La Guerre de 1870/Préface

La bibliothèque libre.
Traduction par Ernest Jaeglé.
Librairie H. Le Soudier (p. i-iii).
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Préface


C’est au printemps de l’année 1887 que le maréchal a commencé à rédiger l’histoire de la guerre de 1870-71. Durant le séjour qu’il fit à Creisau, il y travaillait tous les matins pendant environ trois heures. Quand en automne il revint à Berlin, son travail n’était pas complètement achevé ; il le termina en janvier 1888, me remit le manuscrit et n’en parla plus jamais.

Voici comment il avait été amené à écrire cette histoire. Je l’avais prié à plusieurs reprises, mais sans aucun succès, d’employer les loisirs qu’il avait à Creisau pour nous laisser quelques notes se rapportant à ses souvenirs si variés et si abondants. Chaque fois il me répondait en disant : « Dans les cartons de l’état-major se trouvent toutes les pièces ayant trait aux événements, que j’ai pu écrire et qui méritent d’être conservés. Quant à mes souvenirs personnels, il vaut mieux que je les emporte avec moi dans la tombe. » En général il ne cachait pas l’aversion que lui inspiraient les mémoires : « Ils ne sont bons, disait-il, qu’à satisfaire la vanité de celui qui les écrit, et ne servent que trop souvent à donner une idée fausse des grands faits historiques, le narrateur les jugeant à son point de vue personnel, qui souvent est mesquin. Il se peut qu’en racontant des événements auxquels on s’est trouvé mêlé, on altère l’image d’un homme que l’histoire nous montre grande et pure, et qu’on dissipe l’auréole dont sa tête est ceinte. » Dans une de ses conversations le maréchal prononça les paroles suivantes, dont je pris note, et qui montrent bien l’élévation de son caractère : « Ce que l’on publie dans une histoire militaire reçoit toujours un apprêt, selon le succès plus ou moins grand qui a été obtenu, – mais le loyalisme et l’amour de la patrie nous imposent l’obligation de ne pas détruire certains prestiges dont les victoires de nos armées ont revêtu telle ou telle personne. »

Nous n’étions revenus à Creisau, au printemps de 1887, que depuis quelques jours, quand je lui reparlai de ce qui me tenait tant à cœur. À plusieurs reprises je le priai d’écrire ses souvenirs de la guerre de 1870-71. « Mais vous avez l’histoire de la campagne publiée par le grand état-major. Tout y est. Il est vrai, ajouta-t-il, qu’elle est trop détaillée pour le commun des lecteurs et trop technique ; il faudrait la remanier et s’en tenir à des extraits. » Je lui demandai la permission de mettre l’ouvrage du grand état-major sur son bureau, et le lendemain il commença le présent récit, tout en consultant le grand ouvrage, et il le termina sans s’arrêter dans son travail. Il avait donc l’intention de donner un précis de la guerre de 1870. Tout en poursuivant ce but, il composa son récit en se plaçant involontairement, cela était inévitable, à son point de vue à lui, à celui du chef d’état-major, c’est-à-dire qu’il reconstitua avec tous les faits et les événements isolés l’ensemble tout entier de la guerre, que l’homme seul, qui donnait tous les ordres, pouvait embrasser. De la sorte, cet ouvrage, entrepris uniquement dans le but d’instruire les modestes et les simples, donne, par la suite logique des idées, l’expression du jugement personnel que le maréchal lui-même portait sur cette guerre.


DE MOLTKE,
Major et Aide de camp de Sa Majesté
l’Empereur et Roi.


Berlin, le 25 juin 1890.