La Commune de 1871/Ses moyens d’action

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La Commune. — Ses moyens d’action.


Les « moyens d’action » que l’on impute à « crime » à la Commune, ont été de deux sortes :

Il y a eu le moyen électoral, le bulletin de vote mis dans les mains des Parisiens par leurs maires officiels, auxquels s’étaient joints, pour la circonstance, leurs représentants à l’Assemblée.

Il y a eu ensuite, — lorsqu’au lieu d’accepter le fait accompli, de s’incliner devant l’expression de la souveraineté nationale parisienne, l’Assemblée de Versailles ne voulant pas pactiser avec ce qu’elle nommait une émeute et ce qui était bel et bien une révolution, en appela à la force, au canon, à « la plus belle armée que la France ait jamais possédée », — « il y a eu la force, le canon, les bataillons de la garde nationale fédérée », — le moyen militaire.

Que ce dernier moyen fût « criminel », ainsi que le prétend l’exposé des motifs des ministres de M. Grévy, c’est ce que nous n’avons — et pour cause — ni à confirmer, ni à contester.

Ils l’ont employé en 1830, — M. Grévy tout le premier, si j’en crois tous ses biographes, — et loin de le tenir pour « criminel », comme il avait été employé avec succès, il fut déclaré, non pas « criminel », mais justicier et libérateur.

Ils l’ont employé en 1848 — et, pour la même raison qu’en 1830, comme il fut couronné par le succès, il fut déclaré, non pas « criminel », mais justicier et libérateur.

Un fait certain et indéniable en revanche, c’est que ce moyen, « criminel » ou non, ceux-là mêmes qui le condamnent si formellement aujourd’hui l’ont employé à diverses reprises.

Ils l’ont employé ou essayé de l’employer en 1851 — et malgré qu’il échouât, il n’en fut pas moins proclamé héroïque hors de France et dans la partie de la France qui ne capitula pas devant le Coup d’État victorieux.

Ils l’ont employé en 1870, — et de nouveau le but que l’on visait ayant été atteint, malgré cette fois les protestations de M. Grévy, il fut baptisé « vengeur de la morale publique, restaurateur de la liberté française ».

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne constitue pas un « crime » ; — « crime » il était, et « crime » il est demeuré pour la Légitimité, l’Orléanisme et le Bonapartisme, contre lesquels il a été employé successivement et heureusement — mais ce qui veut dire que ce « crime » les révolutionnaires du 18 Mars n’ont été ni les premiers, ni les seuls à le commettre, et qu’à moins de vouloir le monopoliser à leur profit, en faire un privilège en leur faveur, les révolutionnaires de Juillet comme M. Grévy, les révolutionnaires du 24 Février comme M. Jules Favre et M. Crémieux, et les révolutionnaires du 4 Septembre comme M. Ferry ne sauraient le reprocher à leurs successeurs et imitateurs, à ceux qui n’ont fait, en réalité, que leur emprunter leurs fusils et relever leurs barricades.

Oui, cela est vrai, la Commune a, sinon ouvert, du moins soutenu le feu contre l’armée française.

Mais, nous le répétons, c’était aussi sur l’armée française que les combattants des « Glorieuses » ont tiré avec leurs fusils d’insurgés, comme c’était un capitaine de cette armée qui, dans la retraite sur Saint-Cloud, d’après le récit d’Alfred de Vigny, tombait à Passy sous le pistolet chargé à balles d’un gamin de treize ans.

Française également l’armée qui a été décimée, les 23 et 24 Février, par les balles citoyennes de la garde nationale et du peuple des faubourgs.

Française, encore et toujours française, l’armée contre laquelle Baudin appelait — vainement — aux armes les « blouses » désarmées et dégoûtées depuis Juin.

Les « moyens d’action » de la Commune — les moyens violents — ont donc été les moyens violents de toutes nos révolutions. Et ce n’est pas parce que la poudre a parlé pendant deux mois, parce qu’au lieu de durer trois jours la bataille s’est prolongée huit grandes semaines ; ce n’est pas surtout parce que toute cette dépense de sang a été inutile, que la Révolution du 18 Mars peut être plus « criminelle », en tant que moyens, que les révolutions qui l’avaient précédée.

Ce qui distingue la Commune — toujours en tant que moyens d’action — veut-on le savoir ?

C’est que l’épaulement des fusils a été précédé du dépouillement des votes ; c’est qu’avant d’être donnée aux canons, la parole avait été donnée aux urnes ; c’est que la bataille, au lieu d’être la préface, a été la suite, la servante du scrutin.

Le suffrage universel consulté, interrogé, appelé à donner à la fois une base et une direction à l’action insurrectionnelle, telle est la caractéristique du 18 Mars, ce qui lui assigne, en même temps qu’une figure, une place à part dans notre histoire révolutionnaire.

Mais ce trait particulier, loin d’aggraver, ne diminue-t-il pas la responsabilité — je parle de la responsabilité légale — des hommes engagés dans le mouvement, en étendant cette responsabilité du Comité central et de ses adhérents aux maires et aux députés qui ont pris sur eux de convoquer le peuple de Paris dans ses comices et de lui fournir ainsi contre Versailles une arme dont la légalité ne devait pas faire doute pour la masse ?

Remarquez que je ne tranche pas la question — très secondaire pour moi, mais d’une portée considérable pour les partisans à outrance de la légalité, quelle qu’elle soit. Je me contente de la poser, ou si l’on aime mieux, de l’opposer à l’affirmation de l’exposé des motifs que, dans ses moyens d’action, la Commune aurait été « le plus grand des crimes », ce « crime » se trouvant de la sorte partagé par plusieurs des hommes qui sont des puissances dans la République du moment.