La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 23

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Chapitre XXIII.


Le plan qui a présidé à la création se révèle dans la structure et dans la composition des corps minéraux inorganisés.


Nous avons déjà exposé une grande partie de ce que nous avions à dire relativement à l’histoire des corps composés minéraux et inorganiques, dans ceux des chapitres précédens où nous avons traité des roches non stratifiées et cristallines. Il ne nous reste plus que quelques mots à dire relativement aux minéraux simples dont ces roches sont formées, et aux corps simples ou élémentaires qui entrent dans la composition de ces minéraux eux-mêmes[1].

« Qu’en traversant une lande, mon pied heurte une pierre, dit Paley, et que l’on vienne à me demander comment il se fait que cette pierre soit là ; peut-être répondrai-je qu’autant que je le sache, elle a existé là de toute éternité, et peut-être ne prouverait-on que difficilement l’absurdité d’une semblable réponse[2]. »

Non, répond le géologue, cette pierre n’est pas là de toute éternité, car si c’est un caillou ordinaire, il peut avoir traversé des évènemens nombreux et de plus d’une sorte ; et peut-être y trouverons-nous les témoignages d’évènemens physiques qui ont produit des changemens importans à la surface de notre planète ; et son aspect roulé nous racontera les déplacemens considérables que lui a fait subir l’action des eaux.

Serait-ce un morceau de grès, ou de quelque conglomérat ou couche fragmentaire constituée par des détritus arrondis provenant d’autres roches, les ingrédiens mêmes qui entrent dans sa composition offrent des témoignages tout semblables de mouvemens imprimés par l’action des eaux, mouvemens qui les ont réduits à l’état de sables ou de cailloux, puis transportés à la place qu’ils occupent à l’heure actuelle, antérieurement à l’existence de la couche dont ils font partie. Une couche de cette nature n’a donc pas occupé de toute éternité la place où elle se voit maintenant.

S’il arrivait que cette pierre contînt les débris pétrifiés de quelque plante ou de quelque animal fossile, non seulement nous y trouverions la preuve qu’elle est d’une formation postérieure a la création de la vie, soit chez les animaux, soit chez les végétaux, mais il y aurait dans la structure organique même des restes qu’elle contient des témoignages de coordinations et d’un plan qui nous attesteraient hautement l’action d’une cause intelligente et puissante, de même que les mécanismes d’une montre ou d’une machine à vapeur, ou de tout autre instrument sorti des mains de l’homme, nous prouvent, dans l’auteur et dans l’inventeur, la réflexion qui prépare et l’habileté qui exécute.

Supposons enfin que ce soit un morceau de granite ou de quelque roche cristalline primitive, où ne soient contenus ni des débris organiques ni des fragmens d’autres roches plus anciennes, on n’en pourrait pas moins faire voir qu’il fut un temps où les roches même de cette classe n’étaient pas encore dans les conditions où elles se trouvent maintenant, et que par conséquent il n’en est pas une qui puisse avoir existé de toute éternité sur le point où on la rencontre à l’époque actuelle. Les minéralogistes ont démontré que le granite est une substance composée où entrent trois minéraux simples et dissemblables entre eux, le quarz, le felspath et le mica, dont chacun offre certaines combinaisons régulières de formes extérieures et de structure interne, en même temps que certaines propriétés physiques qui lui sont propres. L’analyse chimique a également montré que ces quelques substances sont composées d’autres substances qui les ont précédées en existence à un état de plus grande simplicité, avant que de s’être combinées comme elles le sont maintenant, pour former les minéraux constituans des roches que l’on regarde comme les plus anciennes parmi celles qu’il est donné à l’homme de pouvoir observer. De son côté, le cristallographe prouve que les divers minéraux qui entrent dans la composition du granite et de toutes les autres roches cristallines se composent de molécules d’une petitesse extrême, et pourtant composées elles-mêmes d’autres molécules encore plus petites et plus simples, se combinant suivant des proportions fixes et définies, et possédant, d’après ce qu’indiquent tous les moyens d’analyse qu’on leur fait subir, des figures géométriques déterminées ; et, loin que ces combinaisons et ces figures paraissent être des résultats fortuits du hasard, elles sont coordonnées au contraire suivant les lois les plus précises et dans les proportions les plus mathématiquement exactes[3].

L’athée, partant de ce principe gratuit que la matière et le mouvement sont éternels, présenterait la question sous la forme suivante : — Toute matière doit nécessairement avoir pris une forme ou une autre, et par conséquent le hasard a pu faire qu’elle ait pris celle sous laquelle elle nous apparaît maintenant. — Mais, dans cette hypothèse, nous devrions rencontrer toutes sortes de substances se présentant à nous au hasard sous un nombre infini de formes extérieures et combinées suivant des variétés sans nombre de proportions non définies. Or, l’observation a fait voir que les corps minéraux cristallisés ne présentent qu’un nombre fixe et limité de formes que l’on désigne sous le nom de secondaires, et que ces formes secondaires elles-mêmes sont constituées par une réunion de formes primaires plus simples dont on démontre l’existence par le clivage et la division mécanique, indépendamment de toute analyse chimique. Les molécules intégrantes[4] de ces formes primaires de cristaux sont ordinairement des corps composés dans lesquels entre une série de molécules constituantes, ou de molécules appartenant aux substances primitives qu’en retire l’analyse chimique ; et ces molécules constituantes elles-mêmes sont, dans beaucoup de cas, des corps composés formés de molécules élémentaires ou des derniers atomes indivisibles[5] dont se composent probablement les particules extrêmes de la matière[6].

Si l’on ramène de cette manière tous les corps minéraux aux conditions les premières et les plus simples de leurs élémens constituans, on voit que ces élémens ont été à toutes les époques régis par un système unique de lois fixes et universelles, qui règlent encore maintenant les mécanismes du monde matériel. En étudiant l’action de ces lois, nous y reconnaîtrons une subordination tellement constante des moyens à leurs fins, une harmonie, un ordre, des prévisions si parfaites dans les propriétés physiques, dans les proportions numériques, dans les fonctions chimiques des élémens inorganisés ; tant de preuves d’une intelligence, et d’un plan coordonné à l’avance pour adapter ces élémens primordiaux à une infinité de fonctions complexes dans les systèmes futurs d’organisation, soit animale, soit végétale, qu’il est impossible que nous nous rendions un compte satisfaisant de l’existence de tous ces mécanismes si beaux et si parfaits, si nous refusons d’admettre qu’ils tirent leur origine de la Volonté et de la Puissance d’un Créateur suprême, Être dont nos facultés finies ne peuvent arriver à comprendre la nature, mais dont tout ce qui existe nous proclame la Sagesse, la Grandeur et la Bonté infinies.

Faire honneur de cet ordre et de cette harmonie à quelques causes fortuites qui entraîneraient la négation d’un plan, ce serait repousser des inductions de la nature de celles sur lesquelles l’esprit humain se repose avec confiance et sans hésitation, dans tous les évènemens ordinaires de la vie comme dans toutes les investigations physiques et métaphysiques. — Si mundum efficere potest concursus atomorum, cur porticum, cur templum, cur domum, cur urbem non potest ? quæ sunt minus operosa et multo quidem faciliora[7].

Telle était la question qu’inspirait au moraliste romain la contemplation des phénomènes visibles du monde matériel ; et la conclusion que Bentley a déduite d’un coup d’œil plus étendu jeté sur des phénomènes d’une nature plus mystérieuse, à une époque déjà remarquable par l’état avancé de plusieurs des branches les plus élevées des sciences physiques, a été complètement confirmée par les nombreuses découvertes du siècle suivant. Nous avons donc, à l’époque actuelle, mille motifs nouveaux d’affirmer avec lui que — « alors même que la matière subsisterait de toute éternité, divisée en particules infinies, comme le suppose le système d’Épicure, et que le mouvement serait également éternel et n’aurait jamais cessé de co-exister avec elle, il n’en serait pas moins impossible que ces atomes ou particules eussent pu, d’eux-mêmes, et par des mouvemens, de quelque nature que ce fût, fortuits ou mécaniques, s’être agrégés pour constituer le système que nous voyons, ou tout autre semblable[8]. » — Bentley, Serm. IV. of Atheism., p. 192.


  1. Les mots minéral simple (ou espèce minérale) ne désignent pas seulement les substances minérales non à l’état de combinaison, lesquelles sont rares dans la nature, telles que l’or ou l’argent natif pur, mais en même temps tous les corps minéraux composés qui offrent une structure cristalline régulière, avec des proportions définies dans leurs élémens chimiques. La différence qui existe entre ces deux expressions minéral simple et corps simple sera parfaitement comprise par l’exemple du spath calcaire, ou carbonate de chaux cristallisé. Les élémens primitifs, qui sont le calcium, l’oxigène et le carbone, sont des corps simples ; mais le composé cristallin qui résulte de la combinaison de ces corps simples dans des portions définies constitue un minéral simple, que l’on désigne sous le nom de carbonate de chaux. Le nombre total des minéraux simples reconnus jusqu’à ce jour est, suivant Berzelius, d’environ six cents ; le nombre des corps simples ou principes élémentaires est de cinquante-quatre seulement.
  2. Si j’ai cité ce passage, ce n’est point dans le but de déprécier l’ensemble des raisonnemens de Paley, raisonnemens qui sont si indépendans de l’hypothèse épisodique et inutile qui les précède ; mais j’ai voulu faire voir par là de quelle importance sont les preuves que les découvertes de la géologie et de la minéralogie sont venues ajouter à celles que nous avions déjà de la non éternité du globe, puisqu’un aussi grand maître a déclaré ces dernières incomplètes, parce qu’il manquait d’une foule de données importantes dont nous ne devons la connaissance qu’aux progrès ultérieurs de ces sciences toutes modernes.
  3. Les paragraphes précédens de ce chapitre, à l’exception du premier, ont été copiés presque littéralement dans les leçons de minéralogie de l’auteur lui-même, publiées en juin 1822 ; et s’il les reproduit précisément sous cette même forme, c’est surtout pour faire voir qu’il ne doit aucune de ces idées à quelque publication récente, et que les vues qu’il y présente, loin d’avoir pris naissance dans son esprit à la suite des études auxquelles il s’est livré pour l’exécution du présent traité, résultent tout naturellement d’une étude sérieuse des phénomènes de la géologie et de la minéralogie considérés dans leurs rapports mutuels, et d’une investigation dirigée vers le but de rechercher derrière les faits les causes où ces faits prennent leur origine.
  4. « Ce que j’ai dit de la forme deviendra encore plus évident, si, en pénétrant dans le mécanisme intime de la structure, on conçoit tous ces cristaux comme des assemblages de molécules intégrantes parfaitement semblables par leurs formes, et subordonnées à un arrangement régulier. Ainsi, au lieu qu’une étude superficielle des cristaux n’y laissait voir que des singularités de la nature, une étude approfondie nous conduit à cette conséquence que le même Dieu, dont la puissance et la sagesse ont soumis la course des astres à des lois qui ne se démentent jamais, en a aussi établi auxquelles ont obéi avec la même fidélité les molécules qui se sont réunies pour donner naissance aux corps cachés dans les retraites du globe que nous habitons. »

    Haüy, Tableau comparatif des résultats de la cristallographie et de l’analyse chimique, page 17.

  5. « Nous nous croyons autorisés à conclure qu’une limite doit être assignée à la divisibilité de la matière ; nous croyons devoir par conséquent supposer l’existence de certaines particules extrêmes, marquées à l’origine des choses, ainsi que Newton l’a conjecturé, par la main du Tout-Puissant lui-même, de caractères permanens, et conservant leur volume et leur figure, de même que leurs autres propriétés plus subtiles, et que les relations dans lesquelles Dieu les a placées au moment de leur création.

    Ainsi, les particules des diverses substances qui existent dans la nature peuvent être considérées comme une sorte d’alphabet dont se compose le grand volume où sont attestées la sagesse et la bonté du Créateur. » — Daubeny, Atomic Theory, page 107.

  6. Je vais essayer une fois pour toutes d’exposer l’ensemble d’arrangemens pleins de précision et de méthode, d’où résultent les formes cristallines ordinaires des minéraux, en en étudiant un seul ; et je choisirai à cet effet une substance bien connue, le carbonate de chaux.

    Les cristaux de ce minéral terreux que l’on rencontre en abondance présentent plus de cinq cents variétés de formes secondaires, dont chacune possède une série quintuple de relations subordonnées d’un système de combinaisons à un autre, systèmes suivant lesquels chaque cristal en particulier a été construit en vertu de lois concourant à produire d’harmonieux résultats.

    Chaque cristal de carbonate de chaux est formé par des millions de particules de cette même substance composée, ayant une forme primaire invariable, qui est celle d’un solide rhomboïdal que l’on pourrait obtenir en portant la division mécanique presque à l’infini.

    Les molécules intégrantes de ces solides rhomboïdaux sont les particules les plus petites dans lesquelles on puisse réduire le calcaire sans avoir recours à la décomposition chimique.

    Les premiers résultats de l’analyse chimique sont de partager ces molécules intégrantes en deux substances composées, la chaux pure et l’acide carbonique, dont chacune est formée par un nombre incalculable de molécules constituantes.

    Une analyse ultérieure de ces molécules constituantes elles-mêmes prouve que ce sont encore des corps composés, dans chacun desquels entrent deux substances élémentaires qui sont, pour la chaux, des molécules élémentaires d’un métal, le calcium, et d’oxigène ; et, pour l’acide carbonique, des molécules élémentaires de carbone et d’oxigène.

    Les dernières molécules du calcium, du carbone et de l’oxigène, sont les atomes indivisibles dans lesquels peut se décomposer chaque cristal secondaire de carbonate de chaux.

  7. Cicéron, de Natura Deorum, livre 2.57.
  8. Le docteur Prout a, tout récemment encore, discuté la même question dans le troisième chapitre de son traité de Bridgewater, et il a fait voir que la constitution moléculaire de la matière, et ses admirables rapports avec l’économie de l’ensemble de la nature, ne peuvent pas avoir existé de toute éternité, et que ce n’est aucunement là une condition nécessaire de l’existence de la matière, mais qu’elle reconnaît son origine dans le commandement de quelque agent doué d’intelligence et d’une volonté servie par une puissance en rapport avec son énergie.

    Dans la première section de son quatrième chapitre, le même auteur a si clairement fait voir la grande importance qu’ont quelques unes des substances minérales les plus communes, telles que la chaux, la magnésie, le fer, dans la composition des corps organisés animaux et végétaux, il a si bien mis en évidence les preuves d’un plan qui nous sont offertes par la constitution et les propriétés du petit nombre des substances simples, ou des cinquante-quatre principes élémentaires dans un ou plusieurs desquels peuvent se résoudre tous les corps qui composent les trois grands règnes de la nature, que je crois inutile de répéter sous une autre forme les argumens que mon savant collègue a si bien et si complètement déduits de ces phénomènes des élémens inorganiques qui ne tiennent pas l’une des moindres places parmi les faits de la chimie minérale qui témoignent de la Sagesse, de la Puissance et de la Bonté du Créateur.