La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 4

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Chapitre IV.


Rapports des roches non stratifiées avec les roches stratifiées.


Je n’entrerai pas dans plus de détails sur chacune des diverses roches stratifiées qui font partie d’un même groupe, que je n’en ai représenté à l’aide de lignes ou de couleurs dans la coupe déjà citée[1]. Quant à leur arrangement, j’ai conservé les anciennes divisions en terrains primitifs, de transition, secondaires et tertiaires, plutôt à cause de la commodité de cette division, reçue depuis long-temps, que pour l’existence réelle de limites bien définies entre les diverses couches de chacune de ces séries.

Comme les matériaux des roches stratifiées tirent en grande partie leur origine des roches non stratifiées, soit directement soit indirectement[2], ce serait agir prématurément que de nous occuper des couches dérivées, jusqu’à ce que nous ayons étudié brièvement l’histoire des formations primitives. Nos recherches commenceront donc par cette époque très-ancienne où tout s’accorde à nous présenter les matériaux constitutifs du globe comme dans un état fluide, et la chaleur comme la cause qui les y maintenait. La forme actuelle de la terre est en effet celle d’un sphéroïde aplati, comprimé aux pôles et dilaté à l’équateur ; celle en un mot que prendrait une masse liquide en rotation autour d’un axe. En outre, ce fait, que le plus petit diamètre coïncide avec l’axe actuel de rotation, prouve que cet axe n’a pas changé depuis que la croûte du globe a pris la forme solide qu’elle a conservée jusqu’à ce jour.

En supposant que tous les matériaux du globe ont été primitivement maintenus dans un état fluide ou même nébulaire[3] par l’action d’une chaleur intense, la première consolidation qui ait eu lieu a pu être amenée par le rayonnement du calorique de la surface à travers l’espace. Cette diminution graduelle de la chaleur aurait permis aux particules matérielles de se rapprocher et de cristalliser, et cette cristallisation aurait eu pour premier résultat la formation d’une sorte d’écorce ou de croûte composée de métaux oxidés et des métalloïdes qui constituent les diverses roches de la série granitique, et entourant un noyau de matière en fusion plus dense que le granite et analogue à celle qui constitue la substance spécifiquement plus pesante du basalte et de la lave compacte.

Il est inutile que nous nous occupions ici des opinions contradictoires qui ont divisé les esprits pendant les cinquante dernières années qui viennent de s’écouler, relativement à l’origine de cette vaste et importante série de roches non stratifiées et cristallines que la plupart des géologues et des chimistes modernes s’accordent à rapporter à l’action du feu. Les effets de la chaleur centrale et le contact de l’eau avec les bases métalloïdes des terres et des alcalis sont deux causes qui, séparées ou réunies, nous semblent rendre pleinement compte de la production et de l’état définitif des minéraux qui composent ces roches aussi bien que de beaucoup de ces grands mouvemens mécaniques qui ont produit les révolutions de la surface du globe.

Les variétés, en nombre infini, de granite, de syénite, de porphyre, de diorite (greenstone) et de basalte, se rattachent par d’innombrables gradations aux porphyres trachytiques et aux laves qui sont de nos jours rejetés par les volcans. Quoiqu’il reste encore sur ce sujet quelques difficultés à aplanir, il n’en est pas moins très-probable que l’état fluide dans lequel furent originairement les roches cristallines non stratifiées était dû au pouvoir liquéfiant de la chaleur, pouvoir dont nous sommes à même d’apprécier l’action dissolvante, relativement aux matériaux les plus réfractaires qui constituent le globe, par celle qu’il exerce sur es métaux les plus résistans et sur les substances siliceuses qui entrent dans la composition du verre[4].

La série tout entière des roches stratifiées que nous apercevons à la surface du globe[5] repose probablement sur une fondation immense de roches cristallines non stratifiées à surface irrégulière. Ce sont les détritus de cette surface qui ont fourni en grande partie les matériaux des roches stratifiées[6] dont l’épaisseur, ainsi que nous l’avons dit plus haut, s’élève jusqu’à plusieurs milles. Et ce n’est encore là qu’une très-faible épaisseur comparée avec le diamètre du globe ; mais elle ne nous en fournit pas moins le témoignage certain d’une longue série de changemens et de révolutions, qui non seulement ont affecté la condition minérale de l’écorce primitive du globe, mais ont entraîné en même temps d’importantes altérations dans les deux règnes animal et végétal.

Les détritus des premiers terrains qui se soient élevés au dessus du niveau des eaux ayant été entraînés dans la mer, et là répandus en de vastes lits de vase mêlée de sable et de gravier, seraient à jamais demeurés couverts, si par la suite des temps l’action de certaines autres forces n’eût eu pour résultat de les faire apparaître à leur tour au-dessus du même niveau. Quant à ces forces, ce sont sans doute les mêmes pouvoirs expansifs de la chaleur et de l’eau vaporisée qui déjà avaient agi sur les premières portions soulevées des roches cristallines fondamentales, et dont l’action, après s’être continuée durant les diverses périodes géologiques qui ont suivi, produisent encore de nos jours les phénomènes qui appartiennent aux volcans en ignition, phénomènes qui sont incomparablement les plus violens de tous ceux qui se manifestent maintenant à la surface de notre planète[7].

La preuve d’un plan bien arrêté dans l’emploi des forces qui ont amené ce résultat puissant et général, je veux parler de la formation de la terre ferme par le soulèvement des roches stratifiées au-dessus du niveau des eaux qui les avaient déposées, est tout à fait indépendante de la vérité ou de l’erreur des théories qui divisent l’opinion des savans relativement à l’origine des roches stratifiées les plus anciennes, dans lesquelles on ne rencontre jamais de restes organiques[8]. Ce serait sortir de la question dont nous nous occupons présentement que de rechercher si, comme le prétendait Hutton, ces roches ont été formées des détritus de roches granitiques plus anciennes, étendus par les eaux en lits d’argile et de sable, puis modifiés consécutivement par la chaleur ; ou si, conformément à la théorie Wernérienne, elles résultent de la précipitation chimique d’un liquide doué d’un pouvoir dissolvant autre que celui que possèdent les eaux de l’Océan dans l’état actuel des choses : et il importe tout aussi peu au but que nous nous proposons que l’absence complète d’animaux et de végétaux dans toutes ces couches les plus anciennes doive être expliquée par l’excessive température des eaux au sein desquelles ces couches furent déposées mécaniquement, ou à la composition du fluide ambiant primitif et non habitable qui tenait en dissolution tous leurs matériaux. Tous les observateurs s’accordent à admettre que les couches stratifiées ont été formées au fond des eaux, puis converties par la suite en terres fermes ; et, quels que soient les agens qui ont déterminé les mouvemens des matériaux inorganiques grossiers qui entrent dans la constitution du globe, nous trouvons des preuves évidentes d’une sagesse providentielle et d’un plan bien arrêté dans les bienfaits qui, pour les créatures postérieures et surtout pour l’homme, ont été la conséquence de ces révolutions si reculées, et dont l’histoire demeure si obscure[9].

Dans les roches cristallines non stratifiées, où l’on ne rencontre aucun débris animal ou végétal, ce serait en vain que nous chercherions quelqu’un de ces témoignages si évidens d’un plan qui ne commence à se révéler qu’au moment où se montrent les premières traces d’organisation et de vie, c’est-à-dire dans les couches de la période de transition. Les premiers agens qui aient imprimé sur ces roches des traces de leur passage sont le feu et l’eau ; et déjà là nous trouvons des preuves d’un système et d’une intention arrêtée dans l’ordre si parfait d’après lequel ces agens ont amoncelé au fond des eaux, suivant les conditions les plus favorables à la fertilité, les matériaux de ces mêmes formations stratifiées, qui plus tard devaient, en s’élevant, se convertir en terres fermes. Mais ce plan et cet arrangement dans un but prévu se montrent bien davantage encore dans la structure et la composition de ces élémens minéraux cristallins. Dans chaque molécule matérielle qui a été soumise à la cristallisation, nous reconnaissons l’action des lois immuables qui régissent les forces polaires et les affinités chimiques, et qui ont imposé à tous les corps cristallisés une série fixe de formes et de compositions, définies. Ces lois, ces systèmes, cet ordre si constant dans leur existence et dans leur application, nous attestent, à n’en pouvoir douter, la présence active d’une intelligence souveraine présidant à tout, dirigeant tout.

Enfin il est un dernier argument sur lequel nous insisterons davantage plus tard, en nous occupant des filons métalliques. Il repose sur ce fait que les roches primitives et les roches de transition sont surtout celles auxquelles ont été confiés les dépôts de la plupart des métaux précieux, qui sont pour l’homme d’une haute importance ou même d’une immédiate nécessité.


  1. Pour des détails plus circonstanciés sur les caractères des minéraux et sur les restes organiques qui appartiennent aux diverses couches de chaque série, je renverrai aux nombreuses publications qui ont été spécialement consacrées à ces sujets. On en trouvera un résumé très-commode dans le Manuel de géologie de De la Bêche, dans la Palœologie de von Meyer (Francfort, 1832). Des détails très-étendus sur les couches stratifiées de l’Angleterre ont été consignés dans la Géologie de l’Angleterre et du pays de Galles, de Conybeare et Phillips. Consultez encore l’Introduction à la géologie par Bakewel (1833) ; l’article Géologie du professeur Phillips dans l’Encyclopedta metropolitana, le Guide to Geology du même, in-8o, 1834 ; De la Bêche, Researches in theoritical Geology, in-8o, 1834. L’histoire des restes fossiles de la période tertiaire a été exposée avec une grande clarté par Lyell, dans ses Principles of Geology.
  2. En désignant les roches cristallines dont l’origine est supposée ignée comme n’étant pas stratifiées, nous adoptons une division qui, sans être rigoureusement exacte, a été pendant long-temps d’un usage général parmi les géologues. Les masses rejetées de granite, de basalte et de lave présentent fréquemment, dans le sens horizontal, des solutions de continuité qui les partagent en lits d’étendue et d’épaisseur très-variables. C’est ce que l’on observe à un degré fort remarquable dans la formation désignée par les Wernériens sous le nom de flœtz-trap (pl. 1re, n° 6 de la coupe) ; mais on n’y voit jamais ces successions de lits peu épais et de lames encore plus minces dans lesquelles sont subdivisées les couches sédimentaires qui se sont déposées par l’action des eaux.
  3. L’hypothèse qui nous présente les matériaux du globe comme ayant existé primitivement sous la forme d’une nébuleuse offre la théorie la plus simple, et par conséquent la plus probable de la condition première des élémens matériels qui composent notre système solaire. M. Whewell a fait voir jusqu’à quel point cette théorie supposée vraie tend à augmenter nos convictions sur l’existence d’une intelligence primitive et présidant à tout. — Bridgewater treatises, N° III, chap. 7.
  4. Les expériences de M. Gregory Watt sur le refroidissement lent des corps en fusion, celles de sir James Hall sur la reproduction artificielle des roches cristallines en portant à une température très-élevée sous une forte pression les élémens pulvérisés de ces mêmes roches, enfin celles plus récentes de M. Berthier et de M. Mitscherlich sur la production de cristaux artificiels par la fusion de leurs élémens constitutifs pris en proportions définies, ont écarté beaucoup des objections que l’on avait coutume de faire contre l’origine ignée des roches cristallisées.
  5. Pl. 1re coupe figurative.
  6. Soit directement, par une simple accumulation des élémens des roches granitiques désagrégées ; soit indirectement, par la destruction successive de divers groupes de roches stratifiées, dont les matériaux, par suite d’opérations antérieures, avaient été pris dans des formations non stratifiées.
  7. « Le fait de changemens considérables et fréquemment répétés dans le niveau relatif de la terre et des mers est maintenant si bien établi, que les seules questions qui restent à résoudre ont trait au mode suivant lequel ces changemens se sont effectués. Est-ce par le soulèvement de la surface solide elle-même, ou par un abaissement de la surface liquide ? Et, dans l’un ou dans l’autre cas, de quelle nature a été la force agissante ? Les exemples de grands et fréquens mouvemens de la surface solide, soit qu’ils aient eu pour résultat définitif de l’élever au-dessus ou de l’abaisser au-dessous du niveau précédent, et les connexions qui existent entre ces mouvemens et les phénomènes volcaniques, sont des faits maintenant si multipliés et si bien établis, ils se sont reproduits sur un si grand nombre de points, et les recherches de la science leur ont donné une telle extension, qu’il demeure à peu près démontré que c’est à des phénomènes de cette nature qu’il faut attribuer toutes les grandes révolutions du globe ; et que, bien que les forces internes qui soulèvent ainsi l’écorce terrestre aient considérablement varié dans les divers points et aux diverses époques, elles sont encore et ont toujours été à l’œuvre ; et le résultat de ce travail incessant a été d’amener toutes les altérations que nous avons sous les yeux, et d’en préparer d’autres pour la suite des siècles. » — Geological sketch of the Vicinity of Hastings, by Dr. Fitton, p. 85-86.
  8. Voyez pl. t, n° 1, 2, 5, 4, 5, 6, 7 de la coupe.
  9. Dans la description des phénomènes géologiques, il est impossible d’éviter l’emploi de quelques termes théoriques et de ne pas se bisser aller à quelque théorie provisoire relativement à la manière dont ces phénomènes se sont produits. Parmi les théories diverses et souvent contraires qui ont été proposées pour résoudre les problèmes les plus difficiles et les plut compliqués de la géologie, je choisis celles qui me paraissent offrir le plus haut degré de probabilité ; mais comme les résultats demeurent les mêmes quelle que soit leur origine, les conclusions auxquelles nous conduisent ces résultats ne perdent rien de leur force par les changemens qui peuvent survenir dans nos opinions relativement aux causes physiques qui les ont amenés. De même que lorsqu’il s’agit de juger les plus beaux produits de l’art, nous pouvons apprécier l’habileté et le talent de l’artiste sans connaître à fond la nature intime du mécanisme au moyen duquel son œuvre a été accomplie, de même aussi notre esprit peut être puissamment impressionné par la vue de toute cette magnificence que l’intelligence créatrice s’est plu à répandre dans tous les phénomènes de la nature, bien qu’il ne puisse comprendre qu’imparfaitement tous les mécanismes qui les produisent, bien que l’action de tous les instrumens matériels qui concourent à leur accomplissement n’ait pu encore être saisie par la curiosité active de l’esprit humain, et doive peut-être lui demeurer à jamais ignorée.