La Fille d’alliance de Montaigne, Marie de Gournay/Texte entier

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LA RENAISSANCE
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P. de NOLHAC et L. DOREZ




PREMIÈRE SÉRIE
TOME DIXIÈME



PARIS
LIBRAIRIE HONORÉ CHAMPION, ÉDITEUR
5, Quai Malaquais

1910



LA FILLE D’ALLIANCE DE MONTAIGNE


MARIE DE GOURNAY


MARIE DE GOURNAY


Reproduction du portrait mis par elle en tête de l’édition des

« Advis ou Presens » de 1641.



MARIO SCHIFF


Chargé de cours à la Faculté des Lettres de Florence


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LA FILLE D’ALLIANCE DE MONTAIGNE


MARIE DE GOURNAY


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ESSAI SUIVI


DE « L’ÉGALITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES »


ET DU « GRIEF DES DAMES »


AVEC DES VARIANTES, DES NOTES, DES APPENDICES


ET UN PORTRAIT



PARIS
LIBRAIRIE HONORÉ CHAMPION, ÉDITEUR
5, Quai Malaquais
──

1910



À Madame Louis MILANI


qui s’occupe de féminisme sans y choir


M. S.

LA FILLE D’ALLIANCE DE MONTAIGNE
MARIE DE GOURNAY



Marie de Jars[1] de Gournay mourut le 13 juillet 1645, à près de quatre-vingts ans. Elle laissait à ses contemporains le souvenir d’une vieille fille de lettres qui n’avait pas eu de jeunesse et qui n’avait jamais connu la beauté, même cette beauté fugitive et légère dont le diable s’est fait le parrain. Grâce à l’indiscrétion d’une épitaphe, nous pensons qu’elle a dû naître en 1565. Elle-même s’est toujours bien gardée de nous l’apprendre, et son souci de l’exactitude, fort sensible partout ailleurs, est en défaut sur ce point[2]. Même lorsqu’abusée par deux mauvais plaisants qui lui firent croire que le roi d’Angleterre était anxieux de connaître sa vie, elle mit six semaines à l’écrire, elle escamote la date de sa naissance et dit simplement : « La Damoiselle de Gournay Marie de Jars nasquit à Paris, de Guillaume de Jars et Jeanne de Hacqueville, aisnée de tous leurs enfans. » Marie insiste sur la noblesse de ses parents, sur l’honorabilité de leurs familles, sur le nombre et la qualité de leurs alliances et sur leur catholicisme. Le père mourut jeune. Il laissa sa veuve et six enfants dans une situation de fortune médiocre, qui fut sans doute la raison de leur retraite à Gournay en Picardie.

L’enfance de Marie fut studieuse et contrariée. La mère « aportoit de l’aversion » au goût très vif de sa fille pour l’étude. « A des heures pour la pluspart desrobees, nous dit celle-ci dans son autobiographie, elle aprit les Lettres seule, et mesme le Latin sans Grammaire et sans ayde, confrontant les livres de cette Langue Traduicts en François, contre leurs originaux. » Privée, par le séjour à la campagne « d’enseignement et de conference » elle trouva cependant quelqu’un qui lui montra la grammaire grecque. « Elle en aprit en peu de temps la Langue à peu pres, puis la negligea trouvant le but de sa perfection plus esloigné qu’on ne luy figuroit d’arrivée. »

Dès cette époque Marie avait sans doute d’elle-même l’opinion favorable qu’elle en garda toute sa vie et le portrait qu’elle nous donne de sa personne, à cinquante ans, doit avoir été fait de mémoire plus que d’après nature. Le voici : « Elle est née la taille mediocre et bien faicte, le teint clair brun, le poil castain, le visage rond er qui ne se peut appeller ny beau ny laid[3]  »

Vers dix-huit ou dix-neuf ans, Marie de Gournay mit, par hasard, la main sur les Essais de Michel de Montaigne, qui, parus en 1580, n’étaient pas encore un livre célèbre. Cette lecture fit sur elle une si profonde impression et l’enthousiasme qu’elle excita en elle fut tel, qu’on songea dans son entourage à lui administrer de l’hellébore[4] pour la calmer. On l’aurait même, tout de go, taxée de folie si elle n’avait appris à temps que Juste Lipse, dont l’autorité était grande, avait dès l’apparition des Essais décerné à leur auteur un brevet de haute sagesse. Pédante et savante avant même d’avoir puisé dans la connaissance de la vie l’expérience nécessaire à qui veut distinguer la vérité d’avec l’erreur, Marie de Gournay, avide de comprendre, se jeta sur ce livre qui pose tant de questions. Et de ces questions, dont la lecture forçait son esprit, elle fit autant de réponses. Toute l’incertitude qui se dégageait des observations de Montaigne devenait pour elle matière de foi. À travers l’œuvre elle cherchait l’auteur et croyait en lui. Dans son désir d’acquérir, même par voie d’emprunt, une personnalité forte, elle s’appuyait sur les Essais et se faisait de Montaigne un directeur, voire presqu’un confesseur, avant même de le connaître. Elle était décidée à lui écrire pour lui dire son attachement et sa filiale gratitude lorsqu’un faux avis de sa mort lui parvint. Cruellement surprise, elle pleura la gloire, la félicité et l’espérance d’enrichissement de son âme qui, par cette perte, étaient fauchées en herbe. Tout à coup, comme elle était à Paris avec sa mère, elle apprit que Montaigne lui-même s’y trouvait. Elle l’envoya saluer en termes si expressifs et si peu ordinaires que dès le lendemain le philosophe vint la voir pour l’en remercier. Fut-il flatté par cet enthousiasme juvénile ? Se méprit-il sur la valeur intellectuelle de cette femme savante qui l’égalait aux Dieux en un style ou il reconnaissait un peu le sien ? Toujours est-il que dans cette entrevue il la jugea capable d’amitié et lui « presenta l’alliance de pere à fille ».

« Ce qu’elle receut, nous dit Mademoiselle de Gournay elle-même, avec tant plus d’aplaudissement, de ce qu’elle admira la sympathie fatale du Genie de luy et d’elle. » Plus tard, revenant sur cette circonstance capitale de sa vie, elle ajoute : « Je me pare du beau titre de ceste alliance, puisque je n’ay point d’autre ornement : et n’ay pas tort de ne vouloir appeller que du nom paternel, celuy duquel tout ce que je puis avoir de bon en l’ame est issu. L’autre qui me mit au monde, et que mon desastre m’arracha dès l’enfance, tres-bon pere, orné de vertus, et habile homme, auroit moins de jalousie de se voir un second, qu’il n’auroit de gloire de s’en voir un tel. »

Ce qui avait plus que toute chose frappé Marie de Gournay chez l’auteur des Essais, c’était la liberté et la tranquille assurance avec laquelle il parlait de soi, s’interrogeait et se décrivait, se prenant pour le type même de l’homme. Elle l’imite sur ce point avec docilité, parlant d’elle sans cesse quand elle ne parle pas de lui. Il y a des moments où l’on pourrait croire qu’elle se prend pour Montaigne : il n’est plus pour elle qu’un prétexte heureux qui lui permet de se mettre en avant. Dans un petit traité où elle ne se nomme pas[5], parce qu’elle sait fort bien qu’on l’y devinera, elle déclare sans fausse honte ni modestie qu’en « somme les belles ames s’allient infailliblement et necessairement ensemble, et de plus, en ces termes : Toy et moy nous attribuons l’une à l’autre, pource que la beatitude de l’une et de l’autre est en sa compagne, et nulle part ailleurs durant le cours de ceste vie. »

L’alliance conclue à Paris fut cimentée et Gournay-sur-Aronde où Montaigne alla passer quelques mois auprès de Marie et de sa mère[6]. À ce moment justement il faisait imprimer la véritable deuxième édition de ses Essais[7]. Tout nous porte à croire que le maître et l’élève lurent ensemble les bonnes feuilles de ce livre. Montaigne, déjà mécontent et en quête de mieux, chargeait les marges de l’ouvrage, de corrections, de suppléments, de notes diverses. Deux additions des plus importantes ont été écrites sous sa dictée par Marie de Gournay et achevées ou corrigées ensuite par lui[8]. Ceci prouve bien en effet que leurs « genies » sympathisaient. On devine entre eux de longues causeries et des promenades prolongées où la vieille jeune fille racontait des contes bleus au jeune vieillard. Un jour, comme ils venaient de lire ensemble le récit des accidents de l’amour dans Plutarque et qu’ils philosophaient sur les funestes effets des passions, Mademoiselle de Gournay dit à Montaigne une tragique histoire d’amour. Montaigne goûta cette invention et encouragea la jeune fille à l’écrire. Lui parti, Marie trompa ainsi l’ennui des premiers jours de solitude, et sitôt que la nouvelle fut achevée, elle l’envoya par exprès en Gascogne avec ses meilleurs souvenirs pour son père d’alliance et pour tous les siens[9]. Cette histoire dont le titre seul est intéressant s’appelle : Le promenoir de M. de Montaigne. Une lettre-préface raconte les circonstances que nous venons de rapporter. À nos yeux, le seul mérite de cette nouvelle, qui d’ailleurs eut un franc succès, est d’avoir distrait l’auteur des Essais. Dès son premier geste de femme de lettres, Marie se révèle, ce qu’elle fut toujours, à la fois habile et naïve. D’instinct elle devinait l’art de plier ses enthousiasmes au service de sa notoriété et parfois même de ses intérêts. Débuter par un écrit sur le titre duquel éclatait le nom de Montaigne, c’était faire d’une profession d’amitié une judicieuse réclame. Cela valait mieux qu’une préface, et c’était plus rare. Mademoiselle de Gournay s’installait ainsi et pour toute la vie à l’ombre du grand nom qu’elle invoquait. Et cette ombre lui fut propice. C’est à Montaigne que Marie de Jars doit sa petite immortalité. Marie entretint avec son père d’alliance une correspondance dont rien ne nous a été révélé jusqu’ici. Secouera-t-on un jour la poussière qui la couvre sans doute dans un recoin ignoré ?

Non contente d’avoir en France un correspondant illustre, Mademoiselle de Gournay voulut en avoir un autre à l’étranger. Son choix alla à Juste Lipse, célèbre alors partout où le latin était en honneur. Elle s’adressa à lui pour lui dire sa fierté d’être son émule dans l’admiration des Essais. Elle sut s’y prendre ; car l’humaniste, dont les lettres avaient leur prix et qui ne gaspillait pas sa prose, lui répondit. Cette lettre fut utile à la réputation croissante de la demoiselle. L’éminent professeur de Louvain commence par l’étonnement et finit par lui offrir une admirative amitié.

« Quelle qualification dois-je vous donner, Mademoiselle, dit-il, lorsque vous m’écrivez de la sorte ? J’ai peine à en croire ce que je lis de votre main. Se peut-il que tant de pénétration et un si solide jugement, pour ne rien dire de tant d’esprit et de savoir, se montrent dans un sexe différent du nôtre et se rencontrent dans le siècle où nous vivons ? Vous m’avez causé, Mademoiselle, une surprise mêlée d’embarras, et je ne puis dire si je me suis senti plus disposé à féliciter mon siècle ou à plaindre le sexe auquel j’appartiens. Prétendez-vous monter à notre niveau, ou nous laisser au-dessous du vôtre ? Soit, aspirez à nous effacer, vous aurez pour vous Dieu et les hommes à commencer par moi qui vous aime sans vous connaître, qui vous admire quoique je prodigue peu mon admiration. » Et Juste Lipse continue à égrener, sur ce ton-là, un long chapelet d’éloges[10].

En 1591, Marie de Gournay perdit sa mère. Ses affaires, peu brillantes depuis longtemps, se compliquèrent encore de nombreux partages. Marie fit son devoir de grande sœur. Elle s’occupa de placer ses frères de droite et de gauche. Son amour de l’indépendance l’empêcha d’accepter pour elle-même une haute hospitalité. Elle vécut à Paris au milieu de gens de lettres et de courtisans qu’elle apprit à détester parce qu’ils se moquaient d’elle. Elle trouvait une consolation à l’ironie des proches dans l’amitié des absents. La mort de Montaigne la frappa tout à coup et d’autant plus cruellement que, lorsqu’elle l’apprit, c’était déjà une vieille nouvelle. Le grand homme avait cessé de vivre le 13 septembre 1592 ; et le 25 avril 1593, Mademoiselle de Gournay, qui écrivait à Lipse ce jour-là, l’ignorait encore. Nous apprenons par cette lettre qu’une missive de Marie à Lipse s’est perdue ainsi qu’un petit traité sur l’alliance de son père et d’elle[11]. Dans cette nouvelle lettre, elle parle à Lipse de ses travaux, de ses projets, et elle lui envoie des vers à corriger. Elle lui demande de ses nouvelles et de celles de Montaigne dont elle ne sait rien depuis six mois.

L’humaniste répond le 23 mai de la même année à la fille d’alliance par une lettre de condoléance où il dit : « Nous sommes de faibles hommes, espèce privilégiée pourtant et d’origine céleste, mais enchaînée à la terre. Heureux ceux qui l’ont quittée et en sont affranchis ! Ton père d’alliance est de ceux-là. Je te l’apprends, si tu l’ignores, je te le confirme, si tu le sais : il n’est plus. Que dis-je ? Il nous a quittés, ce grand Montaigne ; il est monté vers les cimes éthérées de là-haut… Mais pourquoi regarder cette fin comme un malheur ! Lui-même sourirait de nous, s’il nous voyait lamenter. J’imagine qu’il a accueilli la mort avec enjouement, et qu’il en a triomphé même alors qu’elle semblait le vaincre. » Et Juste Lipse, savant et guindé, termine par un mouvement de solennel abandon : « Je t’aime, ô jeune fille, dit-il, mais comme j’aime la sagesse, chastement. Fais de même à mon égard et, puisque celui que tu nommais ton père n’est plus de ce monde, regarde-moi comme ton frère[12]. »

Mademoiselle de Gournay, très réellement affligée par cette perte, s’occupa de conserver le mieux possible sa douleur, et d’en tirer, tant au point de vue littéraire qu’au point de vue social, tout ce qu’elle pouvait lui donner. En disant cela, je ne prétends pas faire injure à sa sincérité. Je veux seulement faire entendre qu’elle était atteinte, à un degré exceptionnel, du mal littéraire qui nous concentre sur nous-mêmes et qui donne, à nos souffrances comme à nos joies, avant tout une valeur d’expression. Marie eut la consolation d’apprendre par les proches de son ami le cas que celui-ci faisait d’elle. Elle fut en quelque sorte l’exécuteur du testament intellectuel de son second père, puisqu’elle reçut quinze mois après sa mort les papiers recueillis par sa veuve et triés par Pierre de Brach pour servir à la nouvelle édition des Essais. Ce travail l’occupa longtemps. Elle publia un texte augmenté de nombreux passages inédits. L’habitude qu’elle avait de la pensée de son maître lui servit pour adoucir certains termes, ménager certaines transitions. Enfin elle écrivit sous forme de préface une défense de Montaigne qui est tout ensemble l’apologie de l’auteur et celle de ceux qui l’ont compris. Marie de Gournay s’empara des Essais. Ils devinrent sa chose[13]. Elle les recommandait aux savants et aux libraires étrangers. Elle en surveillait les réimpressions. Elle corrigeait de sa main les fautes de l’imprimeur et ajoutait à l’errata imprimé un errata manuscrit témoin de ses scrupules et preuve de sa conscience. Pour elle, Montaigne restait vivant parce qu’elle le ressuscitait sans cesse. La traduction des citations innombrables qui émaillent le texte des Essais est son œuvre. Elle a pris, cela est évident aujourd’hui, des libertés qu’un éditeur moderne ne se permettrait pas. Mais ses retouches étaient dictées par sa piété filiale et n’avaient d’autre objet que de faciliter au public la lecture du livre de Montaigne. C’est dans la première des éditions des Essais publiées par Mademoiselle de Gournay[14] que paraît pour la première fois l’éloge que l’auteur fait de sa fille d’alliance à la fin du chapitre xvii du deuxième livre[15]. En 1635, dans l’édition faite sous les auspices de Richelieu et dédiée au Cardinal, Marie de Gournay a modifié cet éloge[16]. Quelle est la cause de cette tardive et soudaine modestie ? Faut-il voir dans cette deuxième version la véritable forme de l’éloge que Montaigne lui décerne ? Que son père d’alliance ait parlé d’elle avec complaisance, c’est probable et presque certain[17]. Mais les termes excessifs dont il se sert pourraient bien être le produit d’un pieux mensonge de Marie pour souligner aux yeux de ses contemporains son caractère d’éditeur autorisé et seul compétent.

Lorsque Marie de Gournay eut rendu hommage à la mémoire de son maître en publiant les Essais de 1595, elle céda à son désir d’aller connaître sa mère et sa sœur d’alliance à Montaigne. Le voyage fut long et difficile en ces temps troublés[18]. Elle le fit sous l’escorte de M. d’Espaignet à qui elle devait plus tard rappeler ce souvenir en lui adressant son portrait moral en vers sous le titre de Peincture de mœurs :

Nostre abord commencea lorsque du grand Montaigne,
J’allay voir le tombeau, la fille et la compaigne :
Voyageant avex toy, qui menois de nouveau
Ta femme en leurs païs, ton antique berceau.

Ce séjour en Gascogne fut, pour Mademoiselle de Gournay, délicieux et reposant. Elle y vécut entourée de choses qui donnaient un sens à des souvenirs qu’elle aimait. Et du même coup elle laissait s’endormir un peu les soucis d’argent et les ennuis qui la tourmentaient à Paris. On se la représente volontiers, durant les quinze mois que dura sa visite, lisant les livres où son maître avait puisé les ornements de sa sagesse et parlant longuement d’elle-même à propos de lui avec la fille et la femme de Montaigne qui l’adoptèrent pleinement.

C’est de là que Marie de Gournay répond le 2 mai 1596 à la lettre de Lipse datée du 23 mai 1593. Sa douleur sincère éclate dans ces pages, mais elle exhale comme une odeur de vieilles larmes. Et l’on ne peut se défendre d’en vouloir un peu à la littérature qui altère les sentiments des natures les plus rares. Marie écrit : « Monsieur, comme les autres méconnaissent à cette heure mon visage, je crains que vous méconnaissiez mon style, tant ce malheur de la perte de mon père m’a transformée entièrement ! J’étais sa fille, je suis son sépulcre ; j’étais son second être, je suis ses cendres. Lui perdu, rien ne m’est resté ni de moi-même ni de la vie, sauf justement ce que la fortune a jugé qu’il en fallait réserver pour y attacher le sentiment de mon mal[19]. »

Cette longue lettre continue sur ce ton sans une défaillance. Mademoiselle de Gournay qui, comme le, dit Pasquier, n’avait voulu épouser que son honneur[20] a trouvé d’instinct le ton des grandes veuves, de celles qu’une intarissable abondance de larmes permet d’associer à la gloire de leurs maris.

Le 15 novembre 1596, Marie écrivit encore à Lipse pour accompagner l’envoi de trois exemplaires des Essais, un pour lui, les deux autres pour les plus fameuses imprimeries de Bâle et de Strasbourg. Elle lui annonce qu’elle en a envoyé un à Plantin[21]. Dans tous ces volumes, qu’elle a corrigés de sa main, elle a coupé les feuillets contenant sa longue préface et s’est contentée de dix lignes d’avertissement[22].

De Montaigne qu’elle quitta à regret, on le devine. Mademoiselle de Gournay gagna la Picardie où l’appelaient ses affaires toujours précaires, et de là elle se rendit à Anvers et à Bruxelles, pour affaires de librairie sans doute. Elle ne s’explique pas sur ce point, mais il est permis de le supposer avec une certaine vraisemblance. En Belgique, son amitié avec Lipse la servit grandement. On eut pour elle des attentions qui lui firent goûter toutes les joies de la célébrité. Elle s’en souvient lorsqu’elle écrit son apologie, où elle insiste longuement sur le cas que font d’elle les étrangers : « Je ne puis oublier, dit-elle, le logis qui me fut si courtoisement donné à Bruxelles, où quelques affaires m’acheminerent un jour, en la vertueuse maison du sieur Président Vanette : l’accueil, faveur, offices exquis, que je receus du sieur Proveedor Roberty, personnage qui sert dignement les Archiducs, et certainement plain de generosité, d’amour des Muses et de la vertu, pour soy-mesme et pour autrui : la reception et les festins, outre cela, d’un grand nombre de personnes de qualité et du Conseil, tant en la mesme Ville, qu’en celle d’Anvers, dont plusieurs François sont tesmoins : mes portraicts retenus et cheris en l’une et en l’autre : le tout sans aucune prealable cognoissance que j’eusse, de tous ceux qui me departoient ces courtoisies. »

À Bruxelles justement, Marie reçoit la dernière lettre de Lipse, une lettre triste où l’humaniste apparaît tourmenté par le mauvais pli des. affaires publiques[23]. Je ne pense pas, quoiqu’on l’ait dit[24], que Juste Lipse et Mademoiselle de Gournay se soient rencontrés en Belgique. « Glorioleuse » comme elle l’était, celle-ci n’aurait pas manqué de parler longuement de cette entrevue.

À cette époque, Marie de Gournay avait 32 ans. Son autobiographie datée de 1616 arrête sa vie à son retour de Montaigne. Pour qui voudrait en savoir plus long sur sa vie et sur son caractère, elle a, dit-elle, écrit un poème « qu’elle espere de faire imprimer, et lequel bien qu’il soit escrit par elle mesme, ne laissera pas d’estre croyable, car elle a tousjours fait insigne et particulière profession de verité[25]. » Ces vers sont amusants et pittoresques, mais son « Apologie » en prose nous renseigne beaucoup mieux sur sa façon de vivre et de penser. Dans cet écrit adressé à un prélat de ses amis, Marie proteste contre les racontars de ses ennemis. Elle tient beaucoup à avoir des ennemis, au fond elle n’a eu que des moqueurs, des « brocardeurs » qui ne la prenaient pas au sérieux. N’être pas « considérée », voir qu’on se refuse à discuter avec elle et qu’on est poli envers elle parce qu’elle est une dame, voilà la suprême injure. Mademoiselle de Gournay s’applique à démontrer que ses hautes études ne la détournent de rien de ce qu’une femme doit faire et savoir dans son ménage, et que l’économie domestique n’a pas de secrets pour elle. Avec son habituelle candeur elle fournit à ses adversaires d’admirables arguments. Sachons-lui gré d’avoir parlé d’elle-même avec une aussi inlassable complaisance, puisqu’elle va nous fournir les couleurs dont nous avons besoin pour parfaire son portrait.

Installée définitivement à Paris, la « fille d’alliance », comme l’appelait Balzac[26], comprit que ses revenus, sans cesse rognés par les guerres, ne lui permettraient pas de vivre à sa guise sans de hautes protections. C’est alors qu’elle imagine de se « faire visiter » par des personnes capables de parler d’elle au roi. Son idée est simple : dépenser ce qu’elle a pour attirer l’attention et obtenir ainsi des pensions supérieures à ce qu’aurait pu être sa rente. Il est permis de croire que Marie de Gournay n’a trouvé cette justification que pour faire face au reproche de gaspillage dont on la houspillait. Elle soutient encore que les puissants s’honorent en secourant les gens de lettres et qu’ils ne font que leur devoir. Elle dit : « Partant je vis, que quelque mesnage que je fisse, il falloit tousjours pour les causes nottées icy dessus, que mon bien tombast en ruïne, si je n’eusse voulu vivre fort vilement. Et la resolution de vivre en telle sorte, estant de tres-difficile digestion aux personnes nourries d’un air honnorable, notamment jeunes gens, qui ne sçavent pas encore, combien le monde et son applaudissement qui suit cest air, sont deux frivoles visions ; je me resoudis de moyenner à mon pouvoir, que mon mesme bien tombant en ceste ruïne quelque année plustost, fust en chemin d’y tomber moins misérablement : cela s’appelle avec espoir de ressource. Je pensay donc, de me faire visiter, par quelque despense honneste et mesnagere ensemble, autant que le necessiteux peut mesnager, et par la visite recognoistre à ceux qui s’approchent des Majestez, afin qu’ils leur peussent tesmoigner, que je meritois dignement le pain de leur main : soit par ma personne, soit pour estre ruinée soubs la consequence de leurs affaires. »

Grâce à ces manœuvres et sans doute aussi grâce à son mérite, Marie de Gournay réussit à avoir sa part des libéralités royales. Si elle répond si vertement aux « parleurs », c’est que « n’ayant espoir de secours en ses besoins que par les roys » elle doit veiller à sa réputation et cultiver la bonne opinion qu’ont d’elle les « gens d’honneur » et les « Majestés ». C’est seulement parce que les mauvaises langues peuvent lui faire perdre les secours du prince qu’elle prend la peine de les démentir. « Car, dit-elle, sans ceste cuysante suitte ; quelque effort de mon courage me deffendroit au moins par desdain, de m’amuser à respondre à ces bavasseries. » On l’accuse d’avoir de beaux meubles, de tenir table et de s’offrir le luxe de deux demoiselles. Marie réplique qu’une fois elle a pris à ses gages une fille de cette condition avec celle qui lui était ordinaire et nécessaire, mais c’était parce qu’elle jouait du luth et qu’elle avait besoin de musique pour charmer une tristesse importune. Elle confesse aussi avoir eu parfois deux laquais, c’était trop d’un, mais cependant elle les occupait bien tous les deux. Jamais elle n’a couché que dans un lit de laine et n’a point fait de vaines dépenses de vivres ni de meubles. Tout ce qu’elle accorde à ses calomniateurs, c’est d’avoir perdu 500 écus pour avoir été « trop confiante en autruy » et 500 autres par « vanité de jeunesse ». À ceux qui lui reprochaient son carrosse, Marie de Gournay répond avec une colère légitime qu’elle y avait droit par sa naissance et qu’étant donné l’état des rues de Paris elle ne pouvait s’en passer. Elle s’exprime ainsi : « Pour le regard du carrosse que j’avois, cela est nay avec les femmes de ma qualité, toute simple que je l’aye recogneuë : ouy mesmes totalement nécessaire par la longueur et saleté du pavé de Paris : notamment si elles portent toute la charge d’une succession paternelle sur les bras comme moy. Puis l’exemple general et tyrannique du siecle, rend la honte du manquement d’un carrosse si grande, qu’il n’est pas permis à celles qui veulent vivre avec quelque bien-seance du monde, de consulter s’il couste trop ou non[27]. »

Enfin, vaincue par le dégoût que lui inspire une telle conduite. Mademoiselle de Gournay lance une violente imprécation contre ces « dames jadis belles » qui, pour entretenir les grands, enfilent des contes sur son « apparat pretendu » pour lui nuire en haut lieu. Et la voix de la vieille fille de lettres se fait aigre pour parler de ces femmes qui pour fonder leur apparat, comme elle dit, n’ont pas attendu pareille nécessité que la sienne « et qui n’ont pas craint d’accepter des hommes, vilainement requis, le bien qu’elle a parfois refusé des femmes, dignement offert, pour faire chose encore plus digne en le reservant à leur propre besoin[28]. »

Et ce n’est pas tout. Des malins se sont amusés à vouloir la faire passer pour sorcière parce qu’elle s’est un temps occupée d’alchimie. Elle ne le nie pas. Au contraire, elle déclare que c’est folie de nommer folle une chose occulte au sujet de laquelle on ne doit rien affirmer ni nier. D’ailleurs, la curiosité est une vertu et il ne faut jamais empêcher l’intellect de s’appliquer à une belle spéculation de nature. Cependant il faut prendre deux précautions : d’abord se garder des grosses dépenses afin de ne pas risquer l’assuré pour l’incertain ni le présent pour le futur, et puis ne point se laisser prendre à l’espérance de millions de millions. Car si le fruit véritable de l’alchimie était la production infinie de l’or et de l’argent, ces métaux deviendraient vils et sans prix. Le bénéfice de cet art, si bénéfice il y a, ne peut être que modéré. Par conséquent l’alchimie de Mademoiselle de Gournay n’est pas celle du vulgaire : elle la pratique sous toutes réserves et sans excès. Le mauvais état de sa fortune a fait croire qu’elle s’y ruinait. Quelle erreur ! Elle cherchait au contraire dans la pratique de l’art un remède au désordre de sa cassette. Sa première année d’exercices lui a coûté « quelque somme non méprisable », mais l’argent qu’elle y a employé lui venait de ses travaux et non pas de son patrimoine. Pendant les sept années qui suivirent, elle a dépensé de cent à cent vingt écus par an pour ses fourneaux, et depuis, l’alchimie ne lui coûte plus que deux ou trois écus par an parce que les maîtres verriers lui prêtent leur feu. D’ailleurs elle a fait d’obstinées économies en l’entretien de sa personne pour retrouver les sommes dépensées pour son apprentissage, afin de pouvoir dire que l’alchimie ne lui coûtait rien. À ceux qui se moquent de sa constance, Marie de Gournay répond que c’est avoir l’esprit bien court que de ne voir dans l’alchimie que l’espoir de l’or. Pourquoi s’impatienter ? On attend bien une année pour qu’un épi mûrisse. « Outre, dit-elle, que si mesmes je n’esperois nul succès en l’œuvre, comme je ne puis désormais faire après ce longtemps écoulé sans fruict, je ne lairrois pas de travailler : pour voir soubs les degrez d’une très-belle décoction, ce que deviendra la matière que je tiens sur le feu : curiosité naturelle et saine. »

Forte de ses amitiés, fière de ses parentés électives et consciente de sa propre valeur. Mademoiselle de Gournay se jeta courageusement dans la mêlée littéraire et s’égara même par instants dans la politique[29]. Elle se battit en véritable amazone, toujours à découvert, polémisant avec ardeur et sans mesure. Fidèle à la tactique de son sexe, elle prend ses affections pour des preuves et ses sympathies pour des arguments. Rebelle à ce qui limite son bon plaisir, elle s’attaque à tous les problèmes et discute avec le premier venu. Mal lui en prit souvent, mais elle se consolait des rebuffades et des attaques par la robustesse de ses convictions. Dévouée à Ronsard presqu’autant qu’à Montaigne, elle s’institua champion et défenseur de la Pléiade contre Malherbe et son école. Elle réclamait hautement le droit de rester fidèle à la poétique de Ronsard et de ne rien abandonner du vieux vocabulaire. Elle prétendait d’ailleurs aussi rester libre de créer les mots ou les expressions qui lui seraient nécessaires. La tyrannie de l’usage populaire de Paris comme celle de la bonne société lui semblaient également intolérables. À quoi bon appauvrir une langue qui a fait ses preuves puisqu’elle a produit des écrivains tels que Montaigne et Ronsard qui sont inimitables et qui le resteront ? Cramponnée à l’œuvre de ses grands hommes, Marie de Gournay assista au triomphe de ses adversaires et à l’épanouissement du purisme. Elle expose ses idées dans sa « deffense de la poësie et du langage des poètes », dans ses traités consacrés à « la version des poètes antiques, ou des métaphores », au « langage françois », aux « rymes », aux « diminutifs françois » comme dans son examen détaillé « de la façon d’escrire de messieurs Du Perron » et Bertaut et dans sa « lettre sur l’art de traduire les orateurs » . Parfois son amour du passé lui inspire de violentes apostrophes contre les novateurs. Irréconciliable ennemie de l’écorcheuse académie[30], « elle avoit, dit Sorel, des emportemens horribles quand elle parloit des gens de la nouvelle bande, ou de la nouvelle caballe[31]. » Elle se vante d’ailleurs de ne point observer ce nouveau langage, qui fait tant de bruit, et d’employer tous les mots qu’il défend si ses grands auteurs en ont usé. Elle déclare aussi qu’elle veut écrire, rimer et raisonner de toute sa puissance à la mode de Ronsard[32], de Du Bellay et de Desportes, et aussi à celle de Du Perron et de Bertaut qu’elle reproche à la « nouvelle bande » d’avoir feint d’approuver de leur vivant pour tomber sur eux « a son de trompe et profession ouverte apres leur mort. » Pour Marie de Gournay, les nouveaux vont de l’avant « comme gens qui n’ont exemple ferme, ny visée ou butte expresse. » Ennemie des malherbisants, elle n’épargne pas davantage les précieuses au nombre desquelles on l’a rangée à tort. À quoi bon « gehenner son stile, pour suivre le train des donselles à bouche sucrée » puisqu’elles-mêmes acceptent « soit en l’oraison soluë, soit en la poésie, infinies choses qu’elles ne disent pas » ? Quand elle entend prétendre que la rime ne doit pas seulement suffire à l’oreille mais encore contenter les yeux, Marie n’y tient plus et sa colère grave se change en un éclat de rire : « Veut-on rien de plus plaisant, s’écrie-t-elle, veut-on mieux deffendre de poetiser en commandant de rymer ? Car comment seroit-il possible que la poesie volast au ciel, son but, avec telle rongneure d’aisles, et qui plus est éclopement et brisement : puisqu’il est vray qu’on ne peut substituer nulles meilleures rymes en la place de ces premières, action, passion, pansion, ny si bonnes en celle de ces dernières, le blasme, l’ame et la flamme ? Faut-il pas dire aussi qu’ils ont, non bonne oreille, mais bonne veuë pour rymer : dont il arrive, qu’il nous faille un de ces jours escrire des talons, et dancer des ongles ? »

Les puristes ne sont pas mieux traités que les rimeurs. Mademoiselle de Gournay n’a pas de mots assez forts pour les flétrir. Elle sourit de ces gens qui corrigent les Essais et qui blâment leur auteur d’avoir fait usage de la langue entière tandis qu’eux n’en admettent que la moitié. Quelle petitesse que de reprocher à Montaigne trois gasconismes volontaires, quelques mots hardis ou vieux, un latinisme, un terme de palais ! Quelle sottise que de prétendre corriger l’usage par la grammaire ! Et qu’importe-t-il de savoir s’il faut dire « ma grande mère » puisqu’on dit « ma grand’mère. » Aux discours de tous ces pédants, la vieille fille s’impatiente : « A quoy sommes-nous plus bons, dit-elle, s’il nous eschape en songeant un mesme, pour un mesmes, ou un commence, pour un commences ? on nous attend-là de par tous les Dieux, on y guette la victoire et le triomphe sur nous : à l’imitation des petits enfans, qui par jeu complotté font dire à leurs compagnons : petit plat, petit plat : afin que s’il arrive à la langue de celuy qui parle, de fourcher, en prononçant, plit plat, il soit salüé d’une longue huée, avec la perte de l’espingle qu’il a consignée pour enjeu. Et le bon est, qu’observer à leur mode toute ceste chicane de la langue, s’appelle bien parler et bien escrire, s’il les en faut croire. »

Les mères donnent le jour à leurs enfants et les allaitent, mais ce sont fort souvent les vieilles filles qui les élèvent. Marie de Gournay, célibataire par vocation, se devait à elle-même d’écrire des traités de pédagogie bourrés de conseils généreux et d’avis qui empruntent à leur caractère théorique une unité tout à fait démonstrative. Pour célébrer l’union de Henri IV avec Marie de Médicis, la fille d’alliance de Montaigne composa un traité « De l’éducation des enfants de France ». Dans cet ouvrage, elle propose aux nouveaux mariés de s’occuper du choix d’un précepteur pour leurs futurs enfants et elle déplore la mort de son second père qui aurait été l’éducateur princier accompli. Quand les princes furent nés, elle leur envoya sa « Naissance des enfans de France » où elle prédit l’avenir et donne aux nouveau-nés des encouragements et des exhortations. Du doigt elle leur indique les Turcs à combattre, la gloire à conquérir et les vertus dont l’exercice assurerait le bonheur à leurs sujets. Plus tard, elle écrit encore une « Institution du prince » en deux parties. Elle lui recommande de méditer les trois conditions posées par Plutarque à l’homme qui veut atteindre à la perfection : « la nature, l’enseignement et l’exercitation ». Elle l’exhorte encore à garder la foi en Dieu qui consiste en deux points : l’antique religion et l’équité de la vie.

Dans un billet adressé à son ami Chapelain, Balzac l’épistolier se plaint de la lenteur que Mademoiselle de Gournay met à mourir et, impatienté, il s’écrie : « Je vous jure qu’on m’avoit asseuré qu’elle estoit morte, outre que la dernière fois qu’elle m’escrivist elle me mandoit que c’estoit pour la dernière fois, et qu’elle ne pensoit pas avoir le loysir d’attendre ma response en ce monde. Je la tenois femme de parolle et me l’imaginois desjà habitante des champs-élysées ; car, comme vous sçavés, elle ne connoist point le sein d’Abraham, et n’eust jamais grande passion pour le Paradis. »

Balzac se trompait. Non seulement Mademoiselle de Gournay était chrétienne, mais encore elle s’occupait volontiers de théologie, et s’intéressait à la conversion des infidèles. Elle admirait saint François de Sales, méditait ses œuvres et lui écrivait. Elle louait aussi la charité et l’abnégation des Pères de la Compagnie de Jésus. Marie intitule « Advis à quelques gens d’église » une dissertation où elle rappelle aux prêtres leurs devoirs ; les pratiques d’humilité et de continence doivent chasser la sensualité et la vanité qui triomphent trop souvent dans l’Église. La confession n’est plus ce qu’elle doit être. Il faut qu’on s’efforce de lui rendre sa véritable signification et qu’elle soit un instrument de purification et non une excuse et comme un encouragement au péché.

Dans un opuscule fort rare qui a pour titre « Adieu de l’ame du roy de France et de Navarre Henry le Grand à la Royne », Mademoiselle de Gournay, très émue, défend avec chaleur les Jésuites qu’on a voulu rendre responsables de l’odieux régicide. Son zèle pour le salut des âmes éclate dans ces lignes : « Le commun du monde, dit-elle, fait à son advis le subtil, d’aller discourant sur ce, qu’outre la capacité naguère mentionnée des Jesuites, qui chatouille tant ces soupçons, il voïd ces esprits actifs, afferez et fervens et qu’on rencontre par tout et parmy toutes sortes de personnes, basses et hautes. Il void bien que leur mestier, qui se nomme Le salut de nos ames, les doibt porter en autant de lieux qu’elles se trouvent : mais il ne peut pas neantmoins croire qu’ils prennent tant de fatigue à se mesler avec elles, pour la seule charité de les sauver. Trouvant cette vertu là morte en luy-mesme, il faut qu’il devine, que l’avarice ou l’ambition pousse ces bonnes gens dans la foule. » Et Marie de Gournay affirme que c’est son devoir de chrétienne et de patriote qui la pousse à défendre les Jésuites. En effet, ils sont utiles à la France par la prédication, la nourriture des enfants et la forte guerre spirituelle qu’ils font aux hérétiques. Sans parler des conquêtes si pénibles qu’ils accomplissent au Japon, aux frontières de la Chine, dans le pays de Goa et dans le Calicut, où ils ont arraché plusieurs millions d’âmes des griffes de Satan.

La mort de Henri IV a été pour Mademoiselle de Gournay un effondrement. Justement elle était arrivée à se faire apprécier par lui et elle fondait sur cette haute protection les plus légitimes espérances. « L’adieu de l’âme du roi à la reine » est tout plein de regrets généraux et particuliers. Elle y plaide la cause des Jésuites et de la vraie foi, mais, comme dans tous ses écrits, elle ne s’oublie pas. Avec de respectueuses réticences et de prudents détours, elle conseille à Marie de Médicis d’honorer ceux que le feu roi regardait avec bienveillance. Ne serait-ce pas en effet immortaliser Henri IV que de prolonger ainsi son influence et sa volonté par delà le tombeau ? Elle rappelle avec discrétion comment le roi l’a distinguée et quelle preuve de bon sens et d’indépendance il a donnée en l’appréciant en dépit de ces « fredaines de parleries » par lesquelles les diseurs de la cour cherchaient à lui nuire : « Soit que ma faute en fust cause, ou celle d’autruy, dit Marie, l’on m’avoit depeincte à luy de vieille et fraîche datte, soubs la figure d’un animal assez sauvage, pour faire peur aux petits enfans. Et bien qu’il soit très-rare aux cours et parmy les grands, de corriger des preventions, il se mocqua de tels contes dès qu’il m’eust veuë ; comme plus difficile à mener par le nez, que ne sont ordinairement les personnes de sa qualité[33]. » Mademoiselle de Gournay espère que la reine voudra bien la voir d’un aussi bon œil que le roi qui dès leur première entrevue lui ordonna de se montrer souvent à la cour.

« L’exclamation sur l’assassinat déplorable de l’année mil six cens dix » et la « prière pour l’ame du roy » témoignent comme « l’adieu » de la reconnaissance que la fille d’alliance de Montaigne avait vouée à Henri IV. Malgré la guerre au couteau que Marie faisait aux courtisans, elle usait comme eux de la flatterie, mais elle la maniait avec un mélange de sincérité et d’exagération tout à fait amusant[34]. Peut-être être ce dévouement naïvement intéressé frappe-t-il plus chez elle à cause de la longueur démesurée de sa vie qui lui permit d’espérer des secours de tant de souverains, de glorifier tant de reines, d’aduler tant de ministres. Elle vécut en un temps de tempêtes et de luttes acharnées où les règnes duraient peu ; née sous Charles IX, elle est morte sous Louis XIV. Ses dédicaces nous font connaître ses protecteurs officiels et ses protecteurs officieux : Marie de Médicis, le maréchal de Bassompierre, Anne d’Autriche, Richelieu s’occupent d’elle pour lui servir des pensions ou pour l’aider à les obtenir.

Comme poète, Marie de Gournay a mis en vers français plusieurs livres de Virgile, elle a encore traduit Ovide, Salluste et Tacite[35]. Comme éditeur, sans parler des Essais, elle a publié des vers de Ronsard d’après un manuscrit de son invention. Cet acte qui, on l’a dit, constitue une véritable supercherie littéraire[36] lui a été dicté par sa piété envers le grand poète. Elle a cru bonnement qu’en rajeunissant de son propre chef et sans l’avouer les vers de son maître en poésie, elle lutterait contre l’injuste oubli où elle voyait tomber son œuvre. Mais elle a confié son projet à Colletet qui s’est révolté et qui, poussé par une très légitime indignation, a dévoilé ce bizarre procédé de sauvegarder la réputation d’un mort[37].

Les petits vers de Mademoiselle de Gournay sont mauvais. Quelques quatrains sur Jeanne d’Arc, quelques strophes adressées à Léonor de Montaigne, sa sœur d’alliance à qui tout le recueil intitulé « Bouquet de Pynde, composé de fleurs diverses » est dédié, méritent seuls l’attention. Marie a rimé beaucoup de petits vers pour ses amis, pour ses mécènes, pour sa chatte Donzelle et pour Minette aussi. Tout ceci prêtait au ridicule, et la vieille fille a sans doute été seule à s’étonner de voir la jeunesse dorée et la jeunesse cruelle de son temps s’amuser largement à ses dépens.

La fille d’alliance de Montaigne, on pouvait s’y attendre, voulut elle aussi faire des Essais. Autour d’un fait ou d’une idée qui lui sont familiers, elle accumule tous les exemples que lui fournissent ses lectures, tous les souvenirs que conservait sa mémoire précise. Là, comme dans toute son œuvre, nous retrouvons ses préoccupations dominantes. Elle ne se lasse pas de poursuivre les médisants, les brocardeurs, les faux dévots, elle se demande si la vengeance est licite, elle constate une antipathie des âmes basses et hautes et que les grands esprits et les gens de bien s’entrecherchent. Elle examine aussi les vertus vicieuses, les raisons de la « néantise » de la commune vaillance de ce temps. Elle remarque que l’intégrité suit la vraye suffisance. Elle stigmatise l’impertinente amitié et les sottes ou présomptives finesses. Enfin elle a consacré à la défense de son sexe deux petits traités le « Grief des dames » et l’ « Egalité des hommes et des femmes » auxquels il convient de faire une place à part dans son œuvre.

Les essais de Mademoiselle de Gournay ont été écrits sous l’influence directe de Montaigne. Son style et sa pensée sont comme des échos de la pensée et du style de Montaigne. Elle cherche l’expression primesautière et pittoresque et, toutes les fois que la passion l’emporte, elle la trouve. Fidèle aux principes de son second père, la fille d’alliance s’est prise comme type d’humanité et comme, à son regret caché, elle était femme, elle s’est considérée comme le représentant caractéristique de son sexe. Or quand on se prend pour type, il faut avoir le jugement très ferme pour ne pas se donner comme modèle à ceux pour qui l’on se décrit. Sur ces deux points Marie de Gournay s’écarte de son maître qui faisait, on le sait, peu de cas des femmes, et qui s’observait sans prétendre d’ailleurs s’imposer aux autres.

Les passionnés et les sincères ont toujours été une proie facile pour les moqueurs. Bas-bleu, féministe, éprise de ses chats, polémiste imprudente, amie des missionnaires, Marie n’avait même pas, pour se défendre, la beauté qui fait que les hommes pardonnent parfois aux femmes d’aimer ce qu’ils n’aiment pas. Son ami le cardinal Du Perron répondait à ceux qui l’interrogeaient sur la vertu de la demoiselle, qu’il suffisait de la regarder pour en être convaincu[38]. On s’acharne contre elle dans « le Remerciment des Beurrieres de Paris »[39], à cause de sa défense des Jésuites. Saint-Amant la couvre de vers grossiers[40]. Saint-Évremond la raille doucement dans ses « Academistes » sur sa passion pour les vieux mots. Ménage en a fait autant dans « la Requête des dictionnaires ». Elle figure aussi parmi les personnages du « Rôle des présentations aux grands jours de l’éloquence française », et sous le nom de Géminie elle paraît dans « le Cercle des femmes sçavantes » de M. de la Forge. Gaillard lui donne un rôle grotesque dans « la furieuse monomachie de Gaillard et de Bracquemard[41]. » Sorel se sert pour son « Histoire comique de Francion » de farces qu’on a jouées à la pauvre vieille, et l’incomparable Tallemant raconte comment les « pestes »[42] s’y prenaient pour la faire enrager. L’histoire des trois Racans est devenue classique. Il est tout à fait impossible de parler de Mademoiselle de Gournay, sans donner la parole au savoureux auteur des « Historiettes » .

Voici en quels termes il rapporte l’entrevue de Marie avec le grand cardinal et comment celui-ci lui donna une pension :

« Boisrobert la mena au cardinal de Richelieu, qui lui fit un compliment tout de vieux mots qu’il avait pris dans son Ombre. Elle vit bien que le cardinal vouloit rire. « Vous riez de la pauvre vieille, lui dit-elle. Mais riez, grand génie, riez ; il faut que tout le monde contribue à votre divertissement. » Le cardinal, surpris de la présence d’esprit de cette vieille fille, lui en demanda pardon, et dit à Boisrobert : « Il faut faire quelque chose pour Mademoiselle de Gournay. Je lui donne deux cents écus de pension. – Mais elle a des domestiques, dit Boisrobert. – Et quels ? reprit le cardinal. – Mademoiselle Jamin, répliqua Boisrobert, bâtarde d’Amadis Jamin, page de Ronsard. – Je lui donne cinquante livres par an, dit le cardinal. – Il y a encore madame Piaillon, ajouta Boisrobert ; c’est sa chatte. – Je lui donne vingt livres de pension, répondit l’Eminentissime, à condition qu’elle aura des trippes. – Mais, Monseigneur, elle a chatonné », dit Boisrobert. Le cardinal ajoute encore une pistole pour les chatons[43] ».

Mademoiselle de Gournay recevait, et comme sa table était médiocre, certaine épigramme sur un « poulet-d’inde dur au disner d’un poëte » semble l’indiquer, il faut que sa conversation vivante et nourrie ait eu beaucoup de charme[44]. L’abbé de Marolles, qui habita la même maison qu’elle, appréciait la vieille savante. Chapelain, qu’elle accablait de questions, la trouvait gênante, mais la ménageait cependant et allait la voir avec le vif espoir, il est vrai, de ne pas la rencontrer[45]. Balzac lui écrivait d’élégantes méchancetés trop fortes pour elle et qui la flattaient évidemment[46]. Elle légua son Ronsard à l’Estoile, ce qui était une preuve de haute estime. Richelieu s’amusait de son esprit. Boisrobert se montrait à son égard prévenant et plein de sympathique indulgence[47], sans cependant renoncer à se moquer d’elle derrière son dos. Racan la taquinait volontiers sur sa poésie. Il lui reprochait surtout de ne pas aiguiser ses épigrammes qui manquaient de pointe. Les « Menagiana » content à ce sujet une plaisante histoire : « Racan alla voir un jour Mademoiselle de Gournay qui luy fit voir des épigrammes qu’elle avoit faites, et luy en demanda son sentiment. M. de Racan luy dit qu’il n’y avoit rien de bon, et qu’elles n’avoient pas de pointe. Mademoiselle de Gournay luy dit, qu’il ne falloit pas prendre garde à cela, que c’étoient des epigrammes à la grecque. Ils allèrent ensuite dîner ensemble chez M. de Lorme, médecin des eaux de Bourbon. M. de Lorme leur aïant fait servir un potage qui n’étoit pas fort bon. Mademoiselle de Gournay se tourna du côté de M. de Racan, et luy dit : Monsieur, voilà une méchante soupe. Mademoiselle, repartit M. de Racan, c’est une soupe à la grecque »[48].

À l’étranger, Marie de Gournay avait des admirateurs dont elle a parlé avec fierté. Juste Lipse et Erycius Puteanus[49] en Flandres, Capaccio et Pinto en Italie[50], Anne-Marie de Schurman en Hollande, et en Angleterre le roi Jacques lui-même, qui parlait d’elle avec l’ambassadeur de France et s’estimait heureux de posséder un écrit de sa main[51].

On pouvait sourire des manies de Marie, on pouvait tourner en ridicule sa profonde affection pour ses chattes Donzelle, Minette et sa mie Piaillon[52], on pouvait comme Puteanus s’écrier avec impatience : « Cette fille se donne-t-elle assez l’air d’un homme ! » mais au fond elle inspirait à tous une estime véritable et un certain respect. Tallemant qui est moins injuste et moins mauvaise langue qu’on ne l’a dit, lui accordait quelque générosité et quelque force d’âme. « Pour peu qu’on l’eût obligée, écrit-il, elle ne l’oublioit jamais. » Sorel, toujours judicieux, a porté sur Mademoiselle de Gournay un jugement qui résume exactement l’opinion de tous ceux qui l’ont fréquentée et qui, sous ses multiples ridicules, ont su comprendre sa véritable nature. Dans sa « Bibliothèque françoise », il encourage ses lecteurs à lire les œuvres de la vieille demoiselle et à ne pas se laisser rebuter par l’emploi qu’elle fait de termes hors d’usage ; il les engage à penser au sens plutôt qu’aux paroles. « Ils connoistront, dit-il, combien cette illustre fille avoit l’esprit ferme et généreux, et comment elle jugeoit sainement des choses. » Et, dans son précieux ouvrage sur « la connoissance des bons livres », le même auteur ajoute : « Au-dessus de son sçavoir, je voudrois mettre encore sa générosité, sa bonté et ses autres vertus qui n’avoient point leurs pareilles[53]. »

Les papiers et les livres de Mademoiselle de Gournay passèrent après sa mort aux mains de La Mothe le Vayer qui fut son ami fidèle et qu’elle chargea d’exécuter son testament. Sa volumineuse correspondance présentait le plus vif intérêt, si l’on en croit Naudé qui fut admis à la consulter. Hilarion de Coste[54] nous apprend qu’il y avait là des lettres de tous les personnages connus avec qui la demoiselle de Gournay avait échangé des compliments, des vues ou des renseignements. Il cite parmi ces correspondants des cardinaux, des évêques, des princes, des poètes, des magistrats, des savants et des guerriers. Du Perron, Bentivoglio, Richelieu, François de Sales, Henry-Louis de Chasteigner, Godeau, Charles Ier, duc de Mantoue, Louis de Valois, comte d’Alais, le duc de Biron, le président Janin, Juste Lipse, Erycius Puteanus, Balzac, Maynard, Daniel Heinsius et beaucoup d’autres avaient écrit à la fille d’alliance de Montaigne pour l’assurer de leur protection, de leur admiration ou simplement de leur amitié.

La véritable originalité de Mademoiselle de Gournay est d’avoir à tout propos défendu la femme et les femmes contre l’injuste dédain des hommes. Qu’elle l’ait fait beaucoup pour elle-même, c’est certain, mais elle ne l’a pas fait pour elle seulement, ses rapports avec Anne-Marie de Schurman et son admiration pour cette érudite et modeste fille suffiraient à le prouver[55].

Marie de Gournay a traité avec une chaleur persuasive un sujet qui ne prêtait qu’à rire et qui de son temps déjà avait défrayé d’innombrables satires. Attaquer les femmes, faire l’éloge de leur mérite ou de leur beauté, ce sont là des lieux communs dont la littérature française offre de nombreux exemples[56]. Ces sujets ont été à la mode bien avant l’époque de Marie de Gournay. Seulement, quand on blâmait les femmes, c’était au bénéfice des hommes, et lorsqu’au contraire on les louait, l’intention d’écraser le sexe fort de leur supériorité était évidente. Au fond de toutes ces querelles il y avait des rancunes ou des sympathies, rien de plus. Mademoiselle de Gournay procède tout autrement, sa thèse est simple : pour elle, l’homme et la femme sont des créatures équivalentes. Tous deux sont nécessaires à la propagation de l’espèce et par conséquent aucun des deux ne doit l’emporter sur l’autre. La seule différence qui puisse s’établir entre les hommes est une différence d’intelligence et de culture. La femme a, comme l’homme, le droit de penser. Elle a le droit d’acquérir cette habitude de l’application au travail que donne l’étude, et cette souplesse d’esprit que les hommes n’ont pas voulu lui laisser prendre. Chaque sexe a ses attributions, mais ils peuvent se rencontrer et se mesurer dans le domaine intellectuel. Si l’homme déraisonne, on doit, en dépit de sa barbe, lui tourner le dos ; si la femme, elle, a du bon sens et de bonnes pensées, il faut en tenir compte. Et, sans donner a priori l’avantage à l’un ni à l’autre, il convient d’accorder aux femmes le bénéfice de l’égalité. Cette façon de voir, en un temps où la majorité des honnêtes gens pensait ce que Molière devait exprimer plus tard dans les Femmes savantes, indique une réelle indépendance de jugement et un grand courage. S’exposer au ridicule, lui tenir tête et même conquérir l’estime de ses adversaires, c’est ce qu’a su faire Mademoiselle de Gournay, et certes cela n’était pas facile. Cet effort, pas plus que la campagne de la fille d’alliance de Montaigne en faveur de la vieille langue, n’a eu de résultats pratiques, mais il n’en est pas moins intéressant pour cela. Il est tout à fait curieux de constater que les critiques qui se sont occupés de Marie de Gournay n’ont pas fait de ses traités en faveur des femmes et des nombreuses déclarations de féminisme qui émaillent ses ouvrages, le cas qu’il en fallait faire[57].

Dans un examen de ses œuvres intitulé Discours sur ce livre et que Marie de Gournay a mis en tête de ses Advis ou presens de 1641, elle parle en passant du Grief des dames qu’elle estime être « de trop courte estenduë pour le daigner alleguer ». Par contre, elle consacre un paragraphe tout entier l’Égalité : « J’oubliois, dit-elle, l’Egalité, qu’il faut soubmettre à la touche par ce que peuvent valoir ses raisons et ses pensées, fortes ou feibles qu’elles soient, et puis apres, par la considération de son dessein. Sçavoir si ce nouveau biais qu’elle prend et qui la rend originale, est bon pour relever le lustre et pour vérifier les privileges des Dames, opprimez par la tyrannie des hommes. J’entends, s’il est meilleur, de les combattre plustost par eux-mesmes, c’est-à-dire par les sentences des plus illustres Esprits de leur sexe prophanes et saincts, et par l’authorité mesme de Dieu ; que si je rendois ces adversaires là, hardis à tascher d’affeiblir mes preuves pour ce regard, en m’amusant à leur livrer un combat d’exemples et d’argumens, à l’imitation de ceux qui se sont portez à une telle entreprise avant que je m’en sois meslée. Il sera bon de regarder après quel rang ce Traitté doit tenir en gros par comparaison, entre ceux qui regardent ce mesme but de l’honneur et de la deffence des Dames. »

L’idée de présenter une défense des femmes dont tous les éléments seraient empruntés à des hommes était heureuse. L’argument théologique a moins de poids, d’abord parce qu’il a souvent servi, et ensuite parce que Mademoiselle de Gournay le manie avec une désinvolture surprenante qui lui suggère des idées tout à fait saugrenues : comme par exemple la raison qu’elle donne pour expliquer que Jésus devait être homme « par nécessaire bien-sceance, ne se pouvant pas sans scandale, mesler jeune et à toutes les heures du jour et de la nuict parmy les presses, aux fins de convertir, secourir et sauver le genre humain, s’il eust esté du sexe des femmes : notamment en face de la malignité des Juifs. »

Dans le Grief des dames, Marie de Gournay s’adresse surtout aux hommes de lettres infatués de leur sexe et qui s’en targuent pour échapper aux raisonnements et aux objections des femmes. Elle y donne librement carrière à la colère que la conduite des courtisans et des lettrés à son égard a amassée en elle. À plusieurs reprises, elle avait déjà effleuré ce sujet ailleurs, notamment dans la première grande préface qu’elle mit aux Essais de Montaigne, et dans sa propre Apologie. C’est dans ce dernier ouvrage qu’elle trace, la rage au cœur, le portrait de la femme de lettres telle que la conçoivent ses contemporains. « Est-il au demeurant butte particuliere à caquets, s’écrie-t-elle indignée, comme la condition des amateurs de science en nostre climat, s’ils ne sont d’Eglise ou de robe longue ? Climat auquel rien n’est sot ny ridicule, apres la pauvreté, comme d’estre clair-voyant et sçavant : combien plus d’estre clair-voyante et sçavante, ou d’avoir simplement ainsi que moy, désiré de se rendre telle ? Parmy nostre vulgaire, on fagotte à fantaisie en general et sans exception, l’image d’une femme lettrée : c’est-à-dire, on compose d’elle une fricassée d’extravagances et de chimères : quelle que ce soit après celle de ce nom, qui se présente, et pour contraire à cela que sa forme s’exprime aux yeux des regardans, ils ne la comprennent en façon quelconque : et ne la voit-on plus, qu’avec des présomptions injurieuses, et soubs la forme de cet épouventail. C’est merveille des belles choses, qu’on luy fait dire et faire en dormant : tous les saincts de la kyrielle ne firent oncques tant de miracles, que ceste pauvre créature, vraye martyre en la bouche des foux : j’entends si de fortune elle n’est plus forte que ses tesmoins. »

Pour l’Egalité des hommes et des femmes, j’ai suivi scrupuleusement l’édition de 1622. Mais il m’a semblé utile de donner toutes les variantes que présente ce texte dans les éditions de 1626, 1634 et 1641, parce que Marie de Gournay remaniait sans cesse ses ouvrages et qu’on peut ainsi se rendre compte des changements de langue, d’orthographe et de fond que l’auteur a cru devoir apporter à son œuvre pour lui permettre de mieux résister à l’oubli[58]. J’ai fait de même pour le Grief des dames paru en 1626, remanié en 1634 et en 1641. J’indique les éditions par des astérisques et j’ai préféré réunir toutes les variantes à la suite des traités pour ne pas gêner le lecteur qui pourra ainsi mieux goûter la naïveté et parfois aussi la finesse du premier jet.

J’aurais pu accumuler les notes à plaisir, mais j’ai cru plus sage de m’en tenir au strict nécessaire pour ne pas hérisser de difficultés une lecture qui, je l’espère, amusera quelques curieux et rappellera à ceux qui Font oubliée la figure si piquante de la vieille demoiselle de Gournay. Elle a donné trois preuves de bon sens qui suffiraient à lui assurer la sympathie d’un lecteur attentif et impartial : elle a été dévouée à la mémoire de Montaigne ; elle a admiré Ronsard ; elle a eu son avis sur toutes sortes de questions et, en dépit de sa jupe, elle a su le dire hautement[59].


ÉGALITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES

1622


A LA REYNE[60]


Madame,


Ceux qui s’adviserent de donner un Soleil pour devise[61] au Roy vostre Pere, avec ce mot, Il n’a point d’Occident pour moy, firent plus qu’ils ne pensoient : parce qu’en representans sa grandeur qui voit presque tousjours ce Prince des Astres sur quelqu’une de ses terres, sans intervale de nuict ; ils rendirent la devise hereditaire en vostre Majesté, presageans vos vertus, et de plus, la beatitude des François sous vostre Auguste presence. C’est dis-je chez vostre Majesté, Madame, que la lumiere des vertus n’aura point d’Occident, ny consequemment l’heur et la felicité de nos Peuples qu’elles esclaireront. Or comme vous estes en l’Orient de vostre aage et de vos vertus ensemble, Madame, daignez prendre courage d’arriver en mesme point au midy de luy et d’elles, je dis de celles qui ne peuvent meurir que par temps et culture : car il en est quelques unes des plus recommandables, entre autres la Religion, la charité vers les pauvres, la chasteté et l’amour conjugale, dont vous avez touché le midy dès le matin. Mais certes il faut le courage requis à cet effort aussi grand et puissant que vostre Royauté, pour grande et puissante qu’elle soit : les Roys estant battus de ce malheur, que la peste infernale des flatteurs qui se glissent dans les Palais, leur rend la vertu et la clairvoyance sa guide et sa nourrice, d’un accez infiniment plus difficile qu’aux inferieurs. Je ne scay qu’un seur moyen à vous faire esperer, d’atteindre ces deux midys en mesme instant : c’est qu’il plaise à V. M. se jetter vivement sur les bons livres de prudence et de mœurs : car aussi tost qu’un Prince s’est relevé l’esprit par cet exercice, les flatteurs se trouvans les moins fins ne s’osent plus jouër à luy. Et ne peuvent communement les Puissans et les Roys recevoir instruction opportune que des mors : parce que les vivans estans partis en deux bandes, les foux et meschans, c’est-à-dire ces flateurs dont est question, ne sçavent ny veulent bien dire pres d’eux ; les sages et gens de bien peuvent et veulent, mais ils n’osent. C’est en la vertu certes, Madame, qu’il faut que les personnes de vostre rang cherchent la vraye hautesse, et la Couronne des Couronnes : d’autant qu’ils ont puissance et non droit de violer les loix et l’equité, et qu’ils trouvent autant de peril et plus de honte que les autres hommes à faire ce coup. Aussi nous apprend un grand Roy luy mesme, que toute la gloire de la fille du Roy est par dedans. Quelle est cependant ma rusticité, tous autres abordent leurs Princes et Roys en adorant et loüant, j’ose aborder ma Reyne en preschant ? Pardonnez neantmoins à mon zele, Madame, qui meurt d’envie d’ouyr la France crier ce mot, avec applaudissement, La lumière n’a point d’Occident pour moy, par tout où passera vostre Majesté nouveau Soleil des vertus : et d’envie encore de tirer d’elle, ainsi que j’espere de ses dignes commencemens, une des plus fortes preuves du Traicté que j’offre à ses pieds, pour maintenir l’egalité des hommes et des femmes. Et non seulement veu la grandeur unique qui vous est acquise par naissance et par mariage, vous servirez de miroir au sexe et de sujet d’émulation aux hommes encore, en l’estenduë de l’Univers, si vous vous eslevez au prix et merite que je vous propose : mais aussitost, Madame, que vous aurez pris resolution de vouloir luyre de ce bel et précieux esclat, on croira que tout le mesme sexe esclaire en la splendeur de vos rayons. Je suis de vostre Majesté

Madame,
Tres-humble et Tres-obeissante servante et subjecte.
Gournay.


ÉGALITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES.


La pluspart de ceux qui prennent la cause, des femmes, contre 1 cette orgueilleuse preferance que les hommes s’attribuent, leur rendent le change entier : 2 r’envoyans la preferance vers elles. 3 Moy qui fuys toutes extremitez, je me contente de les esgaler aux hommes : la nature s’opposant 4 pour ce regard autant à la superiorité qu’à l’inferiorité. Que dis-je, il ne suffit pas à quelques gens de leur preferer le sexe masculin, s’ils ne les confinoient encores d’un arrest irrefragable et necessaire à la quenoüille, 5 ouy mesme à la quenoüille seule[62]. 6 Mais ce qui les peut consoler contre ce mespris, c’est qu’il ne se faict que par ceux d’entre les hommes ausquels elles voudroient moins ressembler : personnes à donner vraysemblance aux reproches qu’on pourroit 7 vosmir sur le sexe féminin, s’ils en estoient, et qui sentent en leur cœur ne se pouvoir recommander que par le credit 8 de l’autre. D’autant qu’ils ont ouy trompetter par les ruës, que les femmes manquent de dignité, manquent aussi de suffisance, voire du temperament et des organes pour arriver à 9 cette-cy, leur eloquence triomphe à prescher ces maximes : et tant plus opulemment, de ce que, dignité, suffisance, organes et temperament sont 10 beaux mots : n’ayans pas appris d’autre part, que la premiere qualité d’un 11 mal habill’homme, c’est de cautionner les choses soubs la foy populaire et par ouyr dire. 12 Voyez tels esprits comparer ces deux sexes : la 13 plus haute suffisance à leur advis où les femmes puissent arriver, c’est de ressembler le commun des hommes : autant 14 eslongnez d’imaginer, qu’une grande femme se peust dire grand homme, le sexe 15 changé, que de consentir qu’un homme se peust eslever à l’estage d’un Dieu. Gens plus braves qu’Hercules vrayement, qui ne desfit que douze monstres en douze combats ; tandis que d’une seule parolle ils desfont la moitié du Monde. Qui croira cependant, que ceux qui se veulent 16 eslever et fortifier de la foiblesse d’autruy, 17 se puissent eslever ou fortifier de leur propre force ? Et le bon est, qu’ils pensent estre quittes de leur effronterie à vilipender 18 ce sexe, usants d’une effronterie pareille à se loüer et 19 se dorer eux mesmes, je dis par fois en particulier comme en general, 20 voire à quelque tort que ce soit : comme si la vérité de leur vanterie recevoit 21 mesure et qualité de son impudence. Et Dieu sçait si je 22 congnois de ces joyeux vanteurs, et dont les vanteries sont tantost passées en proverbe, entre les plus eschauffez au mespris des femmes. Mais quoy, s’ils prennent droict d’estre 23 galans et suffisans hommes, de ce qu’ils se declarent tels comme par Edict ; pourquoy 24 n’abestiront-ils les femmes par le contrepied d’un autre Edict ? 25 Et si je juge bien, soit de la dignité, soit de la capacité des dames, je ne pretends pas à 26 cette heure de le prouver par raisons, puisque les opiniastres les 27 pouroient debattre, ny par exemples, d’autant qu’ils sont trop communs ; 28 ains seulement par 29 l’aucthorité de Dieu mesme, des 3 arcsboutans de son Eglise et de ces grands 31 hommes qui ont servy de lumiere à l’Univers. 32 Rengeons ces glorieux tesmoins en teste, et reservons Dieu, puis les Saincts Peres de son Eglise, 33 au fonds, comme le tresor.

Platon à qui nul n’a debattu le tiltre de divin, et consequemment Socrates son interprete et 34 Protecole en ses Escripts ; (s’il n’est là mesme celuy de Socrates, son plus divin Précepteur) 35 leur assignent mesmes droicts, facultez et 36 functions, en leurs Republiques et par tout ailleurs. Les maintiennent, 37 en outre, avoir surpassé maintefois tous les hommes de leur Patrie : comme en effect elles ont inventé partie des plus beaux arts, 38 ont excellé, 39 voire enseigné cathedralement et souverainement 40 sur tous les hommes en toutes sortes de 41 perfections et vertus, dans les plus fameuses villes antiques entre autres Alexandrie, premiere 42 de l’Empire apres Rome[63]. 43 bis Dont il est arrivé que ces deux 43 Philosophes, miracles de Nature, ont creu donner plus de lustre à des discours de grand poix, s’ils les prononçoient en leurs livres par la bouche de Diotime et d’Aspasie : Diotime que ce 44 dernier ne craint point d’appeller sa maistresse et Preceptrice, en quelques unes des plus hautes sciences, luy Precepteur et maistre 45 du genre humain. Ce que Theodoret releve si volontiers en l’Oraison de la Foy, ce me semble ; qu’il paroist bien que l’opinion favorable au sexe luy estoit fort plausible. 46 Après tous ces tesmoignages de Socrates, sur le faict des dames ; on void assez que s’il lache quelque mot au Sympose de Xenophon contre leur prudence, à comparaison de celle des hommes, il les regarde selon l’ignorance et 47 l’inexperience où elles sont nourries, ou bien au pis aller en general, 48 laissant lieu fréquent et spatieux aux exceptions : à quoy les 49 deviseurs dont est question ne s’entendent point.

Que si les dames 50 arrivent moins souvent que les hommes, aux degrez 51 d’excellence, c’est merveille que 52 le deffaut de bonne 53 instruction, 54 voire l’affluence de la mauvaise expresse et professoire ne face pis, 55 les gardant d’y pouvoir arriver du tout. 56 Se trouve til plus de difference des hommes à elles que d’elles à elles mesmes, selon l’institution qu’elles ont 57 prinse, selon qu’elles sont eslevées en ville ou village, ou selon les Nations ? Et 58 pourquoy leur institution 59 ou nourriture aux affaires et 60 Lettres à l’egal des hommes, ne rempliroit elle 61 ce vuide, qui paroist 62 ordinairement entre les testes 63 des mesmes hommes et les leurs : 64 puis que la nourriture est de telle importance qu’un de ses membres 65 seulement, c’est à dire le commerce du monde, abondant aux Françoises et aux Angloises, et manquant aux Italiennes, celles cy sont de gros en gros de si 66 loing surpassées par celles là ? Je dis de gros en gros, car en détail les dames d’Italie 67 triumphent parfois : et nous en avons tiré 68 deux Reynes à la prudence desquelles la France a trop d’obligation[64]. 69 Pourquoy vrayment la nourriture ne frapperoit elle ce coup, de remplir la distance qui se void entre les entendemens des hommes et des femmes ; veu qu’en cet exemple icy le moins surmonte le plus, par l’assistance d’une seule de ses parcelles, je dis ce commerce et conversation : l’air des Italiennes estant plus subtil et propre à subtilizer les esprits, comme il paroist en ceux de leurs hommes, confrontez communement contre ceux là des François et des Anglois ? Plutarque 70 au Traicté des vertueux faicts des femmes maintient ; que la vertu de l’homme et 71 de la femme est mesme chose. Seneque d’autre part publie aux Consolations ; qu’il faut croire que la Nature n’a point traicté les dames ingratement, ou restrainct et racourcy leurs vertus et leurs esprits, plus que les vertus et les esprits des hommes : 72 mais qu’elle les a doüées de pareille vigueur et de 73 pareille faculté à toute chose honeste et loüable. Voyons ce qu’en juge apres ces deux, le tiers chef du 74 Triumvirat de la sagesse humaine et morale en ses Essais. Il luy semble, dit il, et si ne sçait pourquoy, qu’il se trouve rarement des femmes dignes de commander aux hommes. N’est ce pas les mettre en particulier à l’egale contrebalance des hommes, et confesser, que s’il ne les y met en general il craint d’avoir tort : bien qu’il peust excuser sa 75 restrinction, sur la pauvre et disgraciée 76 nourriture de ce sexe. 77 N’oubliant pas au reste d’alleguer 78 et relever en autre lieu de son mesme livre, 79 cette authorité que Platon leur depart en sa Republique : et qu’Anthistenes nioit toute difference au talent et en la vertu des deux sexes. Quant au Philosophe Aristote, 80 puisque remuant Ciel et terre, il n’a point 81 contredit en gros, que je scache, l’opinion qui favorise les dames, il l’a confirmée : s’en rapportant, 82 sans doubte, aux sentences de son pere et grand pere spirituels, Socrates et Platon, comme à chose constante et fixe soubs le credit de tels 83 personnages : par la bouche desquels il faut advoüer que le 84 genre humain tout entier, et la raison mesme, ont prononcé leur arrest. Est-il 85 besoing d’alleguer infinis autres 86 anciens et modernes de nom illustre[65], ou parmy ces derniers, Erasme, 87 Politien, Agripa, 88 ny cet honneste et pertinent Precepteur des courtizans[66] : 89 outre tant de fameux Poëtes si contrepoinctez tous ensemble aux mespriseurs du sexe feminin, et si partisans de ses advantages aptitude et disposition à tout office et 90 tout exercice louable et 91 digne ? Les dames en verité se consolent 92 que ces 93 descrieurs de leur merite ne 94 se peuvent prouver habiles gens, si tous ces 95 esprits le sont : et qu’un 96 homme fin ne dira pas, encores qu’il le 97 creust, que le mérite et 98 passedroit du sexe feminin tire court 99, pres celuy du masculin ; jusques à ce que 100 par arrest il ait faict 101 declarer tous ceux là buffles, 102 affin d’infirmer leur tesmoignage si contraire à 103 tel decry. Et 104 buffles faudroit il encores declarer des Peuples entiers et des plus 105 sublins, entre autres ceux de Smyrne en 106 Tacitus : qui pour obtenir 107 jadis à Rome presseance de noblesse sur leurs voisins, allegoient estre descendus, ou de Tantalus fils de Jupiter ou de Theseus petit fils de Neptune ou d’une Amazone, laquelle par 108 ce moyen ils 109 contrepesoient à ces Dieux. 110 Pour le regard de la loy Salique, qui prive les femmes de la couronne, elle n’a lieu qu’en France. Et fut inventée au temps de Pharamond, 111 pour la seulle consideration des guerres contre l’Empire duquel nos Peres secoüoient le joug : le sexe féminin estant 112 vraysemblablement d’un corps moins propre aux armes, par la necessité du port 113 et nourriture des enfans[67]. Il faut remarquer encores 114 neantmoins, que les Pairs de France ayans esté créez en premiere intention comme une espece de personniers des Roys, ainsi que leur nom le declare : les dames Pairaisses de leur chef ont seance, privilege et voix deliberative par tout où les Pairs en ont et de mesme estendue. 115 Comme aussi 116 les Lacedemoniens ce brave et genereux Peuple, consultoit de toutes affaires privées et publiques avec ses femmes[68]. 117 Bien a servy cependant aux François, de trouver l’invention des Regentes, pour un equivalent des Roys 118 ; car sans cela combien 119 y a il que leur Estat fust par terre ? 120 Nous sçaurions bien dire aujourd’huy par espreuve, quelle necessité les minoritez des Roys ont de cette recepte. Les Germains ces belliqueux Peuples, 121 dit Tacitus, qui apres plus de deux cens ans de guerre, furent plustost 122 triumphéz que vaincus ; portoient dot à leurs femmes, non au 123 rebours. 124 Ils avoient au surplus des Nations, 125 qui n’estoient jamais regies [que] par ce sexe. Et quand Aenee présente à Didon 126 le sceptre d’Ilione, les 127 scoliastes disent, que cela provient, de ce que les dames filles aisnées 128, telle qu’estoit cette Princesse, regnoient anciennement aux maisons Royalles. Veult on deux plus beaux envers à la loy Salique, si deux envers elle peut souffrir ? Si 129 ne mesprisoient pas les femmes nos anciens Gaulois, ny les Carthaginois aussi ; lorsqu’estans unis en l’armée 130 d’Hanibal pour passer les Alpes, ils establirent les dames Gauloises arbitres de leurs 131 differends. 132 Et quand les hommes desroberoient à ce sexe en plusieurs lieux, 133 part aux meilleurs advantages ; 134 l’inegalité des forces corporelles plus que des spirituelles, ou 135 du merite, peut facilement estre cause 136 du larrecin et de 137 la souffrance : forces corporelles qui sont 138 vertus si basses, que la beste en tient plus par dessus l’homme, que l’homme par dessus la femme. Et si ce mesme Historiographe 139 Latin nous apprend, qu’où la force regne, l’equité, 140 la probité, la modestie mesme, sont les attributs du vainqueur ; s’estonnera-on, 141 que la suffisance et les merites en general, soient ceux de nos hommes, privativement aux femmes.

Au surplus l’animal humain n’est homme ny femme, à le bien prendre, les sexes estants faicts non simplement, 142 mais secundum quid, comme parle l’Eschole : c’est à dire pour la seule propagation. L’unique forme et difference de cet animal, ne 143 consiste qu’en l’ame humaine. Et s’il est permis de rire 144 en passant, le quolibet ne sera pas hors de saison, 145 nous apprenant ; qu’il n’est rien plus semblable au chat sur une fenestre, que la chatte. L’homme et la femme sont tellement uns, que si l’homme est plus que la femme, la femme est plus que l’homme. L’homme fut creé masle et 146 femelle, dit l’Escriture, ne 147 comptant ces deux que pour un. 148 Dont Jesus-Christ est appellé fils de l’homme, bien qu’il ne le soit que de la femme. 149 Ainsi parle apres le grand Sainct Basile[69] :150 La vertu de l’homme et de la femme 151 est mesme chose, puis que Dieu leur a decerné mesme creation et mesme honneur : masculum et 152 fœmininam fecit eos. Or en ceux de qui la Nature est une et mesme, il faut 153 que les actions aussi le soient, et que l’estime et 154 loyer en suitte soient pareils, où les œuvres sont pareilles. Voila donc la 155 deposition de ce puissant 156 pilier, et venerable 157 tesmoing de l’Eglise, Il n’est pas mauvais de se souvenir sur ce poinct, 158 que certains ergotistes anciens, ont passé jusques à 159 cette niaise arrogance, de debattre au sexe feminin l’image de Dieu a difference de l’homme : 160 laquelle image ils devoient, selon ce calcul attacher à la barbe. 161 Il 162 failloit 163 de plus et par consequent, desnier aux femmes l’image de l’homme, ne 164 pouvant luy ressembler, sans qu’elles ressemblassent à celuy 165 auquel il ressemble. Dieu mesme leur a departy les dons de Prophetie 166 indifferamment avec les hommes[70], 167 les ayant establies aussi pour Juges, instructrices et conductrices de son Peuple fidelle en paix et en guerre : 168 et 169 qui plus est, 170 rendu triomphantes avec luy des hautes victoires, 171 qu’elles ont aussi maintefois emportées et arborées en divers 172 lieux du Monde : mais sur quelles gens, 173 à vostre advis ? Cyrus et Theseus : à ces deux on adjouste Hercules, 174 lequel elles ont sinon vaincu, du moins bien battu. Aussi fut la cheute de Pentasilée, 175 couronnement de la gloire d’Achilles : oyez Seneque et Ronsard parlans de luy.

L’Amazone il vainquit dernier effroy des Grecs.
176. Pentasilée il rua sur la poudre.

177 Ont elles au surplus, 178 (ce mot par occasion) moins excellé de foy, qui comprend toutes les vertus principales, que de 179 suffisance et de force magnanime et guerrière ? Paterculus nous apprend, qu’aux proscription[s] Romaines, la fidelité des enfans fut nulle, des affranchis legere, des femmes tresgrande. Que si Sainct Paul, 180 suyvant ma route des tesmoignages saincts, leur deffend le ministere et leur commande le silence en l’Eglise : il est evident que ce n’est point par aucun mespris : ouy bien seulement, de crainte qu’elles n’esmeuvent les tentations, par cette montre si claire et 181 publique qu’il faudroit faire en ministrant et 182 preschant, de ce qu’elles ont de grace et de beauté plus que les hommes. Je dis 183 que l’exemption de mespris est evidente, puisque cet Apostre parle de Thesbé comme de sa coadjutrice en l’œuvre de nostre Seigneur, 184 sans toucher le grand credit de Saincte Petronille vers sainct Pierre : 185 et puis aussi que la Magdeleine est nommée en l’Eglise egale aux Apostres, par Apostolis[71]. 186 Voire que l’Eglise et eux-mesmes 187 ont permis une exception de ceste reigle de silence pour elle, qui prescha trente ans en la Baume de Marseille au rapport de toute la Provence. Et si quelqu’un 188 impugne ce 189 tesmoignage 190 de predications, on luy demandera que faisoient les 191 Sibyles, sinon prescher l’Univers par 192 divine inspiration, sur 193 l’evenement futur de Jesus-Christ ? 194 Toutes les anciennes Nations concedoient la Prestrise aux femmes, indifferemment avec les hommes. Et les Chrestiens sont au moins forcez de consentir, qu’elles 195 soyent capables d’appliquer le Sacrement de Baptesme : mais quelle faculté de distribuer les autres, leur peut estre justement deniée ; si celle de distribuer cestuy-là, leur est justement 196 accordé ? De dire que la necessité des petits enfans mourans, ait forcé les Peres anciens d’establir cet usage en despit d’eux : il est certain qu’ils n’auroient jamais creu que la necessité les peust dispenser 197 de mal faire, jusques aux termes 198 de permettre violer et diffamer l’application d’un Sacrement. Et partant concedans 199 ceste faculté de distribution aux femmes, on void à clair qu’ils 200 ne les ont interdites de 201 distribuer les autres Sacremens, que pour maintenir tousjours plus entiere 202 l’auctorité des hommes ; soit pour estre 203 de leur sexe, soit afin qu’à 204 droit ou à tort, la paix fust plus asseurée entre les deux sexes, par la foiblesse et 205 ravallement de l’un. Certes sainct 206 Ierosme escrit sagement 207 à nostre propos[72] ; qu’en matiere du service de Dieu, l’esprit et la doctrine doivent estre considerez, non le sexe. Sentence qu’on doit generaliser, pour permettre aux Dames à plus forte raison, toute 208 action et science honneste : et cela 209 suyvant aussi les intentions du mesme sainct, qui 210 de sa part honnore et 211 auctorise bien fort 212 leur sexe. 213 Davantage sainct Jean l’Aigle et le plus chery des Evangelistes, ne mesprisoit pas les femmes, non plus que sainct Pierre, 214 sainct Paul et ces 215 deux Peres, j’entends sainct Basile 216 et sainct Ierosme[73] ; puis qu’il leur addresse ses Epistres particulierement : sans parler d’infinis autres Saincts ou Peres, qui font pareille addresse de leurs Escrits. Quand au faict de Iudith je n’en daignerois faire mention s’il estoit particulier, cela s’appelle dépendant du mouvement et 217 volonté de son auctrice : non plus que je 218 ne parle des autres de ce qualibre ; bien qu’ils soient immenses en quantité, comme ils sont autant heroiques en qualité de toutes sortes, que ceux qui couronnent les plus illustres hommes. Ie n’enregistre point les faicts privez, de crainte qu’ils 219 semblent, 220 non advantages et dons du sexe, 221 ains boüillons d’une vigueur privée 222 et specialle. 223 Mais celuy de Iudith merite place en ce lieu, 224 parce qu’il est bien vray, que son dessein tombant au cœur d’une jeune dame, entre tant d’hommes 225 lasches et faillis de cœur, à tel 226 besoing, en si haulte et si difficile entreprise, et pour 227 tel fruict, que le salut d’un Peuple et d’une Cité fidelle à Dieu : semble plustost estre 228 une inspiration et 229 prerogative divine 23 vers les femmes, qu’un traict purement 231 voluntaire. Comme aussi le semble estre celuy de la Pucelle d’Orleans, accompagné de mesmes circonstances environ, mais de plus ample 232 et large utilité 233, s’estendant jusques au salut d’un grand Royaume et de son Prince[74].

234   Cette illustre Amazone instruicte aux soins de Mars,
Fauche les escadrons et brave les hazars :
Vestant le dur plastron sur sa ronde mammelle,
Dont le bouton pourpré de graces estincelle :
Pour couronner son chef de gloire et de lauriers,
Vierge elle ose affronter les plus fameux 235 guerriers.

Adjoustons que la Magdelene est la seule ame, à qui le Redempteur 236 ait jamais prononcé 237 ce mot, et promis 238 cette auguste grace : En tous lieux où se preschera l’Evangile il sera parlé de toy. 239 Jesus-Christ 240 d’autrepart, declara sa tres heureuse et tres glorieuse resurrection aux dames les premieres, 241 affin de les rendre, 242 dit un venerable Pere ancien, Apostresses aux propres Apostres : 243 cela comme lon sçait, avec mission expresse : Va, dit-il, à cette cy mesme, et recite aux Apostres et à Pierre ce que tu as veu. Sur quoy il faut 244 notter, qu’il manifesta sa nouvelle naissance 245 esgalement aux femmes qu’aux hommes, en la personne 246 d’Anne fille de Phanuel, qui le recongneut 247 en mesme instant, que le bon vieillard Sainct Simeon. Laquelle naissance, d’abondant, les Sybilles 248 nommées, ont predite seules entre les Gentils, excellent privilege du sexe féminin. Quel honneur faict aux femmes aussi, ce songe survenu chez Pilate ; s’addressant à l’une d’elles privativement à tous les hommes, et en telle et si 249 haulte occasion. Et si les hommes se vantent, que Jesus-Christ soit 250 nay de leur sexe, on respond, qu’il le 251 failloit par necessaire bien 252 sceance, ne se pouvant pas sans scandale, mesler jeune et à toutes les heures du jour et de la nuict parmy les presses, 253 aux fins de convertir, secourir et sauver le genre humain, s’il eust esté du sexe des femmes : 254 notamment en face de la malignité des Juifs. Que si quelqu’un au reste est si fade ; d’imaginer masculin ou feminin en Dieu, bien que son nom semble sonner le masculin, ny consequemment besoin 255 d’acception d’un sexe plustost que de l’autre, pour honnorer 256 l’incarnation de son fils ; 257 cettuy cy 258 monstre à plein jour, qu’il est aussi mauvais Philosophe que Theologien. 259 D’ailleurs, l’advantage qu’ont les hommes par son incarnation en leur sexe ; (s’ils en peuvent tirer un advantage, veu cette necessité remarquée) est compensé par sa conception tres precieuse au corps d’une femme, par l’entiere perfection de 260 cette femme, unique à porter nom de parfaicte entre toutes les creatures purement humaines, depuis la cheute de nos premiers parens, et par son 261 assumption unique 262 en suject humain aussi. 263 Finalement si 264 l’Escripture a déclaré le mary, chef de la femme, la plus grande sottise que l’homme 265 peust faire, c’est de prendre cela pour 266 passedroict de dignité. Car veu les exemples, 267 aucthoritez et raisons nottées en ce discours, par où l’egalité des graces et 268 faveurs de Dieu vers les deux 269 especes ou sexes est prouvée, 270 voire leur unité mesme, et veu que Dieu prononce : Les deux ne seront qu’un : et prononce 271 encores : L’homme quittera pere et mere pour 272 suivre sa femme ; il paroist que 273 cette declaration 274 n’est faicte que par le besoin 275 expres de nourrir 276 paix en mariage. 277 Lequel besoin requeroit, sans 278 doubte, qu’une des parties 279 cedast à l’autre, 280 et la prestance des forces du masle 281 ne pouvoit pas souffrir que la 282 soubmission 283 veint de sa part. Et quand bien il seroit veritable, selon que quelques uns maintiennent, que 284 cette soubmission 285 fut imposée à la femme pour 286 chastiement du peché de la pomme : 287 cela encores est bien esloigné de conclure à la pretendue 288 preferance de dignité en l’homme. Si l’on 289 croioit que 29 l’Escripture luy commendast de ceder à l’homme, comme indigne de le contrecarrer, voyez l’absurdité qui suivroit : la femme se 291 treuveroit digne d’estre 292 faicte à l’image du Createur, de jouyr de la tressaincte 293 Eucaristie, des mysteres de la Redemption, du Paradis et de la vision voire possession de Dieu, non pas des advantages et 294 privileges de l’homme : seroit-ce 295 pas declarer l’homme plus precieux et 296 relevé que 297 telles choses, et partant commettre le plus grief des blasphemes ?



FIN





VARIANTES ET ADDITIONS DE L’OMBRE
ET DES
ADVIS OU PRESENS
DE MADEMOISELLE DE GOURNAY


* = 1626 ; ** = 1634 ; *** = 1641


I. ceste* — cette** + 2. renvoyans* — car ils renvoyent la preference*** + 3. Quant à moy qui fuis*** + 4. aussi pour ce regard*** + 5. ouy mesmes* + 6. Toutesfois ce qui** + 7. vômir sur le sexe* + 8. de masculin* — du masculin** + 9. ceste-cy* + 10. de beaux mots*** + 11. mal habille homme* + 12. Parmy les roulades de ces hauts devis, oyez tels cerveaux comparer ou mesurer ces deux sexes* + ou mesurer (supprimé)*** + 13. supréme excellence* + 14. esloignez* + 15. simplement* + 16. relever** + 17. doibvent pretendre, de pouvoir se relever ou fortifier** + 18. le sexe féminin, usans* + 19. ou plustost à*** + 20. et encores à quelque tort et fauce mesure que ce soit** + 21. poids et qualité* + 22. cognois* + 23. galands* + 24. ne rendront-ils les femmes bestes* + 25. Il est raisonnable, que leur boule aille roulant jusques au profond de sa route. Mon Dieu que ne prend-il quelquefois envie à ces suffisances, de fournir un peu d’exemple juste et précis, et de pertinente loy de perfection, à ce pauvre sexe ?* + 26. ceste* + cette** + 27. pourroient* + 28. ouy bien seulement* + 29. l’authorité* + 30. Peres arcs-boutans** + 31. Philosophes qui* + 32. Rangeons* + 33. au fond* + 34. protocole en ses Escrits*, -f-35. puisqu’ils n’ont jamais eu qu’un sens et qu’une bouche*** +36. fonctions* + 37. outre plus* — de plus** + 38. notamment les caracteres Latins** — mes-mement les caractères Latins*** + 39. ont enseigné* + 40. pardessus les hommes* + 41. Disciplines*** + 42. Cité** + 43. esprits, precepteur et disciple* + 43bis. Après la phrase qui finit par : « de l’Empire apres Rome », Marie de Gournay a introduit dans la deuxième et dans la troisième édition de ses Mélanges un long paragraphe d’exemples à l’appui de sa thèse : « Hypathia tint ce haut bout en un siege si celebre. Mais que fit moins en Samothrace Themistoclea sœur de Pythagoras, sans parler de la Sage Theano sa femme ; puis qu’on nous apprend A qu’elle lisoit comme luy la Philosophie, ayant eu pour Disciple ce frere mesme, qui pouvoit à peine en toute la Grece trouver des Disciples dignes de luy ? B Qui estoit-ce aussi que Damo sa fille, es mains de laquelle en mourant il C deposa ses Commentaires et le soin de provigner sa Doctrine, avec ces mysteres et cette gravité dont il avoit usé toute sa vie ? Nous lisons en Ciceron mesme le Prince des Orateurs, quel lustre et quelle vogue avoient à Rome et prez de luy, l’eloquence de Cornelia mère des Gracches : et de plus, celle de Laelia fille de Caïus, qui est à mon advis Sylla**. — A. que celle-là dictoit comme luy*** — B. Qu’estoit-ce aussi *** — C. desposa *** — Ny la fille de Laelius, non plus que celle d’Hortensius, ne manquent pas en Quinctilien d’un Eloge celebre, au sujet de cette esquise Vertu. Quoy donc ? si Ticobrahe le fameux Astrologue et Baron Danois, eust vescu de nos jours ; n’eust-il point solemnisé ce nouvel Astre, qui s’est n’agueres descouvert en son voisinage, appellons ainsi, Mademoiselle de Schurman : l’emulatrice de ces illustres Dames en l’eloquence, et de leurs Poetes Lyriques encores, mesmement sur leur propre Langue Latine, et qui possede avec celle-là, toutes les autres antiques et nouvelles, et tous les Arts liberaux et nobles ?*** — Mais Athenes auguste Reyne de la Grece et des Sciences, seroit-elle seule entre les chefs des Villes, qui n’eust point veu les Dames triompher au supreme rang des Precepteurs du Genre-humain, tant par des Escrits illustres et plantureux que de vive voix ? Areté fille d’Aristipus acquit en cette A noble Cité cent dix Philosophes pour Disciples, tenant publiquement la Chaise que son père avoit quittee par la mort : et comme elle B eut en outre publié plusieurs excellens Escrits, les Grecs l’honorerent de cet eloge : Qu’elle avoit eu la plume de son Pere, l’ame de Socrates, la langue d’Homere. Je ne specifie icy que celles qui ont leu publiquement aux lieux plus celebres, et avec un lustre esclatant : car ce seroit chose ennuyeuse par son finité de nombrer les autres grands et doctes esprits des femmes. C Et pourquoy la seule Royne de Saba alla-elle adorer la sagesse de Salomon, mais encore à travers tant de Mers et de Terres qui les separoient, sinon parce qu’elle la cognoissoit mieux que tout son Siecle ? ou pourquoy la cognoissoit-elle mieux, que par une correspondance de Sagesse, égalle ou plus proche que D toutes les autres ? C’est en continuant aussi l’estime et la defference que les femmes ont meritées, que ce double miracle de Nature Precepteur et Disciple nommez à l’entrée de cette Section ; ont creu donner plus de E lustre à des discours de F grand poids, ** — A. glorieuse*** — B. eust outre cela, tracé*** — C. Eh pourquoy la seule Royne de Saba fut-elle*** — D. toutes celles des autres testes de ce temps là ?*** — E. poids*** — F. grande importance*** + 44. premier* + 45 . de toutes les Nations que le Soleil esclaire*** + 46. Voyez A de plus la longue et magnifique comparaison que ce fameux Philosophe Maximus Tyrius, faict de la methode d’aymer du mesme Socrates, à celle de cette grande Saphon. Combien aussi ce Roy des Sages se chatouille-t’-il d’espoir, d’entretenir en l’autre Monde la suffisance des grands hommes et des grandes femmes que les Siècles ont portez : et quelles délices se promet-il de cet exercice, en la divine Apologie par laquelle son grand Disciple nous rapporte ses derniers discours ?** — A. Voyez en suyte*** + 47. l’experience*** + 48. avec dessein de laisser lieu frequent et spacieux*** + 49. diverseurs sur qui nous sommes ne s’entendent point. Pour le regard de Platon on nous recite encores, qu’il ne vouloit pas commencer à lire, que Lastemia (j’ai leu ce nom de la sorte) et Axiothea ne fussent arrivées en son auditoire, disant ; Que cette première estoit l’entendement, cette autre la memoire, qui sçauroient comprendre et retenir ce qu’il avoit à dire*** + 50. Si donc*** + 51. de l’** + 52. ce*** + 53. éducation*** + 54. et encores* — et mesmes*** + 55. et qu’elle ne les garde*** + 56. S’il le faut prouver* + 57. receüe* + 58. donc* — consequemment*** + 59. ou nourriture (supprimé)* + 60. aux* + 61. ceste distance vuide** — la distance vuide*** + 62. d’ordinaire*** +63. d’eux et d’elles ?*** + 64. veu mesmement, que l’éducation* — veu mesmement, que l’instruction*** + 65. seul* + 66. loin* + 67. triomphent par fois* + 68. des Reynes et des Princesses qui ne manquaient pas d’esprit** + 69. Pourquoy vrayment la A nourriture ne frapperoit-elle ce coup de remplir la A bis distance qui se void entre les entendemens des hommes et des femmes ; veu qu’en B cét exemple B bis icy, le moins surmonte le plus, par C l’assistance d’une seule C bis de ses parcelles, je dis ce commerce et D, D bis conversation ? E l’air des Italiennes E bis estant plus subtil et propre à subtiliser les esprits, que celuy d’Angleterre ny de France : comme il paroist en la capacité des hommes de ce climat Italien, confrontée communément contre celle-là des François et des Anglois. F Quoy que j’aye touché ceste consideration en autre endroict, l’occasion m’oblige de la retoucher en ce lieu, sur un suject different.* — A. l’intervalle** — A bis. bonne façon de les nourrir ne pourroit elle arriver à remplir l’intervalle qui se trouve entre les entendemens des hommes et les leurs*** — B. que je viens d’alleguer les pires naissances surmontent les meilleures** — B bis. l’exemple*** — C. des parcelles de la nourriture des dames** — C bis. l’assistance seule et simple de ce commerce*** — D. cette** — D bis. de cette conversation du monde*** — E. car** — E bis. est** — F, mais j’ay touché cette consideration ailleurs*** + 70. en l’Opuscule* + 71. et celle de la femme sont mesme chose*** + 72. ains au contraire*** + 73. faculté pareille à toute chose honneste** + 74. Triomvirat* + 75. restriction** + 76. façon de laquelle on nourrit ce sexe** — manière de laquelle etc.*** + 77. Sans oublier*** + 78. favorablement* + 79. ceste* + 80. puisque* (supprimé) + 81. contredict l’opinion qui favorise les Dames, s’il ne l’a contredicte en A gros à cause de la mauvaise institution, et sans nier les exceptions ; panant, il l’a confirmée* — A. en general*** + 82. vraysemblablement*** + 83. sages* + 84. Genre-humain*** + 85. besoin* + 86. esprits* + 87. Politian, Agrippa* — Boccace, le Tasse aux œuvres qu’il écrit en prose** + 88. cét honneste* — l’Honneste*** + 89. et* + 90. à* + 91. de haute entreprise*** + 92. de ce* + 93, décrieurs* + 94. peuvent prouver qu’ils soient* + 95. Autheurs* — Autheurs vieux et nouveaux** + 96. habile homme* + 97. creut.* + 98. le* — le privilege*** + 99. aupres de* — aupres de ceux du masculin*** + 100. par arrest** (supprimé) + 101. declarer ces mesmes Autheurs* — passer tous ces Escrivains pour des resveurs*** + 102. afin* + 103. à telle sentence** — à une telle sentence, au cas qu’il entreprist de la prononcer*** + 104. resveurs faudroit-il proclamer encores*** + 105. subtils* + 106. Tacites* — Tacite** + 107. autrefois** + 108. consequent*** + 109. comparoient*** + 110. en dignité. à ces Dieux* — à ces Dieux en dignité. Les Lesbiens ne chercherent A pas moins d’ambition ny moins de gloire en la naissance de Saphon, puisqu’il se trouve aujourd’huy partout, mesmement en Hollande ; que leur monnoye portoit pour seule marque la figure d’une jeune dame, la lyre en la main avec ce mot, Lesbos. N’estoit-ce pas recognoistre que le plus grand honneur qu’eux et leur Isle eussent jamais eu, c’estoit d’avoir bercé l’enfance de cette heroïne ? Et puisque nous sommes tombes davanture sur les Poetisses nous apprenons que Corinne gaigna publiquement le prix sur Pindare en leur art : et qu’à dix-neuf ans qui bornerent la vie d’Erinne, elle auroit faict un Poëme de trois cens vers, eslevé à tel degré d’excellence qu’il B arrivoit à la majesté d’Homere. Les dames ont-elles sceu choisir en ces deux Poëtes, à qui debattre glorieusement la victoire, ou C pour le moins l’égalité ?** — A. pas moins de gloire en la naissance*** — B entroit en paralele avec la majesté d’Homere : et jettoit Alexandre dans un doute, s’il devoit plus estimer le bon-heur d’Achille, d’avoir rencontré pour Herault ce grand Poète, ou celuy de ce mesme Poëte, d’avoir eu pour Rivale une telle Heroïne*** — C. du moins*** + 111. Par la seule*** + 112. vray-semblablement** + 113. et de la**. + 114. pourtant*** + 115. on peut voir Hotman pour l’étymologie des Pairs : et du Tillet et Matthieu en l’Histoire du Roy, pour les Dames Pairresses.* + 116. est-ce chose digne de consideration, que les Lacedemoniens*** + 117. au rapport de Plutarque* — au rapport de Plutarque et Pausanias, Suïdas, Fulgose et Laërtius, respondront de la pluspart des autres authoritez ou témoignages que i’ay recueillis cy-devant : à quoy A je puis adjouster, que le Theatre de la Vie humaine[75], B sans obmettre l’Horloge des Princes[76], récitent plusieurs nouvelles de cette cathegorie dont ils nomment leurs Autheurs.** — A. j’adjousteray*** — B. avec l’Horloge des Princes que je puis alleiguer en tel cas ;*** + 118. pendant les minorités*** + 119. y-at’il* + 120. Nous sçaurions bien dire aujourd’huy par espreuve, quelle necessité les minoritez des Roys ont de cette recepte (supprimé)** + 121. dit Tacite* — ce dit Tacite*** + 122. triomphez* — trompetez en Triomphe,** + 123. contraire* + 124. ayans* — et si avoient*** + 125. entr’eux* + 126. la couronne et*** + 127. Scolastiques* — Scholiastes** + 128. comme estoit ceste* + 129. Si est-ce que nos anciens Gaulois, ny les Carthaginois A encores, ne meprisoient* — A. avec eux*** + 130. Hannibal* + 131. differens* + 132. que si les hommes desrobent* + 133. sa part des* + 134. ils ont tort de faire un tiltre de leur usurpation et de leur tyrannie, car l’inégalité** + 133. des autres branches du mérite* — 136. de ce* + 137. sa souffrance* + 138. au reste, des vertus*** + 139. Tacite*** + 140. l’integrité* + 141. s’estonnera-t’on que la A suffisance et les merites en general, soient les attributs de nos hommes* — A. prudence, la sagesse et toutes sortes de bonnes qualitez en general** + 142. estans faicts non simplement ny pour constituer une difference d’especes, mais pour la seule propagation* + 143. consistent qu’en l’ame raisonnable*** + 144. en passant chemin*** + 145. lequel nous apprend*** + 146. femesle ce dit* + 147. comtant* + 148. et Jesus-Christ*** + 149. perfection entiere et consumée de la preuve de cette unité des deux sexes.*** + 150. en sa premiere Homilie de l’Hexameron* + 151. sont* + 152. foeminam* + 153. conclure*** + 154. le** + 155. declaration* + 156. athlete* + 157. tesmoin* + 158. poinct-là** + 159. ceste* — cette** + 160. duquel ils devoient*** + 161. le caractere d’une telle image*** + 162. falloit* + 163. d’ailleurs** + 164. pouvans* + 165. dont il porte la ressemblance*** + 166. indifferemment* + 167. et les a constituées*** + 168. ès personnes d’Olda[77] et de Debora* + 169. et davantage** + 170. les a rendues triomphantes avec ce peuple* + 171. Elles les ont d’ailleurs maintes fois* — De plus elles les ont maintes fois** — en temoins dequoy, leurs Cantiques ont l’honneur de tenir rang dans la Saincte Bible, et pareillement ceux de Marie Sœur de Moyse et d’Anne fille de Phanuël. De plus, elles les ont plusieurs fois*** + 172. climats* + 173. encores ?* + 174. qu’elles ont*** + 175. un* + 176. Penthasilée* — Pentasilée** + 177. ny Virgile n’a sceu consentir à la mort de Camille, au milieu d’une furieuse armée, qui sembloit ne redouter qu’elle ; sinon par l’embusche et la surprise d’un traict tiré de loing. Epicharis, Læena, Porcia, la mère des Machabées, nous pourront-elles servir de preuve, combien les Dames sont capables de cét autre triomphe de la force magnanime, qui consiste en la constance et en la souffrance des plus aspres travaux ?** + 178. ce mot par occasion (supprimé)** + 179. force considérée en toutes ses espèces ?** + 180. suivant* + 181. si** + 182. en*** + 183. qu’on void evidemment que le mespris en est hors** + 184. outre que Saincte Tecle et Appia, tenoient rang au nombre de ses plus chers enfans et Disciples*** + 185. Et sans adjouster que la Magdeleine** + 186. entre autres au Calendrier des Grecs publié par Genebrard* + 187. Apostres** + 188. reproche* + 189. témoignage** + 190. des predications de la Magdeleine*** + 191. Sybiles*** + 192. inspiration divine** + 193. l’advenement* + 194. et faudra qu’il nous die apres, s’il peut nier celles de Saincte Catherine de Sienne, que le bon et Sainct Evesque de Genève me vient d’apprendre.*** — Au reste, toutes nations* — Au reste toutes les Nations** + 195. soient* + 196. accordée* + 197. de prevariquer*** + 198. d’octroyer une permission de violer et de profaner*** + 199. cette** + 200. les en ont estimées dignes et qu’ils*** + 201. communiquer*** + 202. l’authorité* + 203. eux-mesmes du sexe masculin*** + 204. droict*+ 205. le ravalement*** + 206. Hierosme* + 207. en ses Epistres, sur nostre propos* — en ses Epistres** + 208. action et toute science honneste** — autre Science et toute action des plus exquises et solides, disons en un mot, de la plus haute Classe :*** + 209. suivant* + 210. par tous ses Escrits** — honore* + 211. authorise** + 212. ce*** + 213. de sorte qu’il dédie à la Vierge Eustochium ses Commentaires sur Ezechiel, A jaçoit qu’il fust deffendu aux Sacrificateurs mesmes, d’estudier ce Prophete avant trente ans. B Je lisois l’autre jour un deviseur, declamant contre l’authorité que les Protestans concedent vulgairement à l’insuffisance C des femmes, de feuilleter l’Escriture : en quoy je trouvay qu’il avoit la meilleure raison du monde, s’il eust D faict pareille exception sur l’insuffisance des hommes, en cas de telle permission vulgaire : insuffisance E neantmoins qu’il ne peut voir, F d’autant qu’il ont l’honneur de porter barbe comme luy.* — A. quoy** — B. Quiconque lira ce que Sainct Gregoire encores escrit au sujet de sa sœur, ne le trouvera pas moins favorable vers elles que S. Hierosme** — C. pretenduë*** — D. fait*** — E. toute fois*** — F. parce qu’ils** + 214. et*** + 215. troi** + 216. Sainct Hierosme et Sainct Gregoire** + 217. de la** + 218. je parle*** + 219. ne** + 220. non tant* +221. que* + 222. et speciale* + 223. semblent estre quelques bouillons d’une vigueur personnelle, plustost que des advantages et des dons du sexe feminin*** + 224. puisqu’il est** + 225. lasches et (supprimé)*** + 226. besoin, en si difficile entreprise* + 227. un*** + 228. un don d’inspiration* — une faveur d’inspiration*** + 229. un don de prerogative*** + 230. et particuliere* — et speciale** — et speciale envers*** + 231. humain et volontaire** + 232. et large (supprimé)*** + 233. d’autant qu’il s’estendit*** + 234. Ceste* + 235. gueriers** + 236. ayt* + 237. cette parolle*** + 238. ceste* + 239. D’ailleurs*** + 240. declara*** + 241. afin* + 242. selon le noble mot de Sainct Hierosmes, au Prologue, sur le prophete Sophronias* — selon le celebre mot etc.*** + 243. et comme*** + 244. observer** + 245. également aux femmes et aux hommes** — en mesme instant et de mesme sorte aux femmes qu’aux hommes*** + 246. d’Anna fille de Phanuel prenommée*** + 247. à* — par l’esprit Prophétique, à mesme instant** — par l’esprit Prophétique avecque le bon vieillard Sainct Simeon alors qu’il fut circoncis : et devant eux saincte Elisabet, dés qu’il estoit encore enveloppé dans les cachettes du ventre Virginal*** + 248. que je viens d’alleguer*** + 249. haute* + 250. nai* — né** + 251. falloit* + 252. seance* + 253. afin* + 254. signamment* — mesmement** + 255. du choix** + 256. ou relever*** + 257. cestuy* + 258. montre** + 259. D’autre part*** + 260. ceste* + 261. assomption* + 262. aussi** — encores en un suject*** + 263. Qui plus est, il se peut dire à l’adventure, de son humanité, qu’elle emporte cét A advantage par dessus celle-là de Jesus-Christ ; que le sexe qui n’est point necessaire en luy, pour la B redemption son office propre, l’est en elle pour la maternité, son office aussi.* — A. prerogative*** — B. Passion et pour la Ressurrection et la Redemption des humains, ses offices propres*** + 264. l’Escriture* + 265. peut** + 266. un** + 267. authoritez* + 268. des*** + 269. sexes** + 270. ouy leur unité* — disons** + 271. en suite*** + 272. se donner à*** + 273. ceste* + 274. de l’Evangile* + 275. exprex*** + 276. la*** + 277. Ce besoin*** + 278. doute* + 279. conjoinctes*** + 280. A la commune foiblesse des esprits ne pouvant souffrir, que la concorde naquist du simple discours de raison, ainsi qu’elle eust deu faire eu un juste contrepoids B d’authorité mutuelle : comme* — A car la commune foiblesse des esprits ne pouvoit souffrir*** — B. d’authorité mutuelle : ny** + 281. ne pouvoit permettre aussi* — permettre aussi** + 282. submission* + 283. vint* + 284. ceste submission* + 285. fust* + 286. chastiment* + 287. mangée** + 288. prétendue preference* + 289. croyoit* + 290. Escriture* + 291. trouveroit* + 292. faite*** + 293. Eucharistie* + 294. des** + 295. point* + 296. plus relevé** – plus haut*** + 297. toutes ces choses***.



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GRIEF DES DAMES

1626


GRIEF DES DAMES


Bienheureux es-tu, lecteur[78], si tu n’es point de ce sexe, qu’on interdict de tous les biens, l’interdisant de la liberté : 298 ouy qu’on interdict encore à peu pres, de toutes les vertus, luy soustrayant le pouvoir, en la moderation duquel la pluspart 299, d’elles se forment ; afin de luy constituer pour seule felicité, pour vertus souveraines et seules, 300 ignorer, faire le sot et servir. Bienheureux derechef, qui peux estre sage sans crime : ta qualité d’homme te concedant, autant qu’on les defend aux femmes 301, toute action, tout jugement, et toute parole juste, et le credit d’en estre creu, ou pour le moins escouté. Mais afin de taire pour ce coup les autres griefs de ce sexe ; de quelle 302 insolente façon est-il ordinairement traicté, je vous prie aux conferances, autant qu’il s’y mesle ? Et suis si peu, ou pour mieux dire si fort glorieuse, que je ne crains pas d’advoüer, que je le sçay de ma propre expérience. 303 Eussent les Dames ces puissans argumens de Carneades, il n’y a si chetif, qui ne les rembarre avec approbation de la pluspart des assistans, quand avec 304 un sousris seulement, ou quelque petit branslement de teste, son éloquence muette aura dit : C’est une femme qui parle. Tel rebutte pour aygreur espineuse, ou du moins pour opiniastreté, 305 toute résistance d’elles contre son jugement, pour discrette qu’elle se montre : ou d’autant qu’il ne croid pas qu’elles puissent heurter sa precieuse teste par autre ressort que celuy de l’aygreur et de l’opiniastreté : ou parce que se sentant au secret du cœur, mal ayguisé pour le combat, il faut qu’il trame querelle d’Allemand, 306 afin d’esquiver. Et n’est pas l’invention trop sotte, d’acrocher sur les fins de non recevoir la rencontre de quelques cervelles qui peut-estre luy feroient peine à debeller. Un autre s’arrestant par foiblesse à my chemin, soubs couleur de ne vouloir pas importuner 307 personne de notre robe, sera dit victorieux et courtois ensemble. Un autre, derechef, bien qu’il estimast une femme capable de soustenir une dispute, ne croira pas que sa bien-seance luy permette de présenter un duel legitime à cét esprit ; 308 d’autant qu’il la loge en la bonne opinion du vulgaire, lequel méprise le sexe en ce poinct-là, comme je disois. Pourrions-nous estendre ces vers d’Horace, jusques au reproche de ceste espece de desir et de crainte, d’une indeuë approbation ou reprobation populaire ?


Nul n’a chery ny redouté,
Le faux honneur, ou le faux blasme ;
S’il n’a couvé luy-mesme en l’ame,
Le mensonge et la faulseté.


Suffisance esclave et chetive, qui ne peut et ne veut estre que ce qu’il plaist, ny agir que selon qu’il plaist, à une foule de sots et de foux, car ainsi faut-il baptiser le commun du monde : et plus chetive et catherreuse équité, 309 qui ne faict raison à autruy que selon ses propres interests. 310 C’est bien loin 311 de mener par le nez un vulgaire, que de faire vanité qu’il nous mene par le nez nous mesmes. Suivons. 312 Cetuy-là disant trente sottises, emportera neantmoins le prix, par sa barbe, ou par l’orgueil 313 d’une présomptive capacité, que la compagnie et luy-mesme mesurent selon ses commoditez et sa vogue : sans considérer, que bien souvent elles luy naissent d’estre plus bouffon ou 314 flatteur que ses compagnons, 315 ou de quelque vilaine submission, ou autre vice : ou de la bonne grace et faveur de telle personne, qui n’accorderoit pas une place en son cœur, ny en sa familiarité, 316 à de plus habiles que luy. 317 Cestuy-cy sera frappé, qui n’a pas l’entendement 318 d’appercevoir le coup rué d’une main féminine. Et tel autre 319 l’apperçoit, qui pour l’éluder tourne le discours en risée, ou bien en escopetterie de caquet perpétuel, ou le destord et divertit ailleurs, et se met à vomir pedentesquement force belles choses qu’on ne luy demande pas : ou par sotte ostentation l’intrique et confond de bastelages logiques, croyant offusquer son antagoniste par les seuls esclairs 320 de sa suffisance, de quelque biais ou lustre qu’il les estale. Telles gens sçavent, 321 d’autre part, combien il est aisé de faire profit de l’oreile 322 des spectateurs : lesquels pour se trouver tres-rarement capables de juger de l’ordre et de la 323 conduicte d’une dispute et conferance, et de la force 324 des conferans, et tres-rarement capables aussi, de ne s’esblouïr pas à l’esclat de ceste vaine science 325 que ceux-cy crachent, comme s’il estoit question de rendre comte de 326 leurs leçons ; ne peuvent descouvrir quand ces galanteries-là sont fuitte ou victoire. Ainsi pour emporter le prix, il suffit à ces messieurs 327 de fuir les coups, et peuvent moissonner autant de gloire qu’ils veulent espargner de labeur. Ces trois mots soient dits sur la conferance, pour la part spéciale et particuliere des Dames : car de l’art de conferer, en general, et de ses perfections et deffaux, les Essais en traictent jusques au faiste de l’excellence. 328 Adjoustons à ce discours, que non seulement le vulgaire des Lettrez bronche à ce pas, contre le sexe feminin, mais que parmy ceux mesmes vivans et morts, qui ont acquis quelque nom aux Lettres en nostre siecle, 329 voire par fois soubs des robes serieuses, 330 j’en ay cogneu qui mesprisoient absolument les Œuvres des femmes, sans se daigner amuser à les lire pour sçavoir de quelle estoffe elles sont : 331 et sans se vouloir premièrement informer, s’ils en pourroient faire eux-mesmes qui meritassent que toute sorte de femmes les leussent. 332 Traict en verité fort commode selon le goust populaire à relever l’éclat de leur suffisance : puisque pour mettre un homme en estime aupres du commun, ceste beste a plusieurs testes, sur tout en la Cour ; il suffit que cêt homme méprise cetuy-cy et cetuy-là, et qu’il jure estre quant à luy, le prime del monde: à l’exemple de ceste pauvre folle, qui croyoit se rendre un exemplaire de beauté, pour s’en aller criant par nos ruës de Paris, les mains sur les costez : Venez voir que je suis belle. Mais je souhaitterois en charité, que ces gens eussent adjousté seulement un autre traict de souplesse à 333 cestuy-là. C’est de nous faire voir que 334 leur mesme suffisance surpassast teste pour teste celle de ce sexe par tout : ou bien au pis aller, égallast 335 celle de leurs voisins : 336 ouy mesmes voisins au dessoubs du haut estage. Cela s’appelle, que nous ne leussions pas aux 337 ouvrages de ceux de leur troupe, qui osent escrire, des traductions infames s’ils se meslent d’exprimer un bon Autheur, des conceptions foibles et basses, s’ils entreprennent de discourir : 338 ouvrages desquels le seul assaisonnement est un leger fard de langage, sur des matieres desrobées : glaire d’œufs battuë. A propos de quoy je tombay l’autre jour sur une Epistre liminaire de certain personnage, du nombre de ceux-là qui font piaffe de ne s’amuser jamais à lire un Escrit de femme : mon Dieu que de diadesmes, que de gloire, que d’Orient, que de splendeur, que de Palestine, recherchez cent lieuës par delà le 339 Jourdain ! mon Dieu que de pieds de mouche, passans pour autant de phenix en l’opinion de leur maistre ! et combien sont loin des bons ornemens, ceux-là qui les recherchent dans l’enfleure ou pompe des mots, 340 notamment en prose ? Ceux à qui nature donne un corps gresle, ce dit un homme de haut merite, le grossissent d’ambourreure : et ceux de qui l’imagination conçoit une matiere exile ou seiche, l’enflent de 341 paroles. Quelle honte encore, que la France voye d’un œil si trouble, et d’un jugement si louche, le mérite des Escrivains, qu’elle ayt donné réputation d’escrire excellemment à un Autheur, qui comme le pere de ceste Epistre n’eut jamais qualité recommandable, reservé celle de ce fard, assisté de quelque science 342 scolastique ? Je le veux tant moins nommer, de ce qu’il est mort. Finalement, pour retourner à souhaitter du bien à mon prochain : je desirerois aussi qu’aucuns de ceste volée de sçavans ou Escrivains, mespriseurs de ce 343 chetif sexe mal-mené, cessassent d’employer les Imprimeurs : pour nous laisser à tout le moins en doubte, s’ils sçavent composer un Livre ou non : car ils nous 344 levent ce doubte, édifians les leurs par le labeur d’autruy, je dis 345 en detail et en gros : de peur que cet honneste homme, que les Essais raillent de mesme vice en la saison de leur Autheur, ne demeurast sans compagnie. Si je daignois prendre la peine de proteger les Dames, 346 j’aurois bien tost recouvré mes seconds en Socrates, Platon, Plutarque, Seneque, Anthistenes, ou encores, Sainct Basile, Sainct Hierosme, et tels esprits, ausquels ces docteurs donnent si librement le dementy et le soufflet, quand ils font difference, sur tout difference universelle, aux merites et facultez des deux sexes. 347 Mais outre qu’ils sont asses 348 punis de monstrer leur bestise 349 inconsiderée, condamnans le particulier par le general : (accordé qu’en general 350 la suffisance des femmes fust inferieure) leur bestise aussi par l’audace de mespriser le jugement de si grands personnages que ceux-là, sans parler des modernes, et le decret éternel de Dieu mesme, qui ne faict qu’une seule creation des deux sexes, et de plus, honnore les femmes en son Histoire saincte de tous les dons et 351 faveurs qu’il départ aux hommes, ainsi que j’ay representé plus amplement en l’Egalité d’eux et d’elles ; 352 ils souffriront, s’il leur plaist, 353 qu’on leur die, que nous ne sçavons pas s’ils sont capables de deffaire les femmes par la souveraine loy de leur bon plaisir, qui les condamne 354 à l’insuffisance, ou s’il y a de la gloire pour eux en leurs efforts de les effacer par le mespris : 355 mais nous cognoissons 356 plusieurs femmes, qui ne feroient jamais gloire de si peu de chose, que de les effacer eux-mesmes : 357 je ne dis pas effacer à si bon marché que par l’injure du mespris, dont ils font si plaisamment leur foudre, ouy bien par merites. Davantage, ils sçauront que la mesme finesse qu’ils cherchent à dédaigner ce sexe sans l’ouyr et sans lire ses Escrits, il la cherche à leur rendre le change, parce qu’il les a ouys et 358 leu les leurs. Ils pourront retenir au surplus un dangereux mot de tres-bonne maison ; qu’il n’appartient qu’aux plus malhabiles de vivre contents de leur suffisance, regardans celle d’autruy par dessus l’espaule : et que l’ignorance est mere de 359 presomption.





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VARIANTES ET ADDITIONS DES ADVIS
OU PRESENS
DE MADEMOISELLE DE GOURNAY


** = 1634 : *** = 1641


298. adjoustons, qu’on interdict encore à peu pres, de toutes les vertus, luy soustrayant les Charges, les Offices et fonctions publiques : en un mot, A luy retranchans le pouvoir** – le privant de la liberté : ouy-mesmes, qu’on interdict encore à peu pres etc.*** – A. retranchant*** + 299. des vertus** + 300. l’ignorance, la servitude et la faculté de faire le sot.** — et la faculté de faire le sot si ce jeu luy plaist.*** + 301. toute action de haute volée, tout jugement, et toute parole de speculation exquise, et le crédit de les faire approuver.** — toute action de haut dessein, tout jugement sublime, et toute parole de speculation exquise.*** + 302. injuste*** + 303. Eussent les Dames les raisons et les meditations de Carneades,*** + 304. souris** + 305. toute sorte de resistance qu’elles peussent faire contre les arrests de son jugement,** + 306. afin de fuïr les coups.** + 307. une*** + 308. pource qu’il** + 309. qui ne faict honneur ny justice au mérite d’autruy** + 310. Dans l’édition*** tout ce qu’il y a entre « en ce poinct-là » et « c’est bien loin » est supprimé y compris les vers : nul n’a chery etc. + 311. apres tout** + 312. Cetuy-cy** + 313. d’une capacité prétenduë** + 314. plus*** + 315. ou de quelque lasche submission*** + 316. à de plus habiles gens que luy** + 317. Cestuy-là** + 318. de discerner*** + 319. le discerne et le sent*** + 320. de sa doctrine** + 321. en cela** + 322. du spectateur qui ne peut decouvrir si ces galanteries-là sont fuytte ou victoire ; pour se trouver tres-rarement capable…*** + 323. conduitte d’une dispute ou conferance** – conduitte d’une conferance*** + 324. de ceux qui l’agittent*** + 325. qu’une vanité preésomptueuse crache, comme s’il…*** + 326. ses*** + 327. d’esquiver le combat,** + 328. Remarquons en ce discours** + 329. je dis** + 330. on en a cogneu** + 331. ny recevoir advis ou conseil qu’ils y peussent rencontrer : et sans se vouloir*** + 332. Cela me fait soubçonner, qu’en lisant les Escrits des hommes mesmes, ils voyent plus clair en l’anatomie de leur barbe, qu’en celle de leurs raisons : Ces traits de mespris de tels docteurs en moustaches, sont en verité fort commodes selon le goust populaire à relever le lustre de leur Sapience.*** + 333. cetuy-là** + 334. la valeur de leur esprit surpassast** + 335. celle-là de** + 336. je dy mesmes*** + 337. registres** + 338. des contradictions frequentes, des cheutes sans nombre, un jugement aveugle au choix et en la suite des choses : Ouvrages desquels le seul** + 339. le mont Liban !** + 340. particulierement** + 341. parolles** – 342. scholastique** – 343. pauvre** + 344. apprennent qu’ils ne peuvent édifians** + 345. je dis les édiffians en detail et par fois en gros, de peur** + 346. contr’eux,*** + 347. Mais ils sont** + 348. vaincus et punis** + 349. leur bestise, condamnans*** + 350. le talent des femmes fust inferieur) de la montrer aussi par l’audace** + 351. de toutes les** + 352. Outre tout cela, certes, ils souffriront** – certes, ceux de cette estoffe souffriront*** + 353. qu’on les advertisse : que** + 354. et les confine*** + 355. dont ils font si plaisamment leur foudre : mais nous*** + 356. quelques** + 357. ny par là, ny par comparaison. Davantage, ils sçauront*** + 358. a leu ceux qui sont partis de leur main.** – qu’il a leu, etc.*** + 359. de la presomption***.


APPENDICE
A

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

Mademoiselle de Gournay retouchait constamment ses ouvrages, elle les allongeait souvent et les raccourcissait quelquefois. Elle raturait avec une sorte de fièvre et l’on rencontre sur beaucoup d’exemplaires de ses œuvres des corrections manuscrites faites en marge ou entre les lignes. Avant 1626, date de son premier recueil de mélanges, Marie de Gournay a publié séparément plusieurs de ses travaux. Peut-être ignorons-nous quelques-unes de ces publications. Cela n’est pas impossible étant donné l’extrême rareté de ces petits volumes. Voici la liste de ses œuvres telle que les études des bibliographes qui se sont occupés d’elle nous permettent de la dresser.

1594. Le proumenoir de M. de Montaigne. Paris, Ab. L’Angelier. Cet ouvrage est imprimé dans le même volume qu’une traduction partielle de Virgile et un bouquet poétique. J’ai déjà dit qu’il a eu cinq éditions et qu’il a en outre paru trois fois dans le volume de mélanges de Marie de Gournay.

1608. Bienvenue de monseigneur le duc d’Anjou, dediée à la serenissime république ou etat de Venise, son parrain designé par mademoiselle de G. Paris, Fleury Bourriquant. — Dans les volumes de mélanges de Marie de Gournay ce traité prend le titre d’Abregé d’institution pour le prince souverain.

1610. Adieu de l’âme du roy de France et de Navarre Henry le Grand à la Reyne avec la defense des Peres Jesuites, par la demoiselle de G. Paris, Fleury Bourriquant et Lyon, Poyet.

1619. Versions de quelques pièces de Virgile, avec la réimpression de la Bienvenue. Paris, Fleury Bourriquant.

1620. Eschantillons de Virgile. Au Roy. — Le docteur Payen a vu cet opuscule de 30 pages à la bibliothèque de l’ancien Hôtel de ville de Paris. Ce livre a été brûlé avec les autres et les notes du Dr Payen sont tout ce que nous en savons. Il contenait des fragments du ler et du 4e chant de l’Énéide.

1622. Egalité des hommes et des femmes.

1624. Remerciement au Roy. C’est cette pièce qui contient la Harangue de François de Guise aux soldats de Metz le jour de l’assaut de Ronsard, arrangée par Mademoiselle de Gournay.

1626. L’ombre de la damoiselle de Gournay œuvre composé de meslanges. Paris, Jean Libert. – C’est la première édition des œuvres complètes de mademoiselle de Gournay. In-8o, 1202 p.

1634. Les advis ou les presens de la demoiselle de Gournay. Paris, Toussaint du Bray. In-4o, 860 p.

1641. Les advis ou les presens de la demoiselle de Gournay. Paris, Jean du Bray. In-4o, 995 p.

Ces trois éditions des mélanges de Marie de Gournay contiennent toutes ses œuvres. En 1634 elle a ajouté à l’Ombre : L’institution du Prince (deux traités), De la medisance (trois traités), l’Oraison du Roy à S. Louys durant le siège de Rhé ; la Première delivrance de Casal ; De la temerité et la version du sixième livre de l’Aeneide. En 1641, elle ajoute encore un Discours à Sophrosine, une lettre liminaire, un traité Des broquarts et quel fruit en tirent les brocardeurs et la Vie de la demoiselle de Gournay.

Marie de Gournay tenait beaucoup à ce titre d’Ombre qui flattait ses instincts philosophiques. Elle l’expliquait par un vers : « l’homme est l’ombre d’un songe et son œuvre est son ombre. » Malgré la profondeur de cette pensée, le public paraît s’être obstiné à ne pas la comprendre, si bien que le libraire de l’édition de 1634 exigea un autre titre. La fille d’alliance de Montaigne céda non sans regret et adopta celui d’Advis ou presens.

À la fin de son livre et dans ses trois éditions, mademoiselle de Gournay a mis une imprécation dont la nature spéciale est peut-être la raison qui a fait que l’auteur se soit abstenu de réimprimer son Remerciement au Roy avec les faux vers de Ronsard. « Si ce livre me survit, dit-elle, je deffends à toute personne, telle qu’elle soit, d’y adjouster, diminuer, ny changer jamais aucune chose, soit aux mots ou en la substance, soubs peine à ceux qui l’entreprendroient d’estre tenus aux yeux des gens d’honneur, pour violateurs d’un sepulchre innocent. Et je suprime mesmes tout ce que je puis avoir escrit hors ce livre, reservé la préface des Essais en l’estat que je la fis r’imprimer l’an passé, si je n’ay loisir de l’amender avant mourir. Les insolences, voire les meurtres de réputation que je voy tous les iours faire en cas pareil en cet impertinent siècle, me convient à lascher cette imprécation. »

En 1641 cet avertissement est répété dans les mêmes termes sauf la phrase touchant les Essais qui est ainsi modifiée : « reservé la preface des Essais en l’estat que je la fis r’imprimer l’an mil six cents trente cinq. »

La première édition des œuvres de Marie de Gournay est la plus intéressante des trois et l’Ombre a une saveur que les Advis n’ont plus aussi forte. La première rédaction des écrits de mademoiselle de Gournay est vivante et colorée. Ses retouches surchargent ses phrases, noient les expressions primesautières dans la poussière d’une abusive érudition. De plus il arrive que de 1626, pour ne point parler des ouvrages qui ont paru avant, à 1641 Marie s’est laissée, à son corps défendant, entamer par le purisme et influencer par cette Académie qu’elle blâmait si fort, mais où elle comptait beaucoup d’amis personnels. Il en résulte qu’elle modernise. Son style y perd ce charme à la Montaigne, cet imprévu qui en faisaient l’attrait. La conséquence des concessions arrachées à la vieille intransigeante par le goût des temps nouveaux est qu’elle est obligée de rajeunir sa langue pour assurer des lecteurs à ses plaidoyers en faveur des anciens mots et des anciennes tournures. D’ailleurs elle s’en rend compte, elle proteste, elle gémit, mais elle cède. Aussi c’est à l’édition de 1626 que j’emprunte de préférence mes citations des œuvres de Marie de Gournay. Contrairement à ce qui a lieu le plus souvent sa pensée définitive ne vaut pas sa pensée première. C’est lorsqu’elle est passionnée que sa prose a le plus d’accent.

Le souci de la perfection la tourmenta toute sa vie et jusqu’à son dernier jour elle couvrit les marges de ses livres de petits changements. Sur une feuille volante qu’elle colla dans les exemplaires de 1641 sur lesquels elle put encore mettre la main elle nota : « la correction de quelques erreurs obmises » et « quelques nouvelles lectures que le lecteur est prié de recevoir. » Et, après ce nouvel errata, elle ajoute ces lignes puériles et touchantes : « Permets, lecteur, ce dernier soin à une pauvre mere preste à quitter son enfant orphelin, et veuf de toute assistance. Je te recommande ce qui peut estre encore eschappé à ma derniere recherche. »


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Principaux ouvrages et articles à consulter : Tallemant des Réaux, Les historiettes. Paris, 1834. — Hilarion de Coste, Les éloges et les vies des reynes, des princesses, et des dames illustres en piété, en courage et en doctrine, qui ont fleury de nostre temps, et du temps de nos pères. Paris, 1647. – Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, 3e édition. Rotterdam, 1720. – Jolly, Remarques critiques sur le dictionnaire de Bayle. Paris, 1748. – Titon du Tillet, Parnasse françois. Paris, 1732. – Léon Feugère, Les femmes poètes au xvie siècle. Paris, 1860. – Dr Payen, Nouveaux documents inédits ou peu connus sur Montaigne, Paris, 1850. – Dr Payen, Note bibliographique sommaire sur les diverses éditions du Proumenoir de M. de Montagne, Bulletin du bibliophile, 1860, p. 1285-1287 et 1291-1292. – Dr Payen, Recherches sur Michel de Montaigne, Bulletin du bibliophile, 1862, p. 1291-1311. – Brunet, Manuel du libraire. – Ch.-L. Livet, Précieux et Précieuses, Paris, 1870. – Ferdinand Brunot, La doctrine de Malherbe, d’après son Commentaire sur Desportes. Paris, 1891. – Paul Stapfer, La famille et les amis de Montaigne. Paris, 1896. – Paul Bonnefon, Montaigne et ses amis. Paris, 1898. – M. Courbet, Recherches sur Mademoiselle de Gournay, Bulletin du Bibliophile, 1898, p. 227-232. — Mario Schiff, La fille d’alliance de Montaigne : Mademoiselle de Gournay, Studi di Filologia moderna, anno II, fascicolo 1-2, 1909.

J’ai copié, pour mon ami le professeur Nyrop, le traité des Diminutifs françois de Mademoiselle de Gournay, sur le texte de 1626. Cette copie a été imprimée à la suite du troisième volume de la Grammaire historique de la langue française du savant romaniste de Copenhague. Quelques vers de Marie de Gournay ont été réimprimés dans Les chefs-d’œuvre lyriques de Ronsard et de son école, publiés par Auguste Dorchain, Paris, 1907, et dans Les Muses françaises d’Alphonse Séché, t. I, Paris, 1908.


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APPENDICE
B

AUTOPORTRAIT
DE
MADEMOISELLE DE GOURNAY

PEINCTURE DE MŒURS[79][80]


A Monsieur le Président d’Espaignet, Conseiller d’ Estat.


Espaignet façonné sur le siecle plus sage,
Je veux peindre mes mœurs et t’offrir leur image :
Tu la peux à bon droict approuver ou casser,
Puis qu’en te practiquant vingt ans j’ay veu passer.
5.Nostre abord commencea lors que du grand Montaigne,[81]
J’allay voir le tombeau, la fille et la compaigne :[82]
Voyageant avec toy, qui menois de nouveau
Ta femme en leur païs ton antique berceau.
Voicy donc mes deffaux : je suis d’humeur bouillante,
10.J’oublie à peine extrème une injure preignante,[83]
Je suis impatiente et subjecte à courroux :
De ces vices pourtant je rompts les plus grands coups,
Je dis rompre au dehors où l’esclat est visible,
De les rompre au dedans cela m’est impossible :[84]
15.Tant l’ire, la piqueure et les assauts puissans
Des accidens fascheux me penetrent les sens.

Les passions en fin que l’instinct nous excite,
Non pas l’opinion de lumiere interdicte ;
Tiennent d’un poids égal telle place chez moy,
20.Que ma loy je leur donne et la leur je reçoy.
Je m’enferre par fois en la ronde fiance,
Supposant au prochain ma propre conscience :
Mais si je porte au doubte un ray de jugement,[85]
On ne me peut tromper, ains trahir seulement.
25.Par fois en conferant il aduient que j’embrasse[86]
La raison et ses droicts d’une humeur trop tenace :
Toute noble qu’elle est n’en soyons si jaloux.
Et qui ne veut heurler laisse heurler les loups.
Ce debat neantmoins s’escoule sans querelle,
30.Car soudain qu’elle esclost mon art luy brise l’aisle :
Et n’ay troublé ny bruit, hors ceux que le mondain
Livre au foible impuissant par malice ou dédain.
Je suis blessée aussi de ceste sotte honte,
Qui naissant de vertu pour vice nous surmonte.
35.J’advouë encore après reprochable à bon droict,
Qu’à servir le grand Dieu mon esprit est trop froid :[87]
Encores que mon cœur d’un sainct respect l’honore.
Hé quel autre mortel d’un juste vœu l’adore ?
Le fini l’infini ? l’ouvrage son Autheur ?
40.Un atome, un neant, l’unique Createur ?
Pour m’estimer un peu je ne merite blasme,
D’un appast si friand chaqu’un flatte son ame :
Je n’en crains les rieurs si je me prise à poinct :
Qui ne void ses vertus son vice il ne void point.
45.Le siecle trop aveugle et mon mal-heur estrange,[88]
Me force outre cela d’arborer ma loüange :
Pour voir si mieux instruict il voudroit secourir,
Celle que mieux cogneuë il ne lairroit perir.
Je ne m’accuse pas du deffaut de mesnage,

50. De ce reproche en vain le vulgaire m’outrage :
Pour me voir sans moyens, sans mesnage on me croid :
J’en aurois à plain fond quand mon bien le vaudroit.
Ah qu’en vain nos succez nous mesurent l’estime !
Ah que le nom du pauvre aisément on opprime !
55. Mon bien court et brouillé je n’ay deu conserver,
Puis que de la misere il n’eust peu me sauver.
Mes bonnes qualitez prendront icy leur place.
Les loix de l’équité d’un sainct respect j’embrasse.
J’ay l’entregent modeste et de l’honneur j’ay soin.
60. Je n’ayme pas l’argent que pour le seul besoin.
Que si j’ay ce deffaut d’aymer un peu la gloire,
L’ambition au-moins me cede la victoire :
Je dis l’ambition que les Cours vont suivant :
Qui cognoist ses objects il mesprise leur vent.
65. Et n’aurois veu des Grands la pompeuse hautesse,
Sans la nécessité tyrannique maistresse.
Mes mœurs et mon humeur luisent d’égalité.
Mon jugement refuit toute temerité.
Car ceste erreur je hays ridicule et sifflable,
70. Qui pleige à tous momens pour vray le vray semblable :
Et ce vice commun je fuis d’un soin exprés.
De prendre pour un poinct celuy qui loge auprés.
Par fois doncques en vain j’espère ou je soupçonne.
Mais lors sans affermer mon jugement tastonne :
75. S’il afferme, il va droict, et s’y prend rarement :
Et si je fais gageure elle court seurement.
Je ne juge de rien par coustume vulgaire.
Hors du trop et du peu mes devis je tempere.
Le propos indiscret j’ay tousjours évité.
80. Je n’au[r]ois dans un thrône orgueil ny vanité.
L’effort de mon mal-heur mon courage ne brise.
Mon courroux bien qu’ardent ma raison ne maistrise :
Ny jamais ses eslants ne m’ont faict ressentir
Les honteux aiguillons d’un tardif repentir.
85. Nulle humeur volontaire en mes mœurs ne tient place.
Toute bisarrerie aux Indes je déchasse :
Et ne fais ou dis rien en aucune saison,
Dont mon chetif discours ne peust rendre raison.
Ma science proscrit toute pedenterie.

90.L’on ne remarque en moy nulle charlaterie.
Je quitte un bien certain qui tente mon souhait,
S’il blesse ma rondeur d’apparence ou d’effect.
Le fast j’envoye aux Cours et aux clercs des Escoles.
L’Alchymie est chez moy, mais non ses suites folles[89]:
95.Tromper, dépenser gros, croire l’art sans doubter,
Attendre une mer d’or, sans fin la trompeter :
Aucun je n’ay trompé, j’ay faict peu de despense,
J’attends peu, je dis moins, j’espère sans croyance.
Je ne drappe ou mesdis. De leger je ne croy.
100.Je suis fort veritable et d’une entiere foy.
Si par occasion quelque bourde je donne,
Elle sert à quelqu’un et ne nuit à personne,
Sauvant bruit ou desastre ouverts à mes amis :
Et n’ay point cet excés à mon besoin permis.
105.Ou si pour mon besoin la verité j’altere,
C’est sur le coup précis d’une importante affaire :
Sans interest d’autruy, sans me prester du vent.
Sans affermer encore, et certes peu souvent.
Puis qu’on peut rarement desguiser le mensonge,
110.Dans son bourbier honteux un prudent ne se plonge :
Car l’honneste renom de vray-disant luy sert,
Et surpris pour menteur sans remede il le perd.
Nul propos imposteur par hayne je n’advance.
Mon interest n’esteinct l’œil de ma cognoissance.
115.Je voy le vice aussi qui difforme l’amy :
Et connoy la vertu qui dore l’ennemy.
Je ne donne au prochain accort ou mal-habile,
Conseil nuisible à luy, bien qu’il me fust utile.
La vertu sans les biens j’honore où je la voy.
120.Pour moy je fay raison, je la fay contre moy.
J’ay le cœur noble et franc, ie hay toute feintise.
Je suis inviolable en l’amitié promise :
En fortune, en disgrâce, en la vie, en la mort,
Du monde ny des ans ce vœu ne sent l’effort.
125.L’amy ni l’estranger paisible je n’offence,
Et souvent à leur tort je preste l’indulgence.

Je n’ay saine ou malade un esprit riotteux.
Je fuis du vil ingrat le reproche honteux.
L’injure plus qu’à nul à mon cœur est amere ;
130.J’aymerois mieux pourtant la souffrir que la faire :
Sans exceder son poids je la paye et ressens.
Les foibles je respecte à l’égal des puissans.
Je ne seme discord. Je ne couve l’envie.
Nul prix ne flestriroit l’équité de ma vie.
135.Nulle necessité n’usurpe le pouvoir,
De me faire offencer le proche ou le devoir.
A mes ayses charmeurs je n’ay l’humeur subjecte.
La grimace de Cour et son fard je rejette :
Je hay sa singerie où chaqu’un s’entresuit.
140.Mon œil et mon palez le vain luxe refuit.
Je suis soigneuse, active, en mes desseins constante,
Aux affaires bandée et de loin prevoyante.
Je ne suis nonchalante à payer mon devoir.
Je sçay d’esprit docile un conseil recevoir.
145.Du faible contre un fort le party je n’opprime.
Du flatteur pestilent je deteste le crime.
Devant qu’avoir gousté les mœurs du genre humain,
J’espandois tout office à plaine et large main :
Mesme bonté depuis entre les bons j’observe,
150.Mais parmy le commun je fais quelque reserve :
Le pauvre et l’affligé je secourrois pourtant,
Si mon pouvoir estoit à mon desir bastant.
Le secret qu’on m’a dit je tais d’un soin fidelle,
Voire un secret surpris peu souvent je décele :
155.Je n’aguette celuy que l’on me veut cacher,
Ou si mon œil le perce il feind de n’y toucher.
Je ne condamne aucun par la bouche publique.
Je ne suis importune à ceux que je practique.
Donc si j’ay des deffaux ils ne blessent que moy :
160.Complette vers autruy d’offices et de foy.
L’équité, la candeur, je les tiens de nature :
L’ordre je l’ay gaigné par temps et par lecture.
J’ay veu les derniers seaux à cét ordre apposez,
Ayant sur mes ans meurs sept lustres espuisez.


―――――


APPENDICE
C

ANNE-MARIE DE SCHURMAN
ET
MARIE DE GOURNAY

Anne-Marie de Schurman[90], née à Cologne en 1607, s’établit à Utrecht, après la mort de son père, en 1623, et mourut à Wiewert en Frise en 1678. Elle a été considérée par ses contemporains comme un véritable prodige. Ses biographes nous apprennent qu’elle savait fort bien l’hébreu, le chaldéen, le syriaque, l’arabe, le turc, le grec, le latin, le français, l’italien, l’espagnol, l’anglais, l’allemand, le flamand et le hollandais. Elle était de plus versée dans toutes les sciences et dans tous les arts. Une femme aussi savante devait être attirée par la nature exceptionnelle de mademoiselle de Gournay et la docte vieille fille devait voir en elle un champion de la cause des femmes et un continuateur de son œuvre. En effet mademoiselle de Schurman avait pour la fille d’alliance de Montaigne un profond respect. Et, non contente de lui écrire, elle lui adressa des vers latins faits pour ravir d’aise la vieille féministe. Ces vers n’ont été publiés qu’en 1648, mais Marie de Gournay dut les recevoir tout de suite après leur composition. La dédicace suffit à indiquer que Anne-Marie de Schurman s’adresse à Mademoiselle de Gournay un peu comme un disciple : Magni ac generosi animi heroinx Gornacensi, causam sexus nostri fortiter defendenti gratulatur. Anna Maria a Schurman.

« Palladis arma geris, bellis animosa virago ;
Utque géras lauros, Palladis arma geris.
Sic decet innocui causam te dicere sexus,
Et propria in fontes vertere tela viros.
I præ, Gornacense decus, tua signa sequemur :
Quippe tibi potior, robore, causa præit. »

D’ailleurs Marie de Gournay était faite aux vers latins. Balzac lui en avait envoyé, Dominique Baudius et beaucoup d’autres en firent autant en France. L’Italien Pinto se mit en frais pour elle et Nicolas Heinsius lui décocha le traditionnel compliment auquel elle ne cessait pas d’être sensible : Ausa virgo concurrere viris scandit supra viros. Mais ce qui dut la charmer plus que tout le reste, ce fut l’hommage d’un autre Hollandais célèbre, Hugo Grotius, qui traduisit en latin des vers qu’elle avait adressés au maréchal de Thoiras.

Anne-Marie de Schurman fit mieux que des vers pour défendre les idées chères à Marie de Gournay. En 1646 parut à Paris un petit volume latin, accompagné d’une traduction française de Colletet. Cet ouvrage, édité par Rolet le Duc, porte le titre de Question célèbre. S’il est nécessaire ou non, que les filles soient sçauantes. Agitée de part et d’autre, par Mademoiselle Anne Marie de Schurman holandaise, et le Sr André Rivet poitevin.

Le premier discours contenu dans ce livre est daté du 6 mars 1638. Voici en quels termes mademoiselle de Schurman pose la question : « Il s’agist donc de sçavoir si en ce temps, et dans l’estat ou sont les affaires, il est à propos qu’une fille s’applique entièrement à l’estude des bonnes lettres, et à la connoissance des arts et des sciences. Quand a moy je suis pour l’affirmative ; je tiens qu’elle le peut et qu’elle le doit faire, et il me semble que pour prouver ce poinct, j’ay des raisons assez considérables. » Voilà une déclaration claire et nette. Les arguments d’Anne-Marie ne diffèrent pas beaucoup de ceux de Mademoiselle de Gournay, mais ils sont présentés avec plus de tact, avec moins de fantaisie, moins d’enthousiasme aussi. On devine derrière cette façon modérée de polémiser une personne plus modeste et peut-être plus érudite que Marie de Gournay, mais on sent aussi qu’elle est moins personnelle, moins passionnée et que le beau feu sacré de la docte Française lui fait défaut. « Je sçay bien, dit plus loin mademoiselle de Schurman, que pour ne nous pas laisser inutiles, on nous donne en partage l’esguille et le fuseau, et que l’on nous dit que cet employ doit estre celuy de nostre sexe. Mais quoy que ce soit la pensée de la pluspart du monde, et que chacun nous ait condamnées à ce bas exercice ; si est-ce que parmy les sages ceste commune erreur ne doit point passer pour une reigle infaillible. Nous devons escouter la voix de la raison, et non pas celle d’une mauvaise coustume ; par quelle loy je vous prie nous oblige t’on à de si viles occupations ? est-ce par la loy divine, ou par la loy humaine ? quoy que l’on face on ne nous pourra jamais prouver, que cet Arrest qui borne et qui ravalle ainsi nostre condition ait esté prononcé par les oracles du Ciel. Certainement si nous avons recours au véritable tesmoignage de l’antiquité les exemples de tous les siecles passez, et l’authorité des plus grands personnages nous persuaderont tousjours le contraire. Aussi est ce, ce qui a esté desja prouvé avec autant de grâce que de suffisance par ce noble ornement de sa famille, mademoiselle de Gournay, dans le petit discours qu’elle a faict de l’égalité des hommes et des femmes, si bien que pour ne point me rendre ennuyeuse, en répétant des choses que l’on a desja dittes je n’allegueray pas une de ses raisons, ny ne toucheray pas mesme à la matière qu’elle a traittée. » L’influence de la fille d’alliance de Montaigne est si évidente qu’on l’aurait reconnue même si l’auteur ne l’avouait pas. Il y a là quelques phrases qui sont comme calquées sur celles de l’égalité des hommes et des femmes. André Rivet que Mademoiselle de Schurman interroge lui répond par une lettre du 18 mars 1638, où il débute ainsi : « Je ne croy pas devoir encourir vostre haine si contre la maxime de la demoiselle de Gournay je dis avec l’Apostre, que la femme est un vaisseau plus fragile que l’homme. » Et il invoque l’autorité du savant Vives qui s’est occupé avec sollicitude de l’éducation des femmes. Aussitôt Anne-Marie lui répond en mettant de l’eau dans son vin, si bien qu’elle a l’air de se contredire un peu. En réalité, c’est bien son avis qu’elle exprime cette fois-ci et elle le fait avec l’évidente intention de sauvegarder ce que la femme a de meilleur, ce qui est sa nature propre et profonde. « Mais tant s’en faut, s’écrie-t-elle, que je sois capable de céte haute vanité, qui est directement contraire à la modestie d’une fille et à cette pudeur que la nature a mise sur mon front. » Nous sommes loin de Marie de Gournay qui maudit sa timidité et la rougeur qui lui monte au visage quand elle défend son sexe. Anne-Marie dit encore : « Je ne sçaurois lire qu’à regret cet excellent discours italien que Lucrèce Marinelle a composé, et qu’elle a intitulé l’excellence des femmes et l’imperfection des hommes : voire mesme quoy que le petit traité de la demoiselle de Gournay qu’elle appelle de l’esgalité des hommes et des femmes ne soit pas sans grâce et sans élégance, et que les tesmoignages des sages qu’elle allegue soient des authoritez fort considerables, si est ce qu’il y a bien à dire que je suive en tout ses sentiments ; et si je vous en ay faict mention c’a esté plustost pour ne point repeter des exemples de nos loüanges que pour en tirer quelque advantage dessus vous. De moy je tiens pour veritable, que si dans nostre sexe, il y a quelques vertus loüables et dignes d’estre publiées, les hommes en doivent estre les herauts et les trompettes. Il nous suffit que nous ayons le tesmoignage secret de nostre propre conscience, et que chacune de nous s’examine soy-mesme, et face enfin tout ce qu’elle doit faire. »

Il ressort d’une réponse d’Anne-Marie à Mademoiselle de Gournay que celle-ci qui, dans sa dernière édition de l’Égalité, fait un grand éloge de l’érudite fille, lui reprochait de trop s’amuser à l’étude des langues. Mademoiselle de Schurman assure sa vénérable amie qu’elle n’occupe à cet exercice que ses heures de loisir sauf pour « la langue saincte » à cause de l’Ancien Testament.

Le P. Louis Jacob, dans un éloge latin de la savante Hollandaise, éloge traduit en français par Paul Jacob lyonnais, parle de l’estime dont elle jouissait auprès des grands et des lettrés et il cite entre autres témoignages de respect une lettre de Naudé, le célèbre bibliothécaire de Mazarin. Dans cette lettre Naudé raconte l’admiration que Guillaume Colletet professait pour Anne-Marie de Schurman dont il connaissait fort bien et l’œuvre et les mérites. « Je me souviens, dit Naudé en parlant d’une visite qu’il fit à Colletet, que l’ayant rencontré il y a quelque temps dans son agreable jardin, il m’entretint de l’admirable providence de la nature qui a voulu mettre en la place de Marie de Gournay (fort avancee en aage, et sur son declin et en si grande reputation d’esprit et d’eloquence et de doctrine, que mesme elle pouvoit fermer la bouche aux plus sçavans) Anne-Marie comme un rejetton pour soustenir à l’envy de tous les hommes, la gloire de son sexe avec une esgale pointe d’esprit, et peut estre avec autant de gloire et de reputation. Il disoit aussi qu’il estoit bien raisonnable que l’eloge que Juste Lipse Flamand, censeur exact des esprits, avoit fait en faveur de Mademoiselle de Gournay pour se frayer le chemin à une gloire immortelle, fut rendu par quelque François à Marie de Schurman, la plus industrieuse de toutes les filles du Pays bas. »

Comme Marie de Gournay, Anne-Marie de Schurman s’attacha à la gloire et à la doctrine d’un homme et continua après la mort de son maître à vouer un culte à sa mémoire. Mais hélas ! la docte Hollandaise ne rencontra pas un sage comme Montaigne pour la guider à travers la vie. Elle s’attacha à Labadie qui fut certainement un illuminé et peut-être un fourbe. Ce jésuite défroqué qui se fit protestant et qui fut même pasteur, sut inspirer à Mademoiselle de Schurman un intérêt passionnément mystique. Elle embrassa ses idées, le suivit partout et, continuant son œuvre après la mort de l’apôtre, rassembla les Labadistes autour d’elle et les mena à Wiewert en Frise. Là elle vendit ses biens au bénéfice de ses coreligionnaires et mourut en méditant les vérités auxquelles elle avait consacré sa vie. L’exaltation religieuse où elle était l’avait depuis longtemps détournée des arts, des lettres et des sciences[91].


APPENDICE
D

ÉLOGES ITALIENS
À
MARIE DE GOURNAY

Mademoiselle de Gournay cite César Capaccio[92] et Charles Pinto[93] parmi ses admirateurs étrangers. En effet, dans son Apologie, elle se vante d’avoir été louée « en diverses Provinces, Flandre, Hollande : et dernierement encores d’Italie, par la faveur des Seigneurs César Capacio et Carolo Pinto : qui font cognoistre en leurs Ouvrages, qu’ils ne veulent point laisser flestrir l’ancienne gloire de servir avec honneur les Muses, acquise à ceste grande Region leur mere. » Ces éloges n’ont cependant rien de bien troublant. Ils reposent, à mon sens, uniquement sur les compliments que Juste Lipse adresse à la fille d’alliance de Montaigne, et rien, dans la prose de Capaccio ni dans les vers de Pinto, n’indique que ces deux personnages aient connu l’œuvre de la docte française.

L’ouvrage auquel Marie de Gournay fait allusion est une sorte de dictionnaire des hommes et des femmes illustres classé dans l’ordre alphabétique des prénoms. Chaque biographie ou plutôt chaque éloge est accompagné des vers d’un poète. Pinto a fait la plupart de ces vers qui n’ont d’ailleurs qu’un intérêt de pure curiosité. L’ouvrage de Capaccio porte le titre suivant : Illustrium mulierum, et illustrium virorum elogia, a Julio Cæsare Capacio Neapolitanæ urbi à secretis conscripta. Neapoli, 1608-1609.

Les hommes sont loués dans la première partie de ce livre et les femmes dans la seconde. Mademoiselle de Gournay figure avec honneur dans la liste des Marie, avec Marie sœur de Moïse, Marie-Madeleine, Marie de Médicis et quelques autres femmes célèbres par leur naissance, leur vertu, leur beauté ou leur savoir.

Voici la notice que le secrétaire de la ville de Naples consacre à Marie de Gournay (p. 210-211) :


Maria Gornacensis

Novum monstrum, et nostri sæculi veră Theăno, Lipsius appellat admirabilis ingenii, cultissimæ lectionis, singularis prudentiæ nobilem Virginem in hoc theatro propositam. Maria Gornacensis hæc est, omnibus iis ornata, quæ vix cadere in muliebrem sexum crédit judiciorum ille Princeps ; et quæ dubia incredulitate exploderet, certa fide, variis argumentis in ea est admiratus ; tùm præsertim, quod singulare judicium de magno quodam viro adolescens protulerat. Multa ediscere, innumera posse scribere, delicatæ indolis mulieri dabitur. Sed ϰϱινειν, sed δ............................, obscuras mentis ambages enudare, malè ne, an benè factum sit liberé eloqui, in summo intellectionis fastigio positum est, quod cùm quis attigerit Herculeo labore Antheum vicisse non dubitabit. De Græco hæc idiomate hujusmodi decernit, ut ex ea doctissimi viri judicium quærant ; et Latino tantum excellit, ut paucos ad ejus candorem accedere posse affirment. Quod si cùm Lugdunum esset ventura, concepto voto his verbis ab eodem Lipsio excepta est, O mihi lucem, quà te propius norim ? non enim dicam probius ; adeò satis te nosse videor è pauculis scriptis, atque adeò vel sine scriptis ; cur voti causa, quo me tot virtutibus obstrictum puto ; non datur in eas regiones peregrinatio ?


PINTI



Si nomen Mariæ : quid tibi dulcius ?
Si sermo latius : quid tihi cultius ?
Si quis scripta legat : quid sibi doctius ?
Si quis te videat : quid sibi pulcrius ?
Si quis te audierit : quid sibi gratius ?
Dilesti (sic) superos virgo ? quid altius ?
Si sors parca fuit : quid tibi tutius ?
Duxisti hanc nihili ? quid generosius ?
Te Lypsus celebrat ? quid tibi clarius ?
Laudant Oenotrii ? quid sibi dignius ?


APPENDICE
E

LA FILLE D’ALLIANCE DE MONTAIGNE
ET LE SUCCÈS DES « ESSAIS »

Ferdinand Brunetière dans son Histoire de la littérature française classique (t. III, p. 629) s’occupe de la façon dont les Essais de Montaigne ont été accueillis et déclare avec son habituelle netteté : « une chose est certaine, c’est que ce livre n’eut pas dès la première heure tout le succès que l’on pourrait croire et qu’au contraire, il a été un de ceux que les contemporains ont le plus discutés. « Lorsqu’il s’agit d’un livre de l’importance des Essais où il y a tant de pensée, la discussion ne prouve-t-elle pas justement le succès ? L’originalité du livre de Montaigne a frappé ses contemporains. Son style et sa manière les ont séduits. On lui a, il est vrai, reproché de trop parler de lui et certains l’ont fait avec aigreur sans doute parce qu’à leur gré le grand essayiste ne parlait pas assez d’eux.

« De ces nombreuses critiques, dit encore Brunetière, et du reproche principal, qui était que Montaigne parlait trop de soi, nous avons une preuve évidente dans la longue préface que Mlle de Gournay a mise en tête de l’édition de 1635. De ce qu’elle croit utile de défendre ainsi Montaigne, il est certain que les objections étaient fortes et nombreuses ; et de ce qu’elle croit utile de le défendre surtout d’un tel reproche, il ne l’est pas moins que les censures les plus habituelles portaient précisément sur ce point. »

Cet argument ne porte qu’à moitié ; car, il ne faut pas l’oublier, Marie de Gournay défendait moins son père d’alliance qu’elle ne se défendait elle-même. Pour bien comprendre ceci, il ne faut pas se borner à lire la préface des Essais de 1635, il faut remonter à la grande préface de 1595, celle que Mademoiselle de Gournay a désavouée et qu’elle aurait voulu pouvoir arracher au public. Dans ce morceau Marie se laisse aller à de tels excès d’admiration et à une fureur apologétique si marquée qu’elle a failli nuire à la renommée qu’elle prétendait servir.

Comme tous les disciples maladroits, elle défend son auteur sans distinguer dans l’œuvre de celui-ci ce qui est essentiel de ce qui est secondaire. Il ne faudrait pas la pousser beaucoup pour lui faire dire qu’elle aime surtout dans les Essais ce que d’autres y trouvent à redire. Elle fit si bien qu’elle irrita des admirateurs sincères de Montaigne. M. Courbet, dans ses Recherches sur Mlle de Gournay (Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1898, p. 227-232), a fait à ce sujet de curieuses remarques. Il possède un exemplaire des Essais de 1595 qui a appartenu à Antoine de Laval, capitaine du château de Moulins et géographe du Roi. Ce gentilhomme, qui n’était pas le premier venu, a mis sur le titre du volume de Montaigne une note significative : « J’ay cogneu et fréquenté fort familierement l’auteur. » Cette phrase donne à ses observations une valeur particulière. Laval, ami et admirateur de l’auteur des Essais, critique vertement la préface de Marie de Gournay. Il montre bien que les lecteurs qui blâmaient le zèle de la fille d’alliance n’enveloppaient pas le père et la fille dans une même réprobation.

À propos de l’amour. Mademoiselle de Gournay dit : « Nous accordons qu’il soit meschant exécrable et damnable d’oser prester la langue ou l’oreille à l’expression de ce sujet, mais qu’il soit impudique, on le nie ». Laval réplique ainsi : « Tellement que cette demoiselle ne fait point conscience de lire dans ce livre l’épigramme de Martial Quod f… Glaphyram Antonius, etc., contre le précepte de l’Apostre : nec ulla nominetur spurcitia inter vos, etc., et encores ce qu’il allègue du poète grec : Corrumpunt bonos mores colloquia prava. »

À propos de religion, Marie parlant de Montaigne dit que son « âme n’a eu semblable depuis quatorze ou quinze cents ans, produite par Dieu et vérifiée de son approbation ».

« C’est une hyperbole de femme passionnée et aveugle », remarque en marge le censeur.

Toujours en matière religieuse, Marie de Gournay déclare que « personne n’eust pensé qu’il y eust eu faute aux nouvelles religions, si le Grand Montaigne les eust admises, ou nul de ceux mesmes à qui la faute eust été cognüe, n’eust eu honte de la commettre après luy ».

Et le critique s’écrie : « Que se peut-il dire de plus impie et impertinent ? »

Ces notes prouvent que les mécontents contemporains attaquaient l’éditeur bien plus que l’auteur. Leur pudeur s’alarme des admirations de la demoiselle bien plus que des hardiesses du grand homme.

Pour ce qui est du succès immédiat des Essais, Montaigne en avait été étonné et satisfait. Sa fille d’alliance, plus exigeante que lui-même, le trouve insuffisant à son gré. « Et trouve, dit-elle, la reigle de bien vivre aussi certaine à fuyr l’exemple et le sens du siecle, qu’à suivre la Philosophie ou la Theologie. Il ne faut entrer chez le peuple, que pour le plaisir d’en sortir. Et peuple et vulgaire s’estend jusques là, qu’il est en un estat moins de non vulgaires, que de Princes. Tu devines ja, Lecteur, que je me veux plaindre du froid recueil, que nos hommes ont fait aux Essais : et cuydes peult estre avoir suject d’accuser ma querimonie, en ce que leur ouvrier mesme dit que l’approbation publicque l’encouragea d’amplifier les premiers. Certes si nous estions de ceux qui croyent que la plus insigne des vertus c’est de se mescognoistre soy-mesme ; je te dirois qu’il a pensé ; pour gagner la couronne d’humilité que la renommee de ce livre suffist à son merite : mais parce qu’il n’est rien que nous hayons tant que l’usage de ceste ancienne Lamye, aveugle chez elle, et clairvoiante ailleurs, d’autant que nous sçavons, que qui ne se cognoist bien, ne peult bien user de soy-mesme ; je te diray que la faveur publicque dont il parle, n’est pas celle qu’il cuidoit qu’on luy deust, mais bien celle qu’il pensoit tant moins obtenir, qu’une plus plaine, et plus perfaicte luy estoit mieux deuë. Je rends un sacrifice à la fortune qu’une si fameuse, et digne main que celle de Justus Lipsius, ayt ouvert les portes de louange aux Essais. »

En faveur de la popularité du livre de Montaigne, il convient de rappeler le jugement de Pierre Daniel Huet, évêque d’Avranches, qui déclare ne pas aimer la manie individualiste de l’auteur des Essais, mais qui constate en même temps, avec bonne grâce, l’indiscutable succès de cet ouvrage pendant plus d’un siècle, succès qui durait encore à l’heure où le docte évêque écrivait, et qui dure toujours. La méditation des Essais marque une date dans l’histoire intellectuelle des grands penseurs, Rousseau l’a senti et, plus près de nous, Nietzsche a été transporté d’admiration à la lecture de ce livre.

On connaît les pages consacrées par Huet à la critique des Essais. Elles montrent à merveille que des réticences motivées sont parfaitement compatibles avec le succès et ne lui nuisent en rien. « Les Essais de Montagne, dit Huet, sont de véritables Montaniana, c’est-à-dire un Recueil des pensées de Montagne, sans ordre et sans liaison. Ce n’est pas peut-être ce qui a le moins contribué à le rendre si agréable à notre Nation, ennemie de l’assujettissement que demandent les longues Dissertations ; et à notre siecle, ennemi de l’application que demandent les Traitez suivis et méthodiques. Son esprit libre, son stile varié, et ses expressions métaphoriques, lui ont principalement mérité cette grande vogue, dans laquelle il a été pendant plus d’un siecle, et où il est encore aujourd’hui : car c’est, pour ainsi dire, le Breviaire des honnêtes paresseux, et des ignorans studieux, qui veulent s’enfariner de quelque connoissance du monde, et de quelque teinture des Lettres. À peine trouverez-vous un Gentilhomme de campagne qui veuille se distinguer des preneurs de lièvres, sans un Montagne sur sa cheminée. Mais cette liberté, qui a son utilité, quand elle a ses bornes, devient dangereuse, quand elle dégénère en licence. Telle est celle de Montagne, qui s’est cru permis de se mettre au-dessus des loix, de la modestie et de la pudeur. » Et l’évêque d’Avranches reproche à l’auteur des Essais d’avoir cru qu’il devait donner l’exemple, et non pas le suivre. Il lui reproche de s’être rendu son propre panégyriste. Il lui reproche encore de dire au sujet des avis qu’il avance : « Je ne le donne pas pour bon, mais pour mien : et c’est, ajoute le savant ecclésiastique, de quoi le Lecteur n’a que faire ; car il lui importe peu de ce qu’a pensé Michel de Montagne, mais de ce qu’il falloit penser pour bien penser. »

Tout ceci démontre que si Montaigne a été « discuté » c’est justement parce que son succès a été considérable ; si considérable que des moralistes ont cru devoir, dans l’intérêt public, mettre le doigt sur ses péchés mignons qui étaient de se mettre en scène à tout propos et d’avoir en écrivant des allures un peu libres.

Ferdinand Brunetière a raison de dire que le nombre des éditions que l’on a faites d’un livre est un argument décisif en faveur de la popularité de son auteur. Seulement si le principe est est juste, l’application qu’il en fait à Montaigne est erronée. « De 1595 à 1635, en effet, dit le grand critique, il y eut tout au plus trois ou quatre éditions des Essais, et je connais peu de grands livres qui aient été aussi peu réédités dans les premières années de leur publication. Cela devient bien plus frappant encore et plus significatif, si à l’œuvre de Montaigne, on compare l’œuvre de Ronsard ou même de Garnier » (l. c, p. 630). N’est-il pas étrange de comparer le succès d’œuvres aussi disparates que les Essais et les vers de Ronsard ou de Garnier ? Mais il y a plus. L’affirmation touchant les éditions de Montaigne est inexacte. De 1580 à 1588 le livre dont nous parlons a eu cinq éditions, (la quatrième reste à retrouver, mais nous possédons la cinquième). En 1593 les Essais paraissent à Lyon où ils ont été imprimés pour Gabriel Lagrange, libraire d’Avignon. En 1595, Mademoiselle de Gournay publie chez A. L’Angelier et M. Sonnius son édition in-fol. qui a fait tant de bruit. La même année, les Essais paraissaient, in-12, chez F. Lefébure à Lyon. Puis viennent, dans l’ordre chronologique, les éditions de Paris, A. L’Angelier, 1598, in-8. — Paris, A. L’Angelier, 1600, in-8. — Paris, A. L’Angelier, 1602, in-8. (Même année et même format : Leyde, J. Doreau ; Cologny et Leyde, J. Doreau.) — Paris, A. L’Angelier, 1604, in-8. — Paris, M. Nivelle, 1608, in-8. (Même année et même format : Paris, C. Rigaud ; Paris, Vve D. Salis ; Paris, J. Sevestre ; Paris, J. Petit-pas, in-12.) — Genève, J. Can, 1609, in-8. — Anvers, A. Maire (s. d. 1608-1611 ?), in-8. — Paris, M. Nivelle, 1611, in-8. (Même année et même format : Paris, F. Gueffier ; Paris, J. Petit-pas.) — Cologny, Ph. Albert, 1616, in-8. (Même année et même format : Genève, Ph. Albert ; (s. l.) Ph. Albert.) — Paris, M. Nivelle, 1617, in-4. (Même année et même format : Paris, F. Gueffier ; Paris, J. Petit-pas ; Paris, C. Rigaud.) — Rouen, J. Osmont, 1617, in-8. (Même année et même format : Rouen, R. Valentin.) — Rouen, N. Angot, 1619, in-8. (Même année et même format : Rouen, J. Berthelin ; Rouen, J. Besongue (?) ; Rouen, Th. Daré ; Rouen, Vve Th. Daré ; Rouen, J. Osmont ; Rouen, R. Valentin.) — Rouen, M. de Préaulx, 1620, in-8. — Paris, Vve R. Dallin, 1625, in-4. (Même année et même format : Paris, Ch. Hulpeau ; Paris, G. Loyson ; Paris, G. et A. Robinot ; Paris, P. Rocolet ; Paris, R. Boutonné ; Paris, E. Saucié.) — Rouen, J. Besongue, 1627, in-8. (Même année et même format : Rouen, J. Cailloué ; Rouen, L. Du Mesnil ; Rouen, R. Féron et R. Valentin ; Rouen, P. de La Motte ; Rouen, J. Berthelin (s. d.) [1627]). — Paris, P. Chevalier, 1632, in-8. — Paris, J. Camusat, 1635, in-fol. (Même année et même format : Paris, P. Rocolet.) En ne comptant pas les éditions secondaires, quoiqu’elles attestent l’extrême diffusion des Essais, l’ouvrage de Montaigne a donc eu, de 1595 à 1635, au moins dix-sept éditions. Je dis au moins, car je n’ai pas la prétention de les avoir énumérées toutes. Pour plus de détails je renvoie le lecteur à l’Inventaire de la collection des ouvrages et documents sur Michel de Montaigne réunis par le Dr J. F. Payen et conservés à la Bibliothèque Nationale, publié par Gabriel Richou, à Bordeaux, en 1877.

Brunetière poursuit sa démonstration et termine ainsi : « De la mort de Ronsard, en 1584, à 1623, il y a au moins 12 à 15 éditions de ses poésies ; de 1580 à 1630, d’autre part, il ne se passe pas une année où ne soient lancées une ou deux éditions de Garnier. En face d’une telle popularité, le « succès d’estime » de Montaigne paraît bien peu de chose ; et c’est bien l’un des cas où la statistique fournit des arguments décisifs (l. c, p. 630). »

Il me semble que ce qui précède prouve en effet que la statistique fournit des arguments sérieux en faveur du grand succès de Montaigne à la fin du xvie et au commencement du xviie siècle. On l’a vu, le nombre des éditions des Essais a été considérable et le philosophe n’a, sous ce rapport, rien à envier à ses plus illustres contemporains. Puisqu’à toute chose il faut une conclusion, je ne veux pas me priver du plaisir de citer ici une spirituelle réflexion de M. Paul Stapfer : « Je ne compterai pas non plus les éditions des Essais, dit-il, car, habitués que nous sommes aux chiffres charlatanesques des pseudo-éditions de la réclame contemporaine, si je disais qu’il en a paru vingt-sept au xviie siècle, on s’écrierait sans doute : Comment ! rien que vingt-sept ? » Montaigne (Paris, 1895), p. 168.



INDEX ALPHABÉTIQUE


DES NOMS PROPRES


  1. On l’appelle souvent Marie Le Jars, mais elle-même écrit toujours de Jars.
  2. En effet, Marie de Gournay enveloppe à plaisir la date de sa naissance d’un nuage de termes vagues. Son père la laissa « petite orpheline ». Sa mère « luy dura jusques à pres de vingt cinq ans ». « Environ les dix-huict ou dix-neuf ans cette fille leut les Essais », dit-elle en parlant d’elle-même. « Deux ou trois ans » après elle eut la fausse nouvelle de la mort de Montaigne. Le portrait qu’elle a fait mettre en tête de la dernière édition de ses œuvres, publiée en 1641, la représente âgée de trente ans et n’est pas daté. Je pourrais multiplier les exemples.
  3. Dans des vers adressés à son amie Catherine de Cypierre nous trouvons les mêmes expressions :
    La moyenne hauteur borne nos deux corsages.
    Nos deux esprits sont ronds et ronds nos deux visages.
  4. « On estoit prest à me donner de l’hellebore… » (Préface des Essais, édit. 1595). – « L’admiration dont ils me transsirent… m’alloit faire reputer visionnaire. » (Préface des Essais, édit. 1635).
  5. Cet essai fait partie de l’Ombre de la damoiselle de Gournay et s’intitule : Que par necessité, les grands esprits et les gens de bien cherchent leurs semblables.
  6. Pasquier dans ses Lettres (liv. II, chap. xviii) nous apprend que Montaigne séjourna à Gournay « trois mois, en deux ou trois voyages avec tous les honnestes accueils que l’on pourroit souhaiter. »
  7. 1588. L’exemplaire auquel nous faisons allusion est le fameux Montaigne de Bordeaux dont les premières notes datent de 1588. – Faut-il rappeler ici qu’en réalité cette édition était la 5e, mais que les modifications apportées aux trois premières réimpressions avaient peu d’importance ?
  8. Voici ces additions : L. I, 22. « Est-ce pas mal mesnagé d’advancer tant de vices certains et cogneus, pour combattre des erreurs contestées et débatables ? Est-il quelque pire espèce de vices que ceus qui choquent la propre consciance et naturelle cognoissance ? Le sénat », etc. C’est Montaigne qui reprend la plume où commence l’italique et qui finit le paragraphe 2. – L. I, 23. « J’en sçay un autre qui a inespérement advancé sa fortune, pour avoir pris conseil tout contraire. La hardiesse de quoi ils cherchent si avidement la gloire, se présente quand il est besoing, aussi magnifiquement en pourpoinct qu’en armes : en un cabinet, qu’en un camp : le bras pendant, que le bras levé. » Ce passage présente des corrections de la main de Montaigne.
  9. L’epistre sur le proumenoir de monsieur de Montaigne qui accompagnait le manuscrit du Proumenoir est datée de 1589. Ce petit ouvrage qui parut en 1594 eut cinq éditions ; on en fit deux contrefaçons, et de plus Mademoiselle de Gournay le réimprima trois fois dans son volume de mélanges. L’édition princeps porte le titre suivant : Le Proumenoir de M. de Montaigne par sa fille d’alliance. Paris, Ab. L’Angelier, M.D.XCIIII (1594), in-12. Mademoiselle de Gournay a publié cet opuscule comme un hommage à la mémoire de Montaigne. À la suite du Promenoir Marie de Gournay a imprimé un bouquet poétique avec l’Hymne à l’archange saint Michel et 14 quatrins pour la maison de Montaigne. La troisième édition de ce récit est datée de 1599 ; on y trouve aussi la préface des Essais de 1595, remaniée et « repolie » avec soin. – Cf. Dr. J. F. Payen, Note bibliographique sommaire sur les diverses éditions du Proumenoir de M. de Montaigne, dans le Bulletin du bibliophile, quatorzième série, p. 1285. Chapelain, dans une lettre à Godeau (5 juin 1639), parle d’une comédie tirée du Promenoir de la Pucelle par Pilet de la Mesnadière. Lettres de Jean Chapelain publiées par Tamizey de Larroque (Paris, 1880,) t. I, p. 131.
  10. Justi Lipsii Epistolarum centuria secunda, (Lugduni Batavorum, 1590), epist. LX.
    Dans un petit cahier de pièces manuscrites conservé à la Bibliothèque nationale sous la cote Z. Payen 678, et qui a pour titre : Marie de Gournay, Pièces inédites, se trouve une copie des lettres latines de Lipse avec la traduction française faite pour le Dr Payen par M. Rostain de Lyon. C’est à ce petit volume que j’ai emprunté le fragment cité ci-dessus.
  11. « .…Mais d’autant que je me doubte que vous n’aurez point reçeu celle que je vous envoiay pour response par la voye de Sumnius avec un petit traicté sur l’alliance de mon pere et de moy. » Le Dr Payen (Bulletin du bibliophile, quinzième série, 1862, p. 1297) croit qu’il pourrait être ici question d’un traité perdu. Je ne le pense pas ; pour moi, c’est simplement d’une copie du Proumenoir qu’il s’agit. La lettre du 25 avril 1593 a été publiée par le Dr Payen dans le Bulletin du bibliophile, ibid., p. 1296-1901.
  12. Justi Lipsii epistolarum selectarum centuria Ia, ad Belgas, epist. XV.
    Une note du Dr Payen dans le Bulletin du bibliophile déjà cité attire l’attention de ses lecteurs sur ces parentés électives assez fréquentes au xvie siècle. Il rappelle que Marot avait une mère d’alliance, que Montaigne se disait le frère de La Boëtie et que l’auteur des Essais donna à Charron le droit de porter ses armes après sa mort. Lipse d’ailleurs ne se borna pas à cette première déclaration de fraternité : dans une lettre écrite le 4 mai 1597, il nomme Mademoiselle de Gournay virgo et soror.
  13. En 1595, Mademoiselle de Gournay publia sa première édition des Essais, et l’édition remaniée de 1635 qu’elle a dédiée au cardinal de Richelieu est au moins la onzième à laquelle elle ait donné ses soins, sans compter les éditions de province et de l’étranger auxquelles elle n’a cessé de s’intéresser vivement, car elle avait à cœur sur toutes choses la renommée de son second père. Cf. Appendice E.
  14. L’édition de 1595.
  15. « J’ay pris plaisir à publier, en plusieurs lieux, l’esperance que j’ay de Marie de Gournay le Jars, ma fille d’alliance, et certes aymee de moy beaucoup plus que paternellement, et enveloppee en ma retraite et solitude comme l’une des meilleures parties de mon propre estre : je ne regarde plus qu’elle au monde. Si l’adolescence peult donner presage, cette ame sera quelque jour capable des plus belles choses, et entre aultres, de la perfection de cette tres-saincte amitié, où nous ne lisons point que son sexe ayt peu monter encores : la sincérité et la solidité de ses mœurs y sont desjà bastantes ; son affection vers moy, plus que surabondante, et telle, en somme, qu’il n’y a rien à souhaiter, sinon que l’apprehension qu’elle a de ma fin, par les cinquante et cinq ans ausquels elle m’a rencontré, la travaillast moins cruellement. Le jugement qu’elle feit des premiers Essais, et femme, et en ce siècle, et si jeune, et seule en son quartier ; et la vehemence fameuse dont elle m’ayma et me desira longtemps, sur la seule estime qu’elle en print de moy, longtemps avant m’avoir veu, sont des accidents de tres-digne consideration. »
  16. « J’ay pris plaisir à publier en plusieurs lieux, l’esperance que j’ay de Marie de Gournay le Jars ma fille d’alliance : et certes aymee de moy paternellement. Si l’adolescence peut donner presage, cette ame sera quelque jour capable des plus belles choses. Le jugement qu’elle fit des premiers Essays, et femme, et en ce siècle, et si jeune, et seule en son quartier, et la bienveillance qu’elle me voüa, sur la seule estime qu’elle en print de moy, long-temps avant qu’elle m’eust veu, sont des accidents de tres digne consideration. »
  17. L’exemplaire des Essais annoté par Montaigne et sur lequel ont été rapportées des notes de l’exemplaire de Bordeaux, l’exemplaire même dont s’est servi Mademoiselle de Gournay est perdu. Les Essais de 1588, augmentés de différentes couches de notes de Montaigne, qui se conservent à la bibliothèque de Bordeaux, portent à la fin du chapitre xvii du deuxième livre une addition relative à M. de la Noüe qui est imprimée dans l’édition de Mlle de Gournay. Après cette phrase de la main de Montaigne l’exemplaire de Bordeaux porte une croix, que M. Cagnieul, paléographe distingué et grand connaisseur de l’œuvre de Montaigne, estime autographe. Cette croix indique un renvoi. Voilà tout ce qu’on peut affirmer. L’auteur a donc ajouté quelque chose à ce chapitre xvii. Je croirais volontiers qu’il y a ajouté l’éloge ou mieux un éloge de Mademoiselle de Gournay. Mais rien ne prouve que la leçon de l’édition de 1595 soit la scrupuleuse transcription d’une addition de l’auteur des Essais. Dans le tome second de l’édition « municipale » des Essais (Bordeaux, 1909) M. Strowski fait suivre la publication de l’éloge de Mademoiselle de Gournay de la note suivante : (p. 449, no 2). « Ce paragraphe n’existe plus dans le manuscrit. Mais il y a, après le mot tres exparimanté, un signe de renvoi. En outre, la marge est fortement maculée. On peut donc supposer que Montaigne avait collé sur la page le « brevet » aujourd’hui perdu qui contenait l’éloge de Mademoiselle de Gournay. Notons que dans la préface de l’édition de 1595, Mademoiselle de Gournay parle avec quelque embarras de cet éloge et elle le modifie et l’abrège dans l’édition de 1635. »

    Je ne puis pas voir l’embarras auquel M. Strowski fait allusion ici. Les termes dont Marie de Gournay se sert pour parler de son éloge dans la préface de 1595 ne justifient pas ce jugement. Voici le passage visé par le savant éditeur de Bordeaux : « Lecteur, n’accuse pas de temerité le favorable jugement qu’il a faict de moy : quand tu considereras en cet escrit icy, combien je suis loing de le meriter : Lors qu’il me loüoit, je le possedois : moy avec luy, et moy sans luy, sommes absolument deux. »
  18. « Enfin cette vertueuse damoiselle advertie de sa mort, traversa presque toute la France, souz la faveur des passeports, tant par son propre dessein, que par celuy de la veusve et de la fille qui la couvierent d’aller mesler ses pleurs et regrets, qui furent infinis, avec les leurs. » Pasquier, Lettres (liv. II, chap. xviii).
  19. Cf. Dr Payen, Bulletin du bibliophile, quinzième série, 1862, p. 1301-1304.
  20. Pasquier dit en parlant de Marie de Gournay qu’elle « ne s’est proposée d’avoir jamais autre mary que son honneur, enrichi par la lecture des bons livres. » Lettres, (liv. II, chap. xviii.)
  21. Cf. Dr Payen, loc. cit., p. 1304-1307.
  22. Cet avertissement est la courte préface des éditions des Essais de 1598, 1600, 1602 et 1604 publiées chez L’Angelier et que le Dr Payen a baptisée du nom de petite préface de Gournay.
  23. Justi Lipsii epistolarum selectarum ad Germanos et Gallos centuria singularis, epist. XXVII.
  24. Cf. P. Bonnefon, Montaigne et ses amis (Paris, Colin, 1898), t. II, p. 350.
  25. Cf. Appendice A.
  26. Dans une lettre à Chapelain datée du 29 août 1644, Balzac écrit : « Quand il vous plaira, je verray dans un article de moins de six lignes le sujet que vous avez eu de vous desfaire de la fille d’alliance » et dans une autre lettre du même au même, datée du 23 octobre 1645, je trouve ceci : « triste et fascheuse vie, comme parle le père d’alliance de la Damoiselle ». Cf. Lettres de Jean-Louis Guez de Balzac, publiées par M. Philippe Tamizey de Larroque (Paris, 1873), lettre LVI, p. 169, et lettre CXIV, p. 316.
  27. L’apologie pour celle qui escrit fut composée, Mademoiselle de Gournay elle-même nous l’apprend, dès le bas aage du Roy Louys 13. Plus tard, à l’âge où l’on est revenu de bien des choses, Marie de Gournay refusa l’usage d’un carrosse que lui offrait le cardinal de Richelieu amusé par les originalités de la vieille fille. C’est à l’abbé de Marolles que j’emprunte ce renseignement. Dans ses Mémoires, en parlant des grands personnages qui ont donné des louanges à Marie de Gournay, il dit que messieurs les surintendants « ont tousjours eu soin de luy payer une pension assez mediocre, que le Roi luy donnoit, et n’en a jamais voulu avoir davantage, à la charge de se servir d’un carosse, comme je sçay qu’il luy fut offert de la part de M. le Cardinal de Richelieu. »
  28. Marie de Gournay emploie souvent en parlant de personnes des mots tels que « buffle » et « veau » et même des expressions plus crues quand elle est transportée par la passion polémique. Mais lorsqu’elle est calme, il lui répugne de se servir de termes qui ne conviennent pas à son sexe. Ainsi quand elle se vante d’avoir traduit les nombreuses citations dont les Essais sont émaillés, elle remarque qu’elle en a adouci quelques-unes. « J’ai traduit, dit-elle, les grecs aussi, sauf deux ou trois, que l’autheur a traduits luy-mesme, les insérant en son texte. Ny ne presente point d’excuse d’avoir laissé dormir les libertins, sous le voile de leur langue estrangere, ou d’avoir tors le nez à quelque mot fripon de l’un d’entr’eux : si ce mot a esté le seul, qui me peut empescher d’en faire present au lecteur.» Et d’autres fois, tout à coup, une expression courante la choque. Dans son traité « de la medisance et qu’elle est principale cause des duels », dédié à la marquise de Guercheville, elle s’écrie : « N’est-ce pas, comme escrivoit quelqu’un, chercher du fumier ou pis parmy des perles ? Que les muses et vous me pardonniez, Madame, s’il vous plaist, si j’ose estant de vostre commun sexe prononcer cette saleté, par la nécessité d’une deuë comparaison. »
  29. Bayle, dans son Dictionnaire, à l’article Gournai, lui reproche de s’être mêlée à de violentes polémiques. À son avis, « une personne de son sexe doit éviter soigneusement cette sorte de querelles. »
  30. Mot de Chapelain dans une lettre à Mademoiselle de Gournay.
    Cf. Lettres de Jean Chapelain publiées par Tamizey de Larroque (Paris, 1880), t. I, lettre CCCXXXVI.
  31. Sorel, De la connoissance des bons livres, ou examen de plusieurs autheurs (Paris, 1671), p. 378.
  32. Dans son traité de la Connaissance des bons livres, Sorel recommande en ces termes la lecture des mélanges de Marie de Gournay aux personnes qui s’intéressent à la langue française : « Ils y trouveront plusieurs chapitres du langage françois, entre autres le chapitre des diminutifs, et quelques-uns touchant la Poësie, ou elle veut remettre en crédit les mots composez à l’imitation des Grecs, et faire toujours subsister sans aucune exception, le langage de Ronsard. »
  33. Marie de Gournay n’aime pas ne dire qu’une fois les choses qui lui tiennent à cœur, particulièrement si elles lui sont favorables ; aussi elle reprend ce thème dans une sorte de note piquée à la suite de son apologie : « Le Roy pere de ce bon Prince, dit-elle en parlant d’Henri IV et de Louis XIII, m’avoit commandé un mois seulement avant sa mort, de frequenter la cour, bien que j’y apportasse peu d’inclination. Et plusieurs des plus honnestes gens de ce climat sçavent, de quel œil il me vid, et de quelle sorte il releva certaines testes de trop de loisir, que mon latin et ma mauvaise fortune avoit excitées à luy faire des contes frivoles de moy : cela fit espérer aux clairvoyans, qu’il eust prevenu le Roy son fils à m’honnorer de ses bienfaicts, si la mort ne l’eust prévenu luy-mesme. »
  34. Un exemple suffira ; lisez les vers intitulés Sur quelque bain du Roy :


    L’histoire escrit qu’un grand Milord anglois,
    Fut condamné par les severes loix :
    Parce qu’il fit une trame felonne,
    Contre son Roy pour ravir la couronne.
    Le choix de mort ce bon Prince octroya,
    Dans le vin grec le galant se noya.
    Que si jamais en la sotte entreprise
    De cet anglois je me trouve surprise,
    Si mon dessein sur le throsne entreprend
    De Saint Louis et de Charles le Grand ;
    Je ne mourray comme ce lourd yvrongne,
    Dans le vin grec moins flambant que sa trongne :
    Mais si le chois du supplice est à moy,
    Je veux perir dans l’eau des bains du Roy.

  35. De plus, Marie de Gournay a fait une version en vers du Veni Creator, de l’Ave maris stelka, du cantique de Zacharie, du Magnificat et du Te Deum. Elle a traduit aussi une scène de l’Infanticide, tragédie latine de Daniel Heinsius. C’est peut-être à cette dernière traduction que Marie doit les éloges que lui décerne Nicolas Heinsius, fils de Daniel, dans son Liber Elegiarum, louanges qui ont si fort blessé la vanité de l’irascible Balzac. Dans une lettre à Chapelain datée du 13 avril 1646, il dit : « Je me suis veu dans son livre (le livre de Heinsius) auprès de Mr nostre gouverneur, et pas loin de nostre amy, qua societate mirum in modum gloriamur ut praeclaris illis laudibus. Mais ma vanité a esté un peu mortifiée quand j’ay veu la demoiselle de Gournay aussi bien ou mieux traittée que moy, et, à vous dire le vray, je ne tire pas beaucoup d’avantage de cette seconde société. » Lettres de Jean-Louis Guez de Balzac, publiées par M. Philippe Tamizey de Larroque (Paris, 1873), lettre CXXXVIII.
  36. Cf. P. Bonnefon, Une supercherie de Mlle de Gournay, (Revue d’histoire littéraire de la France, 1896, p. 71). Le Dr Payen, avec son habituelle sobriété, avait déjà indiqué la pieuse fraude dans le Bulletin du bibliophile, quatorzième série, 1860, p. 1292, et quinzième série, 1862, p. 1310.
  37. Colletet, dans la vie de Pierre de Ronsard extraite de son histoire des Poëtes français et publiée par Prosper Blanchemain dans ses Œuvres inédites de P. de Ronsard (Paris, 1856), raconte toute cette scène en détail ; je n’en cite ici qu’un fragment :« A ce propos il faut que je dise que je n’ay jamais approuvé le bizarre dessein de Marie Le Jars de Gournay, qui avoit entrepris de corriger les plus nobles poésies de Ronsard, pour les adoucir, disoit-elle, et les accomoder à notre style. Et de faict, elle eut la hardiesse de mettre les mains sur celles-cy et de les publier mesme avec quelques autres œuvres, précédées d’un avertissement par lequel elle donnoit advis au lecteur qu’elle avoit heureusement trouvé un exemplaire de tous les œuvres de Ronsard, revues et corrigées par l’autheur et de sa main propre ; ce qui estoit absolument faux, comme elle me l’advoua elle-mesme, en me donnant cet eschantillon d’œuvres corrigées. Aussy luy dis-je dès lors que tant qu’il resteroit un Colletet au monde, on sçauroit par luy l’erreur et la vanité de cette supposition. » Sous le titre de Remerciement au Roy, Marie de Gournay a publié avec une brève introduction la harangue de très-illustre et très-magnanime prince François Duc de Guise aux soldats de Mets, le jour de l’assault, de Ronsard. Ce remerciement au Roi Louis XIII qui l’a secourue et protégée est de 1624. Voici avec quelle impudence ingénue Mademoiselle de Gournay présente son faux au roi : « Passionnée que je suis au respect de la mémoire de ces excellens genies anciens et nouveaux en la splendeur desquels le ciel a communiqué à la terre un des rayons de sa puissance et de sa gloire, et caressant leurs sepulchres de tout mon soing ; je viens de recueillir un thresor aux pieds de celuy de Ronsard. C’est, Sire, une vingtaine des plus riches pièces de son livre, entre autres, ceste-cy, les Hymnes des quatres saisons, l’Equité des anciens gaulois, Genevre, l’Ode de l’Hospital : qu’on m’asseure avoir esté n’agueres trouvées en son cabinet, esgarées parmy de vieux papiers, et corrigées de sa dernière main. Je presente donc ce poëme à vostre Majesté, et range les deux exemplaires vieil et nouveau teste à teste : non tant afin de montrer ce que peut valoir l’amendement, que pour reprocher l’insolence des ennemis de la mémoire de ce poëte ; de s’amuser à faire tant de bruit pour quelque manquement de versification, seul deffaut de ses œuvres : et lequel il a aussi facilement reparé quand il luy a pieu, aux pièces que j’ay recouvrées que facilement, à mon advis, il s’est résolu de le negliger aux autres. » Marie de Gournay s’est bornée à imprimer une seule de ces « pièces recouvrées » comme elle dit, et c’est peut-être bien Colletet, qui s’en flatte, qui l’aura découragée.
  38. À ce propos les Perroniana racontent ce qui suit : « Comme Monsieur Pelletier luy disoit un jour, qu’il avoit rencontré Mademoiselle de Gournay, qui alloit presenter requeste au Lieutenant Criminel, pour faire defendre la defense des beurrieres, parce que là dedans elle est appellée coureuse, et qui a servi le public ; il dit, je crois que le Lieutenant n’ordonnera pas qu’on la prenne au corps, il s’en trouveroit fort peu qui voudroient prendre cette peine, et pour ce qui est dit qu’elle a servi le public, c’a esté si particulièrement qu’on n’en parle que par conjecture, il faut seulement que pour faire croire le contraire, elle se fasse peindre devant son livre. »
  39. Anti-Gournay, ou Remerciment des beurrieres de Paris au sieur de Courbouzon Montgommery, Niort, 1610. Feugère remarque qu’on a parfois fait deux ouvrages de ce pamphlet qui a un double titre. Cf. Mademoiselle de Gournay dans Les femmes poètes au xvie siècle (deuxième édition), (Paris, 1860), p. 155, n° i.

    Cet érudit, qui est en général bien informé, se trompe ici. Le Remercîment, décrit avec précision par Bayle dans son Dictionnaire, n’a pas de double titre. Il est probable que l’Anti-Gournay dont parle Baillet n’est pas autre chose que le Remercîment et que l’auteur des Jugemens des savants a créé une énigme qui repose sur une confusion. La cause de ces erreurs est l’extrême rareté de l’opuscule qui nous occupe. Un exemplaire de cette petite brochure (29 p.) se trouve à la bibliothèque publique de Niort.

    Dans cette réponse au Fléau d’Aristogiton, de Louis de Montgommery, sieur de Courbouzon, qui attaquait l’auteur de l’Anti-Coton, on houspille les amis des jésuites. Mademoiselle de Gournay y est nommée clairement à trois reprises et une fois d’une façon déguisée.

    p. 3 . « Monsieur de Courbouzon Montgommery, le ressentiment que nous avons du grand soin et vigilance, que prenez dès long temps à fournir d’enveloppe la marchandise de nostre communauté, et après avoir chacune des Beurrieres rapporté en nostre chapitre general tenu à Saincte Babylle, jouxte le Parloir aux Bourgeois, l’assistance et prompt secours qu’elle a receu particulièrement à la cheute des fueilles de vignes par la copieuse et large distribution de vos livres, et singulierement par la defense magnifique des Peres Jesuites, que suivant la trace et les memoires de la Damoiselle de Gournay, qui a tousjours bien servy au public, vous avez faict publier depuis huict jours en çà. »

    p. 8. « Il est bien vray que depuis n’agueres, ils se sont presentez quelques mal habiles gens qui ont voulu entreprendre sur vos marches, et vous desrober vostre chalandize, comme un certain Peletier, et la Damoiselle de Gournay, pucelle de cinquante cinq ans, qui s’y sont meslez de publier des defenses pour les Jesuites, comme ayans interest en cause sous pretexte qu’ils ont esté rappellez et restablis à la poursuitte, brieve, et solicitude du Postillon general de Venus. »

    p. 11. « Ce pauvre homme me faict pitié. Helas, ne sçait-il pas bien que le Père Coton s’estant veu froté et estrillé en compere et en amy par l’Anticoton, et ne sçachant dequoy y respondre, apres avoir esté mendier des memoires de toutes parts, qui tous ne valoient rien, et par la confrontation se trouvoyent faux, afin qu’il ne semblast poinct par un silence universel advouer ce qui luy a esté objecté, s’est premièrement adres (p. 12) sé à une Damoiselle Carabine qui pour la defense de ce venerable, a eu bien tost uzé la pouldre de son fourniment, et puis ayant enseigné au sieur de Courbouzon, le marchant chez lequel on prend ceste munition, luy ont faict joüer l’enfant perdu, le Père Coton se tenant tousjours au gros de la bataille qui regarde faire les autres en attendant l’heure de donner ou de s’enfuir. »

    p. 20. « Or ce qu’il dit et allegue de Calvin et de Luther, le bon seigneur n’a pas mis le nez si avant dans leurs livres, ce sont les memoires que le Père Coton vouloit insérer premierement en sa lettre declaratoire mais l’ayant communiqué à un de Messieurs les gens du Roy auparavant que de la faire imprimer, il luy (p. 21) conseilla sagement de retrancher ces allegations de sa lettre, pour beaucoup de raisons, et pour sauver l’honneur du pauvre here. Depuis neantmoins il les donna à la pucelle de Gournay, et de là par une traditive sont venus jusques au sieur de Courbouzon. »
  40. Cf. Saint-Amant, le Poëte crotté.
  41. Je pourrais multiplier les citations d’œuvres où Mademoiselle de Gournay joue un rôle plus ou moins important. On l’invoque partout où l’on se moque des chercheurs de mots. On la glorifie partout où l’on parle des meilleurs esprits de son temps.
  42. Parmi ceux qui s’amusaient particulièrement aux dépens de la vieille fille, Tallemant cite le comte de Moret, le chevalier de Bueil et Yvrande. Ces deux derniers sachant que Racan devait aller voir Mademoiselle de Gournay, qui ne le connaissait pas, pour la remercier de l’envoi de son Ombre, recueil de mélanges parus en 1626, imaginèrent d’y aller avant lui et de se faire passer pour lui. On devine la scène. Racan arriva le dernier et dut se sauver à toutes jambes et dégringoler tant bien que mal les trois étages de la demoiselle pour éviter un scandale, car la vieille savante criait : au voleur !
  43. Tallemant des Réaux, Historiettes (Paris, 1834), t. II, p. 125.
  44. En effet Richelieu n’était pas seul à s’amuser de ses reparties, il paraît que le fils aîné du duc de Nevers en faisait autant. L’abbé de Marolles dans ses Mémoires assure que « Mademoiselle de Gournay, estoit un de ses grands divertissemens, et quoi qu’il fust d’une humeur assez galante, si est ce qu’il n’y avoit point de Dame qu’il n’eust quittée pour entretenir celle-cy, soit qu’il la vit chez Mademoiselle sa sœur, soit qu’il la trouvast chez Madame de Longueville sa tante, ou chez Madame la comtesse de Soissons, où elle allait quelquefois. »
  45. En date du 28 novembre 1632, Chapelain écrivait à Godeau : « Nous manquâmes heureusement la damoiselle de Montagne en la visite que M. Conrart et moi lui fîmes il y a huit jours. Je prie Dieu que nous le fassions toujours de même chez elle, et que sans nous porter aux insolences de S. Amand, nous en soyons aussi bien délivrez que lui. » Mélanges de littérature tirez des lettres manuscrites de M. Chapelain (Paris, Briasson, 1726), p. 10-11.
  46. Le 30 août 1624, Balzac a écrit une longue lettre à Marie de Gournay pour l’assurer de son estime. Elle lui avait sans doute communiqué son apologie ou quelque autre écrit pour faire taire les médisants qui l’accablaient. La rhétorique de Balzac enveloppe si bien son ironie que sa correspondante a fort bien pu s’y méprendre : « Mademoiselle, je vous déclare d’abord, que je n’ay point d’autre opinion de vous que celle que vous me donnés vous-mesme, et j’ay tousjours jugé plus hardiment des qualités de l’ame par la parole, que par la physionomie… Ce n’est pas à dire que pour avoir les vertus de nostre sexe, vous ne vous soyez pas réservée celle du vostre, et que ce soit un peché à une femme d’entendre le langage que parloient autres-fois les Vestales… Depuis le temps qu’on vous loüe, la chrestienté a changé dix fois de face. Ny nos mœurs, ny nos habillemens, ny nostre cour ne seroient pas reconnoissables à celle que vous avez veuë. Les hommes ont fait de nouvelles loix, et introduit un autre Dieu dans le monde, et les vertus de l’age de nos peres ce sont les vices de celuy-cy : Neantmoins on sçaura que parmy de si notables changemens, et des revolutions si estranges, vous aves apporté jusques à nous une mesme reputation, et que vostre beauté, je parle de celle qui donne de l’amour aux capucins et aux philosophes, ne s’en est point allee avecque vostre jeunesse. « Lettres de Monsieur de Balzac, troisiesme édition. Augmentée de nouveau. À Paris, chez Toussainct du Bray, 1626.
  47. Cf. E. Magne, Le plaisant abbé de Boisrobert (Paris, 1909), p. 116.
  48. Dans son « Advis au lecteur, sur les Epigrammes » Marie de Gournay insiste d’une manière assez amusante sur l’hellénisme de ses divertissements poétiques et, tout de suite, elle se défend : « Ce n’a point esté mon dessein, dit-elle, escrivant les Epigrammes suivans, de les aiguiser de poincte affislée à la façon du siècle : ouy mesmes une partie est du tout sans poincte, selon la mode aseez frequente des plus judicieux Grecs et Latins, qui vouloient chatouïller le jugement du Lecteur par quelque grace naïsve, et non pas son esprit par la subtilité. »
  49. Marie de Gournay s’est adressée à Puteanus, successeur de Lipse à Louvain, pour lui demander d’engager les libraires d’Anvers à se faire dépositaires de son volume de mélanges l’Ombre, publié en 1626. Cette lettre est datée du 16 février 1627. Elle a été publiée par le Dr Payen dans ses Nouveaux documents inédits ou peu connus sur Montaigne (Paris, 1850), en facsimilé. Cf. aussi le Bulletin de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, 1840, où le baron de Reiffenberg cite ce document. Les lettres de Marie de Gournay sont rares ; Payen en 1850 ne connaissait que cette lettre à Puteanus conservée à la bibliothèque royale de Bruxelles. Plus tard M. Pluygers, bibliothécaire à Leyde, lui communiqua la copie des trois lettres à Juste Lipse publiées dans le Bulletin du bibliophile en 1862. Enfin M. P. Bonnefon (Montaigne et ses amis, t. II, p. 404-405) donne le texte d’un billet de Mademoiselle de Gournay à Richelieu où elle se confond en remerciements pour ses « bienfaits ». Ce billet autographe daté du 10 juin (1634 ?) a fait partie de la collection Fillon et se trouve aujourd’hui dans la collection Morrison.
  50. On trouvera la prose de Capaccio et les vers de Pinto dans l’Appendice C.
  51. Dans un passage de son Apologie, Marie de Gournay parle avec respect des propos très flatteurs que le roi Jacques d’Angleterre a tenus sur son compte au maréchal de Lavardin. Sa Majesté montra à l’ambassadeur un écrit de la main de la docte fille qu’il conservait dans son cabinet. Et on le sut au Louvre. Il est assez curieux de constater que ce fait dont la fille d’alliance de Montaigne se glorifie est le fruit d’une mystification dont elle a été la victime et à laquelle j’ai fait allusion au commencement de cette étude. Tallemant dans l’historiette qu’il lui consacre raconte l’anecdote suivante : « Ces pestes (Moret, de Bueil et Yvrande) lui supposèrent une lettre du roi Jacques d’Angleterre, par laquelle il lui demandait sa Vie et son portrait. Elle fut six semaines à faire sa Vie. Après, elle se fit barbouiller, et envoya tout cela en Angleterre, où l’on ne savoit ce que cela vouloit dire. »

    Dans une lettre au trésorier Thevenin à qui elle a communiqué la copie de sa vie, elle raconte comment cette biographie, écrite en 1616, lui fut extorquée par de mauvais plaisants. Ils lui firent croire qu’un chanoine anglais nommé Hinhenctum désirait connaître la vie de Montaigne et la sienne pour un ouvrage sur les hommes et les femmes célèbres de son siècle, que le roi son maître lui avait commandé de faire. Marie de Gournay s’aperçut qu’on l’avait jouée. Furieuse, elle réclama son manuscrit. Il avait disparu. Elle dut se contenter de faire signer par ses moqueurs la minute qu’elle avait gardée. Ils se soumirent à cette condition avec « une aversion plus grande qu’il ne se peut dire. »

    Il est évident que la pièce montrée par Jacques Ier d’Angleterre au maréchal de Lavardin n’était autre que le manuscrit de cette fameuse Vie qui fit faire tant de mauvais sang à la pauvre vieille fille.
  52. L’abbé de Marolles raconte dans la suite de ses Mémoires que, pendant les douze années que Piaillon vécut chez Mademoiselle de Gournay, ce chat ne s’est pas éloigné une seule nuit de la chambre de sa maîtresse pour courir les toits.
  53. On connaît le jugement, à la fois flatteur et sévère, que Sainte-Beuve porta sur l’amie de Montaigne dans une étude sur Madame de Verdelin, où il parle des admiratrices connues et inconnues des grands écrivains. Après avoir constaté l’isolement de Rabelais, qu’à son avis, aucune femme ne saurait aimer, il s’écrie : « Mais pour Montaigne, malgré ses taches légères et ses souillures, c’est bien différent : lui, il mérita de trouver sa fille d’alliance, une personne de mérite, une intelligence ferme, cette demoiselle de Gournay qui se voua à lui, fut sa digne héritière littéraire, son éditeur éclairé, mais qui elle-même, d’une trop forte complexion et d’une trop verte allure, finit par prendre du poil au menton en vieillissant et par devenir comme le gendarme rébarbatif et suranné de la vieille école et de toute la vieille littérature, – un grotesque, une antique. « (Nouveaux lundis, t. IX, p. 393-394).
  54. Hilarion de Coste, Les éloges et les vies des reynes, des princesses et des dames illustres en piété, en courage et en doctrine, qui ont fleury de nostre temps, et du temps de nos peres (Paris, 1647), t. II, p. 668-672.
  55. Voyez l’Appendice B.
  56. Cf. G. Ascoli, Bibliograghie pour servir à l’histoire des idées féministes depuis le milieu du xvie jusqu’à la fin du xviiie siècle publiée à la suite de l’Essai sur l’histoire des idées féministes en France du xvie siècle à la Révolution (Paris, 1906).
  57. M. Ascoli (1. c. p. 21) traite Mademoiselle de Gournay avec un mépris regrettable. Il en fait une compilatrice sans originalité et l’expédie, elle et ses « brochures », en deux lignes. M. T. Joran est plus juste lorsqu’il donne, en passant, les titres de « chef de file » et de « mère du féminisme moderne » à la vieille demoiselle. (Cf. La Trouée féministe, p. 61 et 63).
  58. M. Brunot, à qui n’échappe rien de ce qui intéresse l’histoire de la langue française, a remarqué quel ascendant le nouvel usage exerçait sur la vieille demoiselle qui s’efforçait de rajeunir ses anciens écrits sans cesser de s’exprimer en vieux style lorsqu’elle improvisait.
    « Si, dit M. Brunot, on compare le texte de l’Ombre à celui des Advis, on s’aperçoit qu’elle s’est corrigée. Assurément ces corrections n’étaient point faites avec minutie ; on voit la même faute, redressée ici, subsister là et ailleurs ; et si par exemple la vieille demoiselle ajoute, dans sa dernière édition, un nouveau paragraphe à ses anciens traités, elle retrouve naturellement sous sa plume, sans songer à les proscrire, les mots et les tours anciens, qu’elle pouvait employer sans scrupule dans sa jeunesse. Mais ce qu’elle a rédigé autrefois, ce qu’elle peut relire aujourd’hui et critiquer à tête reposée, elle essaie de le rajeunir. » Histoire de la langue française des origines à 1900, t. III, p. 13. (Paris, 1909.)
  59. À l’orthographe de Marie de Gournay et de ses imprimeurs je n’ai apporté d’autre changement que de distinguer l’u et le v, l’i et le j. Quelques-uns des opuscules de la savante fille parurent séparément avant 1626, date de la première édition de ses œuvres, qu’elle imprima sous le titre d’Ombre de la damoiselle de Gournay. En 1634 et en 1641 ce recueil, revu et augmenté, prit le titre d’Advis ou Presens pour contenter le libraire, à qui le symbole caché sous ce nom d’Ombre ne disait rien.
  60. Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne, femme de Louis XIII.
  61. Il m’a paru superflu de relever les variantes que présente cette dédicace dans l’Ombre et dans les éditions des Advis de Mademoiselle de Gournay. Elle y a d’ailleurs changé fort peu de chose. Mais il est curieux de constater qu’en 1622 elle a l’air d’ignorer la mort de Philippe III, décédé le 31 mars 1621. En effet, en 1622 elle dit encore : « au Roy vostre Pere… qui voit » et en 1626 cette phrase est ainsi modifiée : « au feu Roy vostre Pere… qui voyoit. »
  62. On renvoyait la femme désireuse de s’instruire à la quenouille, comme on l’a renvoyée plus tard au pot au feu. Cet argument commode, tiré des occupations ordinaires de la ménagère, a été très employé. Dans les epistres invectives de ma dame Helisenne, composées par ladicte dame : De Crenne [1543] : nous trouvons un passage où la quenouille est également invoquée. Il s’agit de la quatrième épître intitulée Epistre exhibée par ma dame Helisenne à Elenot, lequel excité de presumption temeraire, assiduellement contemnoit les dames qui au solatieux exercice literaire se veulent occuper : mais pour le divertir de sa follie, icy est faicte commemoration des splendides et gentilz espritz, d’aucunes dames illustres. Helisenne indignée s’écrie : « Et parlant en general, tu dis que femmes sont de rudes et obnubilez espritz : parquoy tu conclus, qu’autre occupation ne doibvent avoir que le filler… J’ay certaine évidence par cela, que si en ta faculté estoit, tu prohiberois le bénéfice literaire au sexe femenin, l’improperant de n’estre capable des bonnes lettres. »
    Anne-Marie de Schurman qui est un peu l’élève en féminisme de Marie de Gournay dit, elle aussi : « Je sçay bien, que pour ne nous pas laisser inutiles, on nous donne en partage l’esguille et le fuseau, et que l’on nous dit que cet employ doit estre celuy de nostre sexe. »
  63. Hypathia (n. d. a.)
  64. Dans le traité de l’education des enfans de France, écrit à l’occasion de la première grossesse de Marie de Médicis, Mademoiselle de Gournay fait déjà la même remarque. « Les femmes Françoises, dit-elle, voire les Angloises avec elles, ont un specieux advantage sur celles des autres nations en esprit et galanterie, ouy mesmes sur celles d’Italie, où naist en gros le plus subtil peuple de l’Europe. Et ne sçauroit cét advantage proceder, que de ce que ces premieres sont recordees, polies et affilées au moins par la conversation, les aultres non : recluses qu’elles sont en des cachots, ou pour le meilleur marché, peu meslees parmy le monde. »
    Dans l’édition de 1634, cette phrase : « deux Reynes à la prudence desquelles la France a trop d’obligation » devient « des Reynes et des Princesses qui ne manquaient pas d’esprit. » Cette reculade n’est pas la seule trace d’opportunisme qu’on puisse relever dans l’œuvre de Marie de Gournay.
  65. Erasme, Epist : et Colloq. Politia, Epist : Agripa, Precel : du sexe feminin. (N. d. a.)
  66. Courtizan. (N d. a.) B. Castiglione, auteur du Cortegiano.
  67. Hotman pour l’etymologie des Pairs : du Tillet et Math. Histoire du Rov pour les Dames Pairresses. (N. de l’auteur).
  68. Plut. (N. d. a.)
  69. Homil. I. (N. d. a.)
  70. Olda Debora.
  71. Entre autres au Calendrier des Grecs, publié par Genebrard.
  72. Epist. (N. d. a.)
  73. Electra. (N. d. a.)
  74. Aeneid. I. allusion. (N. d. a.) (Marie de Gournay cite ici sa propre traduction.)
  75. L’ouvrage que Marie de Gournay cite est le volumineux Theatrum Vitæ humanæ de Lycosthenes et Zwinger (1571).
  76. Il s’agit ici du Livre doré de Marc Aurele ou l’Horloge des princes de Guevara, traduit d’espagnol en français en 1537.
  77. Hulda, prophétesse.
  78. Le Grief des dames n’a paru qu’en 1626 dans l’Ombre de la damoiselle de Gournay. Il faut, par conséquent, le placer après l’Égalité qui est de 1622 et qui se trouve citée dans le Grief. On peut cependant supposer que Marie de Gournay avait depuis longtemps l’idée d’un petit écrit où elle donnerait libre cours à ses plaintes contre les hommes puisqu’on trouve dans la grande préface des Essais de 1595, celle-là même qu’elle devait annuler plus tard, pour la remplacer par un avis très court, comme un premier jet de ce traité. Cette ébauche reprise plus tard par l’auteur et un peu modifiée devait lui fournir l’apostrophe passionnée par où débute le Grief des dames. Après une sortie violente contre les critiques des Essais de Montaigne, Marie de Gournay déclare qu’elle ne reconnaît le droit de se mêler de juger ce livre qu’à ceux auxquels la méditation, la lecture et une parfaite indépendance d’esprit ont permis de comprendre la pensée de l’auteur. Elle n’admettra qu’à ce prix qu’on « corrige » la haute idée qu’elle a de cet ouvrage. Et prenant un chemin de traverse la fille d’alliance de Montaigne s’écrie : « Bien heureux es tu, Lecteur, si tu n’ez pas d’un sexe, qu’on ait interdit de tous les biens, l’interdisant de la liberté, et encores interdit de toutes les vertus, luy soubstrayant le pouvoir, en la modération de l’usage duquel elles se forment : affin de luy constituer pour vertu seulle et beatitude, ignorer et souffrir. Bien heureux, qui peuz estre sage sans crime, le sexe te concedant toute action, et parolle juste, et le credit d’en estre creu, ou pour le moins escouté. De moy, veux-je mettre mes gens à cet examen, ou il y a des cordes que les doigts féminins ne doibvent, dit-on, toucher : ou bien, eussé-je les argumens de Carneades, il n’y a si chetif qui ne me r’embarre avec solenne approbation de la compagnie assistante, par un soubsris, un hochet, ou quelque plaisanterie quand il aura dit, c’est une femme qui parle. Tel se taisant par mespris ravira le monde en admiration de sa gravité, qu’il raviroit d’autre sorte à l’adventure, si vous l’obligiez de mettre un peu par escript, ce qu’il eust voulu respondre aux propositions, et repliques de ceste femelle, s’elle eust esté masle. Un autre arresté de sa foiblesse à my-chemin, souz couleur de ne vouloir pas importuner son adversaire, sera dit victorieux, et courtois ensemble. Cetuy-là disant trente sottises, emportera le prix encore par sa barbe. Cestuy-cy sera frappé qui n’a pas l’entendement de le sentir d’une main de femme : et tel autre le sent, qui tourne le discours en risee, ou bien en escopeterie de caquet perpetuel, sans donner place aux responces : ou il le tourne ailleurs, et se met à vomir plaisamment force belles choses qu’on ne luy demande pas. Luy qui sçait combien il est aysé de faire son prouffit des oreilles de l’assistance, qui pour se trouver tres-rarement capable de juger de l’ordre et conduitte de la dispute, et de la force des combattans, ou de ne s’esblouyr pas à l’esclat de ceste vaine science qu’il crache (comme s’il estoit question de rendre compte de sa leçon, et non pas de respondre) ne peult s’appercevoir quand ces gallanteries là sont fuitte ou victoire. Cet autre en fin, bravant une femme fera cuider à sa grand’mere, que s’il n’estoit pitoyable, Hercules ne vivroit pas. Heureux à qui pour emporter le prix il ne faille que fuir les coups ; et qui puisse acquerir autant de gloire qu’il veult espargner de labeur. Bravant dis-je une femme offusquée et atterrée en outre, d’une profonde tardiveté d’entendement et d’invention, d’une memoire si tendre, que trois raisons d’un adversaire qu’elle voudroit retenir en disputant, l’accablent, de la simplicité de sa condition, et sur tout d’un visage le plus ridiculement mol du monde. Je veux un mal si horrible à cette imperfection qui me blesse tant, qu’il faut que je l’injurie en public. Je pardonne à ceux qui s’en mocquent : se sont-ils obligez d’estre aussi habiles qu’Aristippus, ou Xenophon, pour aller discerner souz un visage qui rougit, autre chose qu’un esprit sot, ou vaincu ? Et si leur pardonne encore de penser, que telles confessions, que cecy, partent de folie : il est bien vray qu’elles sont esgalement communes aux fols, et aux sages : mais aux sages de tel degré que je ne puis aller jusques-là. »
  79. Ce portrait en vers a subi peu de changements dans les éditions de 1634 et 1641. Mademoiselle de Gournay l’a retouché par endroits sans rien changer au fond ni aux sentiments. Comme presque toujours elle alourdit et complique le premier jet en le corrigeant. J’ai préféré laisser à ce morceau d’une réelle valeur psychologique tout son caractère spontané et je m’en tiens scrupuleusement à la leçon de 1626.
  80. J’indique par deux astérisques l’édition des Advis de 1634 et par trois celle de 1641.
  81. V. 5. ** Nostre abord commença quand je fus à Montaigne :
    Voir un mort Demydieu, sa fille et sa compagne
  82. V. 6. *** Voir un mort au cercueil, sa fille et sa compagne,
  83. V. 10. ** J’oublie à peine extrème une injure poignante,
  84. V. 14. ** De les rompre au dedans ce roch m’est invincible :
    *** De les rompre en mon cœur ce roch est invincible :
  85. V. 23 ** Mais si j’ouvre au soupçon l’œil de mon jugement,
  86. V. 25 ** Par fois en conférant il advient que j’espouse
    La raison et ses droicts d’une humeur trop jalouse :
    Toute noble qu’elle est cedons parfois aux foux,
  87. V. 36 ** Encores que mon cœur d’un zele franc l’adore ?
  88. V. 45-46-47-48 supprimés. ** – ***.
  89. (N. d. a.). Cela fut durant la première Impression de ce Livre,
    et n’est plus dès longtemps. ***
  90. Les contemporains français d’Anne-Marie de Schurmann écrivent son nom avec un seul n. J’ai suivi leur exemple.
  91. Le texte latin des lettres de Mademoiselle de Schurman en faveur de l’érudition des femmes parut, pour la première fois, à Leyde en 1641.
  92. Poète et prosateur, né en Campanie, secrétaire de la ville de Naples, mort en 1631.
  93. Poète et prosateur, né à Héraclée, contemporain du précédent.