La Lanterne magique/115

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 175-176).
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Dixième douzaine

CXV. — LA COUR D’ASSISES

Le président vient de prononcer l’arrêt, et les gendarmes vont emmener les condamnés. Toute la famille Ladureau, pères, mères, fils, filles, cousins et cousines, les uns voués au couperet, les autres au bagne, à l’exil ou à la détention perpétuelle. Cependant ces misérables ne semblent ni désolés ni terrifiés. Rien n’a troublé leur tenue abominablement décente, et on les voit seulement contrariés. Leurs têtes ignobles n’expriment rien autre chose que la niaiserie et la plus vulgaire platitude.

— « Ah ! dit à son confrère Remary le vieil avocat Leil, dont le visage ridé et spirituel pourrait appartenir à un avocat de Daumier, regardez ces empoisonneuses et ces dévergondées, plus scélérates que Messaline et que Locuste ; ces cuisiniers, raffinés comme Thyeste ; ces voleurs, ces incendiaires, ces faussaires, toute cette famille plus chargée d’horreurs, de crimes et d’incestes que celle des Atrides ! Et voyez que ces êtres ne sont nullement effrayants, et qu’ils ressemblent à des fonctionnaires d’une très petite ville, allant rendre leurs visites.

— En effet, dit Remary. C’est qu’ils possèdent comme nous le libre arbitre, et que n’ayant été assiégés ni par la faim, ni par la misère, ni par les passions dévorantes, ils n’ont eu à soutenir aucune lutte, et ils ont embrassé la carrière du meurtre froidement, comme on entre dans un bureau. Pour être sinistres, il leur manque la pourpre, le remords, la bravoure et l’inévitable colère des Dieux. C’est comme des cabotins dépourvus de talent et de mémoire, qui jouent une tragédie héroïque en habits bourgeois, et — sans avoir fait leurs têtes ! »