Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/La Fortune et le jeune Enfant

La bibliothèque libre.

XI.

La Fortune & le jeune Enfant.


Sur le bord d’un puits tres-profond,
Dormoit étendu de ſon long
Un Enfant alors dans ſes claſſes.
Tout eſt aux Ecoliers couchette & matelas.

Un honneſte homme en pareil cas
Auroit fait un ſaut de vingt braſſes.
Prés de là tout heureuſement
La Fortune paſſa, l’éveilla doucement,
Luy diſant, Mon mignon, je vous ſauve la vie.
Soyez une autre fois plus ſage, je vous prie.
Si vous fuſſiez tombé, l’on s’en fuſt pris à moy :
Cependant c’eſtoit voſtre faute.
Je vous demande en bonne foy
Si cette imprudence ſi haute
Provient de mon caprice ? Elle part à ces mots.
Pour moy j’approuve ſon propos.
Il n’arrive rien dans le monde
Qu’il ne faille qu’elle en réponde.
Nous la faiſons de tous Echos.
Elle eſt prise à garand de toutes avantures.

Eſt-on ſot, étourdi, prend-on mal ſes meſures ;
On penſe en eſtre quitte en accuſant ſon ſort.
Bref la Fortune a toujours tort.