La Foi et la Raison/V

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Imprimerie ouvrière Randé et Durand (p. 97-118).

V.


— Tout cela n’est pas mal imaginé, et, aux yeux d’un théoricien tel que toi, pourrait avoir quelque apparence de vérité. Malheureusement pour tes théories, Jésus-Christ lui-même s’est déclaré fils de Dieu.

— L’eût-il dit réellement, que cela ne prouverait absolument rien. Mais, par bonheur pour sa mémoire, Jésus n’a jamais affirmé pareille chose. Non seulement il dit qu’il n’est qu’un homme[1] ou un fils de l’homme[2], mais il défend même expressément à ses disciples de l’appeler Christ[3]. Peut-être, à force d’adulations, a-t-il fini par être persuadé de la divinité de sa mission, et par se croire l’élu de Dieu, mais jamais il ne s’est dit fils de Dieu. Les apôtres et les premiers chrétiens qui le connurent ne le désignaient que sous le nom de prophète[4]. Matthieu et Luc ne prêtent-ils pas à Jésus ces paroles : « Et quiconque aura parlé contre le fils de l’homme, il lui sera pardonné ; mais à celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit il ne lui sera point pardonné[5] ? » Il ne se mettait donc pas même au rang du Saint-Esprit. On ne l’appela « fils de Dieu » qu’après sa mort. C’était l’effet de l’exaltation et de la vénération croissante de ses partisans. Mais ces derniers n’attachaient pas à cette expression le sens qu’on lui donna plus tard. Ils considéraient Jésus comme le préféré de Dieu parmi sa nation, de même que celle-ci se croit, encore aujourd’hui, la préférée parmi les peuples. Ils appelaient Jésus : fils de Dieu comme ils se nommaient eux-mêmes : enfants de Dieu. La divinisation réelle de Jésus ne commença qu’avec la conversion des Gentils, et lorsque tous ceux qui l’avaient connu furent morts. Ce sont ces nouveaux arrivés — l’imagination encore pleine de leur mythologie — qui, ne pouvant concevoir Dieu qu’en le matérialisant à leur image et à leur ressemblance, interprétèrent le sens apparent du mot selon leurs idées étroites, et prêtèrent à leur nouvelle idole, après sa mort, ce que Jésus vivant ne s’était jamais attribué.

— Les Pharisiens, pour le faire condamner, n’allèguent cependant pas d’autre grief contre lui.

— Il fallait bien qu’ils eussent d’autres raisons, car les autorités romaines ne se mêlaient pas ordinairement de disputes religieuses[6]. C’est comme chef d’insurrection qu’ils ont fait condamner Jésus, car si quelques-uns de ses partisans voyaient en lui un prophète, un homme de Dieu, d’autres, plus patriotes que religieux, le considéraient déjà comme un nouveau Macchabée.

Il est certain que, pour les Pharisiens, cette accusation n’était qu’un prétexte afin de se débarrasser d’un homme qui leur portait ombrage et diminuait leur prestige, en dénonçant leurs pratiques et leurs inconséquences en matière de religion. Mais la multitude, et les disciples eux-mêmes, ne voyaient en Jésus qu’un chef d’insurrection, un futur libérateur du pays[7]. En effet, lors de la comparution de Jésus devant Pilate, ses accusateurs lui reprochèrent surtout d’avoir voulu soulever le peuple[8] et d’avoir défendu de payer l’impôt à César[9]. Et lorsque Pilate, ne le trouvant coupable d’aucun crime, voulut le délivrer, les ennemis de Jésus menacèrent le procurateur en disant : « Si tu délivres cet homme, tu n’es pas ami de César[10] », menace dénotant bien qu’ils considéraient Jésus comme un rebelle. Quant aux apôtres, nous avons déjà vu quelle était leur opinion sur Jésus. On lit, en effet, dans saint Luc, que, quelques jours après la mort de leur maître, les disciples, racontant son jugement et son supplice, ajoutèrent avec désappointement : « Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël ; et voici trois jours que ces choses sont arrivées[11]. »

— Cependant les miracles, dont ils furent témoins, auraient dû leur faire comprendre que Jésus était autre chose qu’un vulgaire insurgé.

— Les miracles dont parlent les évangiles ne sont que l’effet de la crédulité et de l’ignorance des esprits simples. Convaincu que, depuis Adam, le Créateur, ayant achevé son œuvre, ne s’occupait plus que de l’homme, le Juif voyait partout le doigt de Dieu, et dans tout fait insolite, une action miraculeuse et divine. Mais attribuer à Jéhovah seul le mérite de cette action surnaturelle, ne pouvait pas longtemps suffire à des esprits qui, ayant déjà rapetissé leur dieu à leur niveau, devaient bientôt faire de l’homme lui-même un dieu.

La faculté d’accomplir des miracles devint la caractéristique de tout prophète, et, au temps de Jésus, presque tous les rabbis passaient pour des thaumaturges. Ils exerçaient leur pouvoir principalement en médecine, art dans lequel il est très difficile de se rendre compte des causes et des effets, et où, jusqu’à présent encore, des hommes très intelligents, très instruits, les médecins eux-mêmes sont maintes fois dupes des apparences. Une guérison obtenue par ces rabbis et grâce à des moyens différents de ceux employés ordinairement par les médecins, était considérée comme miraculeuse. Chez les Juifs, ces cures merveilleuses furent d’autant plus fréquentes qu’on s’adressait rarement, en cas de maladie, à l’homme de l’art. C’était même un péché que d’avoir recours au médecin[12] ; la maladie étant considérée comme la punition d’une faute[13], il fallait, pour en guérir, implorer le pardon, et, pour cela, s’adresser, non pas au médecin, mais au représentant de Dieu[14]. Aussi la simple rémission du péché était-elle regardée comme la guérison même de la maladie[15].

Jésus devait nécessairement avoir, dans ces sortes de cures, plus de succès qu’aucun de ses pareils. Premièrement, parce que plus doux et plus compatissant que les autres rabbis, il absolvait plus facilement[16] ; secondement, parce que, tout en prêchant, Jésus, comme presque tous ceux de sa secte, les Esséniens, pratiquait la médecine. Il soulageait ainsi réellement quelques malades, et, dans les cas simples, obtenait souvent des guérisons. Seulement, comme il ne se disait pas médecin, on trouvait ses cures plus extraordinaires, et, comme cela arrive presque toujours, on exagéra ses succès.

Aujourd’hui encore ne voyons-nous pas des hommes, n’ayant aucune notion de médecine, passer, néanmoins, aux yeux de la multitude, pour d’habiles guérisseurs ? On cite par centaines les malades qu’ils ont soulagés, et, au besoin, on affirme avoir été témoin de certaines cures vraiment miraculeuses. Tel qui avait un simple rhume, passe pour avoir été poitrinaire ; tel autre eut un rhumatisme, on dit qu’il était paralysé et abandonné de tous les médecins. Le premier fut guéri en avalant quelques gouttes d’un liquide rouge, le second par quelques passes de la main sur le corps. Si l’homme, qui est censé avoir opéré toutes ces guérisons, est un individu vulgaire, il passe pour sorcier ; si, au contraire, c’est un homme d’une certaine valeur, s’il est prêtre surtout, et si, en outre, il est homme de bien, une foule de fables, plus absurdes les unes que les autres, circulent sur son compte, et, après sa mort, on en fait un saint. On lui compose alors une biographie plus ou moins fantaisiste ; des circonstances extraordinaires y accompagnent sa naissance ou sa mort ; les guérisons qu’il a obtenues pendant sa vie deviennent autant de miracles ; et on voit apparaître des brochures relatant la vie et les actes de ce personnage extraordinaire tels que la populace ignorante et idolâtre les a créés.

Or, si de tels contes s’accréditent aujourd’hui, au vingtième siècle, combien plus de pareilles absurdités durent-elles avoir de succès à une époque bien plus éloignée de nous, et dans un moment où la crédulité et la superstition étaient arrivées à leur apogée !

Les Juifs, comme nous l’avons déjà dit, se trouvaient alors sous la domination romaine, et, depuis longtemps, dans leur espoir et leur ardent désir de reconquérir leur indépendance, ils attendaient un sauveur. La fable de Moïse sauvant leurs ancêtres de l’Égypte, et leur croyance d’être seuls les élus de Dieu, leur inspiraient cette conviction qu’un libérateur au moins égal, et même supérieur au premier, ne tarderait pas à surgir de leur milieu. Plusieurs prédicateurs (rabbis, prophètes) se présentèrent pour tels. Les uns, comme Theudas et Judas, ne furent que des imposteurs. D’autres, comme Dosithée et Simon le Magicien, furent des illuminés et des visionnaires qui prirent au sérieux le rôle que le fanatisme, l’ignorance et aussi, disons-la à l’honneur des Juifs, le patriotisme avaient seuls engendré.

Tous y perdirent la vie, mais chacun laissa des adeptes qui propagèrent ses doctrines, et qui, de même que les apôtres de l’évangile, prouvèrent, en s’appuyant également sur des passages incohérents et incompréhensibles de la Bible, que leur maître était le vrai Messie. Plusieurs de ces sectes subsistèrent pendant longtemps, les Dosithéens, entre autres, en Égypte, encore au sixième siècle.

Ainsi, la croyance à un sauveur — et à un sauveur à miracles comme Moïse[17] — était généralement répandue parmi le peuple et entretenue non seulement par des prédications continuelles, mais encore par une sorte de pressentiment d’une lutte prochaine et décisive. On interrogeait, pour ainsi dire, chaque visage ; et comme le sauveur attendu devait être en même temps un prophète, c’est surtout parmi les rabbis qu’on cherchait à le reconnaître.

Jésus devait d’autant plus attirer sur lui l’attention de la multitude, que, pour la première fois, celle-ci voyait un rabbi prêchant l’égalité des hommes et promettant le royaume du ciel même au réprouvé. Mais ce qui le rendait surtout populaire, c’était son abaissement volontaire au niveau des humbles et des petits avec lesquels il ne dédaignait pas de fraterniser, son indulgence pour les fauteurs, sa charité à l’égard des souffrants, sa patience et sa douceur. Toutes ces qualités, d’autant plus éclatantes qu’elles contrastaient avec l’arrogance et la dureté du commun des prêtres, lui gagnaient les cœurs et le firent considérer — effet inévitable de l’amour des sincères — comme un homme extraordinaire. Il devint prophète, libérateur du pays, et, après sa prétendue résurrection, le messie attendu. Alors les guérisons qu’il avait obtenues pendant sa vie se trouvèrent centuplées. Ce ne fut plus seulement par l’application de certaines pommades, faites de poussière et de crachats[18], qu’il parvint à guérir des aveugles[19] et des sourds[20], mais rien qu’en les touchant[21] ; et — la vénération de ses disciples augmentant — il lui suffit de dire au mal : « Va-t-en ![22] » ou « Je le veux ![23] » pour que le miracle s’accomplisse. On crut se rappeler qu’il avait chassé des mauvais esprits[24], que les démons l’apostrophaient en l’appelant fils de Dieu[25], qu’ils se précipitaient à sa voix dans un troupeau de pourceaux[26], et tant d’autres niaiseries témoignant plutôt de la faiblesse et de la simplicité d’esprit des apôtres que de la divinité de leur maître.

On peut, du reste, se rendre compte de ce qu’étaient les disciples des rabbis d’alors par ce qu’ils sont encore aujourd’hui chez les Juifs orthodoxes.

Jusqu’à présent, dans les pays où les Juifs ne sont pas encore émancipés, et où, considérés comme des étrangers, ils sont obligés de continuer à vivre avec leurs souvenirs et leurs traditions, ils ont, en dehors des rabbins (prêtres), des rabbis (maîtres, voyants). Les premiers ne sont pour eux que des sortes de Saducéens, des hérétiques, bons pour ceux de leurs coreligionnaires qui ont adopté les coutumes et les mœurs des Gentils ; les seconds, au contraire, sont seuls considérés comme hommes de Dieu. Toutefois, pour être digne de son titre, le rabbi doit non seulement être un savant (un savant est celui qui connaît à fond sa religion et passe sa vie à interpréter les écritures), mais encore, formant école, s’entourer de disciples qui adoptent et propagent son enseignement. Tous ces hommes, très versés dans la bible et ses commentaires (talmud), dont ils exécutent scrupuleusement les commandements et les prescriptions, sont d’une ignorance absolue pour tout ce qui n’a pas, à leurs yeux, un caractère sacré.

Les disciples ont pour leur maître une vénération sans bornes allant jusqu’à l’idolâtrie. Ils racontent à son sujet une foule de fables ; s’extasient sur sa façon de prier ; lui trouvent de la ressemblance avec Moïse, Élie ou David, et, lorsqu’il ouvre la bouche pour parler, ils boivent ses paroles et répètent, avec toute l’exagération du fanatisme et de l’ignorance, ce qu’il a dit et même ce qu’il n’a pas dit, croyant avoir deviné de nouveaux enseignements sous certaines expressions allégoriques. Car parler en paraboles est une habitude, presque une nécessité, un don exclusif du rabbi. Le fanatisme va même jusqu’à lui attribuer des miracles. S’il pleut après une longue sécheresse, c’est aux prières du rabbi qu’on le doit. Il guérit les malades rien qu’en les touchant, et parfois sa seule présence suffit. Il chasse enfin les mauvais esprits. J’ai été témoin d’un de ces miracles.

Dans un petit village russe, un rabbi et ses disciples, revenant d’une noce, où le premier avait peut-être renouvelé le miracle de Cana[27], s’arrêtèrent dans une auberge pour y passer la nuit. Ils couchèrent tous dans une immense chambre dont, sans doute par oubli, la porte, donnant sur le corridor, avait été laissée entr’ouverte… Tout à coup, des murmures confus se font entendre… Le bruit augmente… On arrive : les disciples, assis ou debout sur leurs lits, gesticulent et s’embrassent… De quoi s’agit-il ?… C’est leur rabbi qui vient de chasser un mauvais esprit !… « Il était tout petit, à quatre pattes, avait une queue qui remuait constamment de droite à gauche et de gauche à droite et des yeux tellement brillants qu’ils semblaient des charbons ardents ! »… Ce mauvais esprit était, tout bonnement, un gros chat, qui, passant par la fenêtre, s’était sauvé sur le geste impératif du rabbi : « Je t’ordonne de sortir ! » (Textuel.)

Après la mort de leur rabbi, et pendant longtemps, les disciples ont presque toujours des visions où leur maître joue le principal rôle. Il leur apparaît en songe, leur parle de ce qui se passe au ciel, de la place qu’il y occupe à côté d’un prophète ou d’un autre rabbi. Leur vénération pour le maître augmente encore, et une foule de faits extraordinaires, qui leur avaient échappé pendant sa vie, leur reviennent à la mémoire.

Or, si l’ignorance, la superstition, la vénération pour les rabbis sont, encore aujourd’hui, si grandes chez les Juifs orthodoxes, combien plus grandes n’étaient-elles pas, il y a dix-neuf siècles, à cette époque de troubles, d’espérances et d’effervescence religieuse poussée jusqu’au paroxysme du délire ! Qu’y a-t-il donc d’étonnant que des hommes si inquiets et si stupidement crédules ; nourris de fables absurdes ; admettant l’existence des sorciers, des esprits, des revenants ; voyant dans chaque phénomène inexplicable pour eux un miracle ou je ne sais quelle réalisation extravagante de quelque prophétie ; se croyant tour à tour en rapport soit avec Dieu et ses anges, soit avec le diable et ses démons ; voyant des prophètes et des démoniaques où il n’y eut que des hallucinés[28] et des épileptiques[29] ; qu’y a-t-il, dis-je, d’étonnant, en présence des fables absurdes débitées sur le compte de Jésus, s’ils le considérèrent comme au-dessus de l’humanité, et firent de lui, comme ils avaient fait de tant d’autres, un être divin ? Et, une fois sur cette pente, était-il donc difficile pour des rêveurs, des visionnaires, n’ayant pour toute science que la Bible et ses commentaires, d’y trouver une quantité de citations concordant avec la vie, les actes et la fin de cet homme ? L’idée de lui attribuer une naissance en dehors des lois de la nature et un pouvoir surnaturel, une mission en rapport avec leur croyance et leur ardent désir, s’imposa naturellement à leur esprit avec d’autant plus de force, que ces attributs s’harmonisaient avec leur manière d’expliquer certaines allégories et allusions sans portée de l’Ancien Testament.

— Ainsi, d’après toi, Jésus n’était qu’un simple prédicateur, à l’égal de ces rabbis dont tu viens de parler ?

— On ne peut pas dire qu’il ressemblait tout à fait à ceux d’aujourd’hui, vu la différence des deux époques. Le rabbi d’aujourd’hui est un être inoffensif, sans grande autorité, n’ayant de prestige que dans un milieu très restreint. Il croit au Messie, mais c’est une croyance toute platonique, plutôt un désir qu’une conviction. Après dix-neuf siècles de persécutions, il est devenu indifférent, apathique, n’ayant ni colère, ni rancune contre l’oppresseur, et attendant patiemment qu’il plaise à Dieu de le délivrer. Il prêche pour prêcher, mais ne cherche pas à convertir personne. Tout autre était le rabbi d’autrefois. Quoique sous la domination romaine, les Juifs avaient gardé toute leur autonomie. Les rois, bien qu’étrangers à la Judée et imposés par Rome, suivaient la religion juive, et gouvernaient d’après les lois du pays. Le grand-prêtre avait une autorité presque égale à celle du roi, et cette autorité rejaillissait naturellement sur le clergé tout entier. Mais cette puissance, toute grande qu’elle fût, ne lui suffisait pas. Avec la liberté de conscience introduite par les Romains, beaucoup se dérobaient à son intolérance, et, malgré sa toute puissance, des défections nombreuses eurent lieu. Les sectes se multiplièrent, et aux troubles politiques s’ajoutèrent les luttes religieuses. C’était alors véritablement le règne et le succès des prédicateurs. Les uns en profitaient pour fomenter des troubles, les autres pour gagner des prosélytes. Les premiers, comme perturbateurs de l’ordre public, furent généralement exécutés par les autorités romaines ; les seconds, surtout ceux qui s’écartaient des doctrines des prêtres, furent, comme sectaires, poursuivis par le clergé. Jésus s’était d’autant plus attiré la haine de ce dernier, qu’il ne se contentait pas de prêcher des doctrines différentes des siennes, mais qu’il dévoilait en même temps son arrogance et sa tyrannie vis-à-vis du peuple[30]. Il n’en fallait certes pas davantage pour le perdre. Mais plus Jésus était haï par le prêtre, et plus il devenait l’idole du peuple. Autant, en effet, il montrait de mépris pour le premier, autant il avait d’affection pour le second. Il vivait et mangeait avec les plus humbles[31], les soignait, les consolait et les relevait, par des discours d’égalité[32], de l’abaissement moral dans lequel les tenait le prêtre. Aussi ses premiers partisans sont-ils exclusivement des enfants du peuple, et ses premiers disciples ne sont que des péagers et des pêcheurs. La mort seule pouvait assouvir la haine du clergé contre un tel homme, et il le poursuivit jusqu’à ce que la croix l’eut vengé de Jésus, comme le poison avait vengé le prêtre grec de Socrate, comme plus tard le bûcher vengera Rome de Jean Huss. Mais les maximes de Jésus étaient trop du goût du peuple pour ne pas survivre à leur auteur. Les disciples continuèrent l’œuvre de leur maître ; et bientôt les synagogues furent désertées, le prestige du clergé perdu, sa puissance anéantie. Le christianisme, ainsi que l’avait fait son fondateur, chassait les marchands des temples. Mais Satan veillait ! et si Jésus sut résister aux tentations, son église succomba peu à peu à l’attrait des richesses et de la puissance entrevues. Les maximes de Jésus furent remplacées par des fables créées sur son compte, et bientôt le paganisme fut surpassé. Les temples se rouvrirent, la caste sacerdotale, et avec elle le prêtre, le même que Jésus avait tant stigmatisé, reparut dans le monde. Les puissants ne firent alors aucune difficulté pour accepter une religion qui, tout d’abord, les avait effrayés. Avec le prêtre et ses fables, ils eurent tout ce qu’il leur fallait pour maintenir les masses dans l’ignorance, les dominer, et s’en faire, de nouveau, un instrument aveugle et docile de leur ambition.




  1. Jean VIII, 40.
  2. C’est-à-dire prophète. (Voyez Ézéchiel presque à chaque chapitre.) Expression très fréquemment employée dans les quatre évangiles.
  3. Matth. XVI, 20 ; Luc IV, 41 ; IX, 20, 21.
  4. Matth. XXI, 11, 46 ; Luc VII, 16 ; XXIV, 19 ; Jean IV, 19 ; VI, 14 ; VII, 40 ; Act. III, 22.
  5. Matth. XII, 32 ; Luc XII, 10.
  6. Act. XVIII, 15 ; XXV, 18, 19, 20.
  7. Act. I, 6.
  8. Luc XXIII, 5, 14.
  9. Id. XXIII, 2.
  10. Jean XIX, 12.
  11. Luc XXIV, 21.
  12. II Chron. XVI, 12.
  13. Lévit. XIV, 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20 ; XV, 15, 30 ; Jean, IX, 2.
  14. Lévit. XIII, 2 et suiv. ; XIV, 2 ; Jacques V, 14, 15.
  15. Matth. IX, 2-7 ; Marc II, 5, 10, 11 ; Luc, V, 20, 24 ; Jean V, 14.
  16. Matth. IX, 2, 3 ; Marc II, 5 ; Luc V, 20 ; VII, 47, 48 ; Jean VIII, 11.
  17. Deut. XVIII, 15, 18 ; Jean I, 45 ; Act. III, 22 ; VII, 37.
  18. Marc VII, 33 ; VIII, 23 ; Jean IX, 6.
  19. Marc VIII, 22, 23.
  20. Id. VII, 32, 33.
  21. Matth. VIII, 3 ; IX, 29, 30 ; XX, 34 ; Marc I, 31 ; Luc IV, 40 ; XIII, 13.
  22. Matth. VIII, 32 ; Marc I, 25, 26 ; X, 52, 53 ; Luc IV, 35.
  23. Matth. VIII, 3-15 ; Marc I, 41, 42 ; IX, 25, 26 ; Luc XVIII, 42, 43 ; Jean V, 8.
  24. Matth. VIII, 31, 32 ; XII, 22 ; Marc I, 25, 26 ; V, 8 ; VII, 29, 30 ; IX, 25, 26 ; Luc IV, 35 ; VIII, 29 ; XI, 14.
  25. Matth. VIII, 29 ; Marc I, 24 ; III, 11 ; Luc IV, 34, 41 ; VIII, 28.
  26. Matth. VIII, 32 ; Luc VIII, 33.
  27. Je prie le lecteur de ne pas voir un persiflage dans ce que je dis. Les rabbis sont invités aux noces, non seulement pour bénir les nouveaux mariés, mais aussi pour faire acte de rabbi, c’est-à-dire pour accomplir quelque miracle. Le plus souvent cette occasion leur est offerte par des chrétiens eux-mêmes. Si, par exemple, des pierres lancées par ces derniers (chose qui arrive habituellement aux noces juives dans les villages de Russie) n’atteignent personne, c’est le rabbi qui, par sa présence, a protégé les enfants de Dieu ; s’il y a un ou deux blessés, c’est encore à lui que l’on doit de n’en avoir pas un plus grand nombre ; et si c’est le rabbi lui-même qui est estropié, alors satisfaction générale, car le maître, ayant souffert pour tout le monde, montera certainement au ciel.
  28. Voir l’Apocalypse.
  29. Matth. XVII, 15 ; Marc IX, 17, 18 ; Luc IX, 38, 39.
  30. Matth. XXIII, 2-7, 13-15 ; Marc XII, 38-40 ; Luc XI, 39-52 ; XX, 46-47.
  31. Matth. IX, 10, 11 ; Marc II, 15, 16 ; Luc V, 29, 30, 31.
  32. Matth. XXIII, 12 ; Luc XIV, 11 ; XVIII, 14.