La Lanterne magique/102

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 157-159).
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Neuvième douzaine

CII. — LE LUXEMBOURG

Au bois j’irai seulette, L’Amour m’y compt’ra ! Roses, folles, échevelées, ingénues, toutes petites, les fillettes dansent en rond en chantant : Giroflé, girofla ! et c’est une joie de les voir, plus fraîches que les autres fleurs dont se pare le Luxembourg, où l’air s’emplit de parfums. De bien loin arrivent les accords de l’orchestre militaire qui joue une marche triomphale, et les deux musiques ne se gênent pas l’une l’autre : au contraire. Il y a une toute petite qui mène la danse, et dont les yeux profonds ressemblent à des violettes. Les grenadiers, dont on ne voit pas les caisses, cachées par la terrasse, font éclater leurs fleurs de pourpre ; près d’eux les lauriers-roses fleurissent par groupes comme au bord d’un ruisseau céleste, et les plumages des cygnes resplendissent dans la lumière.

L’Amour m’y compt’ra ! Il les y compte en effet. Un couple de nouveaux mariés, jeunes, épris et également beaux, s’arrête pour regarder la danse, et déjà, avec l’instinct de la maternité dans le cœur, la jeune femme adorée admire et compte les fillettes rouges de plaisir et coiffées d’une blonde toison, qui plus tard, une à une, iront au bois où le ruisseau murmure et où gémissent les tourterelles.

Ceyras, le vieux mathématicien illustre, qui a soulevé tous les voiles, mais qui, voué à la Science amère et divine, n’a jamais été père, s’est arrêté, lui aussi, pour entendre la chanson : Si l’Amour t’y rencontre, Giroflé, girofla !… Il écoute les fillettes roses, puis soupire et s’éloigne, et les yeux fixés sur le soleil couchant, dans le grand ciel ensanglanté, devant les murs de cuivre et les citadelles d’airain, il regarde, de ses yeux qui percent la nuée, les chevaux échevelés, le choc des armures et les horribles batailles des Dieux.