour sauver celle des victimes.

Ce qu’il importe de ne pas oublier, non plus, ce sont les conditions dans lesquelles les otages sont tombés sous les balles populaires. La garde nationale n’est pas une armée ; organisés par quartier, sinon par rues, les bataillons, les compagnies fédérées dont tous les membres étaient plus ou moins voisins et amis, sinon parents, constituaient comme autant de familles. Or, lorsque le 24 mai les survivants des barricades d’Auteuil, de Passy, des Champs-Élysées, etc., se portèrent à la Roquette pour en extraire MM. Bonjean, Darboy et autres, ils avaient vu depuis le lundi 22 — c’est le Times qui en fait foi — massacrer tous ceux des leurs qui étaient tombés aux mains des troupes. Le sang d’un fils, d’un frère, d’un camarade d’atelier dont le cadavre troué de balles était encore devant leurs yeux, les aveuglait ; selon une expression populaire, mais caractéristique, ils voyaient rouge, et ce qui, pour des esprits rassis, à distance, apparaît et ne peut apparaître que comme une tache de sang, se présentait à eux comme une représaille, je ne dirai pas légitime, mais naturelle.

De là ce fait — rapporté par tous les historiens de cette époque et qu’on ne saurait s’expliquer autrement — que c’était parmi les fédérés à qui ferait partie du peloton d’exécution ! Tous avaient le meurtre d’un des leurs à venger.

À propos de ces six exécutions de la Roquette, qui devaient être suivies, le 25 et le 26, de soixante-deux autres, le Figaro et autres agents provocateurs de fusillades sommaires n’ont pas craint d’évoquer les massacres de septembre 1793. Mais pour qui est capable d’un jugement droit, quelle différence entre ces deux ordres de faits, non seulement au point de vue du nombre des victimes, mais encore et surtout au point de vue des événements qui les ont provoqués ! Lors de la révolution bourgeoise de la fin du dernier siècle, l’ennemi pouvait menacer, mais n’avait pas frappé. Aucune des sauvages mesures de Brunswick n’avait pu être mise à exécution, et c’était, par suite, de sang-froid, gouvernementalement et préventivement, que les prisons furent vidées au profit de la fosse commune, En 1871, au contraire, lors de l’agonie de la révolution prolétarienne, il y avait des semaines que les fédérés étaient massacrés au jugé et en masse, lorsque l’exaspération transforma quelques-uns d’entre eux en massacreurs.

Et pourtant les journées de septembre n’ont pas été longues à sortir de la région des « crimes » pour entrer dans celle des faits historiques, puisque, déjà sous les Bourbons restaurés, M. Thiers pouvait les rattacher à la victoire de Valmy, les mettre en première ligne des mesures libératrices du sol national, sans qu’il soit venu à personne l’idée d’y voir l’apologie d’un fait qualifié crime ou délit.

Alors qu’aujourd’hui, trois ans après la disparition de l’Assemblée élue « dans un jour de malheur », c’est à peine s’il est permis d’évoquer, de ressusciter les horreurs de Paris, pris d’assaut par une armée française, pour expliquer comme quoi les Parisiens qui, couverts du sang des leurs, se portèrent aux extrémités que nous sommes les premiers à déplorer, n’étaient peut-être pas de vulgaires assassins, ce que M. Le Royer appelle des « criminels de droit commun ».

Il n’en sera sans doute pas toujours ainsi ; un jour viendra — et plus prochainement que ne le voudraient bien des gens — où, pour les actes révolutionnaires de 1871, l’histoire cessera d’être justiciable de la police correctionnelle, et où il sera possible de tout dire. Mais, pour l’instant, il faut nous borner à constater trois choses :

La première, c’est que si la justice populaire de la révolution se solde par soixante-huit cadavres, c’est par vingt-cinq ou trente mille que se chiffre la justice militaire de l’Ordre. « Les rues de Paris sont jonchées de leurs cadavres », écrivait le généralissime Thiers, qui n’avait soufflé mot — et pour cause — des cadavres qui jonchaient depuis longtemps la route de Versailles.

La seconde, c’est que les exécutions communalistes des 23, 24, 25 et 26 mai avaient été précédées et provoquées par les exécutions versaillaises des 3, 4, 6, 8, 14, 16 et 25 avril, et des 1er, 5, 10, 13, 22 et 23 mai.

La troisième, c’est que contrairement à ces dernières, qui ont eu lieu par système, sur l’ordre exprès des « dirigeants » militaires et politiques de Versailles, les autres, celles de Paris, ont eu contre elles, ont rencontré en travers d’elles la protestation et les poitrines de ce qui pouvait rester de la Commune.

Ce qui est peu, incontestablement, en comparaison de ce qui pourra s’écrire un jour, mais ce qui, nous l’espérons, du moins, paraîtra suffisant à beaucoup.

Après les exécutions — les incendies ; ces incendies qui, considérablement augmentés par les dépêches thièristes, ont pu reporter un moment la pensée départementale à ces paroles célèbres (qualifiées d’héroïques par tous les historiens) de la Commune de Gand à ses derniers défenseurs : « Allez, et si vous ne revenez pas ou que vous reveniez déconfits, nous boutrons le feu partout ! », mais qui, en dernière analyse, se réduisent à peu de chose si l’on considère, comme il convient, qu’ils sont loin de revenir tous aux communalistes, et qu’ils représentent trois espèces, trois catégories différentes :

Il y a eu des incendies voulus, prémédités et ordonnés, non pas par la Commune emportée dans la bataille, mais par certains membres de cette Commune dispersée.

Il y a eu ensuite les incendies que j’appellerai stratégiques, nécessités par la défense.

Il y a eu enfin les incendies allumés par les fusées incendiaires et les boulets rouges de M. de Mac-Mahon, et ceux — absolument privés — dont tous les Prieurs de la Comble sont loin d’avoir été découverts.

Mais avant de passer aux incendies n°1, c’est-à-dire à ceux qui ont été une affaire de principe pour la révolution républicaine et socialiste du 18 Mars, il est impossible de ne pas faire observer que, de même que l’initiative des exécutions sommaires, l’initiative des incendies était partie de Versailles, et que Paris n’a fait que suivre.

Le 8 avril (voir le Moniteur universel du 9), c’était « le restaurant Gillet, nouvellement réparé, qui était incendié à l’aube du jour » ? — Par quoi ? par « les obus du mont Valérien, et des batteries de Courbevoie et du pont ».

Le 24 du même mois (voir le Siècle du 25), c’est un « incendie qui se déclare au château de l’Étoile » : allumé par qui et par quoi ? Par « l’un des derniers obus de Versailles, lancé le matin avant la suspension d’armes ».

Le 27 (voir le Siècle du 28), c’est un autre « incendie qui se déclare à Neuilly » par le fait des mêmes obus.

Le 30 (voir le Progrès de Lyon du 5 mai, correspondance du 1er mai), c’est un nouvel incendie qui « éclate dans la rue des Acacias et dévore un vaste chantier », « incendie causé par les obus des batteries versaillaises ».

Le même jour (voir le Siècle du 1er mai) « incendie a la barrière de l’Étoile, qui, propagé par le vent, atteint des proportions formidables ».

Le 2 mai (voir la Liberté du 3), « un incendie considérable éclaire très vivement l’horizon de huit heures à neuf heures et demie. L’incendie avait été allumé dans la direction des Ternes par des projectiles lancés à la fois du mont Valérien et de la redoute de Gennevilliers ».

Nous croyons — c’est le journal bonapartiste qui parle — que ces projectiles étaient DES FUSÉES INCENDIAIRES ; car, placé à courte distance du mont Valérien, nous n’entendions aucune détonation. Arrivé à l’extrémité de sa trajectoire avant de toucher les maisons, le projectile éclatait en flammèches longues et nombreuses, et leur chute était suivie d’une recrudescence de l’incendie.

Aux Ternes (voir les Droits de l’homme du 11 mai, correspondance particulière), « les obus envoyés par les Versaillais ont allumé un incendie qui a brûlé TRENTE MAISONS. À Neuilly, autre incendie qui a anéanti une DIZAINE DE MAISONS ENVIRON ».

Le 3 mai (voir le Progrès de Lyon du 4, correspondance de Versailles), « les Ternes ont été détruits aux trois quarts par un incendie allumé par le mont Valérien ».

Le 4 (voir le bulletin signé : Rossel), « le château d’Issy est incendié à trois heures ».

Le 10 mai (voir le Siècle du 11), « une lueur rougeâtre illuminait le ciel dans la direction de Clamart ; c’étaient les bâtiments du fort de Vanves qui continuaient à brûler sans que les fédérés fussent en état d’apaiser le feu, car les batteries de Châtillon tiraient précisément contre le foyer de l’incendie ».

Le 11 (voir le Gaulois du 12), « du mont Valérien on apercevait la lueur de trois incendies qui se sont déclarés à Auteuil par suite du feu de Montretout ».

Le 17 (voir le Patriote, d’Angers), « à quatre heures du matin, des BOULETS ROUGES, lancés par les Versaillais, s’abattaient sur Auteuil et Passy ».

Ce même jour (voir le Moniteur universel du 18), « du haut de la terrasse de Saint-Germain on voyait dans la direction du Point-du-Jour un incendie considérable !!! »

Ainsi, Versailles — ce sont ses journaux qui en font foi — en était à son centième incendie au minimum, lorsque, du côté de la Commune, le feu fut mis sciemment, systématiquement, aux Tuileries et à l’hôtel de ville, c’est-à-dire au palais qui était l’expression séculaire, l’incarnation en pierre de la royauté, de l’idée monarchique, et à la « Maison commune » comme on dit en Suisse, qui, destinée à abriter les délégués à l’exécution des volontés populaires, n’avait jamais été, avant le 18 Mars, que le siège de l’exploitation et de la déception commune.

Oui, ces deux incendies — et ceux-là seuls — peuvent être mis avec vérité à la charge de la révolution de 1871, qui ne les a d’ailleurs jamais reniés ; mais ce n’était pas la première fois que pour en finir avec des idées malsaines on s’en prenait à leur représentation extérieure, aux monuments qui les perpétuaient dans l’imagination populaire. En flambant les réceptacles de la domination monarchique et de la domination bourgeoise, le prolétariat communaliste ne faisait que suivre l’exemple, que marcher dans les pas du christianisme des premiers siècles qui, pour débarrasser le monde de ce qu’il appelait les « faux dieux » (comme s’il y en avait de vrais), pour tuer avec et dans le signe la chose signifiée, s’acharnait sur tous les temples, statues, etc., dont il ne laissait pas pierre sur pierre, sans se préoccuper des chefs-d’œuvre atteints par sa torche et par son feu.

Ce « vandalisme » de plusieurs siècles, qui fut d’abord l’effet spontané du zèle des adeptes de la nouvelle religion, fut ensuite, qui plus est, systématisé et transformé en lois et en mesures gouvernementales, aussitôt qu’avec Constantin le christianisme arriva au pouvoir : « ordre de détruire, raser les temples ; ordre de renverser en tous lieux les simulacres, les statues, les images ; de raser, d’extirper les autels, etc.[1] ».

Et je ne sache pas que jamais — dans le parti de l’Ordre au moins — la moindre protestation se soit élevée contre le système, moitié Église et moitié État, de rénovation religieuse et morale de l’univers romain.

Je ne m’arrêterai pas longtemps aux incendies n°2 qui pour être, ceux-là aussi, le fait des fédérés, n’ont besoin ni d’explication, ni de justification, expliqués et justifiés qu’ils ont été par les adversaires les plus acharnés de la Commune, par M. L. Jesierski entre autres, actuellement rédacteur du National, qui écrivait ce qui suit dans sa Bataille des sept Jours :

Sur certains points, les insurgés ont procédé dans une intention stratégique, afin de barrer le passage aux troupes victorieuses. Une barricade est forcée ; avant de l’abandonner, ses défenseurs mettent le feu aux maisons sur les deux côtés de la rue ; puis ils se replient sur la barricade suivante. Ce brasier empêche les soldats de tourner l’obstacle, il faut l’escalader par le milieu de la chaussée, droit sous les balles de l’adversaire, ou bien prendre par un lointain circuit ; l’alternative se résout par une perte d’hommes ou par une perte de temps. À ce cas se rapporte l’incendie de la plupart des maisons particulières.

Un pareil aveu n’a pas besoin de commentaires.

Quant aux maisons particulières qui, en très petit nombre, ne rentrent pas dans ce cas simplement défensif, de même que pour le ministère des Finances, les stocks de la Villette, etc., si l’on veut connaître les véritables incendiaires, qu’on réfléchisse à la pluie de fer et de feu dont l’artillerie de l’Ordre a couvert Paris du 22 au 28 mai ; qu’on lise et qu’on relise ces deux dépêches du Siècle :

Le maréchal de Mac-Mahon a accordé aux combattants de Belleville deux heures pour réfléchir. Passé ce délai, il devait faire tirer à BOULETS ROUGES sur leurs positions…

Le maréchal de Mac-Mahon a exécuté sa menace contre Belleville. Toute la nuit on a tiré à BOULETS ROUGES sur le quartier. Un grand nombre de maisons sont en flammes.

Qu’on se demande quels hommes, quel parti, avaient intérêt à la disparition des Comptes avec leur Cour, de la préfecture de police et de ses dossiers ;

Qu’on se rappelle le sieur Prieur de la Comble et sa façon toute bonapartiste d’appliquer le proverbe : le feu purifie tout ;

Que l’on songe enfin et surtout que sur les 36.000 empontonnés de juin-juillet et sur les 10.000 condamnés contradictoirement de 72-78, en pleine légende de pétrole, de pétroleuses et de pétroleurs, c’est à peine si une quinzaine ont pu être, je ne dis pas convaincus, mais frappés comme incendiaires ; et, si l’on n’est pas dénué de tout bon sens ou de toute justice, on devra reconnaître la vanité et l’odieux de ce rideau de flamme et de fumée que les vainqueurs ont essayé de tirer sur le programme et le but des vaincus.

(La Révolution française, 1879.)



  1. Edgar Quinet : Comment une religion finit.