La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 13

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Chapitre XII.


La somme du bien-être s’est accrue pour les animaux, et en même temps celle des souffrances a diminué par la création des races carnivores.


Avant que nous procédions à l’étude des preuves d’une intelligence créatrice, tirées de la structure des races carnivores qui se sont éteintes après avoir habité notre globe aux temps reculés de son histoire, il est bon que nous examinions brièvement ce plan universel d’après lequel, à toutes les époques, un système de destruction générale, contrebalancé par un renouvellement continuel, a contribué à accroître pour les animaux la somme du bien-être sur la surface tout entière du globe.

Parmi les prévisions les plus importantes dont nous trouvons la preuve dans l’anatomie de ces animaux anciens, plusieurs sont propres aux organes qui leur ont été donnés pour saisir leur proie et la mettre à mort. Et comme des desseins dont la révélation nous est fournie par des instrumens évidemment façonnés dans un but de mort et de destruction, peuvent au premier abord sembler mal en harmonie avec le plan d’une création toute fondée sur la bienveillance, et tendant à produire la plus grande somme de bien-être pour le plus grand nombre d’individus, il est bon que nous disions quelques mots sur l’histoire de cette quantité énorme d’animaux du monde ancien qui ne furent créés que pour détruire.

La mort une fois établie par le créateur comme une irrévocable condition de la vie, il a dû entrer dans ses desseins de bienveillance de rendre aussi doux que possible pour chacune de ses créatures ce triste terme de toute existence. Or, la mort la plus douce, un proverbe le dit, est celle qu’on attend le moins ; et, bien que pour des raisons morales et propres à notre espèce, nous demandions au ciel de détourner de nous cette fin subite, il n’en est pas moins vrai que pour les animaux c’est là ce qu’il y a de plus désirable. Les douleurs de la maladie, la décrépitude de la vieillesse, sont les précurseurs ordinaires de la mort, lorsqu’elle est amenée par un affaiblissement graduel. C’est dans l’espèce humaine seulement que tous ces maux sont susceptibles d’allégemens, car nous possédons en nous des sources nombreuses d’espérance et de consolation, et c’est au sein des douleurs que l’humanité trouve à développer les sentimens de charité les plus élevés et les sympathies les plus tendres. Mais rien de semblable à ces facultés n’existe dans les animaux inférieurs. Là, point de tendresse, point d’égards pour ceux qui sont faibles ou cassés par les années : aucun soin n’y vient alléger les douleurs de la maladie ; et la vie, prolongée jusqu’aux époques reculées du déclin et de la vieillesse, ne serait pour chaque être qu’une série de longues misères. Avec un pareil système, la nature offrirait le spectacle quotidien d’une somme de souffrances énorme, si on venait à la comparer avec la somme de jouissantes qui a été accordée aux animaux. Dans ce système, au contraire, où les êtres sont soudainement détruits et promptement remplacés, tout ce qui est faible ou cassé est bientôt délivré de ses maux, et le monde n’est habité que par des myriades d’êtres doués de toutes leurs facultés et jouissant de tous les bienfaits de l’existence ; et si, pour un grand nombre, la part de vie qui leur est accordée n’a que bien peu d’étendue, du moins peut-elle être considérée comme un bienfait non interrompu, et la douleur momentanée d’une mort soudaine et inattendue n’est plus qu’un mal bien léger, si on le compare aux jouissances dont elle vient arrêter le cours.

Ainsi donc, des deux grandes divisions dans lesquelles se sont toujours partagés les habitans du globe, herbivores et carnivores, ces derniers, dont l’existence semble au premier abord avoir pour but d’accroître la somme des maux pour tous les êtres animés qui les entourent, nous apparaissent sous un point de vue tout opposé, dès que nous venons à les considérer dans l’ensemble de leurs rapports.

À tout homme qui dans l’économie de la nature ne s’élève pas jusqu’aux résultats généraux, le globe peut paraître le théâtre d’une guerre incessante et d’un carnage sans règle. Mais toutes les fois qu’un esprit plus large étudie les individus dans leurs rapports avec le bien général de leur propre espèce, et aussi des autres espèces qui lui sont associées dans la grande famille de la nature, il ramène bientôt tous les cas isolés, où le mal paraît se montrer, à servir d’exemple qui prouve combien tout est subordonné à un système dé bien-être universel.

Dans cette manière d’envisager les choses, non seulement la somme totale des jouissances auxquelles sont appelés les animaux s’est agrandie par la création des races carnivores, mais ces dernières sont une source de bienfaits même pour les races herbivores soumises à leur terrible domination.

Outre le bienfait si désirable d’une mort qui vient les saisir au moment où va commencer la maladie ou la caducité, il en est un autre encore dont sont redevables a l’existence des carnivores les espèces mêmes qui deviennent leur proie ; c’est la sorte de contrôle que ces derniers exercent sur leur accroissement excessif, en détruisant un grand nombre d’individus pleins de jeunesse et de vigueur. Sans ce frein salutaire, chaque espèce s’accroîtrait à un tel point que, bientôt arrivée à une exubérance funeste, elle ne trouverait plus à se nourrir, et que le groupe tout entier des herbivores désolé par le fléau de la famine ne se composerait plus que d’êtres dont chaque jour des milliers seraient enlevés par la mort lente et cruelle de la faim. Tout ces maux ont été prévenus par l’établissement du pouvoir destructeur des carnivores. Leur action contient chaque espèce dans des limites convenables. Les malades, ceux qui sont estropiés, où affaiblis par l’âge, ceux qui dépassent le nombre fixé dans les prévisions providentielles, sont immédiatement dévoués à la mort ; et en même temps qu’ils sont ainsi délivrés des maux qui les affligeaient, leurs cadavres servent de pâture aux carnivores leurs bienfaiteurs, et la place qu’ils laissent accroît d’autant le bien-être des animaux de leur espèce qui leur survivent pleins de santé.

Cette même police de la nature qui est pour les animaux terrestres un bienfait si grand, s’étend de même sur les habitans des mers et n’est pas pour eux un moindre bienfait. Parmi ces derniers en effet, il y a, de même que parmi les premiers, toute une grande division qui ne se nourrit que de végétaux, et qui fournit la pâture à toute l’autre division, laquelle ne peut se nourrir que de chair. Or, ici comme dans le premier cas, il est facile de voir que, si l’on suppose l’absence des carnivores, les herbivores, dont rien ne limitera la multiplication, s’accroîtront indéfiniment, sans autre terme que celui que viendra leur imposer la famine, et que, par une inévitable conséquence, la mer ne sera plus peuplée que de créatures chétives traînant misérablement leur existence à travers toutes les horreurs de la faim à laquelle ils devront infailliblement succomber tôt ou tard.

La mort ainsi donnée par la dent des carnivores, si on la considère comme le terme ordinaire de la vie chez les animaux, nous apparaît sous le point de vue de ses résultats comme un bienfait. Elle sauve un grand nombre d’entre eux de toute cette somme de douleurs, compagne inséparable de la mort naturelle chez tous les êtres animés ; elle abrège, elle supprime même pour tous les êtres créés inférieurs à l’homme les misères de la maladie, les accidens et les langueurs de la décrépitude ; elle réprime si salutairement leur multiplication excessive que le nombre de ceux qui restent est exactement celui qui peut trouver à satisfaire tous ses besoins. Aussi la surface de la terre et les profondeurs des mers sont-elles habitées par des milliards de créatures animées dont le bien-être dure autant que la vie, et qui, pendant le petit nombre de jours qui leur sont accordés, s’acquittent avec joie des fonctions pour lesquelles elles ont été faites. La vie, pour chacun de ces êtres, n’est qu’un festin continuel au sein de l’abondance. Une mort prématurée vient-elle en arrêter le cours ; c’est un intérêt qu’il paie, intérêt bien faible pour la dette qu’il a contractée envers le fonds commun destiné à l’alimentation de l’ensemble des animaux, et auquel il a puisé tous les matériaux qui entrent dans la composition de son corps. C’est par ce moyen que le grand drame de la vie universelle se continue sans relâche ; et quoique les acteurs, si on les considère comme individus, changent à chaque instant, chaque rôle n’en demeure pas moins rempli sans interruption, les générations succédant aux générations. Ainsi la face de la terre et le sein des mers se renouvellent sans cesse, et la vie se transmet avec le bien-être par un héritage qui ne s’épuise jamais.