La Fille de Thermidor

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Chants révolutionnairesAu bureau du Comité Pottier (p. 107-109).


LA FILLE DE THERMIDOR



À Antide Boyer, député des Bouches-du-Rhône.


Une fille, avorton bourgeois,
Ayant bagues à tous les doigts,
Robe à traîne, élégante mise,
Mais dessous fort peu de chemise,
En se dressant sur ses ergots
Tient ce boniment aux gogos :
« Je suis, messieurs, la déesse à la pique ! »
— Non, cette catin n’est pas la République !
Non, non, tu n’es pas la République !

« Modéré jusqu’à la fureur,
» Thermidor tomba la Terreur.
» Alors je naquis et la France
» Devint maison de tolérance
» Et brilla des noms les plus fiers,
» Depuis Talleyrand jusqu’à Thiers.  »
— Des souteneurs nous connaissons la clique ;
Non, cette catin n’est pas la République !
Non, non, tu n’es pas la République !

« J’ai subi, bien qu’il m’en coûtât,
» Le viol de tous les coups d’État ;
» Je criais, tout bas, pour la frime ;
» Après, j’ai meublé le régime,

» Brocanté les législateurs
» Et les sénats conservateurs. »
— Tous les Césars ont doré sa boutique…
Non, cette catin n’est pas la République !
Non, non, tu n’es pas la République !

« Étant de mon siècle, esprit fort,
» Voltaire me plut tout d’abord ;
» La grâce agit, fille soumise,
» Je fis ma paix avec l’Église,
» J’ai mis Lolotte au Sacré-Cœur,
» Je communie et chante au chœur. »
— La Carmagnole est un autre cantique !…
Non, cette catin n’est pas la République !
Non, non, tu n’es pas la République !

«  Pour déjouer les partageux,
» J’ai mis la main sur les enjeux,
» Maquillant la hausse et la baisse.
» J’ai formé, pour tenir la caisse,
» De gros financiers libéraux,
» Cousins des fermiers généraux. »
— Trois et trois, neuf ! C’est leur arithmétique !
Non, cette catin n’est pas la République !
Non, non, tu n’es pas la République !

« Mon code est le Chacun pour soi !
» L’Égalité… devant la loi,
» En rêver une autre est folie ;
» La noblesse est presque abolie,
» Mais sans les riches, ici-bas,
» Les pauvres ne mangeraient pas. »
— En doutez-vous ? Galliffet vous l’explique !
Non, cette catin n’est pas la République !
Non, non, tu n’es pas la République !


«  Aux États-Unis, beaux rêveurs,
» En grand, j’exporte mes faveurs,
» Raccrochant les deux hémisphères,
» Je couche avec les gens d’affaires ;
» Le capitaliste a vraiment,
» Avec moi, beaucoup d’agrément. »
— C’est son virus qui pourrit l’Amérique !
Non, cette catin n’est pas la République !
Non, non, tu n’es pas la République !

Ah ! chassons-la ! Dans l’or des blés,
Mère, apparais les seins gonflés.
À nos phalanges collectives,
Rends sol et forces productives.
Que le ciel de l’ordre nouveau
S’allume dans chaque cerveau.
— Oui, viens, Commune à la rouge tunique,
Car cette catin n’est pas la République !
Non, toi seule est la République !


Paris, 1883.