La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 14

La bibliothèque libre.




Chapitre XIV.


Preuves de l’existence d’un plan primitif, tirées de la structure des animaux vertébrés fossiles.


SECTION I.


MAMMIFÈRES FOSSILES — DINOTHÉRIUM.


Je crois en avoir dit assez dans les chapitres qui précèdent pour que l’on comprenne combien il est important que l’étude des restes organiques vienne éclairer cette branche de la théologie physique dont nous nous occupons maintenant.

L’organisation du plus grand nombre des mammifères fossiles, même les plus anciens, diffère en si peu de points importans de celle de leurs représentans actuels dans les divers ordres que je me dispenserai d’entrer dans des détails d’où ressortiraient certainement des preuves d’une intelligence créatrice, mais des preuves dont il est bien peu qui ne ressortent également de l’anatomie des espèces vivantes.

Je bornerai donc mes observations à deux genres éteints, les plus remarquables peut-être des mammifères fossiles, soit pour leur taille, soit pour les particularités sans exemple de leur construction anatomique. Le premier est le dinothérium, le plus grand des mammifères terrestres qu’il y ait jamais eu ; le second, le mégathérium, celui qui s’écarte le plus des formes animales ordinaires, soit parmi les fossiles, soit parmi les espèces récentes.

Nous avons déjà dit, en parlant des mammifères de la période miocène de la série tertiaire, que les restes les plus abondans du dinothérium ont été rencontrés à Eppelsheim dans la province de Hesse-Darmstadt, et qu’on les trouve décrits dans un ouvrage du professeur Kaup qui se publie maintenant. Cuvier en cite aussi quelques exemples, comme ayant été rencontrés sur certains points de la France, de la Bavière ou de l’Autriche.

Les molaires du dinothérium[1] ressemblent assez à celles des tapirs pour que Cuvier ait cru primitivement devoir les rapporter à une espèce gigantesque de ce dernier genre. Depuis, le professeur Kaup a établi pour cet animal le genre dinothérium, intermédiaire entre les tapirs et les mastodontes, et qui remplit une lacune importante dans le grand ordre des pachydermes. La plus grande espèce, le dinothérium giganteum, a dû atteindre, d’après M. Cuvier et M. Kaup, la taille extraordinaire de dix-huit pieds en longueur. L’os le plus remarquable qu’on en ait encore trouvé est une omoplate qui par sa forme rappelle plus celle de la taupe que d’aucun autre animal, et semble indiquer ainsi une conformation particulière du membre antérieur destinée à creuser la terre, indication que vient confirmer la structure particulière de la mâchoire inférieure.

Ce dernier os offre, dans la disposition des défenses chez les deux espèces connues[2], des particularités que l’on n’a encore rencontrées jusqu’ici dans aucune autre espèce vivante ou fossile.

Ansi que nous l’avons déjà dit, le dinothérium[3], par ses molaires, se rapproche des tapirs plus que d’aucun autre genre ; mais un caractère qui l’en éloigne, ainsi que de tout autre quadrupède connu, c’est l’existence de deux énormes défenses portées à l’extrémité antérieure du maxillaire inférieur, et recourbées en bas comme celles qui existent à la mâchoire supérieure du morse[4].

Bornons-nous, pour le moment, à citer cette particularité dans la position des défenses, et voyons ce que nous en pourrons conclure relativement aux habitudes des animaux auxquels elles appartiennent. D’abord les lois de la mécanique nous prouvent que des maxillaires longs de près de quatre, pieds, et chargés à leur extrémité de défenses aussi lourdes, n’eussent été pour un quadrupède habitant la terre ferme qu’un incommode fardeau. Il n’en eût pas été de même d’un grand mammifère destiné à vivre dans les eaux ; et les habitudes aquatiques de la famille des tapirs, si voisins du dinothérium, ajoutent un nouveau poids à l’opinion que ce dernier habitait, comme eux, l’eau des grands lacs et des rivières. Dans cette hypothèse, le poids de défenses semblables étant soutenu par les eaux n’aurait eu rien de gênant pour l’animal qui les portait, et si nous les supposons employées à fouiller et à déraciner les végétaux du fond de ces amas d’eau, c’eussent été des instrumens réunissant à la fois le pouvoir mécanique de la pioche à celui de la herse à cheval dont se sert l’agriculture moderne. L’énorme tête qui les surmontait, en pesant de tout son poids sur les défenses, eût encore ajouté à leur action dans cette hypothèse, de la même manière que l’action de la herse s’accroît par les poids dont on la charge.

Les défenses du dinothérium ont encore pu lui être d’un grand avantage pour fixer sa tête au rivage en tenant ses narines hors de l’eau, de façon à pouvoir respirer en sûreté pendant le sommeil, en même temps que le corps flottait avec aisance au dessous de la surface liquide. L’animal pouvait reposer ainsi amarré au rivage du lac ou de la rivière qu’il avait pour habitation sans le moindre déploiement de force musculaire, le poids de la tête et du corps tendant à fixer et à enfoncer les défenses de la même manière que le poids du corps d’un oiseau endormi a pour action d’étreindre davantage les serres autour de la branche sur laquelle il est perché ; peut-être aussi les employait-il à se traîner hors des eaux, comme le morse en a l’habitude ; enfin ce devaient être de formidables instrumens de défense.

La structure de l’omoplate, dont il a déjà été question, semble prouver que les pieds antérieurs étaient organisés de façon à concourir avec les défenses et les dents pour arracher les grands végétaux du fond des eaux. La longueur énorme que l’on assigne au corps eût été sans inconvénient pour un animal vivant dans l’eau, elle eût au contraire grandement embarrassé un quadrupède habitant la terre ferme.

Ainsi tous ces caractères d’un quadrupède gigantesque herbivore et habitant des eaux constituent un ensemble de dispositions en harmonie avec l’état du globe couvert de lacs, durant cette portion de la période tertiaire à laquelle paraît avoir été limitée l’existence de ces créatures en apparence si anormales.


SECTION II.


MÉGATHÉRIUM.


Comme il nous serait tout à fait impossible, dans un traité de la nature de celui-ci, de décrire d’une manière détaillée la structure ne fût-ce que d’un petit nombre des mammifères fossiles que le génie de Cuvier a pour ainsi dire restitués à la vie, nous allons essayer de rendre sensible, en prenant pour exemple une seule espèce, la méthode d’investigation analytique qui a guidé ce grand philosophe dans l’anatomie des animaux récens ou perdus.

Le résultat de ses recherches, ainsi qu’il l’expose dans son ouvrage sur les ossemens fossiles, a été de démontrer que tous les quadrupèdes fossiles, quelles que soient leurs différences génériques ou spécifiques, ont été créés d’après le même plan général et la même base systématique d’organisation que les espèces maintenant vivantes ; et dans les applications différentes d’un type commun à des fonctions diverses subordonnées aux diverses conditions du globe, il fait voir une conformité de desseins si universelle, que nous ne pouvons achever la lecture de ces volumes admirables sans en emporter la conviction profonde qu’une vaste et puissante intelligence a présidé a tous tes systèmes de création passés et présens.

Rien ne peut surpasser en exactitude et en logique sévère les raisonnemens à l’aide desquels, dans tout le cours de son ouvrage, l’illustre auteur nous démontre l’action d’une sagesse providentielle, soit dans les rapports constant qui unissent les diverses parties des animaux les unes aux autres, soit dans les fonctions générales de l’ensemble de l’organisation. Rien de plus parfait que ses déductions, quand il passe en revue l’art admirable qui se déploie sous des formes variées presque à l’infini pour mettre chaque créature vivante en rapport avec ses diverses conditions d’existence. Ce qu’il dit de ces conditions d’existence si pleines d’intérêt et des combinaisons organiques qui y correspondent dans les éléphans vivans peut s’appliquer également bien aux espèces fossiles du même genre ; et l’on peut, à l’aide d’inductions semblables, passer des espèces vivantes aux espèces fossiles pour les divers genres qui, comme les rhinocéros, les hippopotames, les chevaux, les bœufs, les cerfs, les tigres, les hyènes et les loups, se rencontrent habituellement associés à l’éléphant fossile.

Pour atteindre le but que je me suis proposé, je prendrai comme exemple le mégathérium[5], fossile des plus extraordinaires. Sur plusieurs points de son organisation il se rapproche du paresseux. Comme lui il offre certaines monstruosités apparentes de formes extérieures, en même temps que certaines particularités étranges de structure interne que jusqu’ici l’on n’a pas encore bien comprises.

Les paresseux fournissent une exception remarquable aux conséquences que les naturalistes ont ordinairement tirées de l’étude de la structure et du mécanisme des organes chez les autres animaux. Que chaque partie du corps de l’éléphant ait été créée pour produire une force extraordinaire, de même que chacun des membres du cerf ou de l’antilope pour la vitesse et la légèreté ; c’est ce qui a frappé les yeux de tout observateur scientifique. Mais ç’a été un usage commun à tous les naturalistes, que d’imiter Buffon dans la description qu’il a donnée des paresseux, et de les représenter comme étant, de tous les animaux, ceux qui ont reçu l’organisation la plus imparfaite, comme des êtres pour lesquels aucune jouissance n’a été faite et qui n’ont été créés que pour la misère.

Ce qui est vrai, c’est que les paresseux sont, de tous les quadrupèdes vivans, ceux qui s’éloignent le plus de la structure ordinaire ; mais c’est une erreur que d’avoir regardé ces déviations comme des imperfections que ne contrebalance aucun avantage. Je me suis efforcé de montrer déjà, dans une autre circonstance[6], que toutes ces diverses conditions anormales, loin d’être des défauts ou des sources d’inconvéniens pour les paresseux, sont au contraire des exemples frappans des provisions variées à l’aide desquelles chaque créature a été organisée pour les conditions diverses dans lesquelles elle était appelée à vivre. Les mêmes particularités, qui rendent les mouvemens du paresseux si lourds, si pénibles à la surface du sol, conviennent au contraire merveilleusement à la vie pour laquelle il a été créé et qui doit se passer entièrement sur les arbres dont les feuilles forment sa nourriture. De même encore si nous considérons le mégathérium comme un animal créé pour creuser la terre et s’y nourrir de racines, nous verrons s’expliquer sa structure insolite et ses proportions en apparence anormales ; nous trouverons pour chaque organe des convenances relatives et des rapports étroits avec le but que cet organe devait remplir[7].

Je me propose maintenant d’entrer dans des détails minutieux sur quelques unes des parties les plus remarquables de cet animal, en l’étudiant dans ses rapports constans avec son mode particulier d’existence, et en me proposant pour but d’arriver à reconnaître tout un système de combinaisons admirablement coordonnées dans le mécanisme de cette créature en apparence la plus monstrueuse de toute la série animale, et la plus dépourvue de toute harmonie des proportions.

Ainsi donc nous avons devant nous un quadrupède gigantesque qui, au premier abord, ne paraît pas seulement disproportionné dans son ensemble, mais dont chacun des membres en particulier semble disposé d’une façon grossière et gauche, si nous les supposons placés dans les conditions des mêmes organes chez les mammifères ordinaires. Emparons-nous de ce fil qui est notre meilleur guide, notre guide essentiel toutes les fois que nous avons à étudier le mécanisme de l’organisation animale. Essayons-nous d’abord à conclure de l’ensemble et des propriétés de la machine la nature générale du travail auquel elle est destinée ; et, à l’aide des caractères tirés des parties les plus importantes, nous voulons dire des pieds et des dents, nous nous enquerrons du genre de nourriture que ces organes étaient destinés à saisir et à broyer. Ensuite nous verrons que chacun des autres organes s’acquitte de toutes ses fonctions dans une subordination harmonieuse envers ce but principal de toute économie animale.

Toutes les fois qu’il s’agit d’animaux ordinaires, le passage des diverses formes d’organisation les unes dans les autres se fait par des degrés si insensibles, et les diverses fonctions dans chaque espèce sont expliquées d’une manière si complète et si immédiate par les mêmes fonctions dans les espèces circonvoisines, que nous éprouvons rarement quelque difficulté à saisir la cause finale d’un arrangement quelconque à mesure qu’il s’offre à nos investigations anatomiques. Ceci est vrai surtout du squelette, lequel est la charpente de tous les autres mécanismes de l’organisation ; et cette partie est de la plus haute importance pour l’histoire des animaux fossiles dont il nous reste rarement autre chose que des os, des dents et des tégumens écailleux ou osseux. Mais je choisis de préférence le mégathérium, parce que ce sera pour nous un exemple des écarts les plus extraordinaires, et d’une apparence monstrueuse des plus tranchées, que cet animal gigantesque qui surpasse en volume les plus grands rhinocéros, et qui n’a pas, dans toute la nature vivante, de plus proches voisins en organisation que les genres non moins anormaux des paresseux, des tatous et des chlamiphores, dont le premier est organisé pour le but spécial de vivre sur les arbres, et les deux derniers pour s’en terrer dans le sable où ils cherchent tout à la fois la nourriture et l’abri, et qui tous trois, quant à leur distribution géographique, Sont resserrés à peu près dans les mêmes contrées américaines où vécut jadis le mégathérium.

Je n’aborderai pas ici les questions encore douteuses de l’âge précis des dépôts où se trouve le mégathérium et des causés qui l’ont fait disparaître ; mon but est de faire voir que les anomalies apparentes de ses diverses parties tiennent en réalité à un système d’arrangemens sages et parfaitement coordonnés pour le mode de vie spécial auquel il avait été destiné. Nous allons donc étudier, en nous conformant à l’ordre suivant lequel ils ont été décrits par Cuvier, ses organes les plus importans, en commençant par la tête, pour arriver ensuite au trône et aux extrémités.


Tête.


La tête osseuse[8] ressemble beaucoup à celle du paresseux ; l’os long et large (b) qui descend de l’arcade zygomatique le long de la joue le rapproche beaucoup plus de l’aï que de tout autre mammifère ; cette pièce remarquable dut être un auxiliaire important pour les muscles moteurs de la mâchoire, dont la puissance excédait les limites ordinaires.

La partie antérieure du museau est tellement développée et massive, et en même temps tellement criblée de trous pour le passage de nerfs et de vaisseaux, que nous sommes autorisés à affirmer que là devait exister un organe d’un volume considérable. Une trompe alongée eût été complètement inutile à un animal dont le cou était aussi long ; ce devait être un nez analogue à celui du tapir, et assez alongé pour saisir des racines à la surface du sol. La cloison des narines, également solide et osseuse, est une nouvelle preuve de la présence en ce point d’un organe puissant, d’un appareil destiné peut-être à compenser l’absence des dents incisives et des défenses.

Dépourvu d’incisives, le mégathérium n’a pu se nourrir d’herbes ; et la structure des molaires[9] prouve que ce n’était pas davantage un animal carnivore. Chacune, en effet, par sa composition, ressemble à l’une des nombreuses denticules que l’on voit réunies en une seule molaire composée chez l’éléphant ; et nous y trouvons un admirable exemple de la manière dont la nature a uni, pour former les dents des animaux graminivores, trois substances d’inégale densité, l’ivoire, l’émail et la matière corticale[10]. Les dents ont environ sept pouces de long[11] : toutes sont de forme à peu près prismatique[12] et ont leurs surfaces triturantes disposées d’une façon remarquable dans le but de maintenir les deux bords tranchans cunéiformes en état de remplir leurs fonctions jusqu’à ce que la dent toute entière soit usée. Cet arrangement, comme je l’ai déjà dit, n’est qu’une modification de celui qu’on observe dans les molaires de l’éléphant et des autres herbivores : et le même principe a été mis en œuvre par les fabricans d’outils, pour que les haches, les faux, et autres instrumens, conservent toujours leur tranchant aigu. Une hache n’est pas uniquement faite d’acier, mais bien d’une lame mince d’acier saisie entre deux lames de fer plus doux, de manière que la première dépasse les deux autres précisément là où doit saillir l’arête tranchante. Il résulte de cet arrangement un double avantage : en premier lieu, l’outil est moins facile à briser que s’il était entièrement fabriqué avec la matière la plus fragile, celle de l’acier ; en second lieu, on éprouve beaucoup moins de peine à user sur la meule les lames extérieures de fer doux pour rendre au tranchant toute sa finesse que si la masse tout entière était d’un acier fortement trempé. C’est à l’aide d’une disposition pareille qu’il se produit constamment deux bords tranchans sur la couronne des molaires du mégathérium[13]. (Pl. 6, w, x, y, z ; et pl. 5, fig. 6-10.)

On voit, pl. 6, w, x, comment chacune des dents inférieures s’oppose à la dent supérieure qui lui correspond, de manière à ce que l’émail le plus dur de l’une soit en rapport avec les parties les moins dures de l’autre ; les tranchans d’émail (b) agissant par frottement contre l’ivoire (c), et l’émail (b′) contre la croûte corticale (a) dans les dents réciproquement opposées. Ainsi l’acte de la mastication lui-même crée et maintient cette série de coins qui s’engrènent les uns dans les autres, de la même manière que les crêtes saillantes des cylindres opposés dans les moulins à écraser.

C’était donc, comme on le voit, une machine d’une prodigieuse puissance que cette bouche du mégathérium, où seize dents offraient une surface triturante garnie de trente-deux coins semblables, chacune de ces dents elles-mêmes ayant de sept à neuf pouces de long, et s’enchâssant solidement dans une alvéole profonde par la plus grande partie de sa longueur.

Cependant ces dents se seraient promptement usées ; mais une disposition qui n’est pas ordinaire aux dents molaires, et que l’on observe encore parmi les animaux de l’époque actuelle, dans les incisives du castor et des autres rongeurs[14], suppléait à la destruction incessante qu’éprouvait la couronne par l’addition continue de matériaux nouveaux à la racine qui, dans ce but, demeurait creuse et remplie par une pulpe molle pendant toute la durée de la vie de l’animal[15].

Ainsi d’une part il n’est guère possible d’imaginer une combinaison d’appareils dentaires d’où résulte une machine d’un effet plus puissant pour le broiement des racines ; et, en outre, ce mécanisme déjà si admirable a encore la faculté qui met le comble à la perfection de tout mécanisme, celle de trouver en lui-même et dans l’exercice même de la fonction pour laquelle il a été créé le principe de son entretien et de sa parfaite conservation.


Mâchoire inférieure.


La mâchoire inférieure[16] est très grande et très lourde par rapport au reste de la tête : la raison de ces proportions si vastes se trouve dans la nécessité d’alvéoles profondes pour supporter les puissantes molaires dont il a déjà été question, et contenir les organes qui contribuent à leur accroissement non interrompu. C’est sans doute pour aider à supporter ce fardeau insolite de la mâchoire inférieure, conséquence de la forme des molaires, qu’a été faite cette apophyse extraordinaire et puissante qui, dans le mégathérium comme dans les paresseux, descend de l’arcade zygomatique.


Os du tronc.


Les vertèbres du cou, bien que puissantes, ont cependant peu de volume en comparaison de celles de l’extrémité opposée du corps ; mais elles sont dans un rapport exact avec le volume de la tête, comparativement légère, et dépourvue de défenses. La région dorsale de la colonne n’offre rien que d’ordinaire dans son volume ; mais les vertèbres lombaires se font remarquer par un accroissement qui correspond à l’agrandissement énorme du bassin et des membres postérieurs (e) ; et l’extrémité des apophyses épineuses est aplatie comme si, de même que chez les tatous, elle avait été soumise à la pression d’une cuirasse.

Le sacrum (pl. 5, fig. 2, a) est uni au bassin d’une façon particulière à cet animal, et calculée dans le but de lui donner une force extraordinaire : ses apophyses indiquent la présence de muscles très puissans pour les mouvemens de la queue. Celle-ci est formée de vertèbres énormes[17], dont les plus grandes ont un corps de sept pouces en diamètre, et vingt pouces d’une extrémité à l’autre de leurs apophyses transverses. Qu’on ajoute à cela l’épaisseur des muscles et des tendons, en même temps que des tégumens écailleux qui les recouvraient, et on n’hésitera pas à prononcer que la queue, en ce point ou son volume était le plus considérable, n’avait pas moins de deux pieds en diamètre et de six en circonférence, pourvu qu’on la suppose à peu près cylindrique, ainsi que cela s’observe chez le tatou. Au reste, des dimensions aussi vastes ne sont pas plus hors de proportion avec les parties voisines du corps que ne sont celles du même organe chez les tatous ; et il est probable aussi que, comme ces derniers animaux, le mégathérium se servait de sa queue pour supporter le poids énorme de son corps et de l’armure dont il était recouvert[18]. Au dessous de ces mêmes vertèbres caudales étaient fixées aussi de fortes épines, ou os supplémentaires en chevron, qui durent ajouter beaucoup à la solidité de la queue, et la rendre d’autant plus propre à remplir cet office. Il est probable aussi qu’elle jouait un rôle formidable comme instrument de défense, ainsi que cela a lieu chez les pangolins et les crocodiles. En 1822, Sellow vit des portions d’une armure écailleuse qui avaient été trouvées près de Monte-Video, appartenant à cette partie du corps.

Les côtes sont plus compactes, plus épaisses et plus courtes que celles de l’éléphant ou du rhinocéros, et la surface supérieure convexe de quelques unes est rugueuse et aplatie là où devait surtout porter immédiatement le poids de la cuirasse osseuse.


Extrémités antérieures.


L’omoplate[19] offre une disposition que l’on ne rencontre que dans la seule famille des tardigrades ; et l’acromion présente également, dans son articulation avec la clavicule (h), des conditions de force qui ne s’observent chez aucun autre animal. On y trouve en outre des arrangemens insolites destinés à donner attache à des muscles des plus puissans qui avaient pour fonctions de mouvoir le bras.

La clavicule (h) est forte, et courbée à peu près comme dans un squelette humain ; et la présence de cet organe dans le mégathérium, alors qu’elle manque dans l’éléphant, dans le rhinocéros et dans tous les grands ruminans, indique déjà que le membre antérieur remplissait quelque autre fonction que la locomotion. Cet os offre un support fixe et solide à la cavité glénoïde de l’épaule ; et il permet en outre aux membres antérieurs un mouvement de rotation analogue à celui des bras dans l’espèce humaine.

Il y a dans les diverses circonstances qui précèdent trois faits remarquablement en harmonie avec la forme et les habitudes du mégathérium : d’abord le mouvement rotatoire du bras, qui favorisait son emploi comme instrument constamment employé à fouiller le sol pour en arracher la nourriture ; en second lieu, le peu de facultés de locomotion qui ; possédait l’animal, ce qui s’explique par le peu de déplacement qu’exige la recherche d’alimens aussi inertes que le sont les racines ; enfin la compensation de cette faiblesse comparative des supports antérieurs du corps par la grandeur colossale et disproportionnée des hanches et des extrémités postérieures. Dans l’éléphant, le poids énorme de la tête et des défenses exige que le cou soit court, et les membres antérieurs développés outre mesure en volume et en force ; aussi dans cet animal est-ce l’avant du corps qui prédomine pour la masse et pour la puissance ; dans le mégathérium au contraire toutes les proportions son inverses ; la tête est proportionnellement petite, le cou long, et la partie antérieure du corps peu chargée en comparaison des régions postérieures. Les os de l’épaule sont disposés pour donner de la force et de la mobilité aux membres antérieurs ; mais cette mobilité n’a aucun rapport avec la progression de l’animal, et cette force n’a pas exclusivement pour but de supporter le poids du corps. L’humérus (k) s’articule avec l’épaule par une tête arrondie qui lui permet de se mouvoir librement dans des sens divers. Ses parties supérieures et moyennes sont faibles ; mais sa partie inférieure acquiert une largeur extraordinaire par la saillie énorme des crêtes qui naissent des condyles pour l’insertion des muscles moteurs des pieds et des doigts antérieurs[20].

Le cubitus est très large et très solide à son extrémité supérieure, où se trouve un espace étendu pour l’insertion de muscles qui déterminent certains mouvemens des pieds. Le radius (m) tourne librement autour du cubitus, de même que dans les paresseux et les fourmiliers, lesquels font également, bien que d’une manière différente, un grand usage de leurs extrémités antérieures. Cet os offre à sa partie supérieure une cavité qui tourne autour d’une éminence arrondie de l’humérus, et une apophyse étendue (n) qui part de sa crête longitudinale et indique combien étaient développés les muscles producteurs du mouvement rotatoire.

Les pattes antérieures doivent avoir eu environ trois pieds de long sur plus de douze pouces de large, et elles formaient un instrument d’une action puissante pour fouiller la terre jusqu’à la profondeur où les racines succulentes sont d’ordinaire le plus abondantes. Les pieds antérieurs posaient sur le sol dans toute leur étendue, et cette extrême longueur n’offrait que des désavantages pour les mouvemens de progression ; mais elle permettait que l’un des membres antérieurs agît simultanément avec les deux postérieurs et la queue pour supporter tout le poids du corps, tandis que l’autre, devenu libre, s’employait exclusivement à creuser la terre pour en retirer les alimens[21]. Les doigts des pieds antérieurs se terminent par des ongles gros et puissans et d’une grande longueur. Les os qui les supportent offrent deux parties distinctes : un axe ou noyau conique (o) qui remplit la cavité interne de l’enveloppe cornée, et un repli osseux constituant une sorte d’étui solide destiné à recevoir et à soutenir sa base. Ces ongles prennent d’ailleurs une position oblique par rapport au sol, de la même manière que les ongles fouisseurs de la taupe ; et ce dernier arrangement ajoute encore à leur puissance comme instrumens destinés à creuser la terre.


Extrémités postérieures.


Le bassin du mégathérium[22] est d’une solidité et d’une étendue énormes. Ses immenses os iliaques sont presque à angle droit avec la colonne vertébrale, et leurs bords externes sont éloignés l’un de l’autre de plus de cinq pieds, ce qui excède de beaucoup le diamètre des hanches dans les plus grands éléphans. En outre, la crête de chacun de ces os est aplatie comme si elle eût été comprimée par le poids d’une armure. Ce volume énorme du bassin, qui, dans un animal d’une stature ordinaire et remplissant des fonctions ordinaires, n’eût été qu’un manque de proportion, et n’eût eu que des inconvéniens, s’harmonisait probablement de la manière la plus complète avec l’habitude ou était le mégathérium de se tenir sur trois de ses pieds, tandis qu’avec le quatrième il fouillait la terre.

Ce bassin si extraordinaire par son poids et son étendue présente encore une autre déviation du type commun dans la position et la direction de la cavité cotyloïde du fémur (u). Cette cavité se dirige d’ordinaire plus ou moins obliquement en dehors, et cette obliquité ajoute à la facilité de mouvement des membres postérieurs. Dans le mégathérium au contraire, elle repose sur la tête du fémur dans une direction verticale, et elle est plus rapprochée de la colonne vertébrale que dans aucun autre animal. De cette particularité de position résulte une grande force pour supporter la pression verticale du corps ; mais elle entraîne une diminution correspondante dans la rapidité des mouvemens[23].

Cette largeur démesurée du bassin nous conduit encore à cette autre conséquence que la cavité abdominale était extrêmement vaste et contenait des viscères volumineux tels qu’il convient pour un régime végétal.

La forme et les proportions du fémur (v) ne sont pas moins extraordinaires que celles du bassin. Cet os est au moins trois fois plus épais que dans les éléphans les plus grands, et il égale presque en largeur la moitié de sa longueur totale. Sa tête est unie au corps de l’os par un col court et très robuste, de vingt-deux pouces de tour ; il est long de deux pieds quatre pouces ; sa circonférence, là où il est le moins épais, est de deux pieds deux pouces, et de trois pieds deux pouces dans la portion qui l’est le plus ; son corps est aplati, et, par suite même de cet aplatissement, élargi à un point dont on ne trouve pas dans la nature un second exemple. Ces diverses particularités que présente le fémur paraissent avoir eu un double but. Le premier, d’obtenir une solidité extrême a l’aide de proportions courtes et massives ; et en second lieu de compenser, au moyen de l’aplatissement dans le sens transversal, le désavantage qui résultait de la position trop interne qu’occupe la cavité (t) par laquelle le fémur (u) s’articule au bassin.

Les deux os de la jambe sont aussi extrêmement courts, et dans un rapport exact d’épaisseur et de solidité avec le fémur qu’ils supportent. Leur puissance s’accroît encore par cette circonstance qu’ils se soudent entre eux par leurs extrémités, soudure que, suivant Cuvier, l’on ne rencontre dans aucun autre animal, à l’exception des tatous et des chlamyphores, qui tous les deux passent leur vie à fouiller la terre pour y chercher leur nourriture.

L’articulation de la jambe postérieure avec le pied est admirablement prévue pour soutenir la masse énorme qui pèse dessus dans le sens vertical. L’astragale, ou grand os du tarse, long de neuf pouces, et haut de la même quantité, est dans un rapport exact avec l’extrémité du tibia où il s’articule, et il est supporté par un calcanéum de la longueur extraordinaire de dix-sept pouces, et ayant vingt-huit pouces de circonférence. Cet os énorme appuyé sur le sol fournissait une base solide, un point d’appui inébranlable à ces masses accumulées du bassin, de la cuisse et de la jambe, dont nous venons de décrire l’enchaînement et les relations. On voit en effet que le calcanéum occupe près de la moitié de la longueur tout entière du pied postérieur ; que les os des doigts sont tous fort courts, à l’exception de la phalange terminale du pouce qui est convertie en une énorme griffe osseuse, plus grande qu’aucune de celles des pieds antérieurs, puisqu’elle a treize pouces de circonférence ; et que le noyau qui supportait la griffe cornée n’a pas moins de dix pouces de longueur. L’usage principal de cet ongle puissant était probablement de fixer le pied solidement sur le sol[24].

Des extrémités construites dans des proportions aussi massives ne durent être que des instrumens inertes pour une locomotion rapide ; et elles nous paraîtraient bien imparfaites, si, voulant les juger, nous prenions pour termes d’appréciation les fonctions que remplissent d’ordinaire les membres chez les quadrupèdes. Mais si nous y voyons les supports d’une créature presque sédentaire, et d’un poids extraordinaire, elles exciteront notre admiration comme le font toutes les pièces des mécanismes animaux lorsque nous en comprenons le but et les usages. La perfection d’un instrument ne peut s’estimer qu’en étudiant le travail qu’il doit accomplir Le marteau et l’enclume d’un fabricant d’ancres, tout massifs qu’ils sont, n’ont pourtant rien de grossier ni d’imparfait. Ils offrent, par rapport aux travaux qu’ils doivent exécuter, des proportions tout aussi parfaites que les outils légers et délicats de l’horloger par rapport aux rouages déliés de ses chronomètres.


Armure osseuse.


Un autre caractère remarquable qui place le mégathérium à côté des tatous et des chlamyphores, c’est l’espèce de cuirasse osseuse qui suivant toute probabilité recouvrait sa peau, et qui a dû varier en épaisseur depuis trois quarts de pouce à un pouce et demi, semblable à la cuirasse qui recouvre encore maintenant les édentés que nous venons de citer, habitans des mêmes contrées chaudes et sablonneuses de l’Amérique du sud où se rencontrent les restes du mégathérium. On voit des fragmens de cette armure représentés planche 5, figures 12 et 13[25].

Une enveloppe d’un poids aussi énorme n’était pas hors de proportion avec la structure générale du mégathérium. Ses membres postérieurs, véritables piliers, et sa queue colossale avaient été calculés pour lui fournir des supports proportionnés à sa masse ; ses lombes et ses côtes, qui surpassent en dimensions celles de l’éléphant, ne paraissent avoir été créées si puissantes que pour supporter une lourde cuirasse comme celle dont nous supposons que son corps était revêtu[26].

Il nous reste à examiner maintenant de quelle utilité pouvait être une pareille enveloppe pour l’animal gigantesque qui, ainsi que nous venons de le voir, en était probablement revêtu. On peut observer d’abord que, les organes de locomotion du mégathérium ne pouvant se prêter qu’à une progression des plus lentes, le poids de la cuirasse elle-même n’a dû apporter que peu d’obstacle à des mouvemens déjà si lourds, et elle dut être une arme défensive non seulement contre les dents et les ongles des animaux de proie, mais aussi contre ces myriades d’insectes qui fourmillent d’ordinaire dans les climats semblables à ceux où ses os ont été trouvés, et auxquels devait être exposé plus qu’aucun autre un animal obligé de chercher sa nourriture en fouillant la terre sous un soleil ardent. Nous pouvons penser aussi que cette armure dut lui être utile en protégeant son dos et les parties postérieures de son corps non seulement contre le soleil et la pluie, mais aussi contre le sable et la poussière, qui n’eussent pas manqué de produire sur une peau nue l’irritation et les maladies[27].


Conclusion.


Nous venons d’examiner en détail le squelette d’un mammifère énorme, dont chacun des os présente des particularités qui peuvent au premier coup d’œil sembler l’œuvre d’une combinaison grossière, mais dont le secret nous devient intelligible dès que nous les étudions dans leurs relations mutuelles et dans leurs rapports avec les fonctions que doit remplir l’animal auquel ils appartiennent.

Le mégathérium excède en volume tous les édentés actuellement existanss, ses plus proches voisins en organisation, beaucoup plus qu’aucun autre animal fossile ne dépasse les espèces vivantes qui lui correspondent. Il a la tête et les épaules du paresseux ; ses jambes et ses pieds offrent réunis les caractères des fourmiliers, des tatous et des chlamyphores ; et il avait probablement avec ces derniers un trait de ressemblance de plus dans l’existence d’une armure osseuse. Ses hanches avaient plus de cinq pieds de large ; son corps était long de douze pieds, haut de huit. Son pied était long de trois, et terminé par les ongles les plus gigantesques. Sa queue était probablement recouverte d’une armure, et plus grande que celle d’aucun autre mammifère terrestre vivant ou fossile. Un animal bâti dans des proportions aussi massives, et dans la construction duquel la matière avait été ainsi prodiguée, ne pouvait ni courir, ni sauter, ni grimper, ni se creuser des terriers sous terre ; et il ne dut avoir qu’une démarche lente. Mais qu’était-il besoin de mouvemens rapides pour un être uniquement occupé à chercher des racines en creusant la terre, et qui par cela même devait à peine bouger de place ? qu’avait-il besoin de vitesse pour fuir ses ennemis, quand la nature avait revêtu son corps gigantesque d’une impénétrable cuirasse, et qu’il pouvait d’un seul coup de son pied ou de sa queue broyer le couguar ou le crocodile ? À l’abri de tous les coups dans son vêtement osseux, de quel ennemi devait-il redouter les attaques, ce Léviathan des Pampas ? et quelle créature plus puissante encore eût pu poursuivre sa race et l’effacer du nombre des habitans du globe ?

Toute son organisation était un mécanisme colossal en rapport exact avec le travail pour lequel il avait été construit ; massive et puissante comme cette besogne était lourde et pénible, elle avait été coordonnée pour être un instrument de vie et de jouissances à toute une race de quadrupèdes, laquelle, bien qu’elle ait disparu de la surface de notre planète, a laissé derrière elle d’impérissables monumens de l’habileté consommée qui avait présidé à son édification. Chaque membre, chaque fragment d’un membre est une pièce bien proportionnée d’un tout parfaitement coordonné ; et si loin qu’ils semblent s’écarter, par leurs formes et leurs proportions, de ce que sont les membres chez les autres mammifères, nous y trouvons des preuves de plus de tout ce qu’il y a eu d’inépuisable et infinie variété dans les plans de la Sagesse créatrice.


SECTION III.


SAURIENS FOSSILES.


Durant ces périodes éloignées que remplit la formation des couches de la série secondaire, les reptiles de l’ordre des sauriens jouèrent un rôle si étendu que nous devons une place importante dans nos recherches à l’étude des restes intéressans de créations anciennes que ces animaux ont laissés après eux et qui nous sont parvenus à l’état fossile. C’est là une tâche qui pourra sembler désespérée à toute personne peu familiarisée avec des sujets d’étude d’une antiquité aussi reculée. Mais la géologie, arrivée au point où elle en est maintenant, et appuyée sur l’anatomie comparée, nous fournit d’abondantes lumières sur l’organisation et les fonctions de ces familles éteintes de reptiles ; et non seulement nous pouvons rétablir leurs squelettes et en conclure leurs formes extérieures, mais nous pouvons en déduire aussi leur économie générale et leurs habitudes, la nature de leur régime, et souvent même l’histoire de leurs organes digestifs ; enfin nous y pouvons lire jusqu’à leurs rapports avec les conditions du monde d’alors et avec les diverses formes d’organisation auxquelles ils étaient associés.

Les restes de ces reptiles se ressemblent plus entre eux qu’ils ire ressemblent à ceux d’aucun autre animal que l’en ait découvert dans les dépôts qui ont précédé ou suivi la série secondaire[28].

Il y a tant d’espèces de sauriens fossiles que nous ne pouvons qu’en choisir quelques unes des plus remarquables pour faire connaître quelles conditions dominaient l’animalité à cette époque, où la classe des reptiles occupait le sommet de l’échelle animale, atteignant souvent des dimensions dont rien n’approche parmi les divers ordres actuels, et qui semblent caractériser ce moyen-âge de la chronologie géologique qui sépare les formations de transition des formations tertiaires.

Durant cet âge des reptiles, aucun des mammifères carnivores ou lacustres des périodes tertiaires n’a commencé d’apparaître sur le globe ; ses habitans les plus formidables, soit sur la terre, soit dans les eaux, étaient des crocodiles et des lézards de formes diverses, souvent d’une stature gigantesque, et construits pour résister aux convulsions qui bouleversaient la surface de notre planète encore dans l’enfance.

À la vue de cette vaste et importante place assignée aux reptiles parmi les habitans primitifs de notre globe, nous sentons s’élever un intérêt tout à fait nouveau pour les ordres maintenant existans et comparativement si peu nombreux de cette classe la plus ancienne des quadrupèdes, dont le nom seul excite d’ordinaire un instinctif sentiment de dégoût. Nous n’aurons plus pour eux ce mépris, quand nous aurons lu dans les annales de la géologie qu’il fut un temps où non seulement ils étaient les habitans les plus nombreux de la surface terrestre et ses dominateurs les plus puissans, mais où leur pouvoir s’étendait encore jusque sur les domaines des océans ; et qu’on peut reculer leur histoire jusqu’à bien des milliers d’années au delà de celle époque de la création progressive des animaux où les premiers parens de la race humaine furent appelés à l’existence.

Les personnes à l’esprit desquelles ce sujet est offert pour la première fois entendront avec étonnement, peut-être même avec incrédulité, des récits tels que ceux que je viens de faire. Et il est juste d’admettre qu’au premier coup d’œil on les prendrait plutôt pour des rêves de l’imagination, pour des romans, que pour les résultats sévères d’une investigation froide et raisonnée ; mais pour quiconque voudra examiner les faits sur lesquels nous établissons nos conclusions, il n’y aura pas plus de doute possible sur l’existence éloignée de ces étranges et curieuses créatures, ou sur le lieu et l’époque où nous affirmons qu’elles ont vécu, que l’on n’en peut avoir pour les paroles de l’antiquaire qui, trouvant les catacombes égyptiennes remplies de momies d’hommes, de singes et de crocodiles, en tire cette conclusion que ce sont là les restes de mammifères et de reptiles qui faisaient partie de l’une des populations anciennes qui se sont succédé sur les bords du Nil.


SECTION IV.


ICHTHYOSAURE.


Presque en tête des surprenantes découvertes qui ont trait à l’ordre des sauriens, nous pouvons placer les débris de plusieurs espèces fort extraordinaires qui habitaient la mer. Elles offrent des combinaisons de formes et de structure presque incroyables, et qui les mettaient en harmonie avec des modes d’existence dont aucun exemple ne nous est offert par les espèces actuelles de la classe des reptiles. Leurs restes abondent surtout dans le lias et dans les formations oolitiques de la série secondaire[29] : et ce ne sont pas seulement des animaux voisins des crocodiles ou des gavials du Gange que l’on y rencontre ; mais aussi, et en bien plus grand nombre, des lézards gigantesques qui habitaient les mers et les golfes des époques où cette histoire nous reporte.

Parmi les espèces les plus remarquables de ces reptiles, il en est quelques unes qui ont été réunies pour constituer le genre ichthyosaure (poisson-lézard), ainsi nommées à cause d’une certaine ressemblance de leurs vertèbres avec celles des poissons[30]. Si nous étudions ces créatures sous le rapport de leurs organes de locomotion, et des moyens d’attaque ou de défense qui résultent de leur structure extraordinaire, nous y trouverons des combinaisons de formes et d’arrangemens mécaniques qui se rencontrent encore dispersées dans certains ordres ou dans certaines classes actuellement existantes, mais jamais réunies dans un seul genre. C’est ainsi qu’un même individu offre le museau du marsouin et les dents du crocodile, la tête d’un lézard et les vertèbres d’un poisson, le sternum d’un ornithorhynque et les nageoires d’une baleine. L’ichthyosaure, par son aspect général, devait rappeler de bien près le marsouin moderne, ou l’épaulard (Delphinus orca). Il avait quatre pattes élargies, sortes d’avirons, et son corps se terminait en arrière par une queue longue et puissante. Les plus grands de ces reptiles ont dû avoir plus de trente pieds de long.

On connaît sept ou huit espèces du genre ichthyosaure, et elles se ressemblent toutes par les points généraux de leur organisation, et par la présence de ces divers organes singuliers dans lesquels j’essaierai de faire voir des mécanismes et des arrangemens en rapport avec leurs habitudes et leur mode de vie. Comme ce serait nous éloigner de notre but que d’entrer dans des détails d’espèces, je me contenterai de renvoyer aux figures que je donne des quatre formes qui se rencontrent le plus communément[31].


Tête.


La tête, qui chez tous les animaux est la région la plus importante et la plus caractéristique[32], fait voir au premier coup d’œil que les ichthyosaures étaient des reptiles qui, bien que voisins des crocodiles modernes par plusieurs de leurs caractères, se rapprochaient néanmoins encore davantage des lézards. Ils ressemblent aux crocodiles plus qu’à aucun autre animal par la forme et l’arrangement de leurs dents. Mais au lieu que l’ouverture de leurs narines soit placée, comme chez ces derniers, à l’extrémité du museau, on la voit, comme chez les lézards, tout près de l’angle antérieur de l’orbite oculaire. Mais ce que leur tête offre de plus remarquable, c’est le volume extraordinaire des yeux, qui dépassent ceux de tous les animaux nos contemporains[33]. Leurs mâchoires doivent avoir eu une ouverture énorme ; car elles ont jusqu’à six pieds dans la plus grande espèce, l’ichthyosaurus platyodon ; et on ne peut révoquer en doute que la voracité de cet animal ait été en proportion de ses moyens de destruction. Son cou est court comme celui des poissons.


Dents.


Les dents de l’ichthyosaure[34] sont coniques, et ressemblent beaucoup à celles des crocodiles ; mais elles sont beaucoup plus nombreuses, puisque dans certains cas on en trouve jusqu’à cent quatre-vingt. Elles varient du reste suivant les espèces, et ne sont point implantées dans des alvéoles profondes et séparées, comme celles de ces derniers animaux ; mais elles sont rangées dans une rigole longue et continue, creusée dans l’os maxillaire, et où la séparation en alvéoles distinctes est représentée, à l’état de vestige, par quelques replis peu saillans qui tiennent aux parois de la rigole et s’étendent dans l’intervalle des dents. Le mécanisme à l’aide duquel les vieilles dents sont remplacées par des dents nouvelles est à peu près le même dans les ichthyosaures que dans les crocodiles[35]. La dent nouvelle prend naissance au pied de l’ancienne ; celle-ci, par suite de la compression latérale qu’elle éprouve, a sa base bientôt absorbée, et son corps finit par tomber pour faire place à celle qui doit lui succéder.

Comme les habitudes de rapine des ichthyosaures les exposaient, ainsi que les crocodiles de nos jours, à la perte fréquente de leurs dents, il a été abondamment pourvu dans les uns et dans les autres à ce qu’elles soient continuellement remplacées.


Yeux.


Le volume énorme de l’œil des ichthyosaures[36] est une des particularités les plus remarquables de leur organisation. La grande quantité de lumière que ces organes pouvaient admettre, par suite de ce diamètre extraordinaire, devait leur donner une puissance de vision remarquable, et nous trouvons ailleurs des preuves que ces yeux pouvaient remplir tout à la fois les fonctions du microscope et du télescope. À la partie externe de la cavité orbitaire où cet œil était logé, se trouve une série circulaire de plaques osseuses minces et pétrifiées, entourant l’ouverture centrale où fut la pupille. Pour la forme et l’épaisseur, chacune de ces plaques ressemble beaucoup aux écailles d’un artichaut[37] : ce cercle de plaques osseuses n’existe pas dans les poissons ; mais on le trouve dans les yeux de plusieurs oiseaux[38] ainsi que dans ceux des tortues terrestres et marines, des lézards, et même, bien que moins développé, dans ceux des crocodiles.

Chez les animaux vivans, ces plaques osseuses sont fixées dans la tunique externe de l’œil, ou sclérotique ; et leur action a pour résultat de modifier la convexité de la cornée. Si elles sont ramenées en arrière, la cornée transparente se trouve repoussée en avant, son rayon diminue, et l’œil devient un microscope. Viennent-elles à reprendre leur position lorsque l’œil est en repos, elles en font une sorte de télescope. Les parties molles de l’œil des ichthyosaures sont entièrement détruites, mais la conservation de ce curieux appareil de plaques osseuses nous fournit une preuve que les yeux énormes auxquels il servait jadis d’enveloppe extérieure étaient des instrumens d’optique d’un pouvoir prodigieux, et susceptibles de varier leur action de telle sorte que l’ichthyosaure pouvait découvrir sa proie aux plus grandes comme aux plus petites distances, au sein de l’obscurité des nuits et des abîmes de l’Océan. Enfin nous y trouvons un nouveau caractère qui associe à la famille des lézards l’animal auquel appartenaient des yeux ainsi conformés, et en même temps l’éloigné à une grande distance de la classe des poissons[39].

Un autre genre d’utilité qu’offrait ce curieux appareil de lames osseuses, c’est qu’il soutenait la surface externe de ce vaste globe oculaire, dont le volume excédait souvent celui de la tête d’un homme, et lui donnait la force nécessaire pour supporter la pression des eaux profondes. En outre, comme les narines occupent l’angle antérieur oculaire de l’orbite, les yeux se trouvaient nécessairement élevés au-dessus de la surface des eaux, toutes les fois que l’animal y venait prendre l’air nécessaire à sa respiration ; et ces importans organes recevaient encore de leur enveloppe osseuse un service précieux, par la protection qu’ils y trouvaient dans cette circonstance contre les injures des vagues.


Mâchoires.


Les mâchoires des ichthyosaures, de même que celles des crocodiles et des lézards qui se prolongent plus ou moins en un bec saillant, sont formées par l’assemblage de plusieurs lames disposées de façon à réunir la force, l’élasticité et la légèreté à un bien plus haut degré que n’eussent pu le faire des os isolés, tels que ceux qui constituent les mâchoires des mammifères. Il est évident qu’une mâchoire inférieure aussi mince et en même temps aussi alongée que le sont celles des crocodiles ou des ichthyosaures, et qui devait avoir pour emploi de retenir les grands et puissans animaux qui formaient leur proie, eussent été comparativement faibles et faciles à briser, si elles n’eussent été composées que d’un os unique. Aussi chaque moitié latérale de la mâchoire inférieure était-elle formée de six pièces distinctes, dont on saisira mieux l’ensemble et les relations en jetant un coup d’œil sur les figures de la planche 11[40].

Cet arrangement de la mâchoire inférieure, dans le but de réunir la force et l’élasticité avec le plus petit poids de matériaux possible, est en tout semblable à celui qu’on donne aux lames de bois élastique ou d’acier qui entrent dans la composition d’une arbalète ou d’un ressort de voiture. Dans la mâchoire de l’icbthyosaure, comme dans les deux cas que nous venons de citer, les lames sont plus nombreuses et plus épaisses sur les points où doit s’exercer un plus grand effort ; elles sont plus minces et en plus petit nombre vers les extrémités, là où l’action est beaucoup moindre. Ceux qui ont été témoins du choc qui ébranle la tête du crocodile lorsqu’il ferme brusquement ses mâchoires longues et minces ont pu voir combien le maxillaire inférieur eût été exposé à se briser, si chacune de ses moitiés n’eut été formée que d’un seul os. Les mêmes dangers eussent été une conséquence de la même simplicité de structure de la mâchoire inférieure chez l’ichthyosaure. Dans l’un comme dans l’autre cas, ces six lames plates et minces, de longueur et de force différentes, enchevêtrées et fortement liées les unes aux autres pour former chaque moitié de la mâchoire inférieure, compensent la faiblesse et la fragilité qui étaient une conséquence nécessaire de l’alongement extrême du museau.

M. Conybeare signale encore, dans la mâchoire de l’ichthyosaure, un arrangement fort remarquable, et tout à fait analogue à certaines dispositions adoptées depuis peu dans l’architecture navale[41].


Vertèbres.


La colonne vertébrale de l’ichthyosaure est composée de plus de cent vertèbres ; et bien qu’elle supporte une tête qui ressemble beaucoup à celle d’un lézard, elle offre dans sa structure les plus grandes analogies avec le mode d’organisation propre à la colonne vertébrale des poissons. Cet animal ayant été créé pour une locomotion rapide à travers les mers, des vertèbres à facettes concaves, telles que celles qui par leur mécanisme contribuent à donner aux poissons leur grande puissance de locomotion[42], étaient beaucoup plus en rapport avec de telles fonctions que les vertèbres solides des lézards et des crocodiles. Mais, d’un autre côté, ces cônes creux juxta-posés ne pouvaient entrer comme élémens dans la colonne vertébrale de quadrupèdes destinés à habiter la terre ferme ; cette partie essentielle de leur charpente solide étant presque à angle droit avec les membres devait être formée par une suite de pièces osseuses larges et aplaties, et serrées avec une force considérable les unes contre les autres. Il est donc évident que si à des créatures d’une taille et d’un volume aussi considérables que les ichthyosaures, et une fois pourvues de vertèbres construites sur le même principe que celles des poissons, il eût été donné, au lieu de rames élargies, des membres organisés de la manière ordinaire, elles n’eussent pu se mouvoir sur le sol, sans qu’il en résultât de graves lésions dans leur charpente osseuse[43].


Côtes.


Les côtes sont minces, et pour la plupart bifurquées à leur extrémité supérieure ; il y en a dans toute la longueur de la colonne vertébrale, depuis la tête jusqu’au bassin[44], et c’est un rapport de plus entre la structure de l’ichthyosaure et celle des lézards actuels. Un grand nombre de ces os se réunissent en avant du thorax, et l’on peut voir dans la planche 14 leur mode d’articulation. Les côtes du côté droit s’unissent à celles du côté gauche, à l’aide de certains os intermédiaires analogues aux portions cartilagineuses, intermédiaires et sternales des côtes chez les crocodiles, et aux os qui chez le plésiosaure forment ce que M. Conybearea appelé les arcs sterno-costaux[45]. Cette structure avait probablement pour but d’admettre dans la poitrine une quantité d’air considérable et de permettre ainsi à l’animal de demeurer long-temps sous les eaux, sans avoir besoin de venir respirer à la surface[46].


Sternum.


À un animal créé pour habiter la mer, sous la condition de venir respirer l’air atmosphérique, il fallait un appareil qui lui permit de plonger sous les flots et de revenir à leur surface avec une égale facilité. Cet appareil, nous le trouvons réalisé, avec un déploiement de puissance vraiment prodigieux, dans les rames antérieures de l’ichthyosaure, et dans la manière non moins extraordinaire dont se combinent les os de l’arcade sternale, ou de cette partie du thorax à laquelle les rames sont fixées[47].

Ces os, par un rapprochement curieux, offrent à très peu près les mêmes combinaisons que ceux qui constituent la même arcade dans l’ornithorhynque de la Nouvelle-Hollande[48], animal qui passe sa vie à chercher sa nourriture au fond des lacs et des rivières, et qui, comme l’ichthyosaure, est forcé de revenir à la surface pour y respirer l’air atmosphérique[49].

Ainsi voilà une race d’animaux qui se sont éteints à l’époque où s’est terminée la série secondaire des formations géologiques, et qui offrent dans leur structure un ensemble de dispositions fondées sur le même principe que celles qui, de nos jours, ont été employées pour produire les mêmes résultats chez l’un des quadrupèdes aquatiques les plus curieusement organisés de la Nouvelle-Hollande[50].


Rames.


Par la forme de ses extrémités, l’ichthyosaure s’éloigne beaucoup des lézards pour se rapprocher des baleines. Dans un animal aussi grand, qui se mouvait dans les flots avec rapidité, et devait venir respirer l’air à leur surface, il fallait que les membres antérieurs du lézard eussent subi de grandes modifications pour servir ces habitudes de cétacés. Leurs extrémités ont du devenir des nageoires au lieu de pieds ; et sous ce point de vue elles offrent, à un degré encore plus élevé que les nageoires de la baleine, la combinaison de la force avec l’élasticité. La figure 1 de la planche 12 fait voir l’os court et solide du bras (e), ceux de l’avant-bras (f, g), et, à l’extrémité de ceux-ci, la série d’os polygonaux qui constituaient les phalanges des doigts. Ces derniers os varient en nombre suivant les espèces. Il y en a plus de cent dans quelques unes. Ils diffèrent pour leur forme de ce que sont les phalanges, soit chez les lézards, soit chez les baleines ; et c’est à cet accroissement en nombre, en même temps qu’aux différences dans les dimensions, qu’il faut attribuer l’augmentation de puissance et d’élasticité qui s’y fait remarquer. Ce bras et cette main, convertis ainsi en un aviron élastique, et recouverts de leur peau, devaient ressembler beaucoup, pour leur apparence extérieure, aux rames sans doigts distincts du marsouin et de la baleine. Leur position à la partie antérieure du corps est aussi à peu près la même. Dans ces animaux on voyait en outre des extrémités ou nageoires postérieures qui manquent dans les cétacés, et qui remplaçaient probablement la queue aplatie et horizontale de ces derniers ; ces rames postérieures étaient de moitié plus petites que les antérieures[51].

M. Conybeare fait observer, avec la sagacité qui lui est ordinaire, que les motifs qui ont déterminé cette modification dans les proportions accoutumées des membres postérieurs chez les quadrupèdes en général, sont les mêmes auxquels on doit attribuer la diminution relative des mêmes parties chez les phoques et leur disparition complète chez les cétacés, et se trouvent dans la nécessité de placer le centre ou point d’application de l’action latérale des organes de locomotion au devant du centre de gravité. C’est pour la même raison que les ailes des oiseaux sont fixées à la partie antérieure du corps ; et, dans les vaisseaux ainsi que dans les bateaux à vapeur, le centre d’action des puissances motrices, soit qu’elles résident dans des voiles ou dans les roues à palettes, occupent, par rapport au centre de gravité, la même position. Dans les poissons, il est vrai, l’organe principal de locomotion, la queue, occupe l’extrémité postérieure du corps ; mais cet organe, par son mode spécial d’action, produit une force impulsive, un vis a tergo, et agit par conséquent dans des conditions tout autres que des organes fixés latéralement[52].

Pour terminer ce chapitre, dans lequel nous venons de passer en revue avec détails l’un des genres les plus intéressans et les plus anciens parmi tous ceux que la science géologique a restitués à la lumière, je crois devoir présenter quelques considérations sur les causes finales de ces déviations remarquables du type primitif, celui du lézard ; déviations par suite desquelles l’ichthyosaure réunit une combinaison des caractères qui s’ajoutent au type commun dans les poissons, les baleines et les ornithorhynques.

De même qu’un lézard, créé pour vivre au sein des eaux à la manière des poissons, n’a dû recevoir des vertèbres d’une forme analogue à celle des poissons que dans le but d’une locomotion plus rapide, de même aussi le choix pour les extrémités postérieures d’une forme qui les rapproche des avirons de la baleine a du avoir pour but de convertir ces extrémités en de vigoureuses nageoires ; et le don d’une fourchette et de clavicules analogues à celles de l’ornithorhynque est un troisième et non moins frappant exemple des admirables prévisions à l’aide desquelles il est donné à des animaux d’une certaine classe de pouvoir vivre dans l’élément assigné à l’existence d’une classe différente. Si donc les lois de la corrélation des parties sont moins rigoureusement maintenues dans l’ichthyosaure que dans les autres créatures éteintes que nous retrouvons parmi les débris des formations primitives, il n’en est pas moins vrai que ces déviations, loin d’être l’œuvre du hasard, ou d’accuser d’imperfection le travail de l’intelligence créatrice, sont des exemples de plus de l’arrangement parfait et du choix plein de sagesse qui conduit et régularise jusqu’aux aberrations en apparence les plus contraires à toute règle.

Pourvu de la colonne vertébrale d’un poisson comme organe d’une progression rapide, des nageoires de la baleine et du sternum de l’ornithorhynque comme instrumens d’élévation ou d’abaissement au sein des eaux, le reptile qui nous occupe offrait une combinaison d’arrangemens mécaniques que nous ne trouvons plus que répartis sur trois classes distinctes du règne animal. Si, destiné à produire des mouvemens verticaux au sein des eaux, le sternum des ornithorhynques, nos contemporains, affecte des combinaisons de formes qui ne se rencontrent que dans un seul autre genre de mammifères, ce sont d’un autre côté les mêmes combinaisons que nous trouvons dans le sternum de l’ichthyosaure du monde primitif ; de telle sorte qu’à des temps séparés les uns des autres par des intervalles d’une durée au-delà de toute appréciation, nous voyons un même résultat obtenu par des instrumens tellement identiques, qu’il ne nous est plus possible de douter qu’un même plan, qu’une intelligence unique aient présidé originairement à leur arrangement. C’était une fonction nécessaire et spéciale dans l’économie du lézard-poisson des anciennes mers que de monter à la surface des eaux pour y respirer l’air atmosphérique, et de descendre au fond pour y chercher sa nourriture ; or les mêmes mouvemens sont encore de nos jours également spéciaux et nécessaires à l’ornithorhynque à bec de canard dans les lacs et les rivières de la Nouvelle-Hollande.

L’admission dans ces animaux de pareilles déviations du type respectivement propre aux groupes dont ils font partie, dans le but de les harmoniser avec des déviations identiques des habitudes générales de ces mêmes groupes, offre une combinaison de compensations et d’arrangemens tellement semblables dans leurs rapports, tellement identiques dans leur objet, tellement parfaits dans la subordination de leurs diverses parties et dans leur accord avec l’harmonie et la perfection de l’ensemble, qu’il nous est impossible de n’y pas reconnaître l’action d’un seul et même principe éternel de sagesse et d’intelligence qui a présidé du commencement jusqu’à la fin à l’œuvre tout entière de la création.


SECTION V.


STRUCTURE DES INTESTINS CHEZ L’ICHTHYOSAURE ET CHEZ CERTAINS POISSONS FOSSILES.


Après avoir étudié les dents et les organes de la locomotion, nous arrivons aux organes de la digestion chez l’ichthyosaure. Si, dans la structure des animaux qui ne nous sont connus que par leurs débris fossiles, il est un point dont il semble que nous devions désespérer de retrouver aucun vestige, c’est assurément la forme et l’arrangement des organes intestinaux : car, bien que ces parties molles soient de première importance dans l’économie animale, suspendues comme elles sont dans l’intérieur des cavités du corps sans être aucunement fixées au squelette, il est naturel de penser qu’elles n’ont dû laisser aucune trace sur les os fossilisés.

Il est impossible, après avoir vu ce puissant appareil dentaire, et ces mâchoires si vastes dont nous venons de faire l’examen dans les ichthyosaures, de ne pas en déduire cette conclusion que des animaux pourvus de ces prodigieux instrumens de destruction ont dû en user largement, pour tenir dans de justes limites d’accroissement la population des anciennes mers. Cette conclusion a été pleinement confirmée par la découverte récente que l’on a faite à l’intérieur de leurs squelettes de débris à moitié digérés de poissons et de reptiles qu’ils avaient engloutis[53], et par les coprolites[54] ou excrémens pétrifiés que l’on a trouvés dispersés dans les mêmes couches où ces squelettes ont été ensevelis. Ces pétrifications si curieuses s’offrent souvent dans un état de conservation tellement parfait qu’on en peut conclure non seulement la nature des alimens dont se nourrissaient les animaux qui les ont produits, mais même les dimensions, la forme et la structure de leur estomac et de leur canal intestinal[55].

Sur la côte de Lyme-Regis ces coprolites sont tellement abondans qu’on les trouve en de certains points disséminés dans le lias comme le sont les pommes de terre dans le sol, et ils sont encore plus communs dans le lias de l’embouchure de la Saverne, où ils se rencontrent ainsi dispersés dans toute l’étendue de couches qui ont plusieurs milles en tout sens, et mêlés en si grande quantité avec des dents et des débris roulés d’ossemens de reptiles et de poissons que nous en pouvons conclure que cette région, jadis le fond d’une ancienne mer, fut, pendant un espace de temps fort long, une sorte de vaste réceptacle où se déposèrent les ossemens et les débris excrémentitiels des animaux qui l’habitaient. Outre les points que nous venons de mentionner, on rencontre encore ces corps pétrifiés en abondance dans tout le lias de l’Angleterre, et dans toutes les couches, quelle que soit leur époque, où l’on a trouvé des débris de reptiles carnivores, et sur des points multipliés et séparés par de grandes distances, tant en Europe qu’en Amérique[56].

Quant à l’origine de ces fossiles singuliers, elle est suffisamment établie par la fréquence avec laquelle on les rencontre dans la région abdominale des squelettes fossiles d’ichthyosaures du lias de Lyme-Regis. Notre planche 13 en reproduit un exemple des plus remarquables[57]. La substance coprolitique que l’on trouve dans cet échantillon et dans tous les cas analogues, renfermée dans la cavité que forment les côtes, est entièrement identique, par son apparence et sa composition chimique, avec les coprolites isolés qui se montrent disséminés dans les mêmes couches où ces squelettes sont dispersés. La conservation de Ces matières fécales et leur passage à l’état pétrifié sont une conséquence de la nature indestructible du phosphate de chaux, qui entre également en quantité considérable dans les os et dans les résidus d’os soumis à l’action des organes digestifs.

Le squelette d’un autre ichthyosaure de Lyme-Régis, déposé dans le musée d’Oxford, et que nous avons représenté dans notre planche 14, contient une masse considérable d’écailles dont la plus grande partie provient du Pholidophorus lumbatus[58], mêlées à des coprolites, dans toute la région qu’enferment les côtes. Cette masse se trouve en rapport avec un très grand nombre de côtes ; et bien que jusqu’à un certain point l’on puisse supposer qu’elle s’est étendue par l’effet de la pression, cette circonstance suffit à prouver que l’estomac occupait par son volume une grande partie du tronc.

Certaines espèces voraces parmi les reptiles vivans nous fournissent des exemples d’estomacs d’une étendue tout aussi considérable : on cite des cadavres humains trouvés tout entiers dans l’estomac de certains grands crocodiles, et la forme des dents des ichthyosaures nous apprend que, de même que les crocodiles, ces animaux ont dû engloutir leur proie sans la diviser. Quand donc nous rencontrons dans des coprolites de grands ichthyosaures des ossemens de jeunes individus du même genre qui, à en juger par les dimensions des os eux-mêmes, ont du avoir plusieurs pieds de longueur[59], nous en tirons cette conclusion que l’estomac formait une poche d’un volume prodigieux, remplissant presque en entier la cavité du corps, et dont la capacité était par conséquent dans une proportion parfaite avec les mâchoires et les dents qui faisaient partie avec lui de l’appareil digestif dans ce monstrueux reptile.


Disposition en spirale de l’intestin grêle.


Comme les parties solides des animaux sont les seules susceptibles de se pétrifier, il nous est impossible de déterminer à l’aide de preuves directes la forme et le volume des intestins grêles de l’ichthyosaure ; mais l’admirable perfection avec laquelle le contenu de ces viscères s’est conservé à l’état fossile nous fournit des preuves indirectes que le tube intestinal où ce contenu a pris les formes qu’il a conservées ressemblait entièrement aux intestins de quelques unes des espèces actuelles de poissons les plus vigoureuses et les plus voraces.

Nous saisirons mieux la structure de ces organes en nous aidant de l’examen des organes correspondans chez les requins et les squales, animaux qui ne se distinguent pas moins entre tous les habitans des mers contemporaines par leur extrême voracité que ne le faisaient les ichthyosaures parmi les créatures qui peuplaient les océans aux époques où nos études nous reportent. Les intestins de ces poissons[60], aussi bien que ceux des raies, offrent une disposition qui rappelle celle de l’intérieur d’une vis d’Archimède, et qui est admirablement propre à accroître l’étendue de la surface interne destinée à l’absorption de la partie nutritive des alimens, durant leur passage d’une extrémité à l’autre de ce tube, qui renferme dans son intérieur un repli contourné en spirale, de façon à offrir le plus grand développement de surface dans le plus petit espace possible. On observe la même disposition dans les coprolites provenus de l’ichthyosaure[61].


Empreintes laissées par la membrane muqueuse sur les coprolites.


Non seulement l’étude des coprolites nous permet d’apprécier la structure spirale de l’intestin grêle, et la facilité que cette structure lui donnait à être contenu dans un petit espace ; mais nous y retrouvons même des traces qui nous permettent d’apprécier la forme des vaisseaux les plus ténus et des plus minces replis de la membrane muqueuse qui en tapissait la surface interne. Ces traces consistent dans une série d’impressions vasculaires et de rides qui sillonnent la surface des coprolites, et qui ne peuvent s’y être imprimées que durant leur passage à travers les circonvolutions de ce canal aplati[62]. Les échantillons què nous avons figurés pl. 15, figures 3, 5, 7, 10, 12, 13 et 14, offrent tous de semblables impressions.

Quant à la cause finale de ce curieux arrangement des viscères dans les reptiles maintenant éteints qui habitèrent les mers du monde primitif, elle est la même qui a présidé à l’arrangement pareil que nous retrouvons dans les espèces voraces des requins et des squales qui peuplent les mers de notre époque[63].

Comme la voracité, qui est un trait caractéristique de tous ces animaux, exigeait qu’ils fussent pourvus d’un estomac tout à la fois volumineux et alongé, il ne demeurait que peu d’espace pour les autres viscères plus petits, d’où la nécessité qu’ils fussent réduits, pour ainsi dire, comme nous avons vu qu’ils le sont, à la condition d’un tube aplati, contourné sur lui-même à la façon d’un tire-bouchon. Cette disposition offrait l’avantage d’employer un moindre espace, presque sans rien faire perdre à l’intestin de sa surface absorbante. Si à l’estomac énorme et aux vastes poumons dé l’ichthyosaure il se fût ajouté un paquet intestinal d’un volume considérable, l’accroissement du volume total du corps, qui en eût été une conséquence nécessaire, eût été une cause de diminution dans la puissance locomotrice, ce qui n’eût pas été sans inconvénient grave chez un animal qui, pour la capture de sa proie, ne pouvait compter que sur sa vélocité.

Tous ces faits, qui ressortent de l’étude des restes coprolitiques des ichthyosaures, ajoutent à ce que nous savions déjà de l’anatomie et des mœurs des anciens habitans de notre planète une masse de connaissances pleines d’intérêt. Nous y avons rencontré des témoignages qui nous permettent d’affirmer la présence d’arrangemens pleins d’utilité et d’admirables compensations jusque dans les organes si périssables, mais en même temps si importans, qui concourent à opérer les fonctions digestives. Nous avons pu reconnaître avec certitude la nature de leurs alimens, la forme et la structure de leur canal intestinal ; nous avons pu dessiner leur tube digestif dans les trois formes successives qu’il subit d’une extrémité à l’autre de sa longueur, d’abord estomac volumineux et prolongé, puis iléum aplati et contourné en spirale, jusqu’à ce qu’il se termine en un cloaque d’où les coprolites tombaient dans la vase qui donna naissance au lias. Là, ils sont demeurés ensevelis durant des siècles sans nombre, jusqu’à ce que la main des géologues ait été les arracher aux profondeurs qui les tiennent enfouis, pour les appeler à rendre témoignage des évènemens qui se sont accomplis au fond des mers primitives durant les longues périodes antérieures à l’avènement de l’homme sur la terre.


Structure des intestins dans les poissons fossiles.


On a récemment découvert des coprolites qui proviennent de poissons fossiles. M. Mantell les a rencontrés dans le corps du Macropoma Mantellii de la craie de Lewes ; ils étaient en contact avec l’estomac alongé de ce poisson vorace, et les tuniques de ce viscère étaient également bien conservées[64]. Miss Anning en a découvert aussi dans l’intérieur du corps de plusieurs espèces de poissons fossiles du lias de Lyme Régis. Le docteur Hibbert a fait voir que les couches du calcaire d’eau douce du terrain houillier de Burdie-House, près d’Édimbourg, étaient abondamment parsemées de coprolites provenant de poissons de cette époque reculée ; et sir Philippe Egerton en a trouvé de pareils mêlés à des écailles provenant du genre Mégalichtys, et à des coquilles d’eau douce dans la formation carbonifère de Newcastle-Under-Lyne. M. W. C. Trevelyan a reconnu, en 1832, des coprolites au centre des nodules d’argile ferrugineuse qui abondent à Newhaven, près de Leith, dans une falaise basse composée de schistes et appartenant également à la formation carbonifère. Je visitai cette localité dans le mois de septembre 1834, en compagnie de M. Trevelyan lui-même et de lord Greenock, et j’y trouvai ces nodules épars sur la grève en quantité si considérable qu’il me suffit de quelques minutes pour en rassembler plus d’échantillons que je n’en pouvais porter. Parmi ces échantillons, il y en avait qui renfermaient un poisson fossile ; d’autres quelque fragment d’une plante ; mais le plus grand nombre avait pour noyau un coprolite, dont l’intérieur était contourné en spirale ; et ces débris proviennent sans nul doute de ces poissons voraces dont on a retrouvé les os dans la même couche. Ces nodules prennent du reste un fort beau poli, et les joailliers d’Édimbourg en ont fait des tables, des serre-papier et des bijoux qu’ils désignent sous le nom de pierres d’escargot (beetle stones) parce qu’ils les supposent provenir de quelque insecte. Milord Greenock a découvert, entre les lames d’un bloc de houille provenant des environs d’Édimbourg, une masse d’intestins pétrifiés, distendus par de la matière coprolitique et entourés d’écailles que le professeur Agassiz rapporte au Mégalichtys.

Ce naturaliste distingué s’est assuré dernièrement que les corps fossiles vermiformes que l’on trouve en si grande abondance dans l’ardoise lithographique de Solenhofen, et qui ont été décrits par le comte Munster dans l’ouvrage de Goldfuss, sous le nom de lumbricaria, sont ou des intestins de poissons pétrifiés, ou le contenu de ces intestins qui a conservé la forme du tube tortueux dans lequel il était renfermé. Ce sont ces fossiles remarquables qu’il a désignés sous le nom de cololites. La planche 15 est copiée de l’une de celles que Goldfuss a données dans son ouvrage (Petrefacten, pl. 66). M. Agassiz a rencontré aussi de semblables pétrifications contournées à l’intérieur de la cavité abdominale de plusieurs poissons fossiles des genres Thrissops et Leptolepis, et ils y occupaient relativement aux côtes la position qu’occupent habituellement les intestins[65].

Sans doute aux yeux d’un grand nombre de personnes peu versées dans l’anatomie, des recherches ayant pour objet quelque chose d’aussi obscur et d’aussi inaccessible en apparence, que la structure des intestins chez une espèce éteinte de poissons, ou de reptiles, seront ce qu’il peut y avoir au monde de moins digne d’attention ; mais ces recherches acquièrent une haute, importance par les démonstrations que la science y puise de la sagesse et du plan providentiel qui ont présidé à la création ; elles fournissent un anneau de plus à la chaîne importante qui unit les races qui de nos jours, vivent et s’agitent à la surface de notre planète aux races maintenant détruites des ses habitans des âges primitifs[66]. Le retour systématique, chez des animaux qui ont existé à des époques aussi éloignées, des mêmes moyens disposés suivant des règles construites dans le but de produire les mêmes résultats, et se modifiant suivant les mêmes lois pour s’adapter aux diverses conditions d’existence, démontre que toutes ces choses doivent leur origine à une même intelligence première.

Quand nous retrouvons dans le corps d’un ichthyosaure la nourriture qu’il venait d’engloutir l’instant d’avant sa mort ; quand l’intervalle entre ses côtes nous apparaît encore rempli par les débris des poissons qu’il a avalés il y a dix mille ans, ou un temps dix fois plus grand, tous ces intervalles immenses s’évanouissent en quelque sorte ; les temps disparaissent, et nous nous trouvons pour ainsi dire mis en contact immédiat avec tous les évènemens qui se sont passés à ces époques incommensurablement éloignées, comme s’il s’agissait de nos affaires de la veille.


SECTION VI.


LE PLÉSIOSAURE[67].


Nous voici amenés à étudier un genre d’animaux éteints qui par leur structure se rapprochent beaucoup de l’ichthyosaure et qui ont vécu en même temps que lui dans les époques intermédiaires de l’histoire de notre globe. La découverte de ce genre est l’une des acquisitions les plus importantes dont l’anatomie comparée soit redevable à la géologie. C’est du plésiosaure que Cuvier a dit qu’il offre la structure la plus hétéroclite et l’ensemble de caractères le plus monstrueux que l’on ait rencontré parmi les ruines de l’ancien monde[68]. On y trouve la tête d’un lézard, les dents d’un crocodile, un cou d’une longueur énorme, et qui ressemble au corps d’un serpent, un tronc et une queue dont les proportions sont celles d’un quadrupède ordinaire, les côtes d’un caméléon et les nageoires d’une baleine. Telles sont les combinaisons étranges de formes et de structure que présente le plésiosaure. Ses débris, après avoir été pendant des milliers d’années ensevelis dans un naufrage commun avec ceux de tant de millions d’êtres qui peuplaient notre planète à ces époques éloignées, ont été rendus à la lumière par la géologie, et s’offrent à notre étude dans un état de conservation presque tout aussi parfait que ceux des espèces nos contemporaines.

Il paraît certain que les plésiosaures n’habitaient que des mers et des golfes peu profonds, et qu’ils respiraient l’air atmosphérique de la même manière que les ichthyosaures et nos cétacés modernes. Déjà nous en connaissons cinq ou six espèces, dont quelques unes atteignent une taille et un volume prodigieux ; mais nous n’étudierons ici que la mieux connue, et celle qui est peut -être la plus remarquable, le plesiosaurus dolichodeirus[69].


Tête[70]


La tête du plésiosaurus dolichodeirus offre une réunion de caractères particuliers à l’ichthyosaure, au crocodile et au lézard ; mais c’est de la tête de ce dernier surtout qu’elle se rapproche davantage. Elle est en rapport avec celle de l’ichthyosaure par la petitesse de ses narines, en même temps que par la place qu’elles occupent à l’angle antérieur des yeux : elle tient de la tête du crocodile par ce fait que les dents sont implantées dans des alvéoles distinctes ; mais elle diffère de l’une et de l’autre par sa forme générale et sa petitesse ; et un grand nombre de ses caractères la rapproche tout à fait de cette de l’iguane[71].


Cou


Le caractère le plus extraordinaire qu’offre le reptile qui nous occupe, c’est la longueur extrême de son cou, organe qui égale presque en étendue le corps et la queue ensemble, et qui contient environ trente-trois vertèbres, c’est-à-dire plus qu’il n’y en a dans le cou du cygne, celui de tous les oiseaux chez lequel cet organe atteint la plus grande longueur. C’est là, comme on le voit, une remarquable exception à cette loi presque universelle, que le nombre des vertèbres cervicales chez les quadrupèdes est toujours peu considérable. Même chez la girafe, le chameau et le lama, le nombre en est constamment de sept ; et l’on retrouve encore le type de ce nombre dans le cou si court des cétacés. Chez les oiseaux, il varie de neuf à vingt-trois, et, chez les espèces vivantes de reptiles, de trois à huit[72]. Nous trouverons bientôt dans les mœurs du plésiosaure une raison probable de cette exception remarquable aux caractères normaux des lézards.


Tronc et queue.


Les vertèbres dorsales ne sont pas disposées en cônes creux, comme cela a lieu chez les poissons, mais elles s’appliquent les unes contre les autres par des surfaces presque plates, et il en résulte pour l’ensemble de la colonne vertébrale le même genre de stabilité que dans les quadrupèdes terrestres. Il en est de même du mode suivant lequel les apophyses articulaires s’appliquent les unes contre les autres, mode destiné à produire bien plutôt une grande puissance que ce genre particulier de flexibilité créé pour concourir à la progression rapide des ichthyosaures ou des poissons : aussi une progression rapide était-elle incompatible avec la structure de l’ensemble des organes chez le plésiosaure ; et tout ce qui dans son organisation tendait vers un accroissement de force était d’une bien plus haute importance que ce qui eût eu pour but la combinaison de la vitesse avec la flexibilité.

La queue, courte comme elle l’était par rapport à l’ensemble du corps, ne pouvait être, comme la queue des poissons, un organe d’impulsion puissante d’arrière en avant ; c’était plutôt un gouvernail à l’aide duquel il se dirigeait lorsqu’il nageait à la surface des eaux, ou lorsqu’il voulait s’élever ou descendre au sein de ce liquide : et quant à la lenteur des mouvemens, c’est une conséquence à laquelle nous sommes encore conduits par le prolongement extrême du cou en avant des pattes antérieures. Le nombre total des vertèbres dont se compose la colonne vertébrale tout entière est d’environ quatre-vingt-dix. Cet ensemble de circonstances nous conduit à conclure que cet animal, malgré sa taille considérable, a dû chercher surtout dans la ruse et dans les retraites ses moyens de subsister et d’échapper à ses ennemis.


Côtes[73]


Les côtes se composent de deux parties, l’une vertébrale et l’autre ventrale ; chacune des portions ventrales s’unit à celle du côté opposé[74], au moyen d’un os transversal intermédiaire, (a, c), de façon que chaque paire de côtes entoure le corps d’une ceinture complète formée de cinq pièces[75]. Cuvier a fait remarquer le rapport qu’il y a entre ce mode de structure et celui que présentent les côtes chez les caméléons, et chez deux espèces d’iguanes (le lézard marbré, lacerta marmorata, Linn., et l’anolis, anolius Cuv.), et la conséquence qui se présente naturellement à l’esprit, que les poumons, de même que dans ces trois genres actuellement vivans, durent être fort grands, et qu’il était possible que la coloration de leur peau fût soumise à des changemens en rapport avec les variations dans l’intensité de leurs inspirations[76]. Ossemens fossiles, T. V., 2e part., p. 280.

Cette opinion de Cuvier est purement hypothétique ; et toute personne peu familiarisée avec l’anatomie comparée sera portée à considérer comme non moins conjecturale toute conclusion relative à des organes aussi périssables que les poumons, déduite de quelque disposition inusitée, ou d’une condition insolite des appareils costaux. Cependant c’est en nous appuyant sur de semblables principes que, de la forme et des propriétés de ces côtes fossiles, nous concluons qu’elles furent en rapport, comme chez le caméléon, avec une faculté de contraction et de dilatation des poumons en dehors des règles ordinaires ; de même que, s’il nous arrivait de rencontrer la charpente délabrée d’un soufflet parmi les ruines d’une forge, nous prononcerions hardiment que ces pièces d’une plus longue durée supportaient jadis un cuir dont l’étendue était en rapport avec leurs propres dimensions.

Le mode de composition des côtes chez l’ichthyosaure a eu aussi probablement pour résultat de donner à cet animal la faculté de comprimer l’air dans les poumons, et d’en emporter ainsi au fond des eaux des masses réduites à un volume moindre, comme nous avons pensé que cela devait avoir lieu chez les ichthyosaures, d’après la considération de leur appareil costal.


Extrémités[77]


Le plésiosaure respirait l’air atmosphérique, et, pour que cette fonction fût remplie, il fallait qu’il vînt fréquemment à la surface des eaux ; c’était donc une nécessité que le thorax, le bassinet les os dès extrémités antérieures et postérieures concourussent à former un appareil qui lui permît de descendre et de s’élever dans les eaux, à la manière des ichthyosaures et des cétacés. Aussi les pattes ont-elles été converties en des rames plus grandes et plus puissantes que celles de l’ichthyosaure, et propres à compenser ainsi la faible assistance que l’animal pouvait tirer de sa queue[78].

Si nous mettons les membres du plésiosaure en présence des mêmes organes chez les autres vertébrés, [nous pourrons ranger tout cet ensemble suivant une série régulière de gradations, formant comme les anneaux d’une même chaîne depuis leur état le plus parfait que l’on rencontre dans les mammifères supérieurs jusqu’à leurs formes les plus imparfaites, qui se voient dans les nageoires des poissons. Les rames qui existent à la partie antérieure du corps, chez le plésiosaure, offrent toutes les parties essentielles des membres antérieurs des quadrupèdes et même du bras de l’homme ; une omoplate, un humérus, un radius et un cubitus que suivent les os d’un carpe et d’un métacarpe, celui-ci terminé par cinq doigts, dont chacun se compose d’une série continue de phalanges[79]. On retrouve dans les membres postérieurs les mêmes analogies avec les organes correspondans des mammifères. Le bassin et le fémur y sont suivis par un tibia et un péroné qui s’articulent avec des os du tarse et du métatarse, et ces derniers donnent naissance à cinq doigts formés de nombreuses phalanges.

C’est en étudiant cet ensemble de caractères que M. Conybeare est arrivé aux conséquences suivantes relativement aux habitudes du plésiosaurus dolichodeirus : « C’était un animal aquatique ; l’état de ses pattes le prouve jusqu’à l’évidence : il était marin ; les restes auxquels on le trouve constamment associé ne sont à cet égard guère moins concluans. La ressemblance de ses extrémités avec celles des tortues conduit à penser que, comme ces dernières, il venait de temps à autre sur le rivage ; mais ses mouvemens sur la terre-ferme ne pouvaient qu’être dépourvus d’agilité, et la longueur de son cou était un obstacle à la rapidité de sa progression à travers les eaux, ce qui contraste d’une manière frappante avec le plésiosaure, si admirablement organisé pour fendre les vagues. Et comme à ces diverses circonstances il vient se joindre, en vertu du mode de respiration de l’animal, un besoin de communications fréquentes avec l’atmosphère, ne sommes-nous pas autorisés à prononcer qu’il nageait à la surface même des eaux, ou s’en éloignait peu, recourbant en arrière son cou long et flexible, à la manière du cygne, et le dardant de temps à autre pour saisir les poissons qui s’approchaient de lui ? Peut-être aussi se tenait-il près du rivage, dans des eaux peu profondes, caché au milieu des végétaux marins, et portant, à l’aide de son long cou, ses narines jusqu’à la surface des eaux ; c’eût été là pour lui une retraite assurée contre les attaques de ses plus dangereux ennemis. D’un autre côté, cette longueur et cette flexibilité du cou, par la promptitude et la soudaineté d’attaque qu’elles lui permettaient de déployer contre tout ce qui passait à sa portée, compensaient la faiblesse de ses mâchoires et l’impossibililé d’une progression rapide au sein des eaux. » Géol. Trans. nouv. série, t. 1, 2e part. p. 388.

Nous avions commencé cette histoire du plésiosaure en nous autorisant de l’opinion imposante de Cuvier, peur déclarer que c’était une des productions les plus anormales et les plus monstrueuses qui aient fait partie des anciens systèmes de création. Puis la suite nous a montré, par l’étude que nous avons faite de ses détails d’organisation, que ces anomalies apparentes ne reposaient que sur des variations dans l’arrangement ou dans les proportions de parties fondamentales les mêmes qui concourent à former les créatures les plus parfaites du monde actuel.

Si nous poursuivons l’étude des analogies d’organisation qui missent les habitans actuels de notre globe avec les espèces diverses et les genres éteints qui ont précédé sur cette terre notre propre race, nous voyons qu’une chaîne étroite d’affinités relie la série tout entière des êtres organisés, et resserre dans des liens intimes et pleins d’harmonie toutes les formes passées et présentes de la vie chez les animaux. L’ensemble même de notre propre organisation, et certains de nos organes les plus importans, nous placent dans des rapports directs et étroits avec ces reptiles qui nous semblent, au premier coup d’œil, les plus monstrueuses productions de la création ; cette main, ces doigts qui écrivent leur histoire, sont un type toujours présent à mes yeux des rames natatoires de l’ichthyosaure et du plésiosaure.

Si nous venons à étendre la comparaison aux quatre grandes classes d’animaux vertébrés, chaque espèce nous apparaît avec un mode suivant lequel les parties analogues s’adaptent aux circonstances et aux conditions diverses d’existence pour lesquelles chacune de ces espèces a été créée. À partir des degrés les plus inférieurs, nous voyons l’organisation et les fonctions animales s’élever parallèlement par une double échelle, jusq’à ce qu’elles arrivent au point de leur plus haut développement. C’est ainsi que la nageoire du poisson devient la rame natatoire du plésiosaure et de l’ichthyosaure : celle-ci se transforme à son tour dans l’aile du ptérodactyle, de l’oiseau et de la chauve-souris, puis devient la patte antérieure des quadrupèdes destinés à se mouvoir sur la terre, et atteint son terme de développement le plus élevé dans le bras et dans la main de l’homme, être doué de raison.

Je terminerai ces observations en me servant des paroles de M. Conybeare, et, plein des sentimens qui les ont inspirées, et que partagent tous ceux qui ont été assez heureux pour le suivre dans ces recherches profondes auxquelles nous devons la plus grande partie de nos connaissances relatives au plésiosaure, je dirai comme lui :

« Toutes les fois qu’un observateur entreprend de tracer les anneaux divers dont se constitue la chaîne qui rattache entre eux les êtres organisés, ses yeux sont frappés à chaque instant par l’apparition d’analogies pleines de beautés, et chaque détail d’anatomie, si petit qu’il puisse être, se revêt de charmes et d’intérêt ; car cette admirable science se présente continuellement escortée de preuves nouvelles de cette grande loi générale formulée avec tant d’élégance dans les paroles suivantes de Scarpa, l’un des hommes dont les travaux l’ont le plus illustrée : — « Usque adeo natura, una eadem semper atque multiplex, disparibus etiam formis efectus pares admirabli quadam varietatum simplicate conciliat. »


SECTION VII.


LE MOSASAURE OU GRAND ANIMAL DE MAESTRICHT.


Le mosasaure a long-temps été connu sous le nom de grand animal de Maestricht, parce qu’on l’a trouvé, près de cette ville, dans le tuf calcaire qui constitue les dépôts les plus modernes de la formation crétacée, et qui contient des ammonites, des bélemnites, des hamites, et plusieurs autres coquilles de la craie, en même temps que des débris d’animaux marins qui lui appartiennent en propre. Ce fut en 1780 que l’on y découvrit une tête à peu près complète, qui appartient maintenant au Muséum de Paris. Cette pièce célèbre dérouta pendant plusieurs années toute la science des naturalistes : plusieurs y voyaient la tête d’une baleine, d’autres celle d’un crocodile ; mais sa véritable place dans la série animale lui fut assignée pour la première fois par Adrien Camper, dont les travaux de Cuvier sont venus depuis confirmer l’opinion. Il résulte des recherches de ces deux savans illustres que l’animal auquel avait appartenu le débris en question était un reptile marin d’une taille gigantesque et très voisin des monitors[80]. Et quant à l’époque à laquelle le mosasaure se montra pour la première fois, ce fut selon toute apparence vers la fin de cette longue série de périodes géologiques, durant laquelle se déposèrent les groupes oolitique et crétacés. Dans toute la durée de ces périodes, notre planète paraît avoir été surtout habitée par des animaux marins, et, au nombre des plus grands parmi ces derniers, se trouvaient des sauriens d’une stature gigantesque, dont plusieurs habitaient la mer et arrêtaient dans de justes limites l’accroissement excessif des tribus de poissons leurs contemporaines.

Depuis le lias jusqu’au moment ou a commencé le dépôt de la craie, les ichthyosaures et les plésiosaures furent les tyrans de l’océan ; et, à partir de cette dernière époque qui est précisément celle où se termina leur existence, ils paraissent avoir été remplacés, tout le temps que dura le dépôt de la craie, par le mosasaure, qu’on dirait avoir été créé pour remplir temporairement leurs fonctions[81], et qui devait lui-même céder la place aux cétacés de la période tertiaire. Comme il n’existe dans le monde où nous vivons aucun saurien qui habite la mer ; comme d’un autre côté les représentans actuels de cet ordre les plus puissans, les crocodiles, bien que créés spécialement pour vivre dans les eaux, ont recours plutôt à la ruse qu’à la vitesse pour s’emparer de leur proie, il ne sera pas sans intérêt d’étudier les arrangemens mécaniques par suite desquels un reptile voisin des monitors se mouvait dans la mer avec assez de puissance et de vélocité pour atteindre et saisir d’aussi grands poissons que ceux dont il dut faire sa pâture, à en juger d’après le volume prodigieux de ses dents et de ses mâchoires.

Les caractères de la tête et des dents[82] prouvent des rapports intimes entre cet animal et les monitors, et les proportions des diverses autres parties du squelette conduisent à conclure que ce monitor monstrueux des mers d’autrefois avait vingt-cinq pieds de longueur, quoique parmi ses congénères modernes aucun n’excède cinq pieds. La tête, que nous figurons dans cet ouvrage, est longue de quatre pieds ; celle des plus grands monitors ne dépasse pas cinq pouces. Les anatomistes les plus profonds ne pourraient imaginer qu’avec peine une série de modifications à l’aide desquelles un monitor pût atteindre la taille et le volume d’un épaulard[83] (delphinus orca), et posséder en même temps la faculté de se mouvoir avec force et vitesse au sein des eaux de la mer. C’est néanmoins ce que nous offre le squelette fossile dont l’étude nous occupe en ce moment : dans tout son ensemble, nous trouvons les caractères d’un monitor ; mais ces caractères se modifient dans le but manifeste d’en faire un animal créé pour vivre au sein des eaux de la mer.

Le mosasaure n’avait guère de caractères communs avec le crocodile ; mais il se rapprochait des iguanes par un appareil dentaire fixé sur l’os ptérygoïde[84], et occupant la voûte palatine, ainsi que cela a lieu chez certains serpens et chez certains poissons, où ces dents, dirigées en arrière comme les barbes d’une flèche, s’opposent à ce que la proie puisse leur échapper[85].

Les autres parties du squelette sont parfaitement en accord avec les caractères fournis par la tête. Toutes les vertèbres sont concaves en avant, et convexes en arrière, et s’adaptent par une articulation orbiculaire qui leur permet des mouvemens faciles de flexion dans, tous les sens, Depuis le milieu du dos jusqu’à l’extrémité de la queue, elles sont dépourvues des apophyses articulaires qui sont d’une utilité si essentielle pour la solidité du tronc chez les animaux destinés à se mouvoir à la surface de la terre. Elles ressemblent sous ce rapport aux vertèbres des dauphins, et cet arrangement n’a été créé que dans le but de leur rendre la natation plus facile. Les vertèbres du cou sont aussi construites de façon à procurer à cette partie du corps plus de flexibilité qu’elle n’en a chez les crocodiles.

De même que la queue des crocodiles, la queue du mosasaure, comprimée dans le sens latéral, en même temps qu’épaisse dans le sens vertical, constitue un aviron droit d’une puissance énorme ; et l’action qui résulte de ses mouvemens latéraux chasse le corps en avant, comme ces bateaux que fait avancer un seul homme avec un seul aviron à l’arrière. Bien que les vertèbres caudales soient à peu près en même nombre que chez les monitors, la queue était proportionnellement plus courte, par suite de la plus grande brièveté relative du corps de chacun de ces os ; et de cette disposition résultait un accroissement de puissance dans la queue considérée comme instrument de natation, et une rapidité de locomotion qui n’eût pu se concilier avec une queue longue et mince comme celle du monitor, qui s’en aide pour grimper. Enfin une dernière disposition, qui a pour but de donner à la queue une plus grande vigueur, c’est l’existence d’os en chevron solidement fixés au corps de chaque vertèbre, de la même manière que dans les poissons.

Le nombre total des vertèbres est de cent trente-trois, à peu près autant que chez les monitors, et plus du double de ce qu’on en observe chez les crocodiles. Les côtes n’ont qu’une seule tête, et sont arrondies comme dans la famille des lézards. Quant aux extrémités, on en possède des fragmens assez nombreux pour démontrer que le mosasaure, au lieu de pattes, les avait terminées par quatre larges rames pareilles à celle du plésiosaure et de la baleine ; et il est probable qu’un de leurs usages principaux fut d’aider l’animal à s’élever à la surface des eaux pour y venir respirer, dépourvu qu’il était, suivant toute probabilité, de la queue horizontale, qui permet aux cétacés ce même mouvement d’ascension. L’ensemble de ces caractères concourt à démontrer que le mosasaure était organisé dans le but d’une existence exclusivement aquatique, et que, malgré l’exagération de ses proportions, s’il vient à être comparé aux genres vivans de ces deux familles, il établit un anneau intermédiaire entre les monitors et les iguanes. Quoi que nous puissions trouver d’énorme dans ces dimensions comparées à celles de tous les lézards actuels, et quelque étrange que puisse nous paraître l’existence de genres marins dans cet ordre des sauriens dont aucune espèce actuellement vivante n’habite la mer, il n’y a rien là qui doive plutôt nous étonner que les modifications analogues que l’on observe dans le mégalosaure et dans l’iguanodon, exemples d’un agrandissement plus considérable encore du type des monitors et des iguanes, converti en des formes colossales appropriées à une locomotion terrestre.

Au milieu de cette variation dans les proportions, nous voyons persister les mêmes lois qui président à l’organisation des genres contemporains ; et la perfection des combinaisons mécaniques qui à toutes les époques ont résulté de leur action nous prouve quelle haute sagesse a calculé ces mécanismes, et quelle puissance infinie les a maintenus dans leur intégrité.

Cuvier affirme, à propos du mosasaure, que, même avant d’avoir vu une seule de ses vertèbres ou un seul os de ses extrémités, il était à même de déterminer le caractère général de l’ensemble du squelette, d’après l’examen des mâchoires et du système dentaire, ou même d’après la vue d’une seule dent. Ce pouvoir de détermination, la science en est redevable à ces lois magnifiques de corrélation des organes qui sont le fondement de l’anatomie comparée, et qui donnent à ses découvertes un intérêt si puissant.


SECTION VIII.


PTÉRODACTYLE[86].


Au nombre des découvertes les plus remarquables de la science qui nous occupe, nous devons placer les reptiles volans que Cuvier a groupés dans le genre ptérodactyle, genre qui offre de plus singulières combinaisons de formes que tout ce que nous rencontrons ailleurs parmi les ruines de l’ancien monde[87].

La structure de ces animaux est si extraordinairement anoromale que les premiers ptérodactyles qui furent découverts partagèrent les naturalistes entre trois opinions : les uns y virent un oiseau ; d’autres une espèce de chauve-souris, d’autres enfin un reptile volant. Cette divergence remarquable à propos d’un être dont on possédait le squelette presque entier, était due à l’existence de caractères paraissant appartenir à chacune des trois classes auxquelles on le rapportait. La forme de la tête et la longueur du cou le rapprochent des oiseaux ; ses ailes, par leurs proportions et leurs formes, rappellent les chauves-souris ; le tronc et la queue offrent des rapports étroits avec ceux des mammifères ordinaires. Ces divers caractères coïncident avec la même petitesse du crâne que l’on observe ordinairement chez les reptiles, et avec l’existence d’un bec armé d’au moins soixante dents pointues ; et leur réunion constitue un ensemble apparent d’anomalies que le génie seul de Cuvier devait réconcilier. Entre ses mains, cette production de l’ancien monde, si monstrueuse en apparence, est devenue l’un des plus magnifiques exemples que nous fournisse l’anatomie comparée de l’harmonie qui dirige, dans tout l’ensemble de la nature, l’adaptation des mêmes parties de l’organisation animale à des conditions d’existence infiniment variées.

Dans l’ordre des sauriens et dans la classe des reptiles, classe dont les représentans actuels ne se meuvent pas ailleurs que sur la terre ou dans les eaux, les ptérodactyles nous offrent l’exemple d’un genre maintenant éteint et qui avait été organisé dans le but spécial d’une locomotion aérienne. C’est une chose pleine d’intérêt que de voir comment les extrémités antérieures, qui, chez les crocodiles et les lézards modernes, sont des organes de locomotion terrestre, se convertissent en des ailes membraneuses, et jusqu’à quel degré les autres parties du corps se modifient, pour que l’ensemble tout entier de la machine s’harmonise avec cette nouvelle fonction du vol. Et l’on voit jusque dans les moindres détails de cette étude se reproduire avec tant de constance l’accord numérique qui existe entre chacun des membres des ptérodactyles et les membres correspondans des lézards actuels sous le rapport des pièces osseuses qui les constituent ; elle met tellement en relief les dispositions à l’aide desquelles un même organe peut être adapté à des fins différentes que je ne crois pouvoir mieux faire que de présenté ici quelques parties détachées de l’analyse si magnifique et si complète que Cuvier nous a donnée de l’organisation de cet animal.

Les ptérodactyles, dit l’auteur des Ossemens fossiles, « sont incontestablement de tous les êtres dont ce livre nous révèle l’ancienne existence les plus extraordinaires, et ceux qui, si on les voyait vivans, paraîtraient les plus étrangers à la nature actuelle. » (T. V, XIe partie, p. 379.)

Nous en connaissons déjà huit espèces, et leur taille varie depuis celle d’une bécassine à celle d’un cormoran[88].

Par leurs formes extérieures, ces animaux ressemblent assez à nos chauves-souris et à nos vampires actuels : plusieurs ont le museau alongé comme celui du crocodile, et les maxillaires armés de dents coniques ; leurs yeux étaient d’un volume énorme, et leur permettaient probablement de voir pendant la nuit. Leurs membres antérieurs, convertis en ailes, portent des doigts alongés, armés de longues griffes, ressemblant à l’ongle crochu du pouce des chauves-souris. Ces doigts formaient une patte puissante qui servait à l’animal pour ramper, pour grimper, ou pour se suspendre aux arbres.

Il est probable aussi que les ptérodactyles possédaient la faculté de nager, faculté si commune chez les reptiles, et que nous retrouvons également dans le ptéropus pselaphon, ou chauve-souris Vampire de l’île de Bonin[89].

« Cette créature, comme le démon de Milton, propre à remplir toutes les fonctions, à vivre dans tous les élémens, était un allié convenable à cette foule de reptiles qui fourmillaient au sein des mers, ou rampaient sur les plages d’une planète turbulente.


                           Le prince des enfers
Tente mille moyens, mille chemins divers ;
De ses mains, de ses pieds, de sa superbe tête.
Il combat, il franchit l’ouragan, la tempête,
Les défilés étroits, les gorges, les vallons,
L’air pesant on léger, et la plaine et les monts,
Les rocs, le noir limon qu’un flot dormant détrempe,
Va guéant ou nageant, court, gravit, vole ou rampe.
  (Paradis perdu, 2ee livre, vers 947, traduction de Delille.)

« C’était une étrange population que celle de notre globe, à cette période d’enfance où l’air était sillonné par des nuées de créatures aussi extraordinaires que celles dont nous venons d’esquisser l’histoire, où l’Océan était parcouru par des bancs d’icthyosaures et de plésiosaures non moins monstrueux, où des crocodiles et des tortues gigantesques rampaient sur les bords des lacs et des rivières primitives[90]. »

Comme le trait caractéristique le plus frappant de ces reptiles fossiles consiste dans l’existence d’organes pour le vol, il est naturel de rechercher ce qui appartient à l’oiseau et à la chauve-souris dans la structure de leurs squelettes. Toute pensée de les placer au nombre des oiseaux s’arrête à l’instant devant ce fait que leur bec est armé de dents semblables à celles des reptiles, et il a suffi de la forme d’un seul os, l’os carré, pour que Cuvier ait pu prononcer immédiatement que cette créature était un lézard, bien qu’aucun lézard ailé ne fasse partie de la création actuelle, et que les dragons du blason et de la fable soient les seuls êtres de cette espèce dont il ait jamais été fait mention[91]. Quant à ce qui serait de les rapporter à la famille des mammifères volans, il suffit, pour repousser une pareille idée, d’un instant de comparaison entre leur tête et celle des chauves-souris. (Pl. 21 et pl. 22, M.)

Les vertèbres du cou sont très-alongées et sont seulement au nombre de six ou de sept, tandis que chez les oiseaux il y en a de neuf à vingt-trois. Les vertèbres dorsales, chez ces derniers, varient aussi de sept à onze seulement, tandis que chez les ptérodactyles il y en a près de vingt. Les côtes des ptérodactyles sont minces et filiformes comme celles des lézards ; les côtes chez les oiseaux sont plates et élargies, et portent des apophyses récurrentes encore plus élargies et qui ne se rencontrent que dans cette classe. Dans les pieds des oiseaux, les os métatarsiens sont soudés en une seule pièce, tandis que ces mêmes os chez le ptérodactyle demeurent au contraire parfaitement distincts. Enfin, le bassin diffère considérablement de celui d’un oiseau, et se rapproche au contraire du bassin d’un lézard ; et tous ces divers faits ne laissent aucun doute sur la place que doit occuper le ptérodactyle parmi les lézards, nonobstant les rapports étroits que la présence d’organes du vol semblerait établir entre cet animal, et les oiseaux ou les chauves-souris[92].

Le nombre et les proportions des os des doigts aux membres antérieurs et postérieurs chez le ptérodactyle exigent de nous un examen détaillé ; car leur concordance avec ce que l’on observe dans les organes correspondans chez les lézards nous conduira à d’importantes conclusions.

Comme fait isolé, c’est une chose qui semblera de bien peu d’importance que de savoir si un lézard vivant ou un ptérodactyle fossile ont leur quatrième doigt composé de quatre ou bien de cinq pièces ; mais quiconque aura la patience d’étudier les détails de cette structure y trouvera une nouvelle application de ce principe général que des faits en apparence minimes et dénués d’intérêt peuvent acquérir une haute importance si on les met en rapport avec d’autres qui, eux-mêmes, considérés isolément, sembleraient également insignifians. Il peut arriver que des détails de cette nature, étudiés dans leurs rapports avec les organes ou les proportions d’autres animaux, jettent une vive lumière sur des points du plus grand intérêt en physiologie, et se rattachent par suite aux considérations les plus élevées de la théologie naturelle. L’étude du membre antérieur, chez les lézards actuels[93], nous fait voir que le nombre des phalanges s’accroît régulièrement d’une, depuis le premier doigt ou pouce qui a deux phalanges, jusqu’au troisième qui en a quatre. Or tel est précisément l’arrangement numérique que l’on observe dans les trois premiers doigts de la main du ptérodactyle[94].

Ces trois premiers doigts du reptile fossile s’accordent donc par leur structure avec ceux du membre antérieur des lézards actuels ; mais, comme le bras du ptérodactyle devait être converti en un organe de vol, les phalanges du quatrième ou du cinquième doigt ont pris un alongement considérable, dans le but de supporter une membrane alaire[95].

Autant les os de l’aile du ptérodactyle offrent d’analogies de nombre et de proportion avec ceux des membres antérieurs du lézard, autant ils s’éloignent complètement par leur arrangement des os qui constituent les doigts extenseurs de l’aile de la chauve-souris[96].

Le nombre des doigts dans les membres postérieurs des ptérodactyles est ordinairement de quatre, le doigt extérieur ou petit doigt manquant ; et si nous comparons, pour le nombre et les proportions, ces quatre doigts à ceux des lézards, nous trouvons, quant au nombre, un accord aussi parfait que celui qui existe entre les membres antérieurs. Dans l’un comme dans l’autre genre, il y a deux phalanges au premier doigt ou pouce, trois au second, quatre au troisième, et cinq au quatrième. Et, quant aux proportions, la pénultième phalange est toujours la plus longue, et l’antépénultième la plus courte ; or, c’est précisément là ce que l’on observe dans les membres postérieurs des lézards[97]. Le but apparent de cette place qu’occupent les phalanges les plus courtes dans le milieu de la longueur des doigts chez les lézards, est de permettre à ces doigts une flexion plus considérable, pour qu’ils puissent entourer et étreindre des rameaux et des branches d’arbres de dimensions diverses, ou s’appliquer sur les inégalités du sol et des rochers dans l’acte de courir ou de grimper[98].

De pareilles concordances dans le nombre et dans les proportions des parties ne peuvent devoir leur origine qu’à un plan préparé à l’avance, pour que chacune fût en harmonie avec les fonctions spéciales qu’elle devait remplir ; elles nous permettent d’assigner à un animal éteint la place précise qu’il doit occuper dans une famille de reptiles actuellement existante ; et lorsque, dans presque chacun des os qui composent le squelette du ptérodactyle, nous rencontrons tant de particularités caractéristiques de cette même famille, mais modifiées précisément autant que l’exigeait l’introduction d’une fonction nouvelle, la fonction du vol, nous sommes frappés de l’unité de plan qui domine chaque partie, et façonne pour le but d’une locomotion aérienne des organes qui, dans tous les autres genres, sont modifiés dans le sens d’une locomotion terrestre ou aquatique.

La comparaison des extrémités postérieures chez le ptérodactyle et chez la chauve-souris[99] nous fait voir que cette dernière, de même que presque tous les autres mammifères, a trois phalanges à chaque doigt, le pouce excepté, où il y en a deux seulement. Mais les deux phalanges de ce pouce sont égales en longueur aux trois de chacun des autres doigts, de telle sorte que les cinq ongles sont rangés sur une ligne droite, et forment par cette disposition un crochet multiple à l’aide duquel l’animal se suspend dans des autres, la tête en bas, pendant toute la durée le ses longues périodes d’hibernation : le résultat de cet arrangement, c’est que le poids de son corps se partage également entre chacun de ses dix doigts. L’inégalité des doigts du ptérodactyle a dû lui rendre impossible de ranger ainsi ses griffes sur une seule ligne ; et comme d’ailleurs il ne lui eût pas suffi d’un ongle seulement pour supporter pendant un long temps le poids du corps tout entier, nous en pouvons conclure que les ptérodactyles ne se suspendaient pas à la manière des chauves-souris. Le volume et la forme des pieds de la jambe et de la cuisse prouvent que ces animaux pouvaient se tenir debout avec fermeté, les ailes pliées, et posséder ainsi une progression tout analogue à celle des oiseaux ; comme eux aussi, ils ont pu se percher sur des arbres, en même temps qu’ils avaient la faculté de grimper le long des rochers et des falaises en s’aidant des pieds et des mains, comme le font aujourd’hui les chauves-souris et les lézards.

Quant à leur régime, Cuvier pense qu’il se composait d’insectes, et la grandeur des yeux le porte à conclure que c’étaient des animaux nocturnes. La présence de grandes libellules fossiles dans les mêmes carrières de Solenhofen, où l’on rencontre le ptérodactyle, et les élytres de coléoptères qui accompagnent les os de ces animaux dans le calcaire oolitique de Stonesfield près d’Oxford, prouvent qu’à la même époque existaient de grands insectes qui pouvaient leur servir de pâture. Parmi les lézards actuellement existans, un grand nombre des espèces les plus petites se nourrissent d’insectes ; mais il en est aussi qui se nourrissent de chair, tandis que d’autres sont omnivores : et comme la grandeur et la force de la tête et des dents chez les deux espèces connues de ptérodactyles excèdent de beaucoup ce qu’exigerait un régime insectivore, on peut penser que les plus grandes espèces se nourrissaient de poissons, sur lesquels ils se précipitaient à la manière des hirondelles de mer. À en juger même par le volume énorme et la puissance de la tête chez le Pt. Crassirostris, ce reptile pouvait non seulement saisir des poissons, mais encore attaquer et dévorer les quelques petites espèces de marsupiaux qui existaient alors à la surface du globe.

L’étude que nous venons de faire du ptérodactyle nous a montré un des exemples les plus frappans que puisse fournir l’anatomie des animaux anciens de la constance des lois de connexion qui existent entre les espèces éteintes appartenant à la création fossile et les êtres organisés qui peuplent maintenant la surface du globe. Nous avons vu les détails d’organes que leur petitesse semblait dépouiller de toute valeur tirer une importance majeure du genre d’investigation que nous leur avons fait subir. Ces détails nous ont montré, non moins clairement que les membres colossaux des quadrupèdes les plus gigantesques, une identité numérique, une concordance de proportions qu’il nous est impossible de regarder comme des circonstances dues au hasard, et qui prouvent l’existence d’un but unique, un plan calculé à l’avance, une cause première intelligente de laquelle toutes ces existences tirent leur origine. Nous avons vu que, d’un côté, toutes les règles qui dominent l’organisation dans la famille actuelle des lézards se montrent rigoureusement maintenues dans les ptérodactyles, tandis que d’un autre côté, à titre de lézards créés pour la locomotion aérienne, comme les oiseaux et les chauves-souris, chacun de leurs organes en particulier a été habilement modifié en vue de cette condition nouvelle. Nous nous sommes arrêtés d’autant plus long-temps aux détails de leurs mécanismes que notre pensée s’est trouvée reportée à des âges plus excessivement reculés, et que nous y avons reconnu la main d’un créateur commun, qui ne se manifeste pas seulement dans les mécanismes de notre propre corps ou de celui des myriades de créatures inférieures qui s’agitent autour de nous, mais dont les soins s’étendent même à la structure d’êtres qu’au premier coup d’œil on pourrait prendre pour un tissu de monstruosités.


SECTION IX.


MÉGALOSAURE[100].


Le Mégalosaure, ainsi que l’indique son nom, était un lézard d’une grande taille, dont on a trouvé, dans les mêmes carrières que nous avons déjà citées, des os et des dents si parfaitement conservés, que, bien que jusqu’ici l’on n’ait pu encore en rencontrer un squelette entier, nous connaissons ses membres dans leurs formes et dans leurs dimensions, avec une certitude presque aussi complète que s’ils se fussent offerts réunis dans un seul bloc de pierre.

En le comparant, sous le rapport de la forme et des proportions de ses os, avec les lézards actuellement existans, Cuvier est arrivé à cette conclusion que le mégalosaure était un reptile énorme, d’une taille de quarante à cinquante pieds, et qui, pour sa structure, tenait tout à la fois du crocodile et du monitor.

Comme le fémur et le tibia ont près de trois pieds chacun, le membre postérieur dans son entier devait être long de près de six pieds ; et l’un des os métatarsiens a treize pouces de long ; ce qui prouve que le pied était d’une dimension en rapport avec les dimensions précédentes[101]. Les os des cuisses et des jambes n’étaient point pleins à leur partie centrale, ainsi que cela a lieu chez les crocodiles et chez d’autres quadrupèdes aquatiques ; mais ils étaient creusés d’une vaste cavité médullaire analogue à celle qui existe dans les os des quadrupèdes terrestres. Cette circonstance, jointe aux caractères que fournissent les pieds, nous apprend que le mégalosaure vivait principalement à la surface du sol.

Cette organisation intérieure dans des os fossiles nous montre le même mode d’accord entre le squelette et son élément, qui, de nos jours, distingue encore entre eux les os des sauriens terrestres et aquatiques[102]. Dans les ichthyosaures et les plésiosaures, dont les extrémités aplaties en rames ont été exclusive ment disposées pour une locomotion au sein des eaux, les os même les plus forts des membres antérieurs et des membres postérieurs sont massifs dans toute leur épaisseur. Le poids des os n’apportait, dans ces êtres, aucun obstacle à leur action au sein du milieu liquide qu’ils habitaient ; mais dans l’énorme mégalosaure, et dans l’iguanodon, encore plus colossal, qui, ainsi que l’enseignent les caractères de leurs pieds, avaient été créés pour se mouvoir à la surface de la terre, les plus grands os des membres ont été diminués en poids par des cavités internes remplies d’une substance médullaire peu dense, en même temps que leur forme cylindrique réunissait la double condition de la force et de la légèreté[103].

La forme des dents signale dans le mégalosaure un animal très carnivore ; il est probable qu’il se nourrissait de reptiles de taille médiocre, tels que les crocodiles et les tortues dont on retrouve les débris dans les mêmes couches. Peut-être aussi descendait-il dans les eaux pour s’y mettre à la poursuite des plésiosaures et des poissons[104].

La pièce la plus importante que l’on possède de ce reptile énorme, c’est un fragment de la mâchoire inférieure qui supporte plusieurs dents[105]. Il résulte de la forme de cette mâchoire que la tête se terminait en avant par un museau droit, mince et comprimé latéralement, comme celui du dauphin du Gange.

Les mâchoires et les dents étant, chez tous les animaux, les organes qui offrent les caractères les plus importans, nous bornerons nos observations actuelles à quelques unes des particularités les plus frappantes du système dentaire du mégalosaure. Et d’abord nous y trouvons la preuve que c’était un animal très voisin de quelques uns de nos lézards modernes ; et si nous considérons ses dents comme les instrumens d’approvisionnement d’une créature carnivore de taille énorme, nous verrons qu’elles étaient dans un rapport admirable avec les fonctions de destruction pour lesquelles elles ont été créées. Leur forme et leur mécanisme seront mieux compris par un coup d’œil jeté sur les figures de la planche 23[106].

Ces dents, par la réunion d’arrangemens mécaniques qui entre dans leur structure, tiennent tout à la fois du couteau, du sabre et de la scie[107]. Lorsqu’elles commencent à sortir de la gencive[108], leur sommet présente un tranchant double d’un émail denté en scie. Leur position alors, ainsi que la ligne suivant laquelle s’exerce leur action, sont à peu près verticales, et elles forment comme une sorte de sabre à pointe doublement tranchante. À mesure que ces dents s’accroissent, elles prennent une courbure en arrière qui leur donne la forme d’une serpette[109], et l’émail dentelé se continue le long de l’arête interne ou tranchante de la dent (fig. 1, B-D), tandis qu’au contraire sur l’arête opposée l’émail ne descend qu’à une petite distance du sommet (fig. 1, B-C) ; de telle sorte que l’arête convexe se trouve épaisse et obtus, de la même manière que l’on fait le dos d’un couteau plus épais afin qu’il soit plus solide. Cette solidité des dents du mégalosaure s’accroît encore par le renflement de ses parois latérales, ainsi qu’on le voit dans la coupe transversale (fig. 4, A, D). Si la dentelure se fût continuée dans toute la longueur de l’arête obtuse et convexe de la dent, c’eût été pour cet organe un tranchant que sa position eût rendu inutile ; et on le voit en effet cesser précisément au point C, passé lequel il n’aurait plus produit aucun effet. Avec des dents ainsi construites, de façon à couper dans toute la longueur de leur bord concave, chaque mouvement des mâchoires, produit l’effet combiné d’un couteau et d’une scie, en même temps que le sommet opère une première incision, comme le ferait la pointe d’un sabre à double tranchant. La courbure en arrière que prennent les dents à leur entier accroissement rend toute fuite impossible à la proie une fois saisie, de la même manière que tas barbes d’une flèche rendent son retour impraticable. Ainsi, dans les modifications que ces divers organes ont subies pour s’approprier aux circonstances dans lesquelles ils sont placés, nous retrouvons les mêmes arrangemens que l’habileté humaine a mis en œuvre dans la fabrication de plusieurs des instrumens qu’elle emploie.

Dans un chapitre précédent (ch. XIII), j’ai essayé de faire voir que l’existence des races carnivores parmi les animaux a pour résultat une diminution dans la somme des douleurs qui sont réservées aux autres êtres du même règne. Toute disposition des mâchoires ou des dents, qui sera de nature à procurer une mort plus expéditive, se trouvera en accord avec ce même but si hautement avantageux ; et c’est là le motif qui nous dirige nous-mêmes toutes les fois que, sans autre impulsion que celle d’un sentiment d’humanité, nous nous servons des instrumens les plus propres à donner une mort prompte et facile à ces animaux innombrables qui sont immolés chaque jour pour la nourriture de l’homme.

SECTION X.


IGUANODON[110].


Tous les reptiles que nous avons considérés jusqu’ici furent carnivores, c’est ce que nous a appris l’examen de leurs dents ; mais il existe aussi dans la même grande famille des espèces remplissant les fonctions d’herbivores, et en offrant tous les caractères. De ce nombre est le genre suivant, dont nous devons la connaissance aux savantes recherches de M. Mantell. Non seulement cet historien infatigable de la formation wealdienne d’eau douce a rencontré dans ces dépôts de la période comprise entre la série oolitique et la série crétacée des débris de plésiosaures, de mégalosaures, d’hylaeosaures[111] et de plusieurs espèces de crocodiles et de tortues ; mais il a découvert en outre, dans la forêt de Tilgate, les débris de l’iguanodon[112], reptile encore plus gigantesque que le mégalosaure, et que son système dentaire démontre avoir été herbivore. Les dents de l’iguanodon ressemblent si parfaitement par leur structure aux dents de l’iguane moderne, qu’elles ne laissent aucun doute sur les rapports intimes qui existent entre ce dernier reptile, notre contemporain, et le premier, le plus gigantesque de ceux qui ont disparu de la surface du globe. Si nous observons que les plus grandes espèces d’iguanes vivans ont rarement plus de cinq pieds de long, tandis que leur congénère fossile dut avoir une taille douze fois plus considérable, nous ne pourrons nous défendre d’un mouvement d’étonnement en rencontrant dans des organes aussi caractéristiques que l’est le système dentaire une ressemblance qui va presque jusqu’à l’identité entre les reptiles les plus énormes de la création ancienne et un genre qui ne renferme maintenant que des espèces proportionnellement si faibles. Suivant Cuvier, l’iguane commun habite toutes les contrées chaudes de l’Amérique ; il passe la plus grande partie de sa vie sur les branches, où il se nourrit de fruits, de semences et de feuilles. La femelle va quelquefois à l’eau, pour déposer dans le sable ses œufs qui sont à peu près de la grosseur de ceux d’un pigeon[113].

De ce fait que les iguanes modernes ne se rencontrent que dans les régions les plus chaudes de notre globe, nous sommes autorisés à conclure qu’une température égale à celle de ces contrées, sinon plus élevée, régnait sur les côtes maintenant tempérées du sud de l’Angleterre, à l’époque où elles avaient pour habitans des lézards aussi énormes que l’iguanodon. Il est prouvé par un fragment de fémur de la collection de M. Mantell que l’os de la cuisse de ce reptile surpassait en grosseur celui des éléphans les plus grands. Ce fragment a vingt-deux pouces de circonférence dans sa moindre épaisseur, et il a dû avoir en longueur environ quatre ou cinq pieds. Et si l’on vient à comparer les dimensions de cet os monstrueux avec celles des dents fossiles qui l’accompagnent, on voit que ce rapport est à peu de chose près celui qui existe entre le fémur de l’iguane et ses dents si caractéristiques, et si semblables à celles de l’iguanodon[114].

D’après ce que nous avons déjà établi dans l’article précédent, les grandes cavités médullaires du fémur et la forme des os des pieds démontrent que l’iguanodon comme le mégalosaure était organisé pour une locomotion terrestre.

Une analogie de plus existe entre le reptile fossile et ses congénères actuels ; c’est l’existence d’une corne osseuse surmontant le museau[115]. Deux faits d’organisation aussi remarquables que cette corne nasale d’une part, et de l’autre le mode de dentition dont aucun exemple ne se rencontre ailleurs que chez les iguanes, fournissent dans leur présence simultanée une preuve nouvelle de l’universalité de ces lois de co-existence des parties dont l’empire n’est pas moins absolu sur les genres et les espèces qui font partie de l’univers fossile que sur les existences qui composent le règne animal du monde actuel.


Dents.


Comme les dents sont les organes les plus caractéristiques et les plus importans de l’animal tout entier, j’essaierai de faire voir qu’elles ont été l’objet d’un arrangement providentiel, soit dans leur structure, soit dans la manière dont elles se renouvellent, soit enfin dans le mode tout spécial suivant lequel elles s’adaptent à un régime essentiellement végétal. Ces dents ne sont point logées dans des alvéoles distinctes comme celles des crocodiles, mais fixées, comme cela a lieu chez les lézards, à la face interne de l’os dental, auquel elles sont soudées par l’une des faces de la substance osseuse de leur racine[116].

Les dents des quadrupèdes herbivores, si l’on en excepte les défenses, forment deux groupes à fonctions bien distinctes, les incisives et les molaires ; les premières destinées à saisir et à arracher au sol ou aux plantes les substances végétales alimentaires, les autres à les broyer et à les préparer pour qu’elles descendent dans l’estomac. Les iguanes, bien qu’ils soient en grande partie herbivores, offrent une exception frappante & cette règle générale. Comme leurs dents sont peu propres au broiement des alimens, elles les laissent passer dans l’estomac presque sans leur avoir fait subir aucune division.

Le reptile géant qui nous occupe possède des dents tout à fait pareilles à celles de l’iguane, et d’un aspect tellement herbivore que Cuvier, au premier coup d’œil, pensa que ce devaient être celles de quelque rhinocéros.

L’étude de ces dents nous fera connaître de remarquables dispositions qui les rendent propres à la fonction de brouter des substances végétales, pelles, que les clathraria, et autres plantes analogues, que l’on rencontre ensevelies avec les restes de l’iguanodon. On, connaît la disposition et la force des tenailles en fer qui servent à arracher les clous du bois où ils sont enfoncés. Il est d’autres pinces ou cisailles encore plus puissantes destinées à couper des fils de métal, et qui les divisent avec autant de facilité qu’un fil est divisé par une paire de ciseaux. Les figures 6, 7, 8 et 12 de la pl. 24 font voir que, dans les dents de l’iguanodon, la place qu’occupent les bords tranchans, leur mode de courbure, les points où elles deviennent plus larges ou plus étroites, sont à peu près les mêmes que dans ces puissantes tenailles en acier ; et l’on peut se convaincre que ces organes soit pour arracher, soit pour trancher, offrent les mêmes avantages[117].

On y observe deux arrangemens distincts dont le but est de maintenir toujours acérée leur arête tranchante, depuis la sortie des gencives jusqu’au moment où les dents étaient usées jusqu’à n’être plus qu’un tronçon. C’est d’abord leur arête aiguë et dentée qui descend des deux côtes, depuis la pointe jusqu’à la portion la plus élargie du corps de la dent. Puis, une compensation à la destruction graduelle de cette arête dentée, par l’application d’une lame mince d’émail à la face antérieure de la dent, laquelle conservait ainsi son fil acéré, tandis que le reste de sa substance se détruisait par suite de ses fonctions[118].

À mesure que la couronne s’usait ainsi de haut en bas, une absorption simultanée s’exerçait à la racine, causée par la pression d’une dent nouvelle qui naissait pour remplacer l’ancienne, jusqu’à ce que cette destruction, agissant d’une manière incessante aux deux extrémités, eût réduit la portion moyenne de l’ancienne à la condition d’un tronçon creux (fig. 11, 12) qui tombait de la mâchoire pour être bientôt remplacé[119]. À ce dernier état, la forme de l’organe avait entièrement changé ; sa couronne avait pris la forme aplatie de la couronne des incisives humaines ; elle ne pouvait plus s’acquitter que d’une mastication imparfaite, et elle était devenue presque inutile comme instrument tranchant.

Il n’existe pas, je crois, un autre exemple de dents aussi merveilleusement constituées comme instrumens mécaniques destinés à couper et à déchirer la substance végétale des plantes coriaces et résistantes ; et nous trouvons dans ce mécanisme animal des plus curieux une harmonie parfaite de toutes les diverses parties qui constituent la dent et de toutes les proportions de cet organe avec les fonctions spéciales qu’il est appelé à remplir, en même temps que des modifications que l’organe subit, en rapport avec les conditions diverses où il se trouve placé aux diverses périodes de sa destruction successive. El à moins que de nous refuser à appliquer aux ouvrages de la nature les mesures qui nous servent dans l’appréciation des ouvrages de l’art humain, comment pourrions-nous voir ces instrumens où la beauté des dispositions mécaniques s’allie une si grande simplicité de moyens, et où tout est préparé à l’avance pour toutes les phases successives de leur emploi, sans nous sentir pénétiés de cette conviction profonde que tous ces arrangemens prennent leur origine dans les desseins d’une haute intelligence.


SECTION XI.


SAURIENS AMPHIBIES VOISINS DES CROCODILES.


Les reptiles fossiles de la famille des crocodiliens ne s’écartent pas assez des genres vivans pour que nous ayons à entrer séparément dans la description d’arrangemens qui sont particuliers à chacun, et qui ne se seraient pas perpétués jusqu’à l’époque actuelle, ainsi que nous en avons rencontré dans l’ichthyosaure, le plésiosaure, le ptérodactyle : mais ce fait, qu’ils se sont montrés à l’état fossile, est d’une haute importance ; car il prouve que si un grand nombre de formes d’animaux vertébrés n’ont été créées que les unes après les autres, et ont disparu pendant la durée des changement géologiques qui se sont succédé à la surface de notre globe, il en est aussi qui ont traversé tous ces changemens, toutes ces révolutions, et qui conservent encore les traits principaux qui les caractérisaient au moment de leur apparition première.

L’examen de l’état du globe et du caractère général de sa population au moment où les crocodiliens furent appelés pour la première fois à y prendre place prouve que la classe des reptiles était la plus élevée de celles qui existaient alors, et que, à l’exception des seuls poissons, il n’existait pas d’autres animaux vertébrés. C’est donc dans cette dernière classe surtout que les reptiles carnivores de cette époque reculée ont dû trouver leur pâture ; et si, dans la famille actuelle des crocodiliens, il en est qui soient piscivores à un degré prononcé, leur forme est précisément celle que nous devons nous attendre à rencontrer dans ces genres fossiles les plus anciens qui ont dû se nourrir principalement de poissons.

Parmi les sous-genres actuels de la famille des crocodiliens, le gavial du Gange offre un museau mince et alongé, approprié à un régime piscivore ; tandis que le museau plus court et plus robuste des crocodiles et des alligators à tête aplatie leur permet de saisir et de dévorer les quadrupèdes qui dans ces pays chauds viennent boire au bord des rivières. Comme, pendant la durée de ces périodes secondaires, il n’existait presque aucun mammifère[120], alors que les eaux, au contraire, étaient abondamment peuplées de poissons, nous pourrions donc à priori prévoir que, si quelque forme de crocodilien apparut à cette époque, elle dut se rapprocher surtout de celle de nos modernes gavials. Et l’on n’a en effet rencontré jusqu’ici que des genres à museau alongé, soit dans les formations antérieures à la craie, soit dans la craie elle-même ; tandis que les crocodiles vrais, ceux dont le museau court et aplati rappelle les caïmans et les crocodiles proprement dits, apparaissent pour la première fois dans les couches des périodes tertiaires où les débris de mammifères se rencontrent en grande abondance[121].

Durant ces grandes périodes signalées par l’existence des mammifères lacustres, et où un très petit nombre des carnivores actuels avait reçu l’existence, il paraît que c’est aux crocodiles que fut dévolue la fonction importante de limiter dans de justes bornes l’accroissement excessif des herbivores aquatiques ; et leurs habitudes les y rendaient éminemment propres. Ainsi l’histoire passée des crocodiliens nous offre une nouvelle preuve de l’action régulière d’un plan invariable dans l’économie de la nature animée, plan qui dirige chaque individu de telle façon que, tout en obéissant à son instinct propre et recherchant son propre bien-être, il ne cesse pas d’être un instrument du bien-être général de tout l’ensemble des créatures qui vivent en même temps que lui.

Cette famille des crocodiliens, qui vit habituellement dans les eaux douces, se rencontre dans plusieurs lits où ses débris sont mêlés à ceux d’autres reptiles et de coquilles qui ont certainement vécu dans les eaux de la mer. Cuvier fait observer que ce premier fait, joint à ce qu’on les rencontre dans un grand nombre d’autres circonstances en compagnie de tortues d’eau douce, démontre qu’il exista des terres fermes arrosées par des rivières dès l’époque reculée où ces couches furent déposées, et long-temps avant la formation des couches lacustres tertiaires des environs de Paris[122]. La famille des crocodiliens comprend maintenant douze espèces, dont un gavial, huit crocodiles vrais, et trois caïmans. Il existe en outre un grand nombre d’espèces fossiles ; Cuvier en a établi lui-même jusqu’à six, et il en est plusieurs appartenant aux formations secondaires et tertiaires de l’Angleterre qui n’ont pas encore été décrites[123].

Il est tout à fait inutile, pour le but que nous nous proposons, de nous livrer à une comparaison minutieuse de l’ostéologie des genres et des espèces vivantes et fossiles qui constituent cette famille. Il nous suffira d’observer que leur système de dentition est partout le même, et que chez tous il a été pourvu aux chances extraordinaires de destruction qui menacent les dents par une réserve de ces organes essentiels plus riche que chez aucun autre animal[124]. Comme les crocodiles parvenus à leur dernier état d’accroissement n’ont pas moins de quarante fois le volume qu’ils avaient en sortant de l’œuf, il leur a été donné de changer de dents beaucoup plus fréquemment qu’aux mammifères, afin qu’elles se trouvassent en proportion exacte avec le reste de l’organisation à toutes les périodes de leur existence ; et les habitudes de rapine qui caractérisent ces animaux étant cause que des dents supportées par une mâchoire aussi prolongée sont plus exposées à être détruites, ce même arrangement offre de plus cet autre avantage de remplacer les perles occasionnées par des cassures accidentelles.

Ces forces réparatrices ainsi appliquées à l’avance à la satisfaction de besoins qui n’existent pas encore, à la réparation d’accidens de long-temps prévus sont un argument de plus que nous offrent ces arrangemens pleins de prévoyance, pour démontrer par l’existence d’un plan général l’action d’une intelligence régulatrice dans la création et dans la conservation des mécanismes animaux où se rencontrent de telles dispositions.

La présence de crocodiliens aussi étroitement alliés à nos gavials actuels, dans les mêmes couches anciennes où l’on rencontre les premières traces des plésiosaures et des ichthyosaures, nous semble tout à fait en opposition avec toute théorie qui voudrait trouver dans ces derniers animaux la souche des premiers, en invoquant quelque procédé graduel de transformation ou de développement. L’apparition de ces trois familles de reptiles paraît avoir été à peu près simultanée ; et ils ont continué d’exister simultanément jusqu’à la fin des formations secondaires, époque où les ichthyosaures et les plésiosaures ont disparu, et où ont commencé d’exister les formes crocodiliennes se rapprochant du caïman et des crocodiles proprement dits.


SECTION XII.


TORTUES OU CHÉLONIENS FOSSILES.


Au nombre des animaux qui peuplent les régions chaudes de notre globe, se trouvent les reptiles que Cuvier a réunis en un ordre sous le nom de chéloniens ou tortues. Cet ordre comprend quatre familles dont l’une habite les eaux salées, tandis que deux vivent dans les lacs d’eaux douces et dans les rivières, et que la quatrième ne quitte jamais la terre. Un de leurs caractères les plus importans consiste dans les arrangemens qui ont été disposés pour mettre à l’abri ces créatures à mouvemens lents et engourdis ; pour ce but, une double cuirasse a été créée par l’agrandissement des vertèbres, des côtes et du sternum qui enferment tout le tronc dans une vaste boîte osseuse.

La petite tortue d’Europe, la tortue grecque, et la tortue comestible ou tortue franche, sont des exemples connus de ce singulier mode d’organisation parmi les espèces terrestres et parmi les espèces aquatiques. Dans chacun de ces animaux, la présence d’un bouclier compense le défaut de vitesse et les protège contre des ennemis qu’ils ne peuvent éviter par la fuite, ni en cherchant leur salut dans des retraites. La géologie nous apprend que cet ordre a commencé à peu près à la même époque que celui des sauriens, et que depuis lors jusqu’à nos jours ces deux ordres n’ont pas cessé d’exister simultanément pendant toute la durée des formations secondaires et tertiaires. On observe aussi que leurs débris fossiles, de même que les espèces modernes, se partagent dans les trois groupes que nous avons déjà signalés, et qui ont été créés pour habiter la terre ferme, l’eau douce ou l’eau salée.

les animaux de cet ordre ne sont rencontrés que dans des couches postérieures à celles de la série carbonifère[125]. Le plus ancien exemple qu’en cite Cuvier[126] est une grande tortue marine trouvée dans le muschelkalk de Luneville ; sa carapace avait huit pieds de long. On en a rencontré une autre espèce marine à Glaris, dans une ardoise que l’on peut rapporter aux formations crétacées les plus anciennes. Une troisième se trouve à Maestricht, dans le grès crétacé supérieur. Toutes ces espèces sont associées aux débris d’autres animaux ayant habité les eaux salées, et, bien qu’elles diffèrent des espèces actuelles en même temps qu’elles diffèrent entre elles, elles offrent néanmoins, dans les principes qui ont dirigé leur construction, une conformité telle avec les conditions d’organisation qui font de nos chélonées modernes des animaux créés pour habiter la mer, que Cuvier a pu prononcer sans hésiter que les espèces fossiles soumises à son observation avaient habité certainement les eaux salées[127].

On rencontre, dans les formations wealdiennes d’eau douce de la série secondaire, des espèces fossiles appartenant aux genres trionyx et émys ; mais elles se montrent en plus grande abondance encore dans les dépôts lacustres de la série tertiaire ; et, chez toutes, la vie et la mort paraissaient s’être accomplies au milieu de circonstances tout à fait analogues à celles qui entourent maintenant dans les rivières et les lacs des tropiques les espèces vivantes qui leur sont voisines en organisation. On les a rencontrées aussi dans des dépôts marins[128], où leur présence, en compagnie de débris de reptiles crocodiliens, conduit à penser que, suivant toute probabilité, elles furent, ainsi que ces derniers, entraînées de la terre ferme dans la mer à une distance du rivage peu considérable.

Les rapports étroits qui existent, quant à leurs caractères génériques entre ces tortues fossiles appartenant à des époques géologiques diverses et très reculées, et les espèces qui vivent nos contemporaines, nous fournissent un frappant exemple de l’unité du plan d’après lequel ont été créés les animaux, à partir des époques les plus éloignées, où ces diverses formes d’organisation furent appelées à l’existence. De même que les rames qui terminent les membres des chélonées furent disposées à toutes les époques pour une locomotion au sein des vagues de la mer, de même aussi les pattes des trionyx et des emydes furent dans tous les temps construites pour une vie plus paisible au sein des eaux douces, tandis que celles des tortues de terre n’offrent pas des caractères moins tranchés qui les désignent comme faites pour ramper à la surface du sol et s’y creuser des terriers.

La rencontre des débris fossiles appartenant aux tortues terrestres a été jusqu’ici beaucoup plus rare. Cuvier en cite deux exemples, l’un à Aix, dans des formations très récentes ; l’autre à l’Ile de France. Cependant l’Écosse a offert tout dernièrement la preuve qu’il existait plus d’une espèce de ces reptiles terrestres durant la période de formation du nouveau grès rouge ou grès bigarré,[129], et cette preuve est d’une nature dont on trouve bien peu d’exemples dans l’histoire des débris organiques[130]. Il n’est pas rare de voir à la surface du grès des empreintes produites par le passage de petits crustacés ou d’autres animaux marins, à l’époque où cette roohe était encore à l’état de «able désagrégé gisant au fond des mers. Souvent aussi, les grès feuilletés sont disposés par petites ondulations semblables à celles que produisent les rides de la surface d’une mer peu agitée sur le sable de ses rivages[131].

Les mêmes causes qui ont si fréquemment conservé ces ondulations ont dû conserver de même les empreintes que des pieds d’animaux ont pu laisser sur les lits de sable ; car la seule condition indispensable pour qu’une telle conservation ait pu avoir lieu, c’est que ces empreintes une fois faites aient été recouvertes par le dépôt d’une matière terreuse avant que les mouvemens des eaux ne les aient fait disparaître.

La planche 26 donne une idée de la nature des empreintes observées dans le comté de Dumfries. On les voit toujours monter ou descendre à la surface des couches, inclinées maintenant à trente-huit degrés ; jamais elles ne la parcourent dans le sens transversal. On voit, sur une seule table enlevée à cette localité, vingt-quatre empreintes de pieds qui se suivent, et forment une trace régulière dans laquelle l’empreinte de chaque pied se répète six fois. Les pieds antérieurs diffèrent par leur conformation des pieds postérieurs. L’empreinte des ongles est aussi parfaitement distincte[132].

Malgré l’abondance de ces empreintes dans les vastes carrières de Corn Cockle Muir, on n’a néanmoins retrouvé aucun fragment osseux appartenant aux animaux dont les pieds se sont ainsi moulés dans la vase. Cette circonstance pourrait peut-être s’expliquer par la nature même du grès siliceux, peu favorable à la conservation des débris organiques ; et les conditions de cette destruction complète des restes osseux ne sont pas en opposition avec la conservation d’empreintes faites par les pieds et promptement recouvertes par une couche de sable qui s’y serait moulée de façon à en reproduire les formes avec autant de fidélité que pourraient le faire les substances plastiques employées dans l’art du moulage.

Mais cette absence même d’ossemens dans ces roches où se trouvent de si nombreuses empreintes de pieds n’est point un obstacle pour la science ; et nous pourrons, sans nous appuyer ailleurs que sur ces derniers témoignages, nous convaincre de l’existence des animaux qui les ont produits, et en reconnaître même jusqu’aux caractères distinctifs. Ces traces sont trop courtes pour que ce soient des pieds de crocodiles ou de quelques autres sauriens connus qui s’y soient ainsi moulés ; et c’est parmi les chéloniens ou tortues, que nous pouvons rechercher avec le plus de chances de succès les espèces auxquelles ces empreintes doivent leur origine[133].

Que l’historien ou l’antiquaire aillent visiter les champs où se sont livrées les batailles des temps anciens ou des temps modernes ; qu’ils suivent pas à pas la marche de ces victorieux conquérans, dont les armées ont broyé les plus puissans royaumes ; le vent et la tempête ont effacé le sillon éphémère qu’y avait creusé leur passage, et les pieds de tant de millions d’hommes et de bêtes qui ont parcouru le monde en tous sens pour y semer la ruine et la désolation n’ont pu peser assez sur sa surface pour y laisser après eux une seule de leurs empreintes. Mais ces reptiles, qui se sont traînés sur la croûte encore ébauchée de notre planète aux âges de son enfance, y ont imprimé d’ineffaçables souvenirs de leur passage. Aucune histoire ne rappelle leur création, ni comment ils ont été enveloppés dans une destruction complète ; et l’on ne retrouve pas même leurs os parmi les débris fossiles qui nous sont restés de l’univers ancien. Des milliers d’années séparent le nous l’époque où ces traces ont été laissées par le pied des tortues sur les sables de leur Écosse natale ; et, le jour où, de nouveau rendues à la lumière, elles viennent s’offrir à notre curiosité et à notre admiration, elles nous apparaissent gravées sur le roc, comme sur une neige récente les pas d’un animal qui vient d’y passer ; elles sont là comme une moquerie jetée aux potentats les plus puissans des sociétés humaines, et comme une voix pour nous redire combien sont peu de chose des centaines de siècles en présence de l’éternité[134].


SECTION XIII.


POISSONS FOSSILES.


L’histoire des poissons fossiles est de toutes les branches de la palæontologie celle à laquelle on a fait jusqu’ici le moins d’attention par suite de l’imperfection de nos connaissances sur les poissons actuellement existans. Les retraites inaccessibles qu’ils habitent au fond des eaux rendent l’étude de leur nature et de leurs habitudes beaucoup plus difficile que de celles des animaux terrestres. La distribution de cette grande et importante classe de vertèbres est la dernière œuvre dont s’est occupé Cuvier peu de temps avant sa mort à jamais déplorable, et ses observations ont embrassé près de huit mille espèces de poissons actuellement vivantes. Il a laissé à ses habiles successeurs le soin de développer leur histoire, de les énumérer, et de dire les fonctions qu’elles remplissent dans la nature.

Ce fait, que de vastes portions de la surface de la terre se sont formées au fond des eaux, nous donne à espérer que nous rencontrerons des traces de l’existence primitive des poissons partout où s’offrent des restes de mollusques aquatiques, d’articulés et de rayonnés. Et un certain nombre de localités remarquables sont en effet déjà depuis long-temps célèbres comme offrant des dépôts de poissons fossiles[135]; mais les relations géologiques de ces dépôts n’ont été que fort mal déterminées, et il règne encore la plus grande obscurité sur la nature des poissons que l’on y rencontre.

La tâche de porter remède à ce désordre a été entreprise depuis long-temps déjà par un homme aux mains duquel Cuvier a remis les matériaux qu’il avait recueillis lui-même pour cette œuvre importante. Les savantes recherches de M. Agassiz ont déjà porté à plus de deux cents le nombre des genres connus de poissons fossiles renfermant plus de huit cent cinquante espèces[136] ; et les résultats auxquels ses travaux l’ont conduit jettent de nouvelles et importantes lumières sur l’état du globe durant chacune des grandes périodes dans lesquelles se partage son histoire. L’étude de l’ichthyologie fossile est donc d’une importance toute spéciale pour les géologues ; car elle leur permet de suivre dans la série entière des formations géologiques toute une classe d’animaux appartenant à l’embranchement si élevé des vertébrés, et de comparer entre elles les conditions diverses d’existence par lesquelles ils sont passés en traversant les périodes successives de la formation du globe, ce que Cuvier n’a pu faire, faute de matériaux suffisans, que dans des limites beaucoup plus restreintes, et pour les seules classes des reptiles, des oiseaux et des mammifères.

Le système d’après lequel M. Agassiz a établi sa classification des poissons actuels la rend grandement applicable aux poissons fossiles ; car il repose sur les caractères des tégumens extérieurs, ou écailles. Ce sont là des caractères tellement sûrs, tellement constans, qu’il suffit souvent de la conservation d’une seule écaille pour que l’on puisse reconnaître le genre et jusqu’à l’espèce à laquelle appartient l’animal d’où elle provient, de la même manière qu’il suffit de certaines plumes pour faire reconnaître à d’habiles ornithologistes le genre et l’espèce auxquels appartient un oiseau. Une autre conséquence, c’est que la nature des tégumens nous faisant connaître les relations qui existent entre les animaux et le monde extérieur, nous sommes conduits pour les poissons à la connaissance de ces relations par cette étude de leur système tégumentaire[137] ; car leurs écailles forment une sorte de squelette externe, analogue aux tégumens calcaires ou cornés des animaux articulés, aux plumes des oiseaux, à la fourrure des quadrupèdes, appendices qui nous instruisent beaucoup mieux que la charpente intérieure elle-même, sur les relations de ces divers êtres avec le milieu pour lequel ils ont été créés.

Enfin il est encore une considération qui ajoute aux avantages de cette méthode, c’est que les écailles de plusieurs poissons des époques géologiques les plus reculées étaient revêtues d’un émail qui les rendait beaucoup moins sujettes à la destruction que le squelette interne lui-même. Il arrive fréquemment que l’enveloppe écailleuse tout entière et la configuration extérieure du poisson se soient parfaitement conservées sans que l’on rencontre aucun des os qui entraient dans sa charpente intérieure. L’émail de ces écailles est beaucoup moins soluble que la substance calcaire des os[138]

Il est bien évident que toute une branche de l’histoire naturelle, nouvelle et des plus importantes, est venue se mettre au service de la géologie, le jour où l’étude des caractères des poissons fossiles s’est trouvée établie sur une base d’une application aussi générale que le système que nous venons d’esquisser. C’est un élément nouveau qui se trouve introduit dans les calculs géologiques ; c’est une machine puissante, jusqu’ici demeurée sans emploi, et qui vient de nous être mise entre les mains pour faciliter nos recherches c’est presque un nouveau sens qui a pris place parmi nos facultés de perception géologique. — Et c’est ainsi que nous sommes conduits à ce résultat général que les poissons fossiles se rapprochent d’autant plus des genres et des espèces actuelles qu’on les rencontre dans les dépôts tertiaires plus récens ; qu’ils s’en éloignent davantage à mesure que l’on descend dans des couches d’une antiquité plus reculée ; et que les couches intermédiaires sont caractérisées par des modifications intermédiaires dans leurs conditions ichthyologiques.

Enfin nous arrivons encore à cette autre conséquence que toutes les grandes variations dans le caractère des poissons fossiles paraissent s’être accomplies en même temps que les changemens les plus importans qui aient eu lieu dans les autres classes fossiles animales ou végétales, ainsi que dans la condition minérale des roches stratifiées[139].

L’esprit est grandement satisfait de l’accord qui existe entre ces conclusions et celles auxquelles les géologues ont été conduits par d’autres données. Quant aux faits de détail dont elles sont la conséquence, ils seront exposés par M. Agassiz dans un ouvrage en plusieurs volumes qui formera une suite aux ossemens fossiles de Cuvier. Je prendrai dans les parties de cet ouvrage qui ont déjà paru, et dans les communications que l’auteur a bien voulu me faire, un petit nombre d’exemples qui feront connaître quelques unes des familles les plus remarquables des poissons fossiles.

Il paraît bien démontré qu’il n’en est pas de ces vertébrés comme d’une grande partie des zoophytes et des mollusques, dont les changemens ne s’opèrent d’une formation à une autre que par des degrés insensibles. On ne voit pas des genres ou même des familles se maintenir dans plusieurs séries successives de grandes formations ; mais chez les poissons fossiles les changemens s’opèrent brusquement et dans des points précis de la succession verticale des couches, et rappellent les variations soudaines des reptiles et des mammifères fossiles[140]. Il n’est pas une seule de leurs espèces qui ait appartenu à la fois à deux grandes formations géologiques ; pas une que l’on retrouve vivante dans les eaux de nos mers actuelles[141].

Déjà les recherches de M. Agassiz ont produit cet important résultat que l’âge de certaines formations, et leur place dans la série, dont jusqu’à lui aucun caractère n’avait pu rendre compte, ont été mis en évidence par la connaissance des poissons fossiles qui y sont contenus[142].


ORDRE CES GANOÏDES.


Poissons sauroïdes.


Les poissons voraces de la famille des sauroïdes, ou poissons lacertiformes, appellent les premiers notre attention. Leur étude est d’une haute importance pour l’histoire physiologique des poissons, car ils réunissent dans la structure de leurs parties solides et de leurs parties molles un ensemble de caractères qui leur sont communs avec la classe des reptiles. Déjà M. Agassiz a reconnu et déterminé dix-sept genres appartenant à cette famille. Leurs seuls représentans dans la création actuelle sont les deux genres lépidostée[143] et polyptère. Le premier de ces genres renferme cinq espèces, et le second deux ; on ne les rencontre que dans les eaux douces, savoir : le genre lépidostée dans les rivières de l’Amérique du Nord, et le genre polyptère dans le Nil et dans les eaux du Sénégal[144].

Les dents des poissons sauroïdes sont sillonnées vers leur base de stries longitudinales et creusées à leur intérieur d’une cavité conique. Les os palatins sont également pourvus d’un appareil dentaire très considérable[145].

Les figures 11, 12, 13 et 14 de la pl. 27 représentent les dents des poissons sauroïdes les plus grands que l’on ait découverts jusqu’ici ; elles égalent par leurs dimensions les dents des plus grands crocodiles : on les rencontre dans la région inférieure du terrain carbonifère des environs d’Édimbourg, et M. Agassiz les rapporte au nouveau genre mégalichthys. On voit pl. 27, fig 9 et pl. 27a fig. 4, des fragmens de mâchoires qui contiennent plusieurs dents plus petites, mais de la même sorte. Toutes ces dents sont de forme extérieure à peu près conique, avec une cavité intérieure en cone creux comme on en voit chez beaucoup de sauriens, et la base en est cannelée comme celle des dents de l’ichthyosaure. Le volume prodigieux de ces organes démontre le volume énorme qu’atteignaient les poissons de cette famille, à cette époque reculée où se formaient les terrains carbonifères[146]. La structure en est entièrement analogue à la structure des dents du lépidostée osseux des mers actuelles[147].

On n’a trouvé dans le calcaire magnésien que des poissons sauroïdes de plus petite taille, et formant à peu près le cinquième du nombre total observé jusqu’ici dans la formation dont ce terrain fait partie. On rencontre dans le lias de Whitby et de Lyme-Regis de très grands os qui proviennent de cette même famille de poissons rapaces, et les genres dont elle se compose abondent également dans toute l’étendue de la formation oolitique[148]. Ils sont au contraire fort rares dans les formations crétacées, et l’on n’en a encore trouvé dans aucune couche tertiaire. Dans la création actuelle, ils sont réduits aux deux genres lépidostée et polyptère.

Cette famille des sauroïdes occupe, comme on le voit, une place importante dans l’histoire des poissons fossiles. Dans les eaux de la période de transition, ce furent eux surtout et les squales qui remplirent les fonctions de carnivores destinés à poser des limites par leur voracité à l’accroissement excessif des familles inférieures. Dans les couches secondaires jusqu’au moment où commença la craie, les ichthyosaures et autres sauriens marins prirent une part active à cette fonction importante. Dans les formations tertiaires, ces reptiles, ainsi que les poissons sauroïdes qui s’en rapprochent par leur organisation, ont disparu tout à fait pour faire place à d’autres familles rapaces beaucoup plus voisines de celles de la création actuelle[149].


Poissons des couches de la série carbonifère.


Je choisirai le genre Amblyptère[150] comme exemple de poissons dont l’existence a été restreinte aux périodes les plus anciennes des formations géologiques, et qui se distinguent par des caractères d’organisation que l’on ne retrouve plus dans aucun animal de la même classe, passé l’époque où se déposa le calcaire magnésien.

Ce genre ne se montre que dans la série carbonifère ; on en a découvert quatre espèces à Saarbruck en Lorraine[151], et il s’est également rencontré au Brésil. Le système dentaire des amblyptères ainsi que de la plupart des genres de cette période reculée fait voir qu’ils se nourrissaient de plantes marines déjà pourries, ou de substances animales désorganisées au fond des eaux. Ces dents sont petites, nombreuses et serrées les unes contre les autres comme les poils d’une brosse. La forme du corps n’est point disposée pour une progression rapide, ce qui est tout à fait en rapport avec de telles habitudes.

La colonne vertébrale se continue dans le lobe supérieur de la queue, lequel est beaucoup plus développé que le lobe inférieur. Cette disposition avait pour résultat de maintenir le corps dans une position inclinée avec la tête plus rapprochée du fond.

Parmi les poissons cartilagineux actuels, on voit dans les esturgeons et dans les squales la colonne vertébrale se prolonger pour former le lobe supérieur de la nageoire caudale. Les esturgeons paraissent avoir spécialement pour fonction de nettoyer la mer de ses immondices. Leur bouche, molle et dépourvue de dents, est susceptible de s’alonger et de se raccourcir, et ils paraissent en tirer parti pour se nourrir de végétaux ramollis par la putréfaction et de débris animaux qu’ils trouvent sur le fond des mers. Ils ont donc continuellement occasion de donner à leur corps cette position inclinée que prenaient les poissons maintenant fossiles qui, à en juger par la faiblesse de leurs dents en velours et la disposition qu’elles affectent, se nourrissaient de même de substances molles placées dans des conditions analogues[152].

Les squales emploient encore leur queue à un autre usage ; ils s’en servent pour renverser leur corps, afin de mettre en contact avec la proie leur bouche située en dessous de la tête. C’est ainsi que nous trouvons dans chaque animal quelque disposition ayant pour but de donner à la tête la position où elle peut s’acquitter avec le plus d’aise et de promptitude de ses fonctions importantes dans l’acte de la nutrition[153].


Poissons du calcaire magnésien ou zechstein.


Les poissons du zechstein, de Mansfeld et d’Eisleben, sont connus depuis long-temps et sont devenus communs dans toutes les collections. M. Agassiz en a figuré plusieurs espèces. Le professeur Sedgwick en a également décrit et figuré des échantillons trouvés dans le calcaire magnésien du nord de l’Angleterre[154]. Il établit dans son mémoire, à la page 99, que si l’on en juge d’après les polypiers et les encrinites ainsi que d’après quelques espèces de productus, d’arches, de térébratules, de spirifères, que l’on y rencontre, on peut prononcer que le calcaire magnésien se rapproche bien davantage de la série carbonifère par ses caractères zoologiques que des formations calcaires supérieures au nouveau grès rouge. Cette conclusion est tout à fait d’accord avec celle que M. Agassiz a déduite des caractères fournis par les poissons fossiles du terrain dont il s’agit.


Poissons du calcaire conchylien (muschelkalk), du lias, et de la formation oolitique.


Parmi les poissons du calcaire conchylien, il y en a qui appartiennent en propre à cette roche, et d’autres qui lui sont communs avec le lias et l’oolite. La figure que nous donnons pl. 27c offre un exemple des caractères de l’une des familles de poissons qui abondent le plus dans la formation jurassique, ou oolite. Elle représente le genre gyrodus, de la famille des pycnodontes ou poissons à dents épaisses, famille qui s’est considérablement multipliée durant le moyen âge de la chronologie géologique. On reconnaît cinq genres de cette famille éteinte. Ils ont pour caractère principal l’armature particulière qui revêt, tout l’intérieur de leur bouche comme d’une sorte de pavé formé par des dents épaisses, cylindriques et aplaties, dont les débris, connus sous le nom de bufonites, se rencontrent en abondance dans toute l’étendue de la formation oolitique[155]. Cet appareil singulier était destiné à écraser les petites coquilles et les petits crustacés, et aussi à broyer les herbes marines déjà putréfiées. On voit donc que les habitudes de cette famille des pycnodontes ont dû être celles de poissons omnivores, et les animaux qui la composent n’ont dû être doués que d’une progression lente[156].

Les lépidoïdes sont une autre famille de ces poissons singuliers du monde ancien, qui abonde dans la série oolitique ou jurassique ; ils sont encore plus remarquables que les pycnodontes par leurs énormes écailles osseuses rhomboïdales, épaisses et recouvertes d’une forte couche d’émail. Le dapédium du lias (pl. 1, fig. 54) présente des écailles de cette sorte bien connues des géologues. Elles offrent à leur bord supérieur une apophyse rappelant la saillie du bord supérieur d’une tuile, et destinée à se loger dans une cavité pratiquée au bord inférieur de l’écaille qui la recouvre[157]. Tous les poissons ganoïdiens de chacune des formations antérieures à la craie étaient enveloppés d’une semblable cuirasse d’écailles osseuses recouvertes d’une couche d’émail, et s’étendant depuis la tête jusqu’aux rayons de la nageoire caudale[158]. On n’a découvert dans la série crétacée qu’une ou deux espèces recouvertes d’une semblable armure, et trois ou quatre dans les formations tertiaires. Les deux genres lépidostée et polyptère sont les seuls parmi les poissons du monde actuel qui offrent ce mode de conformation de l’enveloppe écailleuse.

Il n’est pas un seul genre de ceux que l’on a rencontrés dans la série oolitique qui existe encore à l’époque actuelle. Au contraire, les poissons qui abondent le plus dans la formation wealdienne font tous partie de genres qui prédominaient dans la période oolitique[159].


Poissons de la formation crétacée.


Les derniers et les plus remarquables de tous les changemens qui ont eu lieu dans le caractère des poissons se sont accomplis à l’époque où ont commencé les formations crétacées. Les genres des deux premiers ordres (placoïdiens et ganoïdiens) qui ont rempli exclusivement toutes les formations jusqu’à la fin de la série oolitique, disparaissent subitement et sont remplacés par des genres appartenant à deux ordres nouveaux, les cténoïdiens et les cycloïdiens, qui apparaissent alors pour la première fois. Près des deux tiers de ces derniers sont aussi maintenant éteints, mais ils se rapprochent beaucoup plus des poissons de la série tertiaire que des espèces antérieures à la formation de la craie.

Si l’on compare les poissons de la craie avec ceux de la formation tertiaire du Monte Bolca, qui est, de toutes les formations tertiaires, la plus ancienne, on verra qu’aucune espèce n’est commune à ces deux terrains, mais que quelques genres existent à la fois dans l’un et dans l’autre[160].


Poissons des formations tertiaires.


Dès que nous entrons dans l’étude des terrains stratifiés tertiaires, nous voyons s’accomplir, dans les caractères des poissons fossiles, d’autres changemens non moins considérables que ceux qui nous sont offerts par les coquillages fossiles.

Les poissons du Monte Bolca appartiennent à la période éocène : ils sont bien connus par les figures de l’ictiologia veronese de Volta, et par celles de l’ouvrage de Knorr. Une moitié de ces poissons environ appartient à des genres éteints, et il ne s’y rencontre aucune espèce qui existe maintenant à l’état vivant. Toutes sont marines, et les espèces dont elles se rapprochent le plus, par leur forme, vivent actuellement entre les tropiques[161].

C’est également à cette première période des formations tertiaires qu’appartiennent les poissons de l’argile de Londres. Beaucoup de ceux que l’on trouve à Sheppy, sans être identiques avec ceux du Monte Bolca, s’en rapprochent cependant beaucoup. Les poissons du Liban sont également de cette époque, à laquelle M. Agassiz rapporte aussi ceux du gypse de Montmartre qu’il regarde, contrairement à l’opinion de Cuvier, comme appartenant tous à des genres détruits.

Tous les auteurs ont rapporté les poissons d’Œningen à quelque dépôt lacustre local d’une époque récente. M. Agassiz les regarde comme appartenant à la seconde période des formations tertiaires, contemporaine de la mollasse de la Suisse et du grès de Fontainebleau. Parmi les dix-sept espèces éteintes que l’on y rencontre, une seulement est d’un genre étranger à l’Europe, et toutes appartiennent à des genres actuellement existans.

On trouve dans le gypse d’Aix quelques espèces appartenant à l’un des genres perdus du gypse de Montmartre, mais elles font partie pour la plupart de genres que nous retrouvons dans la création actuelle. M. Agassiz regarde cette formation comme à peu près contemporaine des dépôts d’Œningen.

Ce que l’on connaît des poissons du crag de Norfolk et de la formation subapennine supérieure conduit à les regarder comme appartenant à des genres maintenant communs dans les mers tropicales, mais à des espèces détruites.


Famille des squales.


Cette famille, l’une des plus universellement répandues et l’une des plus voraces parmi celles qui peuplent les mers actuelles, n’occupe pas une place moins importante dans l’histoire de la géologie ; il n’est pas une période où l’on ne rencontre plusieurs formes qui la représentent[162]. Les géologues trouvent fréquemment des dents de plusieurs sortes qui se font remarquer par leur grandeur et la beauté de leur émail, et dont quelques unes rappellent par leur forme extérieure une sangsue contractée[163]. On les désigne ordinairement sous le nom d’os palatins ou palais. Comme d’ailleurs ces dents sont presque toujours isolées, elles n’offrent que peu d’indices à l’aide desquels on puisse reconnaître de quels animaux elles proviennent.

Dans les mêmes couches on rencontre aussi de grandes épines osseuses armées de piquans sur un de leurs bords et ressemblant à des dents recourbées[164]. Long-temps on a regardé ces corps comme des mâchoires avec leurs dents, et c’est depuis peu seulement que l’on a constaté que c’étaient des rayons épineux dorsaux ; et comme on a été porté à penser qu’elles servaient d’armes défensives ainsi que les rayons dorsaux des genres baliste et silure, on les a désignées sous le nom d’ichthyodorulites.

M. Agassiz, après de longues recherches, rapporte tous ces corps à des genres éteints de la grande famille des squales qu’il partage en trois sous-familles dont chacune contient des formes d’existence propres à certaines époques géologiques et dont les changemens sont simultanés avec les autres grands changemens qui ont eu lieu dans les débris fossiles.

La première et la plus ancienne de ces sous-familles, celle des Cestracions, commence en même temps que les couches de transition, et ne manque dans aucune des formations suivantes jusqu’au commencement de la série tertiaire. Elle n’a plus qu’un seul représentant parmi les espèces actuelles, le cestracion Philippi, ou squale du Port-Jackson.

La seconde famille, celle des Hybodons, commence avec le muschelkalk et peut-être avec la formation houillère ; puis elle se montre dans tout le cours de la série oolitique pour ne disparaître qu’à l’époque où commence la craie.

Enfin la famille des Squaloïdes ou squales vrais commence avec la formation crétacée, traverse toute la période tertiaire pour arriver jusqu’à la création actuelle dans laquelle elle se continue[165].


Rayons épineux fossiles ou ichthyodorulites.


Les rayons dorsaux du squale de Port-Jackson[166] jettent d’importantes lumières sur l’histoire des rayons épineux fossiles ; c’est d’après eux en effet que nous pouvons rapporter à des genres et à des espèces éteintes de cestracions ces corps fossiles si communs et pourtant si mal expliqués, qui ont été désignés sous le nom d’ichthyodorulites. Quelques unes des espèces actuelles de squales ont à leur nageoire dorsale des épines cornées lisses. L’espèce que nous venons de citer est la seule qui ait une épine osseuse armée à son bord concave d’aiguillons ou de dents crochues semblables à celles que l’on observe sur les ichthyodorulites fossiles. Ces aiguillons formaient des points de suspension et d’attache à l’aide desquels la nageoire dorsale était attachée à l’épine osseuse qui lui imprimait un mouvement régulier d’élévation et d’abaissement propre à rendre plus facile le mouvement rotatoire du corps que doivent exécuter les squales. Cette épine remplissait ainsi les fonctions de ces mâts mobiles qui servent à élever et à abaisser les voiles de certaines petites barques.

Le squale épineux commun (spinax acanthias. Cuv.) et le centrine vulgaire (centrina vulgaris) ont à chacune de leurs dorsales une semblable épine destinée à les redresser, mais dépourvue de dentelures ou crochets. M. Mantell en a trouvé de pareilles d’une petite dimension dans la craie de Lewes. Ces petites épines dorsales leur servaient probablement aussi à se défendre contre certaines espèces voraces ou même contre les individus plus grands et plus puissans de leur propre espèce ; peut-être aussi s’en faisaient-ils des armes offensives[167].

La grande variété de ces épines fossiles que l’on rencontre depuis la grawake jusqu’à la craie inclusivement nous fait connaître combien furent nombreux les genres et les espèces éteintes de la famille des squales qui habitèrent les eaux de la mer durant toutes ces périodes reculées. Les dents et les os palatins observés dans ces mêmes terrains ne sont pas de formes moins variées ; mais comme les squelettes cartilagineux auxquels ces dents appartenaient ont été en presque totalité détruits, les dents et les épines sont ordinairement dispersées, et ce ne pourra être qu’en s’aidant des analogies anatomiques ou du hasard de juxtapositions accidentelles que la science parviendra à déterminer les espèces auxquelles ces débris appartiennent.


Raies fossiles


Les raies constituent la quatrième famille de l’ordre des placoïdiens. La création actuelle comprend un grand nombre de genres qui appartiennent à cette famille ; mais on ne l’a pas encore rencontrée à l’état fossile dans un terrain plus ancien que le lias. Elle se montre dans le calcaire jurassique.

La famille des raies abonde dans toute l’étendue de la formation tertiaire ; on y a trouvé seize espèces du seul genre Myliobales : c’est de lui que proviennent les palais que l’on trouve en si grande abondance dans l’argile de Londres et dans le crag[168]. Ou rencontre également dans les formations tertiaires les genres Trygon et Torpille.


Conclusion.


Les divers faits qui viennent de passer sous nos yeux, empruntés à l’histoire des poissons, constituent une série non interrompue de témoignages qui nous montrent cette importante classe, soit avec un squelette osseux, soit avec un squelette cartilagineux, comme prédominante dans toutes les périodes, depuis le moment où a commencé la vie sous-marine jusqu’à l’heure actuelle. La similitude des dents, des écailles et des os des plus anciens poissons sauroïdes de la formation houillère (le genre mégalichthys) avec ceux du genre lépidostée actuel, et les rapports étroits qui s’observent entre les dents et les épines osseuses du seul cestracion qui fasse encore maintenant partie de la famille des squales, et les nombreuses formes éteintes de cette même sous-famille des cestracions, qui abondent dans toute l’étendue des formations carbonifères et des formations secondaires, sont des faits qui réunissent les deux extrémités de cette grande classe de vertébrés par une chaîne plus régulière et plus étroitement unie qu’aucune autre à laquelle on ait été conduit jusqu’ici par les recherches géologiques.

Il résulte de ce coup d’œil que nous venons de jeter sur l’histoire des poissons fossiles que chacune des formes principales d’organisation que présentent ces animaux existait dès les âges les plus reculés de notre globe ; que toujours ils y ont rempli dans l’économie générale de la nature les mêmes fonctions importantes que nous voyons confiées à leurs représentans actuels dans nos mers modernes, dans nos lacs et dans nos rivières. La grande raison finale de leur existence paraît avoir été à toutes les époques de peupler les eaux d’animaux qui y jouissent de toute la somme de bien-être que comportent leurs conditions d’existence.

La stérilité et la solitude dont on a souvent fait l’attribut des profondeurs de l’Océan n’existent donc pas ailleurs que dans les fictions de quelque imagination poétique. Dans cette vaste masse d’eaux qui recouvre presque les trois quarts de la surface du globe, la vie se montre avec plus de luxe peut-être qu’au sein des airs ou sur la surface terrestre elle-même. Le fond des mers, jusqu’aux profondeurs où pénètre la lumière, est peuplé de légions sans nombre de vers et d’autres êtres rampans, les représentans de ces familles inférieures qui se traînent sur la surface terrestre.

Le but général de la création paraît avoir été de multiplier la vie à l’infini. Comme la nutrition des animaux a pour base le règne végétal, le lit des océans ne jouit pas d’un luxe de végétation moindre que celui qu’étalent à nos yeux les prairies verdoyantes et les majestueuses forêts qui recouvrent comme d’un vêtement la portion émergée de la surface du globe. Dans les eaux comme sur la terre, nous voyons l’accroissement excessif des espèces herbivores tenu en échec par la voracité des espèces carnivores, et nous retrouvons ici ce que nous avions déjà signalé dans une autre circonstance, que le but que s’est proposé l’intelligence suprême, lorsqu’elle a créé les animaux, a toujours été d’appeler le plus grand nombre d’êtres possible à prendre sa part de la plus grande somme possible de jouissances.

Il n’existe aucun point dans tout l’ensemble de la nature qui, plus que cette progression que nous avons tracée dans la classe des poissons, repousse la doctrine du développement graduel ou de la transmutation des espèces. Les sauroïdes, en effet, qui occupent dans l’échelle organique une place plus élevée que les formes ordinaires des poissons osseux, ne s’en montrent pas moins en nombre considérable dans les formations carbonifères et secondaires où elles atteignent une taille énorme, tandis qu’ils disparaissent pour être remplacés par des formes moins parfaites dans les couches tertiaires, et que deux genres seulement les représentent parmi les poissons actuellement existans.

Ici, comme dans plusieurs autres cas, ce que l’on observe, c’est une sorte de développement rétrograde qui s’avance des formes complexes aux formes simples. Il existait à ces époques reculées des espèces qui réunissaient plusieurs caractères organiques que l’on ne retrouve plus dans nos périodes modernes que répartis sur des familles séparées ; et ces faits semblent indiquer que la nature, dans la création successive des poissons, est plutôt partie des formes les plus parfaites, en suivant les procédés de la division et de la soustraction, qu’elle n’a opéré par addition, en prenant pour point de départ les formes les moins parfaites.

L’étude de l’organisation chez les poissons actuellement existans fait voir que certains organes, chez les cartilagineux, tels que le cerveau, le pancréas, l’appareil de la génération, sont à un degré de développement plus élevé que chez les poissons osseux. Or, nous avons rencontré la famille cartilagineuse des squaloïdes en même temps que les poissons osseux dans les couches de transition, et nous ayons vu ces deux groupes, continuer d’exister simultanément jusqu’à l’époque actuelle, après avoir traversé toutes les périodes géologiques.

Ainsi parmi tous les groupes dont l’ensemble constitue la nature, il n’est pas un seul qui, moins que la classe des poissons, permette d’expliquer les changemens que la géologie démontre s’y être successivement accomplis, sans que l’on invoque l’intervention directe d’actes de création distincts et répétés.


  1. Pl. 2, C. fig. 3.
  2. Pl. 2, C. fig. 1, 2.
  3. Pl. 2, C. fig. 3.
  4. Pl. 2, C. fig. 1, 2.
  5. Pl. 5.
  6. Transactiont linnéennes, t. xvii, première partie.
  7. Les restes du mégathérium se trouvent surtout dans les régions méridionales de l’Amérique du sud, et plus abondamment au Paraguay que partout ailleurs. Cet animal parait aussi s’être éloigné de l’équateur vers le nord, à peu près jusqu’aux États-Unis. Nous le connaissons depuis quelque temps par les descriptions détaillées qu’en a données Cuvier, tome 5, de ses Ossemens fossiles, et par une série de grandes gravures qu’ont publiées Pander et Dalton, d’après un squelette à peu près complet, envoyé en 1789, de Buenos-Ayres à Madrid. Le docteur Mitchel et M. Cowper ont décrit dans les annales du Lycée d’histoire naturelle de New-Yorck, mai 1824, quelques dents et quelques os trouvés dans les marais de l’île de Skiddaway, sur la côte de la Géorgie, et qui ressemblent à ceux du squelette de Madrid. (Cuvier, Ossem. foss., t. v, deuxième partie, p. 519.) — En 1832, plusieurs parties d’un autre squelette furent apportées en Angleterre par M. Woodbine-Parish. Ils avaient été extraits du lit de la rivière Salado, près de Buenos-Ayres, et on les voit dans le Muséum du collège royal des chirurgiens de Londres. Ils ont été décrits dans les Transactions de la Société géologique de Londres, tome III, N. S., troisième partie, par mon ami M. Clift, dont les connaissances étendues en anatomie m’ont été du plus grand secours dans l’étude que j’ai faite de cet animal.
  8. Pl. 5, fig. 1, A.
  9. Pl. 5, fig. 6-11, et pl.6 n° 1.
  10. Crusta petrosa, cœmentum
  11. Mesure anglaise.
  12. Pl. 5, fig 7, 8.
  13. Pl. 5, fig. 9, a, b, c, et pl. 6, Z, a, b, c.

    L’extérieur de la dent est formé, comme celui d’une hache, par une couche de la substance comparativement la plus tendre, la matière corticale (a, a). Elle enveloppe une lame mince d’émail (b, b), qui est la partie la plus dure, l’acier de la dent ; cet émail passe deux fois à travers ta surface triturante (z) et forme les bords tranchans de deux coins parallèles (v, b, b), dont on voit une section longitudinale, pl. 6, v, w, x, y. Au dedans de l’émail est une masse centrale d’ivoire (c) qui, de même que la croûte externe (a), est plus tendre que l’émail. Une dent construite ainsi avec des matériaux d’une inégale densité aurait ses parties les moins résistantes (a, c) beaucoup plus facilement usées que les lames plus dures de l’émail.

    Une autre disposition mécanique d’une remarquable délicatesse est celle qui produit et maintient deux coins transversaux sur la surface de chaque dent, et qui résulte de l’arrangement et de l’épaisseur relative des portions latérales et transverses de la lame d’émail interposée entre la croûte corticale externe (a) et la masse centrale d’ivoire (c). Si l’émail eût été d’une épaisseur uniforme tout autour de cette masse centrale, la dent se serait usée également sur tous les points, de façon à acquérir une surface plate. On voit au contraire dans la couronne dentaire figurée pl. 6 Z que l’émail est mince sur les bords latéraux, tandis que les portions transversales de cette même lame (b, b) sont comparativement épaisses et solides. Il résulte de là que les lames latérales plus faibles et plus minces s’usent plus rapidement que les lames transverses (b, b) et par suite ne peuvent s’opposer à ce que la surface de l’ivoire (c) se creuse d’une sorte de rigole.

  14. Les incisives du castor et autres rongeurs, ainsi que les défenses du sanglier et de l’hippopotame, qui n’exigent qu’un bord externe tranchant et nullement une surface destinée à broyer, sont construites d’après le même principe que le bord tranchant d’un ciseau ou d’une doloire : dans ce cas il n’existe de lame d’émail très dure qu’à la face antérieure de l’ivoire dont se composent ces dents, de la même manière que dans les instrumens ci-dessus la face seule qui supporte l’arête tranchante est formée par une lame d’acier unie intimement à une lame de fer doux. Une dent ainsi construite conserve son bord d’émail toujours tranchant, par le frottement même qu’elle exerce contre la dent qui lui correspond et qui est constituée d’après le même principe.
  15. La pl. 5, fig. 11, représente une section de la cavité où cette pulpe se trouve renfermée.
  16. Pl. 5, 1, d.
  17. Pl. 6, fig. 2.
  18. La queue de l’éléphant est remarquablement faible et grêle, et porte à son extrémité une touffe de poils destinée à servir de chasse-mouches.

    Celle de l’hippopotame n’a que quelques pouces de long, et elle est aplatie dans le sens vertical, comme pour remplir dans l’acte de la natation les fonctions d’un petit gouvernail.

  19. Pl. 5, fig. 1, f.
  20. On trouve des saillies pareilles à la partie inférieure de l’humérus chez le fourmilier qui se sert de ses pieds antérieurs pour ravager les habitations solidement construites des termites ou fourmis blanches.
  21. La figure 1 de la planche S représente le pied antérieur d’un tatou (Dasypus peba) et celui du chlamyphore qui, comme chez le mégathérium, constituent des instrumens spécialement organisés pour fouiller la terre, et dans lesquels les phalanges extrêmes des doigts sont agrandies et alongées d’une façon insolite, dans le but de supporter des ongles longs et massifs. Les figures 18 et 19 de la même planche représentent la région antérieure de ces mêmes animaux, et l’on y voit combien ces ongles sont grands comparativement aux autres parties du corps.
  22. Pl. 5, fig. 2.
  23. On trouve une autre disposition destinée à accroître la puissance de sustentation de ces diverses parties dans la manière dont l’échancrure ischiatique, pl. 3, fig. 2, c, qui chez la plupart des autres animaux offre un espace vide, est ici presque complètement fermée par une cloison osseuse solide résultant de l’union des apophyses de chacun des ischions avec les apophyses transvases des vertèbres sacrées (a).

    Une dernière preuve du volume énorme et de la puissance musculaire de la cuisse et des membres postérieurs se trouve dans les dimensions du canal du sacrum (pl. 5, d) destiné au passage de la moelle épinière. Ce canal n’a pas moins de quatre pouces de diamètre ; et le cordon médullaire a dû avoir sur ce point un pied de circonférence. Le volume extraordinaire des nerfs qui en naissaient, pour aller se ramifier dans les extrémités postérieures, est encore attesté par le diamètre remarquable des trous sacrés.

  24. Il est probable que l’ongle grand et épais qui est figuré dans la planche 5. fig. 5, terminait le second doigt du pied postérieur ; il égale à peu près par son volume l’ongle du premier doigt du même pied, et tous les deux diffèrent essentiellement pour la forme et les proportions des trois phalanges onguéales plus longues et plus aplaties qui terminent les doigts antérieurs, et dont la disposition oblique avait pour but spéciale de fouiller la terre.
  25. La ressemblance qui existe entre quelques parties de cette armure fossile et celle du Cachicame (Dasypus peba) s’étend jusqu’aux détails de formes des divers compartimens tuberculeux dans lesquels ces parties sont divisées. (Pl. 5, fig. 12, 14.)

    Dans l’un comme dans l’autre cas, l’accroissement en étendue de cette enveloppe solide a été préparé à l’avance par une disposition simple qui consiste en ce que le point central de chacune des plaques osseuses constitue un centre d’accroissement, à partir duquel les bords ne cessent de s’élargir à mesure que l’accroissement du corps nécessite celui de l’enveloppe osseuse dans laquelle il est enfermé. Les figures 15, 16 et 17 représentent des portions de l’armure de la tête, du corps et de la queue du chlamyphore, et l’on voit dans les figures 18 et 19 de quelle façon cette armure est disposée sur la tête et la partie antérieure du corps dans cet animal et dans le cachicame. Le corps du mégathérium, ainsi enveloppé dans une cuirasse, ne devait pas mal ressembler à certains chariots couverts.

  26. Dans les Transactions de l’académie de Berlin, année 1830, le professeur Weis a publié la description de quelques os de mégathérium trouvés près de Monte-Video avec plusieurs fragmens d’armure osseuse, dont il rapporte sans hésitation la plus grande partie au mégathérium. Il y en a d’autres portions qu’il rapporte, ainsi que plusieurs ossemens du même district, à des espèces différentes. On voit un pareil mélange d’ossemens et de débris d’armure appartenant à des espèces diverses qui toutes portaient une cuirasse dans la collection qu’a faite M. Parish sur des localités différentes du district au dessus de Buénos-Ayres. Bien que l’on n’ait trouvé aucune trace d’armure avec les fragmens de squelette découvert dans le lit de Salado, la surface rugueuse, élargie et aplatie d’une portion de la crête de l’ilion dans ce squelette, (voyez pl. 5, fig. 2, r, s), l’élargissement de l’extrémité des apophyses épineuses d’un grand nombre de vertèbres, ainsi que de la convexité supérieure de plusieurs côtes sur lesquelles eût été portée la cuirasse, indiquent une pression pareille à celle qui produit les mêmes effets sur les parties analogues du squelette chez le tatou ; et cette circonstance nous eût autorisés à prononcer que le mégathérium aussi était recouvert d’une lourde cuirasse, alors même que nous n’en eussions rencontré aucune trace près des os de cet animal sur d’autres points dans les mêmes plaines du Paraguay. Dans tous ces os aplatis, la pression ne s’annonce que sur les points précis du squelette où a dû porter immédiatement le poids de l’armure ; et elle y a produit exactement les mêmes empreintes que l’on observe très développées dans les tatous.
  27. Pour des animaux qui ne fouillent que par circonstance, et pour se creuser une habitation souterraine, tels que le blaireau, le renard et le lapin, mais qui viennent à la surface chercher leur nourriture, une armure défensive de cette nature n’eût pas été seulement sans utilité, mais elle eût même entraîné de graves inconvéniens.

    Les tatous et les chlamyphores sont les seuls mammifères connus qui soient revêtus d’une armure de plaques osseuses analogues à celles du mégathérium ; et le fait même que cette particularité d’organisation n’a été accordée qu’à ces quelques espèces suffit pour nous faire douter qu’elle ait eu pour unique fin de les protéger contre les animaux carnassiers et contre les insectes. Mais comme le tatou n’obtient sa nourriture qu’en fouillant le sol desséché et sablonneux des mêmes plaines qu’habitait jadis le mégathérium ; comme le chlamyphore passe sa vie presque entière dans des terriers creusés dans ce même sol, il est probable que la partie supérieure de leur corps reçoit de la cuirasse cette même protection contre le sable et la poussière dont nous avons parlé à propos du mégathérium. Les pangolins sont recouverts d’une armure de nature différente, composée d’écailles cornées mobiles, et dans la composition desquelles il n’entre aucune substance osseuse.

  28. Les couches les plus anciennes dans lesquelles on ait trouvé des reptiles sont celles qui se lient avec la formation du calcaire magnésien (pl. 1, n° 16 de la coupe). l’existence de reptiles voisins des mo nitors dans le schiste cuivreux et le zechstein de l’Allemagne a été constatée depuis long-temps, et l’on a trouvé en 1831 deux espèces voisines des iguanes et des monitors dans les conglomérats dolomitiques de Durdham-Dowu, près de Bristol.
  29. Le dépôt principal où l’on ait trouvé ces animaux est le lias de Lyme-Regis ; mais ils abondent aussi dans toute l’étendue qu’occupe cette formation en Angleterre, c’est-à-dire depuis les côtes du Dorset jusqu’à celles du Yorckshire, en traversant les comtés de Sommerset et de Leicester. On les rencontre aussi dans le lias de la France et de l’Allemagne. Le genre ichthyosaure paraît avoir commencé avec le muschelkalk, et être parvenu jusqu’à la formation crétacée en traversant la période oolitique tout entière. La couche la plus récente dans laquelle on ait trouvé quelques restes appartenant à ce genre est la marne crayeuse de Douvres ou ils ont été découverts par M. Mantell. J’en ai rencontré dans le Gault, près de Benson, dans l’Oxon.
  30. Pl. 1 flg. 51 et pl. 7, 8, 9.
  31. Pl. 7, 8, 9.

    La planche 7 représente un échantillon très grand et presque entier de l’ichthyosaurus platyodon trouvé dans le lias de Lyrae Regis, et qui fait partie de la magnifique série de sauriens achetée en 1834 de M. Hawkins pour le musée britannique. Certaines portions des nageoires et plusieurs fragmens brisés ont été rétablis à l’aide des portions conservées correspondantes ; un petit nombre des vertèbres de l’extrémité de la queue n’ont pu l’être que par conjecture. Il existe des figures fort belles et lithographiées avec le plus grand soin, qui représentent cet échantillon en même temps que la plus grande partie de la collection que nous venons de mentionner, et qui ont été publiées par M. Hawkins dans ses mémoires sur les ichthyosaures et les plésiosaures (Londres, 1834).

    La figure 4 de la planche 8 représente un petit échantillon de l’ichthyosaurus communis, provenant de la même localité, et appartenant à la société géologique de Londres.

    La figure 2 est celle d’un petit ichthyosaurus intermedius aussi du lias de Lyme Regis, appartenant à sir Astley-Cooper.

    On voit, planche 9, figure 4, un ichthyosaurus tenuirostris trouvé dans le lias de Street, près de Glastonbury, et faisant partie de la collection du Rév. docteur Williams. — La figure 2 est une continuation de la queue, et la figure 3 représente la tête vue de l’autre côté. Les dents de cette espèce sont petites, et dans une proportion parfaite avec la minceur du museau.

  32. Pl. 10, fig. 1 et 2.
  33. On voit dans la collection de M. Johnson, à Bristol, le crâne d’un ichthyosaurus platyodon, dont les cavités orbitaires ont quatorze pouces dans leur plus grand diamètre.
  34. Pl. 11, b, c.
  35. Pl. 11, A, B, C.

    La figure A fait voir de quelle manière les vieilles dents du crocodile sont absorbées par suite de la pression d’une dent nouvelle développée à l’intérieur de la cavité qui remplit leur base. La figure C offre une section transversale du côté gauche de la mâchoire inférieure d’un ichthyosaure ; on y voit deux dents occupant leur place naturelle dans la rigole de l’os maxillaire, et la dent nouvelle, par la pression latérale qu’elle a exercée sur la partie interne de la base de l’ancienne, en a causé l’absorption. La figure B est une section transversale de tout le museau d’un ichthyosaure ; la mâchoire inférieure offre de chaque côté une petite dent (a) qui a causé l’absorption partielle d’une dent plus grosse (c). À la mâchoire supérieure sont deux grandes dents (d, d) occupant leurs rigoles respectives.

  36. Pl. 10, fig. 1, 2.
  37. Pl. 10, fig. 5.
  38. La sclérotique osseuse des ichthyosaures se rapproche beaucoup pour sa forme du cercle osseux qui entoure la pupille de l’aigle doré (pl. 10, fig. 5). Dans l’un comme dans l’autre cas, cette disposition a pour but de faire varier l’étendue de la vision distincte, de façon à ce que l’animal puisse découvrir sa proie aux distances les plus éloignées comme aux distances les plus courtes. Ces plaques osseuses servent encore à conserver à la partie proéminente de l’œil cette saillie qui est si remarquable chez les oiseaux. Chez les hiboux, où la vision à de grandes distances est incompatible avec leurs habitudes nocturnes, le cercle osseux (pl. 10, fig. 4), d’après les observations de M. Yarrel, est concave et prolongé en avant, de telle façon que la surface externe de l’œil se trouve portée à l’extrémité d’un long tube, et saille ainsi en dehors des plumes légères qui forment un duvet autour de la tête, Cet auteur ajoute : « L’étendue de vision dont jouissent les faucons a été probablement refusée aux yeux des hiboux ; mais la sphéricité plus considérable du cristallin et de la cornée chez ces oiseaux de proie leur donne une intensité de vision plus en rapport avec l’obscurité de l’at mosphère où s’exerce leur action visuelle. Ces oiseaux peuvent être comparés aux personnes myopes qui voient les objets plus grands et plus clairs, pourvu qu’ils soient placés à la distance naturelle de leur vision distincte, parce qu’ils le voient sous un angle plus grand ». — Yarrel, Anatomie des oiseaux de proie, Zoological Journal, tome 5, p. 188. cela a lieu dans les lézards et dans les oiseaux. Les capsules oculaires osseuses sont souvent conservées dans les têtes de poissons fossiles. On en rencontre en abondance dans l’argile de Londres, et quelquefois aussi dans la craie.
  39. Une disposition analogue a été accordée aux poissons, dans le but d’opposer à la pression du liquide ambiant la résistance nécessaire pour que les yeux conservent leur forme. Elle consiste dans l’ossification de la capsule extérieure ; mais, chez ces derniers animaux, l’ossification est ordinairement simple, bien que plus ou moins complète suivant les différentes espèces, et la lame circulaire osseuse n’est jamais divisée par des sections transversales en un grand nombre de plaques, comme
  40. Ces figures ont été choisies dans les planches nombreuses de M. Conybeare, et de M. de la Bêche. La figure 1 est une tête entière restaurée d’ichthyosaure : les os qui la composent sont désignés par les lettres qu’a employées Cuvier pour les os correspondans de la tête du crocodile. Dans la mâchoire inférieure, (u) est l’os dental, (v) l’os angulaire, (x) l’os surangulaire ou coronoïde, (y) l’os articulaire, (z) le supplémentaire, (&) l’operculaire.

    La figure 2 représente une partie de la mâchoire inférieure d’un ichthyosaure, où l’on voit la manière dont les os plats (v, x, u) s’unissent entre eux vers la partie postérieure de la mâchoire.

    Les figures 3, 4, S, 6, 7, montrent comment ces divers os se recouvrent et s’enchevêtrent mutuellement aux diverses sections transversales indiquées par les lignes qui les surmontent immédiatement dans la figure 2.

    On voit dans la figure 8 la disposition qu’offrent les mêmes os lorsqu’on regarde la mâchoire en dessus.

  41. L’os coronoide (pl. 11, fig. 2, x) pénèire entre le dental (u) et l’operculaire (’&) (fig. 1, 4, 5, 6, 7), et ses fibres sont dirigées obliquement, tandis que celles de ces deux derniers os sont horizontales et parallèles. La force de résistance de cet organe est considérablement accrue par cette direction diagonale des fibres, sans que son poids ni son volume s’en augmentent de la plus faible quantité. Il existe une pareille structure dans les os de la tête des poissons, et aussi, bien qu’à un degré moindre, dans la tête des tortues. — Geolog. Transac., London. t. V, p. 365, et N, S, t. 1, p. 112.
  42. Pl. 42, A et B.

    La section d’une vertèbre de poisson (A, c, c) offre deux cônes creux réunis par leur sommet au centre de la vertèbre et rappe lant la forme d’un sablier ; mais la base de chacun des cônes (b, b), au lieu d’être fermée comme cela a lieu dans le sablier par une lame plate et élargie, se termine par un bord mince comme celui d’un verre à pied, et qui s’applique sur le bord opposé de la vertèbre adjacente. L’espace vide que laissent entre eux ces deux cônes creux est rempli par une substance molle et flexible, ayant la forme de deux cônes solides juxta-posés par leur base (e, e), et disposés de façon que chaque cône creux vertébral s’applique exactement sur l’un de ces cônes élastiques pleins qui le remplit, et lui permet de se mouvoir dans toutes les directions. Ce mode spécial d’articulation donne à la colonne vertébrale tout entière une grande puissance, et lui permet une flexion rapide dans tous les sens au sein des eaux. Mais comme la flexion verticale est beaucoup moins nécessaire que la flexion latérale, elle se trouve limitée par les apophyses épineuses, soit qu’elles chevauchent les unes au dessus des autres, ou qu’elles soient simplement contiguës. C’est là une disposition mécanique d’une grande utilité pour des animaux construits comme le sont les poissons. La queue est pour eux le principal organe de locomotion, et le poids de leur corps étant constamment soutenu par l’eau dans laquelle ils sont plongés n’exerce sur les bords par lesquels les vertèbres sont en contact qu’une pression faible ou tout à fait nulle.

  43. Sir E. Home a de plus observé une particularité du canal spinal qui n’existe dans aucun autre animal. La portion annulaire (Pl. 12, D a et E, a) n’est point soudée au corps de la vertèbre comme chez les mammifères ; elle n’y est point non plus réunie par une suture comme chez les crocodiles ; mais elle en demeure entièrement distincte, et s’y articule à l’aide d’une tête ovale comprimée, reçue dans une cavité glénoïdale (D, g et E g). M. Conybeare ajoute que ce mode d’articulation concourt, avec la disposition cupuliforme des articulations intervertébrales, pour donner plus de flexibilité à la colonne et rendre plus faciles ses mouvemens ondulatoires. Car si ces diverses parties eussent été solidifiées comme chez les mammifères, les apophyses articulaires, serrées comme elles le sont sur tout l’ensemble de la colonne, eussent rendu impossibles dans ces diverses parties tous les mouvemens qui, à l’aide du mode d’articulations que nous venons de décrire, deviennent faciles. On voit en d le tubercule qui sert à l’articulation de la côte avec la vertèbre qui lui correspond.
  44. Voy. les pl. 7, 8, 9.
  45. Pl. 17.
  46. Ces arcs sterno-costaux faisaient probablement partie d’un appareil condensateur qui donnait à ces animaux la faculté de comprimer l’air dans l’intérieur de leurs poumons avant que de s’enfoncer sous les eaux. M. Faraday (Lond. and Edin. Phil. Mag. oct. 1833) a indiqué un moyen à l’aide duquel l’homme peut lui même disposer ses organes de façon à prolonger considérablement son séjour dans une atmosphère impure ou sous l’eau, comme le pratiquent les pêcheurs de perles ; et ce moyen a été confirmé par les expériences de sir Graves C. Houghton. Si après avoir, à l’aide d’une inspiration profonde, fait pénétrer dans les poumons une quantité d’air aussi considérable que possible, on cesse tout mouvement respiratoire, le temps que l’on pourra passer sans reprendre haleine sera double ou plus que double de celui qu’on eût pu passer sans cette précaution préparatoire. Quand MM. Brunel jeune et Gravatt descendirent, à l’aide de la cloche à plongeur, à une profondeur d’environ trente pieds dans le trou par où la Tamise avait fait irruption dans le Tunnel à Rotherhithe, M. Brunei plongea au dessous de la cloche, après avoir inspiré profondément l’air comprimé qui y était contenu, et il éprouva qu’il pouvait demeurer deux fois plus long-temps sous l’eau que dans les circonstances ordinaires.

    Je tiens aussi de M. Gravatt qu’il peut plonger et demeurer jusqu’à trois minutes sous l’eau, pourvu qu’il remplisse ses poumons de la plus grande quantité d’air possible, ce qu’il fait par une succession d’inspirations rapides et fortes, à la suite desquelles il comprime immédiatement l’air de ses organes respiratoires par une forte contraction des muscles du thorax, et se jette à l’eau. Cette compression des poumons a de plus encore cet avantage que le poids spécifique du corps s’en accroît, et par conséquent aussi la rapidité avec laquelle il tombe au fond.

    Il est probable que tous ces avantages se trouvaient réunis dans le mode de respiration de l’ichthyosaure et du plésiosaure.

  47. Pl. 12, fig. 4.
  48. Cet animal nous offre l’amalgame singulier d’un quadrupède à fourrure dont la bouche est armée d’un bec comme celui d’un canard, dont les quatre pieds sont palmés, dont la femelle allaite ses petits, bien qu’elle paraisse être ovovivipare, et dont le mâle a les jambes armées d’ergots. — Voyez les Mémoires de M. R. Owen sur l’ornithorhynchus paradoxus, dans les Transactions philosophiques de Londres, 1832, deuxième partie ; et 1834, deuxième partie — Voy. aussi son Mémoire sur le même sujet, dans les Transactions de la société géologique de Londres, 1835, troisième partie. L’auteur y fait voir, tant dans l’appareil de la reproduction que dans d’autres appareils, une foule de rapports entre cet animal et les reptiles.
  49. Le squelette de ces deux animaux se distingue du type commun des mammifères par le développement remarquable de l’os coracoïde, et par la forme particulière du sternum qui rappelle la fourchette des oiseaux. Voyez planche 12, fig. 1, a le sternum ou la fourchette ; b, b les clavicules ; c, c l’os coracoîde ; d, d les omoplates ; e, e les humérus ; f, g, le radius et le cubitus. — Dans la figure 2, les mêmes lettres indiquent les os correspondans chez l’ornithorhynque.

    La puissance réunie de ces divers os donne au thorax et aux avirons une force toute particulière, en rapport avec une fonction extraordinaire, qui ne consistait pas tant dans la locomotion, (cette fonction était remplie chez l’ichthyosaure avec beaucoup de puissance et de facilité par l’action de la queue) que dans l’acte de monter et de descendre verticalement pour chercher l’air et la nourriture.

  50. L’échidné ou fourmilier épineux, de la Nouvelle Hollande, est le seul mammifère terrestre connu chez lequel on trouve une fourchette et des clavicules semblables. Comme cet animal se nourrit de fourmis, et se retire dans des terriers profonds, cette structure peut être l’une des causes principales de la puissance considérable avec laquelle il fouille la terre. Il y a aussi chez le tatou un rudiment cartilagineux de fourchette qui parait destiné à remplir le même but.
  51. Chez l’ornithorhynque aussi, l’expansion membraneuse on palmure des pieds postérieurs est beaucoup moins étendue que celle des pieds antérieurs.
  52. Transac. of the Geol Soc. t. V, p, 579.
  53. Pl. 45 et 44.
  54. Pl. 15.
  55. La description suivante de ces coprolites fait partie du Mémoire que j’ai publié sur ce sujet dans les Transactions de la Société géologique de Londres, 1829. (Vol. III, N. S. 1re part. p. 224, avec trois planches.)

    « Au milieu des variations de leur volume et de la multiplicité de leurs formes, les coprolites offrent l’apparence générale de cailloux oblongs ou de pommes de terre réniformes ; leur longueur est ordinairement de deux à quatre pouces, et leur diamètre de un à deux. On en trouve, mais en petit nombre, qui sont beaucoup plus grands, et en proportion avec la taille gigantesque des plus grands ichthyosaures ; il y en a de plus petits qui offrent les mêmes rapports avec de jeunes individus de la même espèce, et avec des poissons de petite taille. Il y en a qui sont aplatis et amorphes comme si ces substances eussent été rendues dans un état demi-liquide ; d’autres ont été aplatis par la pression des schistes qui les recouvrent. Leur couleur ordinaire est le gris cendré parfois mêlé de noir ; d’autres fois ils sont entièrement noirs. Leur substance offre une texture terreuse, compacte, pareille à de l’argile durcie, et leur cassure est conchoïdale et luisante. Les coprolites de Lyme Regis offrent, dans le plus grand nombre de cas, une structure contournée, mais le nombre des tours est variable, bien qu’il soit le plus souvent de trois ; je n’en ai jamais vu plus de six : ces diversités peuvent tenir à l’espèce des animaux qui les ont produits ; car j’ai rencontré des variations analogues entre les intestins de la raie, du requin et du chien de mer. Quelques coprolites, et spécialement les plus petits, n’offrent aucune trace d’enroulement.

    « La coupe de ces excrémens arrondis fait voir qu’ils ont été moulés en une laine aplatie et contournée en spirale du centre à la circonférence, comme on l’observe dans une coquille turbinée. Leur extérieur offre la trace des rides et des impressions les plus légères qu’ils ont dû recevoir, alors qu’ils étaient à l’état plastique dans les intestins des animaux rivans. (Pl. 15. fig. 3 et fig. 10-11.)

    « Ces pièces pétrifiées contiennent en abondance et dispersés irrégulièrement des écailles et souvent des dents et des os de poissons qui ont traversé, sans être détruits par la digestion, le tube intestinal tout entier des sauriens, de la même manière que l’émail des dents et certains fragmens d’os qui n’ont pu être digérés, se retrouvent dans les excrémens des hyènes, soit à l’état récent, soit à l’état fossile. Ces écailles dures et brillantes sont celles du Dapedium politum, et d’autres poissons qui abondent dans le lias, et qui paraissent avoir fourni aux sauriens de cette époque une portion importante de leur subsistance. Quant aux os, ce sont surtout des vertèbres de poissons et de jeunes ichthyosaures ; et, bien que ces derniers débris soient moins nombreux que ceux qui proviennent de poissons, ils le sont pourtant assez pour démontrer que ces monstres des anciennes mers, semblables en cela à beaucoup de leurs successeurs, habitans des océans modernes, dévoraient les individus jeunes et faibles de leur propre espèce.

  56. Le professeur Jœger a tout récemment découvert plusieurs copro lites dans l’argile albumineuse de Gaildorf en Wurtemberg, formation qu’il regarde comme occupant les étages inférieurs du nouveau grès rouge, que l’on désigne en Allemagne sous le nom de Keuper, et qui renferme les débris de deux espèces de sauriens.

    Aux États-Unis, le docteur Dekay a aussi trouvé des coprolites dans la formation de calcaire chlorité (green sand) de Montmouth dans le New-Jersey. Voy. pl. 15. fig. 13.

  57. Elle représente un échantillon donné par le vicomte Cole à la collection géologique de l’université d’Oxford ; il est une preuve sans réplique que les substances en question ne peuvent être considérées comme des matières étrangères accidentellement mises en contact avec les corps organisés fossiles, puisque cette grande masse coprolitique est complètement enfermée dans la cavité que forment la colonne vertébrale et les deux séries droite et gauche des côtes, dont le plus grand nombre a même conservé à peu de chose près sa position naturelle. Le volume de ce coprolite est prodigieux, comparé à celui de l’animal dans lequel il est renfermé ; et si nous ne savions pas combien est puissante l’action des organes digestifs chez les reptiles et les poissons, et avec quelle facilité ces êtres engloutissent tout entiers les grands animaux qui forment leur proie, il nous paraîtrait impossible de rendre compte de l’espace énorme que remplissent ainsi ces masses coprolitiques à l’intérieur de certains squelettes fossiles d’ichthyosaures.
  58. Comme dans le cas figure, pl. 15, fig. 18. Voyez aussi les Transactions géologiques, 2e série, pl. 20, fig. 2, 3, 4, 5.
  59. D’après M. le professeur Agassiz, les écailles du Pholidophorus limbatus, espèce des plus fréquentes parmi les fossiles du lias, abonderaient plus que celles d’aucun autre poisson dans les coprolites de la formation de Lyme-Regis, ce qui prouve que cette espèce formait la base principale de la nourriture des Ichthyosaures. Dans les coprolites de la formation carbonifère des environs d’Édimbourg, il a aussi reconnu les écailles du Palæoniscus et d’autres poissons que l’on trouve souvent entiers dans les couches qui accompagnent la houille de ce district. Dans des Coprolites provenus de poissons voraces de la craie, on rencontre les écailles de Beryx armatus, poisson découvert par M. Mantell dans cette formation.

    Un coprolite du lias, que nous avons fait figurer dans la planche 15, fig. 5, et qui se fait remarquer par ses circonvolutions en spirale et les impressions vasculaires de sa surface, peut être signalé comme un exemple frappant du soin minutieux qui préside maintenant aux investigations des naturalistes, et du genre de témoignages que les recherches géologiques vont demander à l’anatomie comparée. Sur un des côtés de ce coprolite, se voit une petite écaille (fig. 5, a) que je n’avais pu que rapporter à quelque poisson de l’une des nombreuses espèces inconnues qui se rencontrent dans le lias. À l’instant même où je la fis voir à M. Agassiz, non seulement il prononça que cette espèce était le pholidophorus limbatus, mais il détermina la place précise qu’avait occupée cette écaille à la surface du corps. Un tube placé sur sa face interne, et que l’on aperçoit à peine sans le secours du microscope (pl. 15, fig. 3), prouve qu’elle appartient à cette ligne latérale d’écailles perforées qui vont de la tête à la queue des deux côtés du corps dans tous les poissons, et y forment un conduit destiné à porter des glandes de la tête jusqu’à l’extrémité du corps un mucus lubréfiant. Quant à la position que cette écaille occupait sur cette ligne elle-même, elle était du côté gauche, non loin de la tête. La figure 5 fait voir une pareille écaille par sa face opposée, et en e l’extrémité du tube conducteur de la mucosité.

  60. Pl. 15, fig. 1, et 2.
  61. Pl. 15, fig. 3, 4, 6.

    Ces corps coniques ont été formés par une lame continue de la substance des os digérée, et contournée en spirale sur elle-même durant le temps qu’elle était encore à l’état plastique. Leur forme est à peu de chose près celle que prendrait un ruban d’une certaine étendue que l’on forcerait de pénétrer obliquement dans un tube par une ouverture latérale allongée : ce ruban, forcé d’avancer dans l’intérieur du tube, y formerait une suite de cônes enroulés les uns sur les autres ; et après un certain nombre de tours, si l’on continuait à pousser en avant le ruban générateur, les cônes en question venant à sortir par l’autre extrémité du tube offriraient une disposition tout à fait analogue à celle des coprolites figurés planche 15, fig. 3, 5, 7, 10, 12, 13, 13, 14. C’est, de cette façon que l’on peut concevoir qu’une lame de substance coprolitique a pu se contourner sur elle-même en une série spirale de cônes successifs au moment de son passage de l’intestin grêle dans la partie voisine du gros intestin. Ces coprolites ainsi formés tombèrent dans la boue molle amassée au fond de la mer ; et lorsque cette boue vint à se consolider plus tard pour former le schiste et la pierre, ils y subirent une pétrification tel lement complète que pour la dureté, la beauté du poli, ces corps singuliers peuvent rivaliser avec les marbres les plus recherchés.

    La figure 6 représente une coupe longitudinale faite suivant l’axe dans un coprolite de la craie inférieure où cette forme conique enroulée se montre bien tranchée. La figure 4 offre la coupe transversale d’un autre coprolite du lias, et l’on y voit comment les lames se contournent sur elles-mêmes et vont se terminer extérieurement en b par un bord brisé. La lettre b, dans toutes ces figures, indique la coupé transversale de cette lame là où elle se brise et où se termine son enroulement extérieur. Ces mêmes coupes en b font voir aussi la forme et les dimensions du passage étroit dans l’intérieur duquel les matières se sont moulées. Une lame d’une substance plastique molle et liante, ainsi poussé continuellement en avant de l’intérieur d’un pareil conduit turbiné dans la cavité du gros intestin, s’y contournerait en spirale, jusqu’à ce qu’elle eut atteint le volume le plus considérable qui put y être contenu. De cette spirale des portions se rompant brusquement (comme en b) descendrait dans le cloaque, et seraient de là rejetées dans la mer.

  62. Ces impressions ne peuvent y avoir été laissées par la membrane du gros intestin, puisqu’elles se contournent sur toutes les surfaces des circonvolutions intérieures, bien qu’elles aient définitivement recou vertes par les circonvolutions extérieures au moment de leur passage de l’intestin grêle dans le gros intestin.
  63. Paley, dans son chapitre sur les compensations mécaniques de la structure des animaux, cite dans une espèce de requin (le renard de mer, squalus vulpes) une disposition toute pareille à celle que nous venons mentionner comme appartenant à l’ichthyosaure. — « Dans cet animal, dit-il, l’intestin est droit d’un bout à l’autre ; mais cet intestin droit et par conséquent court n’est réellement qu’un conduit contourné en tire-bouchon, et ce n’est qu’après maintes circonvolutions et en suivant une route en réalité fort longue, que la substance alimentaire arrive à son point de sortie. De cette sorte la brièveté de l’intestin se compense par l’obliquité du canal qui y est creusé. »

    Le docteur Fitton a appelé mon attention sur un passage de la vie de Loke, par lord King (in-4°, p. 166—167), d’après lequel il parait certain que l’importance de la disposition en spirale du canal intestinal n’avait point échappé à ce profond philosophe qui l’avait observée sur un grand nombre de préparations de la collection anatomique de Leyde.

  64. Voyez la géologie du Sussex, par M. Mantell, pl. 38. Je tiens de ce savant que les coprolites trouvés dans le macropoma ressemblent presque entièrement par leur forme à ceux figurés dans le présent ouvrage, pl. 15, fig. 8 et 9. Il pense aussi que les échantillons les plus contournée (pl. 15, fig. 5, 7) que l’on connaissait depuis long-temps sous le nom de jules (julis), et que l’on supposait être des cônes de pins fossiles, peuvent provenir de poissons de la famille des requins (ptychodus) dont les énormes dents palatines (pl. 27) se trouvent en abondance avec ces coprolites dans les mêmes localités de la formation crayeuse de Steyning et de Hamsey.
  65. Voyez son ouvrage sur les poissons fossiles, liv. 2, Appendice, page 15.

    Les observations qu’a faites ce savant distingué sur la marche de la décomposition dans les poissons morts des lacs de la Suisse l’ont conduit à expliquer d’une manière fort ingénieuse pourquoi les cololites se rencontrent le plus souvent isolés dans le calcaire lithographique. Ces animaux, im médiatement après leur mort, flottent à la surface des eaux, le ventre en l’air, jusqu’à ce que leur abdomen crève par les gaz putrides qui s’y développent et le distendent : c’est par l’ouverture qui résulte de ce déchirement que les intestins sortent du corps, tout en conservant leurs circonvolutions naturelles. Mais après un temps très court cette masse intestinale se trouve séparée du corps par l’agitation des vagues. C’est alors que le poisson tombe au fond : mais ces intestins continuent encore de flotter long-temps, et s’il arrive qu’ils soient portés sur le bord, ils y demeurent plusieurs jours sur le sable avant que leur décomposition y soit complète. Du reste ce ne sont que les intestins grêles qui se détachent ainsi du corps ; l’estomac et les autres viscères y restent fixés.

    L’auteur de cette explication donnée sur des fossiles jusque là inexpliqués publie en ce moment, à Neuchâtel, le plus important ouvrage qu’il y ait sur les poissons fossiles. Ses titres à aborder une tâche aussi étendue et aussi difficile sont garantis suffisamment par ce fait que Cuvier, voyant les progrès que ce savant y avait faits, s’empressa de mettre à sa disposition tous les matériaux qu’il avait déjà rassemblés lui-même dans le but d’entreprendre un travail tout semblable.

  66. Le temps qui répand de la dignité sur tout ce qui échappe à son pouvoir destructeur fait voir ici un singulier effet de son influence : ces substances si viles dans leur origine, étant rendues à la lumière après tant de siècles, deviennent d’une grande importance, puisqu’elles servent à remplir un nouveau chapitre dans l’histoire naturelle du globe. — Bulletin de la Société impériale de Moscou, n. vi, 1835, p. 23.
  67. Pl. 46, 47, 48, 49.
  68. Cet habitant de l’ancien monde est peut être le plus hétéroclite et celui de tous qui parait le plus mériter le nom de monstre. — Ossem. Fossiles, in-4o, t. 5, 2e partie, 476.
  69. C’est dans le lias de Lyme Regis, vers 1823, que l’on a découvert les premiers échantillons appartenant à cet animal remarquable, et ils sont l’objet d’un admirable mémoire dans lequel MM. Conybeare et De la Bêche ont établi et dénommé le genre (Géolog. Trans. Lond. T, 5, 2. part.). Depuis on a rencontré d’autres individus dans les mêmes formations sur divers points de l’Angleterre, de l’Irlande, de la France et de l’Allemagne, ainsi que dans des formations qui appartiennent à diverses époques, depuis le muschelkalk en s’élevant jusqu’à la craie. Le premier échantillon que l’on ait trouvé dans un état voisin de la perfection fait partie de la collection du duc de Buckingham (il est figuré dans les Géolog. Trans. Lond. Nouvelle série, t. I partie 2, pl. 48). Il y en a un autre presque entier, long de onze pieds, dans la collection du muséum britannique ; c’est celui que nous avons figuré, planche 46, Notre planche 17 représente un squelette fossile encore plus parfait, appartenant aussi au muséum britannique, et qui a été trouvé par M. Hawkins dans le lias de Street, près de Glastonbury. Nous avons en outre figuré dans la planche 16 le même animal tel que M. Conybeare l’avait rétabli à l’aide de fragmens dispersés, avant que l’on en eût encore rencontré aucun squelette entier : et l’analogie complète de cette restauration avec le squelette parfait peut être citée comme un exemple frappant de la certitude des principes que nous fournit l’anatomie comparée pour reconstruire l’ensemble des créatures fossiles par la combinaison de leurs parties isolées, la justesse des raisonnemens qu’avait faits Cuvier sur les quadrupèdes fossiles de Montmartre fut démontrée par la découverte subséquente de squelettes tout pareils à ceux qu’il avait refaits conjecturalement à l’aide d’os isolés ; la restauration qu’a faite M. Conybeare du plesiosaurus dolichodeirus (pl. 16) n’a pas reçu une confirmation moins éclatante de la découverte des échantillons que nous venons de mentionner.
  70. Pl. 16, 17, 18.
  71. M. Conybeare a figuré dans les Transactions géologiques, 2e série, t. 1, Ier partie, pl. 19, une tête de cet animal à peu près complète, vue en dessus et de côté. La figure 2 de notre 18e planche représente la tête de l’échantillon appartenant au muséum britannique, le même dont nous avons donné la figure entière sur une échelle plus petite dans la pl. 16. La tête est renversée ; la mâchoire supérieure est dérangée de sa position, et laisse voir plusieurs des alvéoles distinctes où les dents sont contenues, aussi bien que la partie postérieure de la voûte palatine ; la mâchoire inférieure n’est que peu déplacée.

    On voit, pl. 18, fig. 1. une autre mâchoire inférieure dessinée d’après l’échantillon trouvé à Street par M. Hawkins, et appartenant aussi au muséum britannique.

    La figure 3 de la pl. 19 représente l’extrémité de l’os dentaire d’une autre mâchoire inférieure de la même collection ; quelques dents sont restées dans les alvéoles antérieures, et l’on y voit une série de dents nouvelles logées dans une rangée intérieure de cavités plus petites. Ce mode de formation des dents nouvelles dans des cellules de la masse osseuse qui porte les anciennes dents, et la manière dont elles sortent irrégulièrement en traversant la substance de l’os, est un caractère important qui rapproche le plésiosaure du lézard, en même temps qu’il se combine d’une manière remarquable avec l’implantation des dents à l’état parfait dans des alvéoles distinctes, caractère propre aux crocodiles.

    Le nombre des dents de la mâchoire inférieure était de cinquante-quatre ; et si l’on suppose que la série supérieure correspondait exactement à celle d’en bas, le nombre total des dents s’élevait au-dessus de cent. L’extrémité antérieure de la mâchoire s’élargit en cuiller pour fournir l’espace nécessaire aux six premières dents de chaque côté, qui sont de toutes les plus développées.

  72. La perte de force qui résultait pour le plésiosaure de cette longueur extrême du cou était compensée par l’existence d’une série d’apophyses hastiformes qui se surajoutaient de chaque côté du corps des vertèbres cervicales. (Pl. 17 et pl. 19, fig. 1 et 2.) On trouve chez les oiseaux et chez les quadrupèdes à long cou des rudimens de ces apophyses diversement modifiées ; et leur forme, chez les crocodiles, approche beaucoup de ce que l’on observe chez le plésiosaure.

    Le corps des vertèbres rappelle aussi beaucoup plus certains crocodiles fossiles qu’il ne rappelle les ichthyosaures ou les lézards, et ces organes ont en outre avec ceux des crocodiles ce point commun que leur portion annulaire est fixée au corps de la vertèbre par des sutures.

    Ainsi le cou du plesiosaurus dolichodeirus est une combinaison du principe de construction des vertèbres du crocodile, avec un accroissement en longueur qui dépasse tout ce que l’on observe de plus extrême chez les oiseaux, et que l’on ne retrouve dans aucun autre animal connu, pas plus parmi les créations les plus anciennes que parmi les créations actuelles. La longueur de cet organe anormal est égale à presque cinq fois celle de la tête ; le tronc égale quatre fois la tête en longueur, et la queue trois fois, de sorte que la tête n’a en longueur qu’un treizième du corps entier. — Voy. les Transactions géol. de Londres, tome 3, p. 559, et tome 1, nouvelle série, p. 103 et suivantes.

  73. Pl. 19, 17, 18.
  74. Pl. 19, 3, 6.
  75. La portion ventrale de chacune des côtes (pl. 17 et pl. 18, fig. 3, 6) parait composée de trois os minces appliqués les uns contre les autres au moyen de rainures obliques qui leur permettaient un mouvement d’extension considérable, durant la dilatation des poumons. La manière ont ces trois os se combinaient ensemble se voit très bien dans la série figurée de a en d, où les extrémités supérieures de la portion ventrale dès côtes (b) ont été séparées de l’extrémité inférieure des portions vertébrales, par la pression, à laquelle elles ont été soumises,
  76. Nous n’avons aucun moyen de vérifier cette conjecture ingénieuse qui fait du plésiosaure une sorte de caméléon marin, doué de la facilité de faire varier la couleur de ses tégumens ; mais nous devons admettre qu’une faculté semblable lui eût été du plus grand avantage en lui fournissant un moyen de se soustraire plus complètement à la vue de l’ichthyosaure, son ennemi le plus formidable. Contre cet adversaire, tout combat à armes égales lui était impossible, soit à cause de la petitesse de sa tête ou de la longueur extrême de son cou ; et la faiblesse de ses moyens de locomotion le mettait également dans l’impossibilité de fuir. L’agrandissement de ses poumons avait encore cet important avantage qu’elle permettait à l’animal de venir moins fréquemment à la surface pour y respirer l’air atmosphérique, opération qui ne pouvait s’exécuter sans un danger imminent, au sein de mers où fourmillaient les ichthyosaures. Le docteur Stark a dernièrement observé que certains poissons, et spécialement les vérons (leuciscus phoxinus), ont une tendance à prendre la couleur des vases où on les conserve. (Proceedings zoo. soc. Lond. juillet, 1833.) Comme dans cette classe d’êtres il n’existe pas de poumons, ce changement dans les couleurs ne peut être attribué à la même cause qui, d’après les opinions reçues, produit le même effet chez les caméléons.
  77. Pl. 16, 17, 19.
  78. Le nombre des pièces qui correspondaient aux phalanges des doigts et des orteils excède celui que l’on observe chez les lézards et les oiseaux, et même chez les mammifères, à l’exception des baleines dont plusieurs offrent un pareil excès numérique en rapport avec l’office de nageoires qui correspond à cette disposition. Ces phalanges des plésiosaures s’articulent, comme chez les baleines, par synchondrose, et elles établissent un passage entre les phalanges de l’ichthyosaure en nombre plus grand et plus anguleuses, et celles des quadrupèdes terrestres, toujours plus ou moins cylindriques. Chez ces lézards de mer, elles étaient aplaties, dans le but d’élargir les extrémités, et d’en faire des organes de natation. Comme d’ailleurs ces rames élargies paraissent avoir été dépourvues de toute espèce d’ongles, même imparfaits, comme ceux des tortues et des phoques, il est probable que le plésiosaure n’avait, partout ailleurs que dans l’eau, qu’un mouvement de progression faible ou tout à fait nul.
  79. Pl. 16, 17, 49.
  80. Les monitors sont un genre de lézards qui fréquentent les marais et le bord des rivières dans les climats chauds. Ils doivent leur nom à ce préjugé universellement reçu, malgré son absurdité, qu’ils annoncent par un sifflement aigu l’approche des crocodiles et des caïmans. Il y en a une espèce, le monitor du Nil, qui détruit les œufs des crocodiles, et que l’on voit sculptée sur les monumens de l’ancienne Égypte.
  81. M. Mantell a trouvé des débris appartenant au mosasaure dans la craie supérieure, près de Lewes, et le docteur Morton dans le sable vert (Green-sand) de Virginie.
  82. Pl. 20.
  83. L’épaulard atteint jusqu’à vingt et vingt-cinq pieds ; c’est un animal très féroce, qui se nourrit de phoques et de marsouins ainsi que de poissons.
  84. Pl. 20, K.
  85. Les dents n’ont pas de vraies racines, et ne sont pas creuses comme chez les crocodiles, mais à leur état de complet accroissement elles sont entièrement pleines et soudées à leurs alvéoles par une base osseuse, large et solide, résultant de l’ossification de la matière pulpeuse qui a sécrété la dent. En outre, elles se fixent plus solidement encore aux mâchoires par l’ossification de la capsule ou organe sécréteur de l’émail. Cette capsule ossifiée entoure la base des dents d’une sorte de contrefort circulaire, et les fixe avec une extrême solidité. Les dents nouvelles apparaissaient dans d’autres cellules de l’os maxillaire (Pl. 20, h), et, en s’accroissant, traversaient irrégulièrement sa substance, jus qu’à ce que, venant à comprimer la base des dents anciennes, elles les forçaient à se détacher en même temps que la base elle-même, en y causant une sorte de nécrose, et à tomber à la manière des cornes du cerf. Les dents palatines sont organisées d’après le même principe que les dents maxillaires et se renouvellent de la même manière.
  86. Pl. 4, fig. 42, 43, et Pl. 21 et 22.
  87. C’est surtout à Aichstadt et à Solenhofen, dans le calcaire lithographique de la formation jurassique, que l’on a rencontré jusqu’à ce jour les ptérodactyles ; cette roche abonde en débris marins, et présente aussi des libellules et d’autres insectes. On en a découvert également dans le lias de Lyme Régis, et dans le schiste calcaire eolitique de Stonesfield.
  88. La planche 21 représente le Pterodaclylus longirontris, que Collini a, le premier, fait connaître ; c’est l’espèce type sur laquelle le genre a été établi.

    On voit pl. 22, O, la plus petite espèce connue, le Pt. brevirostris de Solenhofen, lequel a été décrit par le professeur Sœmmering.

    J’ai publié, dans les Transactions géologiques de Londres, deuxième série, t. 5, première partie, la figure et la description d’une troisième, le Pt. macronyx, du lias de Lyme Regis. Cette espèce était à peu près de la taille d’un corbeau, et ses ailes étendues devaient mesurer environ quatre pieds. Le professeur Goldfuss en décrit une quatrième espèce, le Pt. crassirostris ; nous reproduisons, fig. N de la planche 22, une réduction de la figure qu’il a donnée de l’échantillon lui-même, et la figure A est une copie également réduite de la restauration qu’il en a faite. Une autre espèce, le Pt. medius, a été décrite par le comte Munster. Cuvier décrit quelques os d’une espèce, le Pt. grandis, quatre fois plus grande que le Pt. longirostris, dont la taille était à peu près celle d’une bécasse. M. Goldfuss en a décrit une septième, le Pt. Munsteri, trouvé à Solenhofen, et il a proposé le nom de Pt. Bucklandii pour la huitième, que l’on a découverte à Stonesfield, et qui n’a pas encore été décrite.

  89. (Journal zoologique, n° 16, p. 3S8.)
  90. Transactions géologiques de Londres, nouvelle série ; t. 5, première partie.
  91. Il existe une petite espèce de lézard, le dragon-volant (pl. 22, L) différente des autres sauriens par des sortes d’ailes imparfaites qui ne sont autre chose qu’une expansion membraneuse de la peau étendue au dessus des fausses côtes, lesquelles se projettent horizontalement des deux côtés du dos. Ces deux replis membraneux forment une sorte de parachute qui soutient l’animal dans les sauts qu’il exécute d’arbre en arbre ; mais ils n’ont pas la faculté de battre l’air pour devenir l’instrument d’un vol véritable, comme les bras des chauves-souris ou les ailes des oiseaux. Les bras ou membres antérieurs du dragon-volant ne diffèrent pas de ceux des lézards ordinaires.
  92. Dans une espèce provenant du lias de Lyme Regis, le pterodactylus macronyx (Géolog. Transact. N. S. et V, iii, pl. 27, p. 220), on rencontre une disposition peu commune, dans le but de supporter une tête lourde à l’extrémité d’un long cou, et de lui permettre des mouvemens faciles. Cette disposition consiste dans des tendons osseux parallèles aux vertèbres cervicales, et pareils à ceux qui longent le clos du chevrotain pygmée (moschus pygmæus) et d’un grand nombre d’oiseaux. Aucune disposition pareille ne se rencontre chez les lézards modernes ; tous ont le cou fort court, et aucune disposition analogue n’est nécessaire pour le soutien de leur tête : cette compensation apportée par l’existence de tendons à la faiblesse qui résulte de l’alongement du cou est un exemple de l’emploi dans un ordre éteint des reptiles les plus anciens, d’un mécanisme que nous retrouvons encore aujourd’hui appliqué à produire les mêmes résultats sur d’autres points de la colonne vertébrale, dans certaines espèces de mammifères et d’oiseaux.
  93. Pl. 22, B.
  94. Pl. 22, C, D, E, N, O, fig. 30-38.
  95. Ainsi Cuviera fait voir que dans le pt. longirostris (pl. 21, numéros 39-42) et dans le pt. brevirostris (pl. 22, fig. O, 39-42], le quatrième doigt se composait de quatre phalanges alongées, et que l’absence de la cinquième, ou phalange onguéale, s’explique par ce fait que son existence était sans utilité. Dans le pt. crassirostris, d’après Goldfuss (pl. 22, fig. A, N.), cette phalange onguéale existe au quatrième doigt qui se trouve ainsi en avoir cinq, et c’est le cinquième doigt qui s’alonge pour soutenir l’aile ; mais au milieu de ces diverses modifications des membres antérieurs on voit persister les nombres normaux tels qu’ils existent dans le type des lézards.

    Si, comme paraît l’indiquer l’échantillon dessiné par Goldfuss du pt. crassirostris (pl 22, numéros 44-45), c’était le cinquième doigt qui prenait un agrandissement insolite dans le but de supporter la membrane alaire, comme dans les lézards le nombre normal des phalanges pour le cinquième doigt est de trois seulement, nous en pouvons conclure que ce doigt alifère n’avait non plus que trois phalanges. Dans l’échantillon fossile, les deux premières seules ont été conservées, de telle sorte que l’addition qu’a faite cet auteur d’une quatrième phalange au cinquième doigt dans la figure restaurée (pl. 22, A, 47) nous semble peu d’accord avec l’ensemble des analogies que présente cette espèce, aussi bien que toutes celles qu’a décrites Cuvier.

  96. Dans la chauve-souris (pl. 22, M, 30, 31) le premier doigt ou pouce est seul libre, et peut seul servir à l’animal pour se suspendre ou pour ramper. Les baguettes sur lesquelles l’aile est tendue sont formées par les quatre autres doigts dont les os métacarpiens (26-29) ont pris un grand alongement et se terminent par de petites phalanges (32-43). C’est là une application de la main des mammifères à la fonction du vol, tout à fait pareille à la modification de la main des lézards, qui s’observe chez le ptérodactyle de l’ancien monde.
  97. Si nous admettons avec Goldfuss que le pt. crassirostris ait un doigt postérieur de plus que n’en indique Cuvier pour les autres espèces de ptérodactyles, loin qu’il y ait là une violation des analogies dont l’étude nous occupe maintenant, nous ne pouvons y voir qu’un rapport de plus avec les lézards vivans ; nous avons vu que cet animal diffère en outre des autres ptérodactyles en ce que c’est le cinquième doigt au lieu du quatrième qui s’agrandit pour supporter l’aile.

    Il est cependant probable que le cinquième doigt postérieur n’avait que trois phalanges, par les mêmes raisons qui nous ont déterminés à assigner ce nombre au cinquième doigt antérieur. Cuvier regardait, dans le pt. longirostris, le petit os figuré pl. 21, n. 36, comme le rudiment d’un cinquième doigt.

  98. Les doigts des oiseaux offrent un pareil arrangement numérique des os, et dans un but tout semblable.
  99. Pl. 22, K.
  100. Ce genre a été établi par l’auteur lui-même (Geol. Trans. London, N S, 2e partie, 1824) d’après des échantillons trouvés dans le schiste oolitique de Stonesfield près Oxford, qui est l’endroit où ils se montrent le plus abondans. M. Mantell a découvert des débris du même animal dans la formation wealdienne d’eau douce de la forêt de Tilgate, et nous concluons de cette circonstance qu’il a dû exister pendant le dépôt des couches de la série oolitique tout entière. L’auteur a vu en 1826, dans le musée de Besançon, des fragmens de mâchoires et de quelques autres os du mégalosaure trouvés dans l’oolite des environs de cette ville.
  101. Géol. Trans. 2e série, t. 5, p. 427, pl. 41.
  102. Je tiens de M. Owen que les os longs des tortues terrestres offrent à leur intérieur une structure aréolaire serrée, mais non une cavité médullaire.
  103. Les cavités médullaires des os fossiles de mégalosaure trouvés à Stonesfield sont ordinairement remplis de spath calcaire. On voit dans le muséum d’Oxford un échantillon peut-être unique parmi les débris organiques fossiles. Il provient de la formation wealdienne d’eau douce de Langton, près de Tunbridge Wells, et offre le fait curieux du moulage parfait de l’intérieur d’un os long, probablement le fémur d’un mégalosaure, avec la forme exacte et les ramifications de la substance médullaire, tandis que l’os lui-même a été complètement détruit. La substance de ce moulage est formée d’un sable fin cimenté par de l’oxide de fer ; sa forme présente distinctement toutes les réticulations les plus minutieuses que suivait la moelle remplissant les cavités aréolaires de l’extrémité de l’os. On y voit aussi en relief les perforations qui existaient dans la paroi interne, et par où les vaisseaux pénétraient obliquement de l’extérieur jusqu’à la substance médullaire. Le sable où l’os était enfoui a également formé tout autour un moule extérieur, de telle sorte que, bien que l’os lui-même ait entièrement péri, nous possédons tout à la fois une reproduction exacte de sa forme extérieure et de ses cavités internes, en même temps qu’un modèle de la moelle qui les remplissait, à peu près aussi parfait qu’on pourrait l’obtenir en remplissant de cire fondue la cavité vide d’un os à moelle, puis faisant dissoudre ensuite la substance osseuse dans un acide. Le sable qui constitue le moule intérieur a dû entrer par la cassure de celle des deux extrémités qui manque dans l’échantillon.

    Cette préparation naturelle d’une pièce anatomique des temps anciens démontre que, dans ces lézards gigantesques d’un monde primordial, la disposition de la moelle, et ses rapports avec les extrémités spongieuses de la cavité intérieure du fémur, sont exactement les mêmes que l’on observe dans les cavités médullaires des espèces de la création dont nous faisons partie.

  104. J’ai appris de M. Broderip qu’un iguane de l’espèce I. tuberculata a vécu dans les jardins de la Société zoologique de Londres pendant l’été de 1834, et qu’on l’a vu fréquemment entrer dans l’eau, et traverser à la nage un petit bassin en se servant de sa longue queue comme d’un instrument de progression, tandis que ses membres antérieurs restaient sans mouvement.
  105. Pl.23, fig. 1′-2′.
  106. Le bord externe de la mâchoire, pl. 25, fig. 1′ 2′, est plus haut de près d’un pouce que le bord interne, et forme ainsi une sorte de parapet latéral qui sert d’appui aux dents du côté où elles ont le plus grand effort à soutenir. En même temps, le bord interne (fig. 1′) donne naissance à une série de lames triangulaires qui forment des sortes d’éminence en zigzag dans l’intérieur du sillon alvéolaire. Du centre de chaque lame triangulaire part une cloison osseuse qui va joindre le parapet opposé, et constitue ainsi les alvéoles successives. On voit apparaître les dents nouvelles dans l’angle qui sépare ces éminences triangulaires ; elles forment une sorte d’abondante réserve, destinée à remplacer les dents anciennes à mesure que leur destruction progressive ou des fractures accidentelles en rendent nécessaire le renouvellement. Les dents nouvelles se formaient dans des cavités distinctes à côté des anciennes, en dedans de la mâchoire ; et il est probable qu’elles forçaient celles-ci à tomber, par le moyen accoutumé de la pression combinée avec l’absorption, pour prendre ensuite leur place dans les cavités demeurées vides. Cette disposition pour le renouvellement des dents est rigoureusement la même que l’on observe dans la dentition de plusieurs espèces vivantes de lézards.
  107. Pl. 23, fig. 1, 2, 3.
  108. Pl. 23, fig. 4′, 2′
  109. Pl. 23. fig. 1, 2, 3.
  110. Pl. 1, fig. 45 et pl. 24. — Voyez aussi la géologie du comté de Sussex et du sud-est de l’Angleterre, par M. Mantell.
  111. L’hylaeosaure, ou lézard des bois, fut découvert en 1852 dans la forêt de Tilgate, comté de Sussex. Ce lézard extraordinaire parait avoir eu environ vingt-cinq pieds de long. Ce qui le caractérise surtout, ce sont les restes d’os alongés, plats et pointus, qui formaient sans doute une énorme frange cutanée semblable aux épines cornées qui surmontent le dos des modernes iguanes. Ces os ont de cinq à dix-sept pouces de long, et de trois à sept pouces et demi de large à leur base. On trouve avec ces os des débris de grandes plaques tégumentaires osseuses, ou écailles épaisses, qui probablement étaient logées dans la peau.
  112. L’on n’a rencontré jusqu’ici l’iguanodon, à une seule exception près, que dans la formation wealdienne d’eau douce du sud de l’Angleterre (pl. 1, n° 22), formation intermédiaire entre les dépôts marins oolitiques de la pierre de Port-land, et les dépôts de sable vert (greenland) de la série crétacée. La découverte que l’on a faite en 1834 (Phil. mag. juillet 1834, p. 77) d’une partie considérable du squelette de l’un de ces animaux dans les carrières de Kentish-Rag, près de Maidstone, est une preuve que l’existence de cette espèce n’a pas eu pour limite l’époque où s’est terminée la formation wealdienne. L’individu auquel appartint ce squelette fut probablement entraîné par les eaux dans la mer, de la même manière que ceux dont on retrouve les ossemens dans les dépôts d’eau douce sous-jacens à cette formation marine ont dû être entraînés dans quelque embouchure de fleuve. Ce squelette unique se voit maintenant dans le musée de M. Mantell ; et il est venu continuer presque toutes les conjectures que ce savant avait établies sur des os isolés rapportés par lui au genre iguanodon.
  113. Dans un appendice à un mémoire inséré dans les Transactions géologiques de Londres (nouvelle série, t. 3, 3e partie} au sujet d’os fossiles de l’iguanodon trouvés dans l’île de Wight et dans l’île de Purbeck, j’ai cité les faits suivans qui démontrent les habitudes herbivores des iguanes actuels.

    Dans le printemps de 1829, M. W. J. Brodsrip vit un iguane vi vant, d’environ deux pieds de long, dans une serre des pépinières de M. Miller, près de Bristol. Cet animal refusa tous les insectes qu’on lai offrit ainsi que toute espèce de nourriture animale ; mais s’étant approché de quelques pieds de haricots que l’on avait placés dans cette serra pour y hâter leur développement, il se mit à en manger les feuilles, et depuis ce moment on l’a nourri avec cette plante. En 1828 le capitaine Belcher rencontra dans l’île Isabelle des troupes d’iguanes qui paraissaient omnivores. Ils dévoraient avec avidité les œufs d’oiseaux, les intestins des volailles tuées, et 1 es insectes.

  114. M. Mantell a comparé avec soin les os de l’iguanodon à ceux de l’iguane dans huit points distincts de leurs squelettes respectifs, afin d’obtenir de cette comparaison le rapport de ces diverses parties, et il a été conduit aux nombres qui suivent pour les dimensions principales de ce reptile extraordinaire.
    Pieds.
    Du bout du museau à l’extrémité de la queue. 70
    La queue seule. 52 1/2
    Circonférence du corps. 11 1/2

    M. Mantell a calculé que le fémur de l’iguanodon était vingt fois aussi grand que celui de l’iguane ; mais comme la longueur des animaux ne croit pas toujours, en raison de leur grosseur, on n’est pas autorisé à en conclure que l’iguanodon ait atteint la taille énorme de cent pieds, quoique selon toute probabilité il ait été fort près de soixante-dix.

    Avec un corps d’un volume aussi énorme, cet animal était impropre à monter aux arbres ; il n’avait pas l’occasion de se servir de sa queue pour grimper comme le fait l’iguane ; aussi les dimensions des vertèbres caudales, dans le sens de la longueur, sont-elles beaucoup moindres : d’où il résulte que la queue elle-même devait être proportionnellement beaucoup plus courte.

  115. Pl. 24, fig. 14.
  116. pl. 24, fig. 13.
  117. La fig. 2 représente une dent récemment sortie, vue de face ; les figures 5, 6, 7, 8, quatre autres, vues à peu près de profil. Ces dents offrent une ressemblance frappante avec des cisailles, et leur arête supérieure est formée par une lame tranchante d’émail. Cette substance a été ici indiquée par des lignes onduleuses qui représentent en effet sa structure véritable : il n’en existe qu’à la surface antérieure de la dent, comme cela a lieu dans les incisives des rongeurs.
  118. De même que dans les rongeurs, la durée indéfinie du tranchant des dents était une conséquence de l’existence d’une lame d’émail qui revêt seulement leur face antérieure. La substance plus molle de l’intérieur, l’ivoire, devant s’user plus rapidement que l’émail, et d’autant plus rapidement qu’elle était plus éloignée de cette dernière lame, la couronne se trouvait ainsi toujours taillée obliquement, et conservait à sa partie antérieure une arête tranchante, comme cela a lieu dans des tenailles (fig. 7, 8, 12).

    Les dents jeunes, au moment de leur sortie, offraient la forme d’une lancette, avec un tranchant denté de chaque côté, s’étendant depuis la pointe jusqu’à la portion la plus élargie, ainsi que cela a lieu dans les iguanes contemporains (pl. 24, fig. 11 et fig. 4). La dentelure cessait là où la dent avait le plus grand diamètre, c’est-à-dire au point précis passé lequel, si elle se fût continuée, elle n’eût été d’aucun effet dans la fonction de couper (pl. 24, fig. 2, 6, 8, 9, 12). À mesure que ces arêtes en scie s’usaient plus complètement, elles étaient remplacées dans leur action tranchante par la lame antérieure d’émail, et la disposition qu’affectait cette lame lui donnait encore une force nouvelle, et rendait son action plus complète. La face antérieure des dents est, en effet, parcourue, dans le sens de sa longueur, par des replis et des sillons alternatifs (pl. 24, fig. 2. 5, 6, 7, 8.) ; ces replis, qui formaient là comme des arcs-boutans, avaient pour but d’empêcher l’émail de s’écailler ; et le bord tranchant légèrement ondulé, qui résultait de l’alternance de ces replis et de ces sillons, constituait une suite de petites gouges, ou de petits ciseaux cannelés. Il résultait de là que les dents, sous l’action des mâchoires, constituaient un instrument d’un effet bien plus complet pour trancher les végétaux que si leur émail eût formé une seule ligne droite continue. Par suite de ces divers arrangemens, les dents demeuraient également propres à remplir leurs fonctions, dans toutes les phases qu’elles subissait ni depuis le moment où elles naissaient sous la forme d’une lancette aiguë (fig. 4), jusqu’à celui où leur usure était complète (fig. 10, 11).

  119. Une mâchoire d’iguane moderne que nous avons figurée pl. 24, fig. 15, offre le premier degré de cette opération ; et l’on y voit un certain nombre de dents nouvelles au moment où elles s’accroissent en traversant la gencive, et où elles causent par la base l’absorption de celles qui sont plus avancées en âge. Les fig. 10 et 11 font voir l’effet produit par cette absorption sur le vieux tronçon d’une dent fossile de l’iguanodon.
  120. Les petits opossum de la formation oolitique de Stonesfield près d’Oxford, sont les seuls mammifères terrestres dont on ait rencontré les débris dans des couches antérieures à la période tertiaire.
  121. Un de ces derniers, trouvé par M. Spencer dans l’argile de Londres de l’Ile de Sheppy, est figuré pl. 25′, fig. 1. On a découvert de ces crocodiles dans la craie de Meudon, dans l’argile plastique d’Auteuil, dans l’argile de Londres, dans le gypse de Montmartre, et dans les lignites de Provence.

    Les crocodiliens modernes à museau déprimé, bien qu’ils soient doués de la faculté de saisir des mammifères, ne sont pas uniquement restreints à ce genre de nourriture ; ils détruisent aussi une grande quantité de poissons, et surprennent même parfois des oiseaux. Ce régime omnivore, qui est maintenant celui de l’ensemble de la famille des crocodiliens, parait avoir son principe dans la nature même de la proie qui s’offre à leur voracité et qui est beaucoup plus variée qu’à l’époque où le museau de la famille tout entière était organisé, comme l’est de nos jours celui du gavial, pour un régime surtout piscivore.

  122. M. Geoffroy St Hilaire a formé, avec les sauriens fossiles qui ont on bec étroit et alongé comme celui du gavial, les deux nouveaux genres téléosaurus et sténéosaurus. Chez le premier, les narines sont avec l’extrémité du museau dans un plan presque vertical (pl. 25′, fig. 2) ; chez le sténéosaurus, fig. 3, le canal nasal s’ouvre presque de la même manière que chez le gavial, se dirigeant en haut, et se recourbant de chaque côté de façon à former à peu près un demi-cercle. (Recherches sur les grands Sauriens.)
  123. Un des plus beaux échantillons du genre fossile téléosaurus que l’on ait découvert jusqu’ici (pl. 25, fig. 1) le fut, en 1824, dans le schiste alumineux de la formation lias, à Saltwick, près de Whitby, et il a été figuré par MM. Young et Bird, dans leur Geological Survey of the Yorkshire coast, 2e édition, 1828. Il a environ dix-huit pieds de longueur totale : la tête est large de douze pouces ; le museau long et mince comme chez les gavials ; les dents, au nombre de cent quarante, sont toutes petites et minces, et rangées sur une seule ligne presque droite. Nous avons représenté, figure 2 et 3 de la même planche, la tête de deux autres individus de la même espèce que l’on a trouvés aux environs de Whitby.

    Quelques phalanges onguéales conservées à la patte postérieure de cet échantillon (fig. 1) prouvent que ces extrémités se terminaient par des ongles longs et tranchans propres à la locomotion terrestre ; d’où nous pouvons conclure que ce n’était pas un animal exclusivement marin : et la nature des coquilles qui se rencontrent associées avec les débris du sténéosaure et du téléosaure dans le lias et dans les formations oolitiques rendent probable que ces reptiles ne fréquentaient que des mers peu profondes. D’après M. Lyel, la plus grande espèce de crocodile du Gange quitte parfois les eaux saumâtres du Delta, et s’aventure jusque dans la mer.

  124. Nous avons déjà exposé le même mode de dentition en traitant de l’ichthyosaure (p. 149 et pl. 11, A).
  125. On a figuré dans les Transactions géologiques de Londres (t. 5, pl. 16 fig. 6), comme appartenant au genre trionyx, un débris trouvé dans l’ardoise de Caithness ; mais M. Agassiz a déclaré que ce reste fossile était celui d’un poisson.
  126. Oss. foss. T. 5, 2e partie, page 523.
  127. La planche 25, fig. 4 représente une tortue trouvée dans l’ardoise de Glaris : l’alongement inégal de ses doigts antérieurs la fait reconnaître pour une espèce marine. En effet les tortues d’eau douce ont tout leurs doigts à peu près égaux et de longueur médiocre ; les tortues de terre les ont égaux aussi, mais très courts : chez celles qui habitent la mer au contraire, ces organes sont très alongés, et le doigt médian du pied antérieur dépasse de beaucoup tous les autres. L’existence de ce dernier trait d’organisation dans l’échantillon qui nous est soumis apparaît au premier coup d’œil, et cette particularité, aussi bien que tout l’ensemble de sa structure, le place tout près des genres actuellement existant. Cette figure est tirée des ossemens fossiles de Cuvier, tome V. 2e partie ; pl. 14, fig. 4. M. Agassiz a eu l’obligeance de me donner les détails suivans relativement aux parties importantes qui n’avaient été qu’imparfaitement représentées dans le dessin d’après lequel la planche de Cuvier a été gravée. — « Il est évident, d’après l’état des côtes, que ce fossile offre des rapports intimes avec les deux genres Chelonia et Sphargis, mais sans qu’on puisse le rapporter à aucune espèce connue. Les doigts de la patte antérieure gauche sont au nombre de cinq, dont les deux extérieurs sont les plus courts, et ont chacun trois phalanges. Chacun des trois doigts internes, parmi lesquels le doigt médian est le plus long, offre quatre phalanges, ainsi que cela a lieu dans les deux genres actuels que nous venons de citer. »
  128. C’est ainsi que l’on rencontre les débris fossiles de deux grandes espèces d’émydes réunies à des coquilles marines dans le calcaire jurassique de Soleure. On trouve aussi des émydes en même temps que des crocodiles à Sheppy et à Harwich, dans des dépôts marins d’argile de Londres ; à Bruxelles, ces derniers se montrent associés à des débris marins : et l’on voit dans le schiste oolitique de Stonesfield, près d’Oxford, des empreintes très parfaites d’écailles cornées, ayant appartenu à des chéloniens.
  129. Pl., 1, n° 17.
  130. Voyez le Mémoire du docteur Duncan sur les traces ou empreintes de pieds laissées par divers animaux dans le grès des carrières de Corn-Cockle Muir, dans le comté de Dumfries. — Transactions de la société royale d’Édimbourg, 1828.

    D’après ce savant, les couches à la surface desquelles se voient ces impressions sont étendues les unes au dessus des autres, comme le sont des livres inclinés dans un même sens sur un rayon de bibliothèque. La carrière en question a été creusée jusqu’à quarante-cinq pieds, et l’on a trouvé de semblables traces dans toute cette profondeur ; et ce n’est pas seulement dans une couche, mais dans plusieurs couches successives ; c’est-à-dire que si l’on enlève un lit épais dans lequel se trouvent de semblables empreintes, un autre lit reproduira le même phénomène à la distance de quelques pieds peut-être, mais peut-être aussi à la distance de moins d’un pouce. Cette particularité prouve que les causes qui ont produit ces traces sur ce sable et celles qui les ont recouvertes par la suite ont exercé alternativement leur action à plusieurs reprises.

    Une lettre du docteur Duncan, du mois d’octobre 1834, m’apprend que l’on a découvert tout récemment de semblables empreintes présentant des circonstances à peu près les mêmes, dans les carrières de grès rouge de Craigs, à environ dix milles au sud de Corn-Cockle-Muir, et à deux milles est de la ville de Dumfries. L’inclinaison des couches dans cette localité, comme celle de presque toutes les couches de grès de ce district, est d’environ 45° S.-O. L’une de ces traces à de vingt à trente pieds en longueur. On n’a encore rencontre dans cette localité, non plus qu’à Corn-Corkle. Muir, d’os d’aucune espèce.

    Sir Wiliam Jardine a fait savoir au docteur Duncan que l’on a de nouveau découvert des traces d’animaux dans d’autres carrières de Corn-Cockle-Muir.

  131. En 1831, M. G. P. Scrope, qui avait visité les carrières de Dumfries, observa de semblables ondulations, et d’abondantes empreintes de pieds de petits animaux dans les couches de marbre de Forest, au nord de Bath. C’étaient probablement des traces de crustacés. — Philosoph. magaz. Mai 1831, p. 376.

    À la surface de certaines couches de gravier calcaire, et du schiste de Stonesfield, près d’Oxford, ainsi que des grès de la formation wealdienne des comtés de Susses et de Dorset, on observe des déjections pétrifiées de certains vers marins. Ces déjections se voient à l’extrémité des trous tabulaires que ces animaux se creusaient dans le sable à l’époque où ils habitaient le fond des mers, et que l’on retrouve également dans la substance même du grès. La conservation de ces tubes et de ces déjections démontre combien le fond des mers demeura tranquille, et par quels paisibles mouvemens des eaux furent charriés les matériaux qui ont recouvert, sans les déranger, ces diverses pièces si fragiles.

    Des faits de cette nature nous prédisposent à croire à la possibilité que des empreintes de pieds de tortues se soient conservées dans le grès rouge, et ils servent aussi à démontrer que cette époque, où les agens de destruction détachaient des terres déjà consolidées les matériaux des couches dérivées, fut partagée en intervalles alternatifs de repos et de convulsions.

  132. En comparant quelques unes de ces empreintes avec des traces que j’avais fait faire moi-même par une émyde vivante ou par la tortue grecque sur du sable, sur de l’argile ou sur une pâte molle, je les ai trouvées assez semblables, à quelques différences près, qu’explique la différence d’espèces, pour pouvoir prononcer avec un haut degré de probabilité que les empreintes fossiles dont il s’agit ont été produites par les pieds de quelque tortue terrestre.

    Dans le lit des ruisseaux du Sappey et du Whelpley, près de Tenbury, on aperçoit sur du vieux grès rouge des empreintes circulaires. Les habitans les attribuent à des pieds de chevaux, ou à des patins circulaires ; et il existe une légende qui en explique l’origine. Ce sont des concrétions de marne et de fer formant des enveloppes sphériques autour d’un noyau solide de grès, et qui ont été attaquées par le courant des eaux.

  133. Ce mode de conclure d’après les traces des pieds est employé par l’homme dans tous les états de société où il se trouve. L’identité d’un malfaiteur est constatée sur l’empreinte qu’a laissée sa chaussure sur le terrain où il a commis son crime. Les traces de pieds humains que trouva le capitaine Parry sur les bords d’un ruisseau dans la baie de la Possession lui parurent tellement récentes, qu’au premier abord il pensa qu’elles avaient dû y être laissées depuis peu par quelque naturel du pays ; mais un examen plus attentif lui démontra bientôt que c’étaient les empreintes des souliers de quelqu’un de son équipage ; elles étaient là depuis quinze mois, et leur conservation était due à l’état de congélation du sol. Non seulement les sauvages de l’Amérique peuvent reconnaître un élan ou un bison d’après la trace de ses sabots, mais ils affirment même combien de temps s’est écoulé depuis son passage ; et l’Arabe, en voyant le sable où a posé le pied d’un chameau, dit si l’animal était pesamment chargé où s’il ne l’était que peu, s’il était estropié ou s’il avait l’usage complet de tous ses membres.
  134. On a trouvé récemment de semblables empreintes fossiles en Saxe, au village de Hessberg, près de Hildburghausen, dans quelques carrières de grès gris quartzeux qui alternent avec des fils de grés rouge à peu près de la même époque que le grès rouge de Duuifries. (Voyez les planches 26′, 26″, 26‴.) Nous en donnerons la description suivante d’après les notices du docteur Hohnbaum et du professeur Kaup. — « On rencontre les vestiges de pieds tout à la fois en creux et en relief ; les creux ne se voient qu’à la surface supérieure des tables de grès, tandis que les reliefs s’aperçoivent seulement sur les surfaces inférieures des tables qui recouvrent les premières ; et c’est par un moulage dans les creux sons-jacens que les reliefs ont été produits. On a trouvé, sur une seule table de six pieds sur cinq (pl. 26′), des traces d’animaux de plusieurs espèces et de grandeurs différentes ; les plus grands, qui paraissaient avoir été produits par les pieds de derrière, ont huit pouces de long, et cinq de large (pl. 26″). Il y en a un qui a douze pouces de longueur. Auprès de chacune de ces grandes empreintes, et constamment à la distance régulière d’un pouce et demi en avant, on remarque l’empreinte plus petite de l’un des pieds antérieurs, longue de quatre pouces et large de trois. Les empreintes se suivent sur une même ligne droite, accouplées deux par deux, et chaque paire est séparée de la suivante par un intervalle de quatorze pouces. Dans les grandes comme dans les petites empreintes, on voit le grand doigt alternativement à droite et à gauche ; les unes et les autres présentent cinq doigts, dont le premier est écarté en dehors à la manière d’un pouce. Les pieds antérieurs et les postérieurs offrent à peu près la même forme, mais diffèrent considérablement quant aux dimensions.

    On voit sur les mêmes sables d’autres traces de pieds plus petits, et différemment conformés, avec des doigts armés d’ongles. Plusieurs de ces empreintes (pl. 26′) ressemblent à celles du grès de Dumfries, et ce sont probablement des pas de tortues.

    Le grand animal inconnu duquel proviennent les plus grandes traces a été désigné par le professeur Kaup sous le nom provisoire de Chirothérium, à cause de la ressemblance éloignée qui existe entre l’empreinte d’une main humaine et ces traces, tant des pieds antérieurs que des pieds postérieurs ; et ce savant pense que ce devait, être quelque mammifère voisin des marsupiaux. La présence, dans la formation oolitique de Stonesfield de deux petits mammifères rapportés au genre sarigue, et les rapports qui existent entre l’ordre des marsupiaux et la classe des reptiles, rapports auxquels nous avons déjà fait allusion dans la note de la page 64, sont autant de circonstances qui prêtent à cette conjecture une nouvelle force. Dans le kanguroo, le premier doigt des pieds antérieurs est placé obliquement par rapport aux autres, à la manière d’un pouce, et il existe une grande disproportion entre les pieds antérieurs et les pieds postérieurs.

    Le docteur Sickler, dans une lettre à Blumenbach, a publié en 1834 une nouvelle description de ces mêmes empreintes. C’est d’après la planche qui accompagnait cette lettre que noire planche 26 a été copiée. En la comparant avec une grande table extraite des mêmes carrières et couverte des mêmes empreintes, qui a été placée depuis peu (1835) dans le musée britannique, j’ai constaté que cette représentation était fort exacte. La trace figurée pl. 26″ est une de celle des pieds postérieurs qui se voient sur cette même table. La planche 26″ a été dessinée d’après un moule en plaire qui existe au musée britannique, et qui a été pris sur une autre table extraite des mêmes carrières, et où se voient les empreintes des pieds de quelque petit reptile aquatique.

    Dans ces mêmes carrières, et en même temps que ces empreintes, on a rencontré quelques fragmens d’os ; mais ils ont été détruits.

    Une mince couche de marne verte, qui était étendue à la surface du lit inférieur de sable à l’époque où ces traces y furent imprimées, est cause que les deux tables supérieure et inférieure se partagent avec facilité, et laissent voir les mêmes reliefs qui ont été formés par le sable supérieur lorsqu’il s’est moulé dans les dépressions que les pieds des animaux avaient produites sur la table inférieure à travers la marne, tandis qu’elle était encore assez molle pour prendre l’empreinte, et déjà assez ferme pour la conserver.

  135. Les dépôts de poissons fossiles les plus célèbres de toute l’Europe sont la formation houillère de Saarbruck en Lorraine, le schiste bitumineux de Mansfeld dans la Thuringe, le schiste calcaire lithographique de Solenhofen, l’ardoise bleue compacte de Glaris, le calcaire du Monte Bolca près de Vérone, la marne d’Œningen en Suisse, et d’Aix en Provence.

    Tous les essais que l’on a faits pour arriver à un arrangement systématique de ces poissons fossiles sont toujours demeurés impuissans, parce qu’on a voulu les ranger dans les familles et dans les genres actuellement existans. L’imperfection de notre classification actuelle des poissons et de toutes celles qui l’ont précédée est un fait admis par Cuvier ; et ce qui prouve combien cette distribution est imparfaite en effet, c’est qu’elle n’a conduit à aucun résultat général pour l’histoire naturelle, la physiologie ou la géologie.

  136. Parmi les poissons fossiles, aucun genre actuellement existant ne se rencontre dans une couche plus ancienne que la formation crayeuse. Dans la craie inférieure, il s’en trouve un, le genre fistulaire ; cinq dans la craie proprement dite (true chalk). Les couches tertiaires du Monte-Bolca renferment trente-neuf genres qui font partie de la création moderne, et trente-huit genres perdus.— Agassiz.
  137. C’est parce que la peau traduit mieux qu’aucun autre organe les rapports d’un animal avec l’élément dans lequel il se meut, que M. Agassiz a fondé la distribution des poissons sur les caractères fournis par l’enveloppe cutanée.

    Les formes et l’état des plumes et du duvet font connaître les relations des oiseaux avec l’air dans lequel ils volent, ou avec l’eau dans laquelle ils nagent ou plongent. Les fourrures, le poil, les soies, qui recouvrent la peau des mammifères sont en harmonie avec le point que ces derniers occupent de la surface terrestre, avec le climat qui y règne et les fonctions qu’ils y remplissent. Les écailles des poissons sont de même en harmonie avec la place qu’occupent les poissons et les fonctions qu’ils remplissent au dessous de la surface des eaux.

    M. Burchell m’apprend que, d’après les observations qu’il a eu occasion de faire tant en Afrique que dans l’Amérique du sud, on pourrait trouver dans les écailles des ophidiens la base d’un arrangement naturel de cet ordre de reptiles, et que l’on peut regarder comme l’un des caractères distinctifs du groupe auquel appartiennent la vipère et presque tous les serpens venimeux, d’avoir une carêne, ou crête aiguë sur chacune des écailles dorsales.

  138. M. Agassiz partage les poissons dans les quatre nouveaux ordres suivans.

    1o Les Placoïdiens (pl. 27, fig. 1 et 2, de πλαξ plaque élargie). Les poissons de cet ordre sont caractérisés par les plaques d’émail qui recouvrent leur peau d’une manière irrégulière. Quelquefois ces plaques sont de dimensions considérables, d’autres fois au contraire elles sont réduites à de petits points comme sur la peau chagrinée des squales, ou comme les tubercules aigus en forme de dents qui sont disséminés sur le corps des raies. Tous les cartilagineux de Cuvier, à l’exception de l’esturgeon, sont compris dans l’ordre des placoïdiens.

    Les aiguillons d’émail qui couvrent la peau des squales et des roussettes ou chiens de mer sont bien connus par l’usage que l’on en fait pour user et polir le bois et aussi par leur emploi dans la fabrication du chagrin.

    2o Les Ganoïdiens (pl. 27, fig. 5 et 4, de γανος, splendor, à cause du brillant de leur émail). Cet ordre est caractérisé par des écailles anguleuses composées de plaques osseuses ou cornées que revêt une lame mince d’émail. Le lépidostée gavial (Lepidusteus osseus, pl. 27 a, fig. 1) et les esturgeons en font partie. Il comprend plus de soixante genres, dont cinquante sont perdus.

    3o Les Cténoïdiens (pl. 27, fig. 5 et 6 ; κτεις peigne). Les érailles de ces poissons sont dentelées ou dentelées à leur bord postérieur, comme les dents d’un peigne, formées seulement d’une lame cornée et d’une lame osseuse, sans couche d’émail qui les recouvre. La perche nous en offre un exemple bien connu.

    4o Les Cycloïdiens (pl. 27, fig. 7 et 8, de κυκλος, cercle). Les cycloïdiens ont les écailles polies, simples sur leurs bords, et à surface supérieure souvent ornée de diverses figures ; elles sont formées de couches cornées ou osseuses, et ne sont jamais revêtues d’émail. On en voit des exemples dans le hareng et dans le saumon.

    Chacun de ces quatre ordres contient des poissons osseux et des poissons cartilagineux ; et les espèces qui les représentent dans les formations géologiques se montrent dans des proportions diverses, suivant les diverses périodes. Les deux premiers seuls apparaissent avant la formation crétacée ; le troisième et le quatrième, qui comprennent à eux seuls les trois quarts des huit mille espèces connues de poissons vivans, se montrtnt pour la première fois dans les couches ciéiacées, où disparaissent en même temps tous les genres fossiles des deux premiers ordres qui avaient existé précédemment.

  139. Les genres de poissons qui prédominent dans les couches de la série carbonifère ne se rencontrent plus après le zechstein, ou calcaire magnésien. Ceux de la série oolitique sont tous postérieurs au zechstein, et disparaissent subitement dès que commencent les formations crétacées. Les genres de ces dernières formations sont les premiers qui se rapprochent des genres actuels. Ceux des dépôts tertiaires inférieurs de Londres, de Paris et du Mome-Bolca sont plus voisins que les précédens des formes que nous avons maintenant sous les yeux, et les poissons fossiles d’Œningen et d’Aix leur sont encore unis par des rapports plus étroits, bien qu’aucune de leurs espèces ne paraisse avoir échappé à la destruction.
  140. M. Agassiz fait observer que les poissons fossiles d’une même formation offrent une plus grande variété d’espèces dans des localités éloignées les unes des autres que ne le font les coquilles ou les zoophytes des étages correspondans de la même formation. Cette circonstance, ajoute-t-il, s’explique aisément par le pouvoir de locomotion plus grand que possède cette classe d’animaux de beaucoup supérieure aux autres que nous venons de citer.
  141. Les nodules d’arg le endurcie (clay-stone) de la côte du Groenland, dans lesquelles on rencontre une espèce de poissons des mers adjacentes (le capelan du Nord, Mallotus villosus), sont, suivant toute probabilité, des concrétions modernes.
  142. C’est ainsi que le schiste-ardoise d’Engi, canton de Glaris, en Suisse, a été pendant long-temps l’un des gisemens de poissons fossiles de l’Europe les plus célèbres et les plus problématiques ; ses caractères minéraux avaient même été cause que jusqu’à ces derniers temps on l’avait rapportée à la première période de la série de transition. Or, il résulte des travaux de M. Agassiz que, parmi les nombreux poissons que ce schiste renferme, il n’en est pas un qui fasse partie d’un genre que l’on rencontre plus bas que la série crétacée ; mais que plusieurs de ces fossiles sont voisins d’espèces que l’on rencontre en Bohême dans la craie inférieure, ou Planer Kalk : et cet auteur en conclut que le schiste de Glaris est une altération de quelque dépôt argillacé subordonné aux grandes formations calcaires d’autres parties de l’Europe, probablement de la marne bleue (Gault). Un autre exemple de l’utilité de l’ichthyologie dans les recherches géologiques, c’est que les poissons fossiles de la formation wealdienne d’eau saumâtre (wealden œstuary formation) prenant place dans les genres qui caractérisent la série oolitique, nous en pouvons conclure que les dépôts wealdiens sont en connexion intime avec la série oolitique qui les a précédés, tandis qu’ils sont nettement séparés des formations crétacées qui viennent immédiatement après. Il parait en effet que ces ordres les plus élevés parmi les habitans des eaux ont éprouvé à l’origine de la formation crétacée des changemens correspondant à ceux qui se sont accomplis à cette même époque dans les genres et dans les degrés inférieurs de l’animalité. Nous pouvons citer encore, comme une preuve de cette utilité de l’ichthyologie fossile, l’identité tout récemment démontrée par M. Agassiz, d’après les caractères de leurs poissons fossiles, entre les dépôts d’eau douce d’Œningen et d’Aix en Provence, et ceux de la Mollasse de la Suisse, dépôts demeurés jusqu’à lui sans détermination.
  143. Lepidosteus, Agass. Lepisosteus, Lacep. Voyez notre pl. 27a, fig. 1. Pour le genre polyptère, Voy. Agassiz, Poiss. /bss., toin. 2, pl. C.
  144. Dans les poissons sauroïdes, les os du crâne sont unis par des sutures plus serrées que dans les poissons ordinaires. Les vertèbres s’articulent avec les apophyses transverses à l’aide de sutures, comme ou l’observe chez les sauriens, et les côtes s’articulent également avec les extrémités des mêmes apophyses. Les vertèbres caudales sont pourvues d’os en chevron bien distincts, et l’ensemble du squelette offre une puissance et une solidité plus grandes que dans les autres poissons. En même temps encore, leur vessie aérienne, bifide et cellulaire, se rapproche des poumons par ses caractères, et on leur voit dans l’arrière-bouche une glotte pareille à celle des sirènes, des salamandres et de plusieurs sauriens. — Voyez le bulletin des séances de la Société zoologique de Londres, octobre 1834.
  145. Voyez pl. 27a, fig. 2, 5 et 4. et pl. 27a, fig. 4.

    Ce vaste appareil dentaire, qui revêt tout l’intérieur de la bouche de plusieurs des poissons les plus carnivores, ne parait pas avoir servi à la mastication des alimens ; mais ses fonctions étaient bien plutôt de retenir fixement les poissons glissans qui formaient la proie de l’animal, et d’en assurer la déglutition. Tout homme qui a tenu entre les mains une truite ou une anguille vivante appréciera toute l’importance d’un appareil tel que celui que nous venons de mentionner.

  146. La découverte de ces dents si curieuses, en même temps que des données d’un haut prix sur la géologie des environs d’Édimbourg, ont été le résultat des recherchés actives et habilement dirigées qu’a faites le docteur Hibbert durant le printemps de 1834. Le calcaire où l’on trouve ces poissons fossiles gît vers le fond de la formation carbonifère, et il est rempli de coprolites provenant probablement de ces mêmes espèces qui vivaient de rapine. On y trouve aussi des fougères en abondance et d’autres plantes qui appartiennent à la formation carbonifère, ainsi que des restes du genre cypris, crustacés que l’on n’a jamais rencontrés que dans les eaux douces. Ces diverses circonstances, réunies à l’absence des polypiers et des encrinites, ainsi que de toute espèce de coquilles marines rendent probable l’opinion que ce dépôt se serait formé dans un lac d’eau douce ou dans l’embouchure d’un fleuve. On l’a rencontré dans plusieurs points distans entre eux de l’étage inférieur de la formation carbonifère des environs d’Édimbourg.

    Le docteur Hibbert a publié dans les Transactions de la Société royale d’Édimbourg, tome 15, une description fort intéressante des découvertes qui ont été faites depuis peu dans le calcaire de Burdie-House, et c’est d’après les planches qui illustrent son travail que nous avons dessiné les grandes dents figurées dans notre planche 27 (fig. 11, 12, 13, 14). Les figures plus petites (pl. 27, fig. 9, et pl. 27a, fig. 4) ont été dessinées d’après des échantillons appartenant au docteur Hibbert et à la Société royale d’Édimbourg.

    Dans ce mémoire, sont figurées aussi quelques grandes écailles fort curieuses trouvées à Burdie House avec les dents du mégalicthys, et que M. Agassiz attribue à ce poisson. On en a signalé de pareilles en divers points du terrain houiller d’Édimbourg, et aussi dans la formation houillère de Newcastle-on-Tyne. Le muséum de Leeds possède les seuls échantillons qui existent de têtes appartenant à deux poissons semblables, et un fragment du corps recouvert de ses écailles, qui ont été rencontrés dans le terrain houiller des environs de cette ville.

    Sir Philip Grey Egerton a trouvé tout récemment des écailles de mégalicthys, en même temps que des dents et des ossemens de quelques autres poissons, avec des coprolites, dans la formation carbonifère de Silverdale, près de Newcastle-under-Line. On trouve en ce point une couche schisteuse qui renferme trois espèces de coquilles du genre Unio, avec des rognons de fer argileux, et diverses plantes.

  147. Le genre Aspidorhynchus, du calcaire jurassique de Solenhofen (pl. 271, fig, 5) offre les caractères généraux des poissons sauroïdes.
  148. Le genre macropome est le seul de cette même famille que l’on ait jusqu’ici trouvé dans la craie de l’Angleterre.
  149. Les découvertes qui oui été faites par le professeur Sedgwick et par M. Murchison dans le schiste bitumineux de Caithness (Transactions géologiques de la Société royale de Londres, nouv. série, t. 3 première partie), et celles du docteur Traile dans le même schiste à Orkney, ont jeté beaucoup de lumières sur l’histoire des poissons du vieux grès rouge des étages inférieurs de la série carbonifère. Le docteur Fleming a fait aussi des observations importantes sur les poissons du vieux grès rouge de Fifeshire. M. Murchison a découvert tout récemment des poissons dans le même terrain à Salop et dans le comté d’Heresford. Par les circonstances générales de leur histoire, ces poissons ressemblent à ceux de la série carbonifère ; mais leurs détails d’organisation offrent plusieurs particularités des plus intéressantes. M. Murchison en fera figurer plusieurs dans son magnifique ouvrage intitulé Illustrations of the Geology of the Border Counties of England and Wales.
  150. Pl. 27b.
  151. Les poissons que l’on trouve à Saarbruck sont ordinairement renfermés dans des masses arrondies d’un minerai de fer argileux qui constituent des nodules dans les couches d’un schiste houiller bitumineux. Lord Greenok a découvert tout récemment des échantillons pleins d’intérêt, tant du genre amblyptère que d’autres genres de poissons, dans la formation houillère à Newhaven et à Wardie, près de Leith. Le rivage de Newhaven est parsemé de nodules de minerai ferrugineux détachés par la mer des couches schisteuses de la formation houillère. Plusieurs de ces galets ont pour noyau central un amblyptère ou quelque autre poisson fossile ; et un beaucoup plus grand nombre contient des coprolites, provenant selon toute apparence d’une espèce vorace du genre pygoptère qui se nourrissait de poissons plus petits.
  152. Durant le siège de Silistrie, on observa que les esturgeons du Danube dévoraient avec avidité les corps putréfiés des soldats turcs et russes qui avaient été jetés dans le fleuve.
  153. On observe ce développement remarquable du lobe supérieur de la queue dans la plupart des poissons provenant du calcaire magnésien et des terrains situés au dessous. Mais dans les terrains supérieurs à ce calcaire, tous les poissons ont la queue régulière et symétrique. On voit dans quelques poissons osseux de la période secondaire le lobe supérieur de la queue en partie recouvert d’écailles ; mais ce lobe est en même temps dépourvu de vertèbres. Les tégumens, dans tous les poissons organisés de cette sorte, sont formés par des écailles rhomboïdales osseuses recouvertes d’une lame d’émail.

    On n’a encore trouvé jusqu’ici aucune espèce de poisson qui soit commune au groupe carbonifère et au calcaire magnésien ; mais il est des genres qui s’étendent à la fois à ces deux formations, tels que les genres palœonisque et polyptère.

  154. Transact. geol. of London, deuxième série, t. 3, p. 147, et pl. 8, 9 et 10.
  155. On voit, pl. 27c, fig. 3, une série formée de cinq rangs de ces dents palatines du pycnodus trigonus de Stonesfield, et la fig. 2 représente une série de dents palatines semblables fixées sur le vomer du gyrodus umbilicus de la grande formation oolitique de Durrbeim, Dans le duché de Bade.
  156. On rencontre un appareil semblable dans une famille actuellement existante de l’ordre des cycloïdes, chez l’espèce moderne omnivore le loup de mer (anarrhicas lupus), et chez d’autres poissons appartenant à des familles différentes. À ce sujet. M. Agassiz a fait observer que c’est un fait commun dans la classe des poissons que de voir se reproduire des conditions à peu près identiques du système dentaire dans des familles qui diffèrent par les autres points de leur organisation.
  157. Pl. 27, fig. 3 et 4. — Pl. 15, fig. 17.
  158. Les pycnodontes, aussi bien que les sauroïdes fossiles, ont des écailles recouvertes d’émail ; mais c’est dans les lépidoïdes que les écailles de cette nature se montrent le plus développées. M. Agassiz a déterminé près de deux cents de ces espèces fossiles cuirassées. Cette armure, qui entourait le corps d’une portion si considérable des poissons que l’on rencontre dans les formations antérieures aux dépôts crétacés, dut avoir pour utilité de protéger leurs corps contre l’action des eaux, alors d’une température plus élevée, et sujette à des variations brusques que ne pourraient supporter nos poissons actuels, recouverts, comme ils le sont, d’une peau molle ou de tégumens sans continuité, tels que des écailles membraneuses et cornées.
  159. Les plus remarquables sont les genres lepidotus, pholidophorus, pycnodus et hybodus.
  160. Nous avons déjà dit dans le cours de cet ouvrage que le dépôt remarquable de poissons fossiles d’Engi, canton de Glaris, a été rapporté par M. Agassiz à la partie supérieure du système crétacé. Parmi les genres que l’on rencontre dans ce dépôt, il y en a plusieurs qui sont complètement identiques avec ceux de la craie inférieure de Bohême (planer kalk) et de la craie de Westphalie ; d’autres s’en rapprochent beaucoup (Voyez Léonhard et Bronn, Neues Jahrbuch, 1834). Ainsi, quoique les caractères minéraux du schiste de Glaris semblent lui assigner une haute antiquité, cette formation est à peu près du même âge que le gault, ou speeton clay de l’Angleterre. Ce sont les mêmes altérations dans les caractères minéralogiques qui donnent à plusieurs formations secondaires et tertiaires des Alpes l’apparence d’une ancienneté qu’elles n’ont réellement pas.

    Les poissons de la craie supérieure sont ceux que l’on connaît le mieux, et on en est redevable aux nombreux et magnifiques échantillons qui ont été découverts à Lewes par M. Mantell, et que ce savant a figurés dans ses ouvrages. Ces échantillons sont dans un état de conservation dont on n’a pas d’autres exemples. Il en est un (du genre macropoma) dans la cavité abdominale duquel se voient l’estomac et des coprolites conservés entiers et dans leur position naturelle.

  161. M. Agassiz a distribué de nouveau ces poissons dans 127 espèces toutes éteintes, formant 77 genres, dont 58 sont maintenant perdus, et dont 39 se retrouvent encore dans la création actuelle. Ces derniers genres comprennent 81 des espèces fossiles du Monte Bolca, et les premiers 46 espèces, et c’est dans cette dernière formation qu’apparaissent pour la première fois les 39 de ces genres qui existent encore à l’heure présente.
  162. Pl. 27e et 27f.
  163. Pl. 27d. C. 3. a.
  164. Pl. 1, fig. 18.
  165. Les Cestracions sont caractérisés par de grandes dents pourvues d’émail, polygonales et obtuses, qui recouvrent l’intérieur de la bouche comme une sorte de pavé en marqueterie (pl. 2d. A, 1, 3, 4, et B, 1, 2, 3, 4, 5). Il y a quelques espèces chez lesquelles chaque mâchoire ne porte pas moins de soixante de ces dents. La facilité avec laquelle se détruisent les os cartilagineux auxquels elles sont fixées est cause qu’on les rencontre rarement réunies à l’état fossile, et c’est ce qui fait aussi que les aiguillons et des dents isolées sont les seules preuves qui nous restent de l’existence passée de ces espèces éteintes. On en voit en abondance dans toutes les couches depuis la série carbonifère jusqu’à la craie la plus moderne.

    Les figures 1 et 2 de la planche 27e représentent une série de dents du genre Acrodus, de la famille des cestracions, provenant du lias du comté de Sommerset ; et on voit, pl. 27f, une série de dents appartenant au genre Ptychodus, de la même famille. Ce genre abonde dans la formation crétacée et y est exclusivement renfermé.

    Dans notre planche 1, la figure 19 représente une dent d’un Psammodus, et la figure 19′ celle d’un Orodus du calcaire carbonifère. 18 est une dent récente du Cestracion Philippi. Ce poisson, pl. 1, fig. 18, et pl. 27d A, est la seule espèce actuelle de la famille des squales, qui possède de semblables dents plates disposées en marqueterie, et c’est elle dont la connaissance nous permet de rapporter à cette même famille les nombreuses dents d’une construction pareille que nous rencontrons à l’état fossile. Dans cette même espèce, les petites dents tranchantes antérieures (pl. 27d A, fig. 1, 2 et 3) offrent le caractère des squales vrais, caractère que l’on n’a encore trouvé dans aucun cestracion fossile ; ainsi la dentition de cette espèce actuelle est le seul lien connu qui rattache ces deux sous-familles appartenant à des créations diverses.

    La seconde division de la famille des squales, celle des Hybodons, commença probablement avec la formation houillère ; elle fut prédominante pendant le temps que dura le dépôt de toutes les couches secondaires inférieures à la craie. Les dents de cette division sont intermédiaires entre les dents émoussées, polygonales et propres à écraser, qui caractérisent la sous-famille des cestracions, et les dents polies et à bords tranchans des squaloïdes ou squales vrais, que l’on ne rencontre pas avant le commencement des formations crétacées. Elles se distinguent de ces dernières dents par les replis des deux surfaces externes de leur émail. (Voyez pl. 27d, B. fig. 8, 9, 10,) On voit, pl. 27d, C. 1, un échantillon très rare offrant une série de dents de l’hybodus reticulatus, encore adhérentes aux mâchoires cartilagineuses de l’animal. Elles proviennent du lias de Lyme-Regis. On rencontre en abondance dans l’ardoise de Stonesfield et dans la formation wealdienne des dents striées qui proviennent de cette même famille.

    Un autre genre de cette section des hybodons, le genre Onchus, se rencontre aussi dans le lias de Lyme-Regis. Nous en donnons les dents dans la planche 27d, B. 6, 7 de cet ouvrage.

    Les poissons fossiles de la famille des Squaloïdes offrent tous les caractères des vrais squales. On commence à les trouver seulement dans les formations crétacées, et ils se continuent pendant toute la durée des dépôts tertiaires, jusqu’à notre époque actuelle (pl. 27d B, 11, 12, 13). Les dents de cette division sont constamment lisses à leur surface externe, et quelquefois plissées à leur surface interne ; ce qui s’observe de même dans plusieurs espèces vivantes. En outre ces dents sont plates et taillées en forme de lancette, avec un bord tranchant qui, dans plusieurs espèces, est découpé en de fines dentelures. Cette sous-famille des squaloïdes est la seule dont les espèces abondent dans les formations tertiaires.

    La solidité extrême et l’aplatissement des dents chez les deux sous-familles (cestracions et hybodons) qui prédominent dans les formations de transition et dans les formations secondaires inférieures à la craie, avaient très probablement pour but le broiement des enveloppes solides de crustacés et des écailles osseuses et garnies d’émail des poissons qui formaient leur pâture. À mesure que les poissons de la série crétacée et de la série tertiaire se revêtirent des écailles de plus en plus molles que nous voyons chez les poissons modernes, les dents des squaloïdes s’amincirent en ces bords tranchans qui caractérisent le système dentaire des squales actuels. On n’a pas encore rencontré jusqu’ici dans les formations tertiaires un seul de ces cestracions à dents émoussées.

  166. Pl.1, fig. 18.
  167. Le capitaine Smith a vu à la Jamaïque un capitaine de vaisseau qui avait été grièvement blessé par les épines d’un squale dans la baie de Montego. (Voyez le Régne animal de Cuvier, publié par Griffith.)

    Les épines du baliste et du silure ne sont pas seulement enfoncées à leur base dans la chair et mues par de puissans muscles, ainsi que cela a lieu chez les squales, mais elles s’articulent avec un os destiné à les soutenir. En outre, ces sortes de baguettes, dans le baliste, sont tenues droites par une seconde épine qui se trouve en arrière et à leur base, et qui agit à la manière d’un verrou ou d’un coin que fixe ou enlève la même action musculaire qui redresse ou abaisse l’épine principale.

  168. Pl. 27d, B. fig. 11.